Interview de M. Thierry Breton, ministre de l'Economie, des finances et de l'industrie, à "France 2" le 3 octobre 2005, sur le conflit à la SNCM et l'option de recapitalisation de l'entreprise dans un contexte de concurrence, sur le climat social à la veille de la manifestation du 4 octobre et sur la reprise de la consommation des ménages.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Q- Nous allons évoquer le conflit à la SNCM. Vous allez rencontrer les grévistes avec un plan sur la table. Qu'allez-vous faire ? Leur expliquer, écouter ?
R- Nous allons à Marseille avec D. Perben, de façon, effectivement, à rencontrer les salariés de la SNCM. Cette affaire de la SNCM ne date pas d'aujourd'hui - certains la découvrent. En fait, on sait que, depuis longtemps, voire depuis très longtemps, la SNCM, qui, je le rappelle, est une entreprise - ce n'est pas un service public, il y a la continuité, mais ce n'est pas un service public, c'est important - qui est régie par le droit commercial, ce n'est pas une administration. Il a trois compagnies maritimes qui desservent aujourd'hui la Corse : deux sont privées, une est publique, et les deux privées gagnent de l'argent. La SNCM est déficitaire. Le problème que nous avons - et je veux en parler vraiment très directement et très librement, mettre tout sur la table et puis discuter - est que cette entreprise a déjà bénéficié de toutes les aides d'Etat possibles et inimaginables, précisément dans un cadre juridique qui, lui-même, est contraint et que l'on se doit de respecter. La France est un Etat de droit...
Q- Parce que la Communauté européenne ne vous autorise pas à financer à fonds perdus les entreprises...
R- Dans la mesure où il y a de la concurrence, et dans la mesure où l'on doit aussi respecter le droit de la concurrence, il y a un moment où l'on ne peut plus faire les choses. La seule façon précisément aujourd'hui de sauver la SNCM - et je dis bien de "sauver" la SNCM -, ce qui est la volonté du gouvernement de D. de Villepin, c'est, une dernière fois de recapitaliser et d'effacer un montant important de dettes. Montant important, c'est quand même 113 millions d'euros de l'argent des contribuables, je le rappelle malgré tout. Ceci dit, pour pouvoir le faire, il faut précisément que, pour ne pas fausser la concurrence, l'on puisse trouver une solution pour que l'on démontre que c'est la dernière fois, parce que cela fait longtemps que l'on dit que c'est la dernière fois et on a malgré tout remis de l'argent. Et la jurisprudence à ce moment-là de Bruxelles, qui est encore une fois un système que nous avons voulu, et c'est un système de droit, c'est que l'on puisse le faire uniquement en démontrant que l'Etat n'interviendra plus. Et la seule façon que l'Etat n'intervienne plus... Vous savez, j'ai eu à gérer des situations comme celle-là dans ma vie...
Q- Oui, vous avez connu chez Thomson, à France Télécom, quelques difficultés...
R- Mais oui, et on a réussi à sauver, les entreprises ! Donc je vais me battre de toutes mes forces pour la sauver. Il faut à ce moment-là que l'on se mette autour de la table à nouveau. Il n'y a rien de caché, tout ceci a été annoncé.
Q- Le leader de la CGT, B. Thibault, dit que personne n'a jamais vu un appel d'offres. Vous, vous avez parlé de 70 entrepreneurs contactés. Et lui dit que l'on n'en a jamais entendu
parler !
R- J'ai les éléments. Le 26 janvier, F. Goulard, qui était à l'époque secrétaire d'Etat à la Mer, a annoncé à l'Assemblée nationale très précisément ce qui allait se passer. Le 17 février, il a réuni l'ensemble des parties prenantes, il leur a expliqué qu'on lançait cette opération. A ce moment-là, il y a un groupe de contact qui a été créé, avec les organisations syndicales, piloté par le préfet, et on a créé à ce moment là une réunion formelle. Huit sous-groupes ont été créés, on s'est réunis huit fois pour expliquer ce qui se passait, et c'est la raison pour laquelle, lorsque l'on a eu les offres... Je lis ici ou là, que "c'est un scandale !", que, finalement "il n'y a pas eu assez d'offres". Mais il n'y a pas eu assez d'offres, pourquoi ? Parce que la société est dans une situation critique, et finalement il n'y pas eu trois offres, il n'y en a eu que deux ! Et dès qu'on les a eues, on a tout de suite informé tout le monde, on a expliqué ce qui se passait et maintenant, on va trouver la solution.
Q- Pourquoi ? Est-ce parce que la branche locale de la CGT et STC n'ont pas fait attention et ont pensé que cela allait durer toute la vie, et qu'il suffisait de manifester ? Je vais poser la question différemment. Ne sont-ils pas dans la même logique que ce que l'on a connu il y a quelques années, avec les pilotes d'Air Inter qui occupaient les tarmacs, voulant à tout prix garder leur compagnie, et qui pensaient que cela ne s'arrêterait jamais ?
R- D'abord, par principe, je ne jette la pierre à personne. Finalement, il y a une convergence d'intérêts : on veut tous sauver cette entreprise. C'est en tout cas dans cet esprit que je pars. Je dis bien "cette entreprise". Vous faisiez référence effectivement à Air Inter : regardez Air France, qui est née effectivement de la fusion entre Air Inter et Air France, aujourd'hui est devenue la première entreprise du monde. Souvenez vous, à l'époque, la dernière chance, c'était précisément une recapitalisation. Pour pouvoir le faire, en respectant la concurrence, il fallait que l'Etat se désengage. Aujourd'hui, Air France est effectivement une entreprise totalement privée, l'Etat a 18 % d'Air France. Cela n'empêche pas Air France d'être devenue la compagnie la plus profitable, y compris en ayant des missions de service public, puisque Air France a également des délégations de service public à assumer. Cela ne l'empêche pas d'être une entreprise privée. On bénéficie d'une recapitalisation de dernier recours, on doit donner des gages. Il y a deux solutions pour donner des gages : ou bien, on dit que l'Etat se désengage le plus rapidement possible, et je vais me battre pour que ce soit le plus lentement possible, c'est cela le combat que je vais mener aux côtés de l'entreprise et ses salariés vis-à-vis de Bruxelles. Ou bien, on refuse cela, et dans ces conditions Bruxelles dit que pour que la concurrence ne soit pas faussée, il faut supprimer un, deux, trois bateaux. Et je ne le veux pas, parce que si on le fait, l'entreprise est morte.
Q- Pourquoi être passé d'une privatisation pratiquement totale avec l'Américain, à quelque chose d'un peu différent ?
R- Non, d'abord, ce n'est pas "l'Américain". Encore une fois, on a proposé des solutions. On n'a jamais dit - jamais, je ne sais pas d'où cela est sorti ! - que c'était 100 %. On a attendu les offres. Une fois qu'on les a eues, on a regardé, et avec D. Perben, je me suis battu pour une chose : c'est que l'Etat reste le plus longtemps possible. Savez-vous pourquoi ? Parce que je connais, parce que j'ai été dans l'autre situation et je sais que quand on redresse une entreprise très difficile, dans une situation aussi critique que celle-là, c'est utile pour accompagner le changement de culture, de garder, pendant un moment, l'Etat à ses côtés. Je l'ai toujours souhaité dans les entreprises que j'ai eues à diriger. Et cela m'a toujours réussi, et cela réussit aux salariés. J'ai donc souhaité que, précisément, on ait, pendant une période transitoire dont j'espère qu'elle sera la plus longue possible, la possibilité d'avoir l'Etat encore au capital pour accompagner. Après cela, on discute avec Bruxelles. Ils disent qu'au-delà de 20 % c'est impossible, qu'il faudra qu'on lâche des bateaux. Je n'ai pas envie de lâcher des bateaux. On a donc essayé de fixer les choses à 25 %, je vais me battre de toutes mes forces pour que l'on n'ait pas de contreparties en plus pour préserver l'outil de travail. Après cela on dit : l'Etat a changé. L'Etat n'a rien changé !
Q- Depuis le début, c'était comme cela, vous avez regardé toutes les offres ?
R- On a eu cette offre et on a dit : compte tenu de la qualité des offres, on la retient. Et puis là où c'est important, c'est que, la société Butler Capital, a compris effectivement qu'il était important, compte tenu du contexte, elle-même d'ouvrir ce qu'elle va acquérir à hauteur au total de 30 % - puisque le tour de table final, c'est 40 % pour Butler Capital, 30 % pour Veolia Connex, qui est un opérateur industriel, connu par tous. Et cela va sécuriser tout le monde. Et je suis satisfait parce que, effectivement, ce sont eux qui ont la gestion...
Q- Une question sur la journée de demain, qui va être une journée aussi "rock'n roll", puisque B. Thibault sera ici, à votre place. Grosse grève, grandes manifestations, à Paris, en province, avec comme mot d'ordre : le pouvoir d'achat, la sauvegarde du secteur public. Cela veut-t-il dire, sur tous ces points, que les Français ont peur et n'ont pas envie des propositions de réformes ?
R- D'abord, une chose, c'est une manifestation qui est appelée par les organisations syndicales. J'estime que chacun est dans son rôle, c'est leur droit, et quelque part, je le respecte. Par contre, ce que je voudrais leur dire c'est que, le Gouvernement de D. de Villepin est un gouvernement pragmatique. On n'est pas des idéologues. On est là pour être au service des Français. Alors peut-être ne le voient-ils pas encore, mais croyez-moi, on se bat de toutes nos forces pour répondre à leurs questions. Quelles sont leurs questions ? D'abord, l'emploi. Je crois qu'ils commencent à voir qu'avec l'énergie que l'on met, avec J.-L. Borloo, avec l'ensemble de mes collègues ministres...
Q- Cela s'arrange un petit peu...
R- Oui, et cela fait un moment qu'on le dit, on fait tout ce que l'on peut. Deuxièmement, le pouvoir d'achat : c'est vrai que c'est un sujet, c'est vrai qu'il y a les prix du pétrole en particulier qui augmentent. Vous avez vu que j'ai tout fait pour les contenir, je crois qu'ils commencent à être contenus. Il est vrai que c'est un sujet de préoccupations, sauf que je voudrais vous dire une chose : je suis le ministre de l'Economie, et donc, par définition, je vois les choses peut-être un petit peu avant, en ce qui concerne les indicateurs macroéconomiques. Je vous le dis et vous le redis encore ce matin : la conjoncture est train de se retourner positivement. C'est une bonne nouvelle, et je le dis depuis un petit moment, je le vois. C'est tellement vrai que, depuis les mois de juillet, août, septembre, la consommation, et la consommation des ménages en particulier, n'a jamais été aussi bonne que depuis 2000. Cela veut dire que la confiance commence à revenir. Est-ce assez ? Certainement pas. Est-ce en train de s'inverser ? J'en suis convaincu.
Q- Et la croissance sera au rendez-vous, comme vous l'espérez, à au moins 2,2 % ?
R- En tout cas, c'est l'engagement que je prends au nom des Français, et je suis comptable du budget des Français. Je le tiendrai, quoi qu'il arrive, c'est mon objectif. De même que je rappelle : on a eu un problème avec le pétrole cette année, on m'a demandé de tenir le budget, je tiendrai le budget en 2005. Et je tiens à vous dire que, non seulement je ferai tout mais, comme à l'habitude, parce que cela a été l'engagement que j'ai toujours eu quand j'ai eu des responsabilités, on tiendra le budget 2006.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 octobre 2005)