Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, sur la politique étrangère et de sécurité commune et sur la politique européenne de sécurité et de défense, à Paris le 10 octobre 2005.

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Circonstance : 60ème anniversaire de l'Ecole nationale d'administration (ENA), à Paris le 10 octobre 2005

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Madame la Commissaire,
Mesdames, Messieurs,
L'Union européenne se doit d'avoir une politique extérieure. Il nous faut doter l'Union d'une dimension nouvelle parce que, comme le souligne régulièrement le président de la République, aucun ensemble ne peut exister de façon durable s'il n'a pas les moyens d'assurer sa propre sécurité.
L'Europe a progressé. Je me dois de le dire puisqu'on ne le dit pas assez. Nous avons parcouru beaucoup de chemin depuis Maastricht en 1992, où, pour la première fois, les Etats membres ont posé le principe d'une politique étrangère et de sécurité commune ; Amsterdam en 1997, avec le renforcement de nos instruments et surtout l'instauration d'un Haut-Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune - et cela n'a pas été simple ; Saint-Malo en 1998, sous impulsion franco-britannique, pour ouvrir le chemin et permettre à l'Union d'envisager de se doter de capacités opérationnelles crédibles ; Nice en 2000, souvent décrié et pourtant utile, puisque c'est là que les Etats membres ont consacré le rôle du Comité politique et de sécurité et ont étendu le mécanisme des coopérations renforcées au domaine de la politique étrangère et de sécurité commune.
Ce furent autant d'étapes importantes pour ne pas dire décisives. Nous envisagions une nouvelle étape avec le projet de traité constitutionnel. Comme ses dispositions ne sont pas en vigueur, je m'arrête là pour le moment.
Nous vivons un moment difficile. Les Européens doutent d'eux-mêmes, l'Europe s'interroge. Le sujet de ce soir vient à point nommé, parce que c'est dans les périodes de doute qu'il faut tracer le cap et le tenir. Comme nous voulons une Europe politique, c'est-à-dire une Europe forte et solidaire, nous devons nous appuyer en particulier sur la politique étrangère et de sécurité commune. Nous pouvons le faire, même en l'absence de traité constitutionnel, pour continuer à avancer et aider à bâtir cette Europe politique qui est le projet de la France.
Réaffirmons donc l'ambition extérieure de l'Union, de façon concrète.
Je voudrais poser trois questions simples pour introduire ce débat :
- Comment pouvons-nous renforcer la politique étrangère et de sécurité commune ?
- Quels sont les efforts que nous devons consentir pour que l'Europe de la défense s'affirme davantage ?
- Comment pouvons-nous donner plus de cohérence et d'unité à l'ensemble des volets de l'action extérieure de l'Union qui, au-delà de la PESC et de la PESD, concernent aussi le commerce l'aide au développement, l'action en matière d'environnement, et bien d'autres domaines encore ?
Tout d'abord, comment pouvons-nous renforcer la PESC ?
Il faut faire vivre l'ambition d'une Europe politique, notamment grâce à la politique étrangère et de sécurité commune. Et donc se doter des moyens d'une vraie PESC.
Nous avons en commun, nous Européens, beaucoup de valeurs : la promotion des Droits de l'Homme, la démocratie, l'ambition de maîtriser et d'humaniser la mondialisation, les valeurs de solidarité, l'aide au développement. Sur le fondement de ces valeurs communes, nous parvenons à adopter des positions communes et nous parvenons à faire en sorte que l'Union fasse entendre sa voix, y compris sur des questions sensibles comme le conflit israélo-palestinien ou la peine de mort. Nous avons pu faire avancer ces sujets, et faire entendre la voix de l'Europe et entraîner nos partenaires. Il n'y aurait pas eu de Cour pénale internationale s'il n'y avait pas eu d'Union européenne.
Nous avons adopté une "stratégie de sécurité" en décembre 2003. L'Union européenne y expose sa vision des menaces et des enjeux en matière de sécurité et y décrit les moyens politiques, économiques et financiers pour y faire face.
Cela dit, chacun sait bien que nous ne sommes pas unis sur tout. Il suffit d'évoquer la crise irakienne, mais il y a d'autres exemples où, comme il convient de dire diplomatiquement, d'importantes marges de progression existent en la matière.
Alors comment mieux faire ?
Changer les règles du jeu ? C'est une option théorique. Se donner une nouvelle méthode puisque celle-ci est essentiellement intergouvernementale ? La méthode actuelle complique souvent les choses puisque l'unanimité étant requise, elle est parfois difficile à atteindre. Et plus nous serons nombreux, plus elle sera difficile à atteindre. Mais nous savons qu'il n'est pas pour le moment envisageable de changer de méthode. Nos Etats ne souhaitent pas, en effet, être privés de leur pouvoir de décision et ne souhaitent pas voir la diplomatie européenne se substituer aux diplomaties nationales. Ils aspirent plutôt à ce qu'elle renforce leur propre diplomatie, en portant plus loin les valeurs de l'Union et les messages dont eux-mêmes sont porteurs.
Nous faut-il un ministre des Affaires étrangères de l'Union, qui regroupe, comme le prévoit le projet de traité constitutionnel, les fonctions de l'actuel Haut-Représentant pour la PESC et de commissaire chargé des Relations extérieures ? Il est évident, puisque nous avions arrêté cette position, tous gouvernements confondus, que cette fusion donnerait à la politique étrangère et de sécurité davantage d'efficacité, de visibilité et même de crédibilité. Tous les Européens avaient décidé d'avancer et de simplifier un peu le dispositif institutionnel. Le traité constitutionnel n'est pas en vigueur et son avenir est incertain. Cependant, nous pensons qu'il est à la fois nécessaire et possible de développer davantage la politique étrangère de l'Union en continuant à agir. Et l'Union le fait ; elle est déjà présente sur plusieurs continents - sur le continent européen évidemment dans les Balkans, où elle sera appelée à prendre ses responsabilités sans doute en matière de police au Kosovo -, mais aussi à l'extérieur de l'Europe. Elle a su le faire en Afrique et en Asie avec la mission qui se déroule à Aceh.
Il faudra aussi augmenter ses moyens sans avoir, pour l'heure, de solution tant que le futur budget européen n'est pas adopté.
La politique européenne de défense : comment la renforcer ?
En renforçant la politique européenne de défense, nous contribuons à donner un visage à l'Europe, à la faire exister. Il nous faut trouver très concrètement les moyens de renforcer les outils, en particulier industriels, de l'Europe de la défense qui est encore assez embryonnaire. Il faudra évidemment aller plus loin dans le regroupement des industriels si l'on veut faire face à la concurrence commerciale et technologique, aujourd'hui américaine et demain autre. C'est une impérieuse nécessité.
Nous avons déjà l'Agence européenne de l'armement. Nous avons un levier institutionnel. Nous devons mettre en place un code de conduite sur les équipements pour favoriser une ouverture des marchés tournée vers l'Europe. Nous devons aussi confier maintenant à cette Agence des responsabilités concrètes. Le président de la République proposait qu'il en soit ainsi pour le projet de drones ou pour la flotte d'avions ravitailleurs. Mais il faudra aussi consentir des efforts en matière de capacités de projection de l'Union sur les champs d'intervention extérieurs. C'est là que peut s'exercer l'influence politique de l'Union et se mesurer le mieux sa visibilité.
Autres sujets, même s'ils sont difficiles : la lutte contre le terrorisme, mais aussi les actions que l'on doit mener en matière de protection civile. Je serai intéressée de vous entendre sur les propositions de M. Solana d'avril dernier où, tirant les leçons du tsunami, il indiquait qu'il faudrait faciliter l'utilisation des moyens militaires et améliorer la coordination de ces moyens aujourd'hui nationaux grâce à un mécanisme communautaire.
Comment donner plus de cohérence et d'unité aux actions extérieures de l'Union ?
Le sentiment existe qu'il n'y a pas une mais plusieurs actions extérieures de l'Union. Cela tient à la diversité des domaines d'action, parfois très différents, mais aussi à la diversité des logiques qui sont à l'oeuvre. Certains domaines relèvent de la méthode communautaire, comme le commerce, l'aide au développement, tandis que d'autres continuent à relever d'un cadre intergouvernemental.
Pourtant, cette diversité de méthode ne doit pas être un obstacle. Pour que nous progressions, nous devons donc réfléchir à la manière de développer nos synergies dans nos actions extérieures aujourd'hui.
Je pense au renforcement du dialogue entre les institutions. Il est important que le Conseil et la Commission, qui jouent tous deux un rôle essentiel en matière de relations extérieures de l'Union, travaillent davantage ensemble et le plus en amont possible, en menant par exemple des études conjointes. C'est aussi dans le domaine de la sécurité énergétique, qui concerne à la fois les compétences communautaires et la politique étrangère et de sécurité commune, que nous pourrions développer nos réflexions. Je citais plus haut la sécurité civile, nous avons l'ambition de mutualiser les moyens ; les quelques mécanismes de coordination communautaire, qui sont essentiellement des mécanismes de coordination de l'information, sont insuffisants.
Sur le sujet de la prolifération des armes de destruction massive, nous avons approuvé une stratégie il y a deux ans, à Thessalonique, en juin 2003. Nous commençons à la mettre en uvre, par exemple en insérant dans des accords de coopération et de partenariat conclus par l'Union des clauses politiques relatives à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, à la lutte contre le terrorisme, ou encore à la promotion des Droits de l'Homme.
Je rappelle que l'accord de partenariat entre l'Union et les Etats ACP, dit Accord de Cotonou, fait actuellement l'objet d'une révision qui vise à introduire les clauses que je viens de citer. C'est la bonne démarche. Mais l'Union est peut-être trop prudente et dans une démarche trop progressive, alors que nos citoyens ont un besoin fort d'Europe.
Je conclurai par cela. On voit combien l'Europe est attendue sur la scène internationale. La plupart de nos partenaires souhaitent que nous nous exprimions davantage, que nous prenions davantage notre place, parce que l'Europe a une voix singulière. Sa voix n'est pas celle des autres. Ses valeurs ne sont pas toujours identiques à celle de ses partenaires.
Mais surtout, s'il y a une attente d'Europe à l'extérieur, il y a aussi une attente d'Europe en France. Je suis très frappée de voir dans mes déplacements, en France, en région, dans les échanges que l'on peut avoir avec nos compatriotes que si le sujet de préoccupation numéro un est, bien sûr, la croissance, l'emploi, le développement économique, vient tout de suite après le besoin d'une Europe, que je qualifierai puissante pour ne pas lancer des débats délicats ; d'une Europe qui sache unir ses forces et fasse entendre sa voix dans le monde.
Sachons y répondre et merci de vos idées puisque, ce soir, je ne fais que lancer le débat.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 octobre 2005)