Texte intégral
Interview de J.-C. Mailly, sur Europe 1 le 2 juin 2005 :
C. Delay - Le Premier ministre détaillera son plan lors de son discours de politique générale, au début de la semaine prochaine. Il évoque les expériences qui ont eu lieu ailleurs. Quel est votre sentiment ?
J.-C. Mailly - Il va surtout falloir non seulement regarder la question sociale, mais en lien avec la question économique parce que, si c'est pour regarder ce qui se passe en Angleterre, le moins que l'on puisse dire c'est que ce n'est pas terrible.
Q- Apparemment, il veut faire les deux, et l'exemple serait plutôt l'exemple de l'Europe du Nord, les pays scandinaves.
R- Oui, mais attendez, je vais prendre un exemple. Quand on nous parle de l'Europe scandinave, qui a un modèle social assez développé et différent du nôtre dans son financement, si l'on prend la Suède ou le Danemark, par exemple, on oublie de dire que ces deux pays ne sont pas dans l'euro. Alors, je ne dis pas qu'il faut sortir de l'euro, C n'est pas ce que je dis, mais il faut en tous les cas lier très étroitement les questions économiques et sociales. Tout le problème auquel le Premier ministre est confronté et son Gouvernement, on aura, je l'espère, plus d'informations à l'occasion du discours de politique générale, c'est quelle marge de manuvre budgétaire le Gouvernement entend pouvoir disposer ; ce qui pose le problème, notamment, des écarts ou de l'éloignement du Pacte de stabilité et de croissance. Si l'on n'a pas de moyens, la situation sera difficile. Elle est déjà difficile, mais si l'on veut répondre définitivement, non seulement aux inquiétudes qu'a soulignées le Premier ministre, mais à une forme de mécontentement qui existe aujourd'hui, il faut se dégager des marges de manuvre.
Q- L'une des idées, ce serait peut-être aussi d'assouplir les conditions d'embauche, moins de protection pour pouvoir licencier, donc embaucher plus facilement. Est-ce que vous êtes prêt à accepter cela, ou à discuter sur ce thème ?
R- Attendez, c'est ce qu'on nous dit depuis des années du côté patronal, et c'est ce qui a été fait en partie du côté gouvernemental. C'est le modèle anglo-saxon. Ce sont les patrons qui nous disent "On embauchera mieux quand on pourra virer plus facilement les gens".
Q- Donc ce serait une rupture par rapport au modèle social français ?
R- Bien sûr, même si le modèle social français a été esquinté ces dernières années, c'est vrai qu'il y a un taux de chômage important, mais, là aussi, pour des raisons y compris économiques. Donc si l'on veut reconsolider ce modèle, ce n'est pas en allant chercher plus de libéralisme économique. C'est vraiment un problème de fond. Alors, le Premier ministre affirme son attachement au modèle social français, qui est marqué par deux choses : la solidarité et l'égalité, l'égalité de droits républicaine. Donc, il faut pouvoir renforcer ces deux valeurs, et, pour ce faire, il faut dégager des marges de manuvre.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 juin 2005)
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Interview de J.-C. Mailly sur France Inter le 2 juin 2005 :
S. Paoli - "Nous n'avons pas tout tenté contre le chômage... Il n'y a pas de fatalité..." : propos signés D. de Villepin, hier soir. Sa priorité, c'est la bataille pour l'emploi, et pour y arriver, le nouveau Premier ministre promet de recourir à "toutes les expériences, mêmes si certaines ont eu lieu ailleurs". Votre réaction à l'intervention de D. de Villepin hier soir ? L'avez-vous trouvé convaincant ?
J.-C. Mailly - Je l'ai trouvé volontaire. Il a effectivement mis l'accent sur le chômage. Maintenant, il a réaffirmé qu'il soutenait "le modèle social français", mais dans le même temps, je dirais "Wait and see", puisqu'il faut attendre la déclaration de politique générale pour en savoir un peu plus.
Q- Peut-on redonner confiance aux Français en cent jours, à votre avis ?
R- C'est une gageure d'une certaine manière, c'est un vrai pari. Donc, tant mieux si c'est réussi, mais cela suppose qu'il y ait des décisions rapides. Or, il y a aujourd'hui des urgences sociales, y compris d'ailleurs en termes de calendrier. Il y a une réunion sur les salaires dans le secteur privé, qui est programmée pour le 10 juin, qui l'était - j'espère qu'elle va être maintenue, nous demandons à ce qu'elle soit maintenue - ; il y a le problème du Smic, il y a les discussions en cours sur l'assurance-chômage, pour ne prendre que ces exemples. Il faut donc que rapidement le Gouvernement, par le dialogue, donne des signes tangibles qu'il y a non seulement une impulsion mais une inflexion.
Q- Vous souhaitez rencontrer rapidement D. de Villepin. Qu'est-ce que vous allez lui dire quand vous l'aurez en face de vous ?
R- D'abord, une analyse de la situation. Je crois que les pouvoirs publics ont besoin d'entendre les organisations syndicales leur expliquer la façon dont elles perçoivent les choses. Il y a parfois un décalage entre une appréciation et puis la façon dont la réalité se passe. Je suis en contact régulier, non seulement avec les militants FO, mais avec les salariés également. Donc, leur expliquer ce qui se passe. Ils en ont parfois besoin.
Q- Tout le monde a compris semble-t-il. Il y a une situation de crise, le "non" s'est exprimé...
R- Oui mais attendez, qui est à l'origine de cette situation de crise ? La crise ne date pas du 29 mai, elle a démarré bien avant. Rappelez-vous, sans remonter trop loin, le début de l'année : il y a eu des manifestations, le 10 mars il y a eu du monde, avec des insatisfactions. Il y a deux problèmes de fond, selon nous, c'est à la fois les urgences sociales dont je parlais de certaines tout à l'heure, et-il y a aussi ce que j'appelle des urgences républicaines. C'est bien de dire que l'on est attaché aux valeurs républicaines, mais encore faut-il que, concrètement, ce soit le cas. Quand je dis "concrètement C soit le cas", peut-on, par exemple, dire : nous sommes attachés aux valeurs républicaines et on privatise le service public ! Demain, s'il n'y a plus de service public - je pousse pour me faire comprendre - est-ce qu'on sera encore dans une République ? Ce sont des débats qui n'ont jamais lieu. Il n'y a pas de lisibilité non plus à moyen et long terme. Donc, on veut un peu donner notre analyse de la situation et ensuite, ce qu'il nous semble nécessaire de faire. Dans les pistes que nous, nous voulons lancer, il y a la question du pouvoir d'achat - c'est un élément, ce n'est pas le seul -, mais si l'on veut également redonner confiance aux salariés, à ceux qui sont sans emploi, ou aux retraités, il faut aussi qu'ils sentent que leur pouvoir d'achat s'améliore. Cela va, y compris, booster la consommation et l'activité économique, donc l'emploi. C'est un élément, ce n'est pas le seul, mais c'est un élément.
Q- Y a-t-il un risque de radicalisation du climat social après cette très forte bronca électorale de dimanche dernier ? Sentez-vous actuellement un climat de révolte en France ?
R- Il y a un mécontentement très fort, et cela fait quand même trois fois que les citoyens, dont en grande partie les salariés, utilisent le bulletin de vote, d'une certaine manière, comme une sanction. Cela fait trois fois. Le Premier ministre disait : "Il y a de l'inquiétude", oui, il y a de l'inquiétude, c'est vrai. Mais il y a aussi du mécontentement, il faut bien en avoir conscience. Donc, là, c'est un peu "on a voté, on attend de voir", mais ce ne sera pas très long, on ne va pas attendre des mois, d'une certaine manière. Nous, on est un syndicat, on ne va pas faire d'a priori. On attend de voir et d'entendre surtout quelle sera la déclaration de politique générale, quels seront les axes sur lesquels, y compris économiques - parce qu'on ne peut pas déconnecter, y compris par rapport au Pacte de stabilité - quels seront les axes définis par le Gouvernement, que l'on puisse en discuter rapidement. Ou le Gouvernement tient compte, prend conscience de la réalité de la situation sociale - où il y a effectivement une crise - et puis on discute. S'il n'en tient pas compte, à un moment donné, si l'on n'a pas satisfaction, on devra appeler à la mobilisation. Mais pour le moment, on attend d'avoir plus de précisions.
Q- Vous parliez de ce "Pacte de stabilité". A votre avis, faut-il s'affranchir des règles européennes de ce Pacte de stabilité qui oblige, je rappelle, les pays de la zone euro à limiter le déficit des finances publiques à 3 % du PIB ? On oublie cela, et puis on augmente les dépenses ?
R- Il y a quand même plusieurs pays qui sont largement au-dessus, ce n'est pas la première fois. Mais d'une certaine manière, sans que pour autant ce soit pour faire de l'investissement public, pour consolider des dépenses sociales. Donc, il y a la France qui a des problèmes, il y a l'Allemagne, l'Italie, il y a toute une série, dans la zone euro même, de pays qui ont aujourd'hui une croissance plus faible. Ces critères européens de convergence agissent comme des rails desquels on n'a pas le droit de sortir. Cela conditionne idéologiquement la politique économique, comme s'il n'y en avait qu'une seule possible, et il faut savoir s'en exonérer.
Q- Vous parliez à l'instant de cette "grève à la SNCF". Que dites-vous ce matin à tous les voyageurs qui vont galérer aujourd'hui en raison de cette grève ?
R- Ecoutez, s'il y a une grève, c'est qu'ils ne sont pas satisfaits. C'est toujours le même problème. J'apprécie d'ailleurs que vous dites "qui vont galérer" - que l'on ne nous parle pas d'otages, parce que c'est vraiment agaçant. Moi, les seuls otages que je connaisse, c'est F. Aubenas...
Q- Mais est-ce le début du bras de fer avec le Gouvernement ?
R- C'était programmé avant. C'est aussi le bras de fer avec la direction
de la SNCF, sur la question salariale, la question des emplois...
Q- Que dites-vous à tous ceux qui vont galérer ?
R- C'est aussi pour défendre une conception du service public à laquelle les citoyens, les travailleurs sont attachés. Cela faisait aussi partie leur vote la semaine dernière.
Q- On parle beaucoup en ce moment du "modèle social français", parfois, pour souligner ces rigidités, parce que ce modèle social produit depuis 20 ans un chômage massif. Et ce modèle social, on peut dire que vous en faites partie, est-ce que les syndicats ne sont-ils pas aussi, peut-être, responsables de l'impossibilité d'innover, de faire preuve d'imagination pour trouver des solutions à la crise du chômage ? Je rappelle le taux de chômage en Grande-Bretagne : 4,5 %. En France ; + de 10 %. Il y a quelque chose qui ne colle pas là ?
R- Comparaison n'est pas raison parfois. 4,5 en Grande-Bretagne, c'est le taux officiel, avec beaucoup plus de pauvreté, avec des petits boulots. Vous savez, quand vous n'avez rien et que l'on prend un petit boulot, à n'importe quelle heure, quand vous n'avez pas de durée du travail, c'est cela aussi l'Angleterre. Quand je discute avec mes camarades anglais, ils n'en sont pas satisfaits de ce modèle anglo-saxon. Les syndicats... Regardez, on a négocié récemment une convention de reclassement personnalisé, quand il y a un plan social dans des petites entreprises, pour qui on faciliterait le reclassement. Nous, on est prêts à certaines choses mais pas à n'importe quoi. On parle du "modèle anglais", on parle du "modèle suédois" ou "danois"... Tenez, sur le plan économique, ce sont trois pays qui ne sont pas dans l'euro. Je ne dis pas qu'il faut quitter l'euro, mais cela fait partie aussi de la réflexion que l'on doit avoir. Qu'il se donne aussi des marges de manuvre.
Q- Parmi les mesures envisagées par le Gouvernement dans son plan pour l'emploi, il y aurait un contrôle plus strict des demandeurs d'emploi. Il serait possible de suspendre ou de réduire les allocations des chômeurs peu pressés de retrouver du travail. Pour vous, est-ce un casus belli ?
R- Oui. Parce que, si on commence à... C'était déjà dans les tuyaux. Je vous rappelle d'ailleurs que cela, c'est nous qui l'avons fait sortir. Parce qu'il ne fallait pas en parler avant le 29 mai. Si le "modèle social français" ça consiste à dire : il y a du chômage parce que les chômeurs sont des "fainéants" - pardonnez-moi l'expression -, cela démarre mal. Donc, on demande au Gouvernement de revoir sa copie, parce que, là, il y avait une copie qui circulait avant le 29 mai. Qu'il y ait des contrôles, cela existe, on n'est pas contre, ce n'est pas cela. D'abord, ce ne doit pas être les Assedic qui doivent les faire, et, d'une certaine manière, quand dans le texte du Gouvernement qui circulait avant le référendum, on nous dit : "tenir compte de la situation de l'emploi dans le bassin de l'emploi", comment faites-vous dans un bassin d'emploi où une grosse entreprise délocalise ou ferme, qu'il y a, par exemple, 500 salariés qui se retrouvent sans travail et qu'on ne leur propose rien ? On leur demande d'accepter n'importe quoi ? Cela, ce n'est pas notre conception !
Q- Il y a à la tête du Gouvernement un tandem, Villepin-Sarkozy. Qui préférez-vous : Villepin ou Sarkozy ?
R- Je ne rentre pas là-dedans. C'est leur problème ce n'est pas le nôtre en tant que syndicat. Nous, nous sommes un syndicat, je le dis bien, nous ne sommes pas un parti politique. On verra comment cela fonctionne. Je ne rentre pas dans ce type de schéma. Ça c'est un schéma politique, c'est leur problème, ce n'est pas le nôtre.
Q- Vous ne voyez pas deux conceptions économiques, celle de D. de Villepin et celle de Sarkozy ? On dit qu'il est beaucoup plus libéral.
R- Il y avait effectivement M. Sarkozy... Ces derniers temps ont été plus marqués par le libéralisme. Syndicalement, on s'est toujours opposé au libéralisme économique. Mais moi je n'apprécie pas quand on explique - par exemple, certains responsables politiques, qui disent : "Le modèle français ne marche pas puisqu'il y a tant de chômeurs".Oui mais quand vous commencez à affaiblir ce "modèle" par la politique économique menée depuis des années - celui qui veut tuer son chien l'accuse de rage - et après on dit : voyez, il ne marche pas, donc il faut changer de système ! Le libéralisme économique, ce n'est vraiment pas ce qui est nécessaire pour la France. Alors, il y a un modèle social, il peut évoluer, il évolue d'ailleurs d'une certaine manière. Mais il faut qu'il garde ses principes fondamentaux qui sont ceux de solidarité et d'égalité de droits.
(Source : premier-ministre, Service d'information du 6 juin 2005)
C. Delay - Le Premier ministre détaillera son plan lors de son discours de politique générale, au début de la semaine prochaine. Il évoque les expériences qui ont eu lieu ailleurs. Quel est votre sentiment ?
J.-C. Mailly - Il va surtout falloir non seulement regarder la question sociale, mais en lien avec la question économique parce que, si c'est pour regarder ce qui se passe en Angleterre, le moins que l'on puisse dire c'est que ce n'est pas terrible.
Q- Apparemment, il veut faire les deux, et l'exemple serait plutôt l'exemple de l'Europe du Nord, les pays scandinaves.
R- Oui, mais attendez, je vais prendre un exemple. Quand on nous parle de l'Europe scandinave, qui a un modèle social assez développé et différent du nôtre dans son financement, si l'on prend la Suède ou le Danemark, par exemple, on oublie de dire que ces deux pays ne sont pas dans l'euro. Alors, je ne dis pas qu'il faut sortir de l'euro, C n'est pas ce que je dis, mais il faut en tous les cas lier très étroitement les questions économiques et sociales. Tout le problème auquel le Premier ministre est confronté et son Gouvernement, on aura, je l'espère, plus d'informations à l'occasion du discours de politique générale, c'est quelle marge de manuvre budgétaire le Gouvernement entend pouvoir disposer ; ce qui pose le problème, notamment, des écarts ou de l'éloignement du Pacte de stabilité et de croissance. Si l'on n'a pas de moyens, la situation sera difficile. Elle est déjà difficile, mais si l'on veut répondre définitivement, non seulement aux inquiétudes qu'a soulignées le Premier ministre, mais à une forme de mécontentement qui existe aujourd'hui, il faut se dégager des marges de manuvre.
Q- L'une des idées, ce serait peut-être aussi d'assouplir les conditions d'embauche, moins de protection pour pouvoir licencier, donc embaucher plus facilement. Est-ce que vous êtes prêt à accepter cela, ou à discuter sur ce thème ?
R- Attendez, c'est ce qu'on nous dit depuis des années du côté patronal, et c'est ce qui a été fait en partie du côté gouvernemental. C'est le modèle anglo-saxon. Ce sont les patrons qui nous disent "On embauchera mieux quand on pourra virer plus facilement les gens".
Q- Donc ce serait une rupture par rapport au modèle social français ?
R- Bien sûr, même si le modèle social français a été esquinté ces dernières années, c'est vrai qu'il y a un taux de chômage important, mais, là aussi, pour des raisons y compris économiques. Donc si l'on veut reconsolider ce modèle, ce n'est pas en allant chercher plus de libéralisme économique. C'est vraiment un problème de fond. Alors, le Premier ministre affirme son attachement au modèle social français, qui est marqué par deux choses : la solidarité et l'égalité, l'égalité de droits républicaine. Donc, il faut pouvoir renforcer ces deux valeurs, et, pour ce faire, il faut dégager des marges de manuvre.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 juin 2005)
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Interview de J.-C. Mailly sur France Inter le 2 juin 2005 :
S. Paoli - "Nous n'avons pas tout tenté contre le chômage... Il n'y a pas de fatalité..." : propos signés D. de Villepin, hier soir. Sa priorité, c'est la bataille pour l'emploi, et pour y arriver, le nouveau Premier ministre promet de recourir à "toutes les expériences, mêmes si certaines ont eu lieu ailleurs". Votre réaction à l'intervention de D. de Villepin hier soir ? L'avez-vous trouvé convaincant ?
J.-C. Mailly - Je l'ai trouvé volontaire. Il a effectivement mis l'accent sur le chômage. Maintenant, il a réaffirmé qu'il soutenait "le modèle social français", mais dans le même temps, je dirais "Wait and see", puisqu'il faut attendre la déclaration de politique générale pour en savoir un peu plus.
Q- Peut-on redonner confiance aux Français en cent jours, à votre avis ?
R- C'est une gageure d'une certaine manière, c'est un vrai pari. Donc, tant mieux si c'est réussi, mais cela suppose qu'il y ait des décisions rapides. Or, il y a aujourd'hui des urgences sociales, y compris d'ailleurs en termes de calendrier. Il y a une réunion sur les salaires dans le secteur privé, qui est programmée pour le 10 juin, qui l'était - j'espère qu'elle va être maintenue, nous demandons à ce qu'elle soit maintenue - ; il y a le problème du Smic, il y a les discussions en cours sur l'assurance-chômage, pour ne prendre que ces exemples. Il faut donc que rapidement le Gouvernement, par le dialogue, donne des signes tangibles qu'il y a non seulement une impulsion mais une inflexion.
Q- Vous souhaitez rencontrer rapidement D. de Villepin. Qu'est-ce que vous allez lui dire quand vous l'aurez en face de vous ?
R- D'abord, une analyse de la situation. Je crois que les pouvoirs publics ont besoin d'entendre les organisations syndicales leur expliquer la façon dont elles perçoivent les choses. Il y a parfois un décalage entre une appréciation et puis la façon dont la réalité se passe. Je suis en contact régulier, non seulement avec les militants FO, mais avec les salariés également. Donc, leur expliquer ce qui se passe. Ils en ont parfois besoin.
Q- Tout le monde a compris semble-t-il. Il y a une situation de crise, le "non" s'est exprimé...
R- Oui mais attendez, qui est à l'origine de cette situation de crise ? La crise ne date pas du 29 mai, elle a démarré bien avant. Rappelez-vous, sans remonter trop loin, le début de l'année : il y a eu des manifestations, le 10 mars il y a eu du monde, avec des insatisfactions. Il y a deux problèmes de fond, selon nous, c'est à la fois les urgences sociales dont je parlais de certaines tout à l'heure, et-il y a aussi ce que j'appelle des urgences républicaines. C'est bien de dire que l'on est attaché aux valeurs républicaines, mais encore faut-il que, concrètement, ce soit le cas. Quand je dis "concrètement C soit le cas", peut-on, par exemple, dire : nous sommes attachés aux valeurs républicaines et on privatise le service public ! Demain, s'il n'y a plus de service public - je pousse pour me faire comprendre - est-ce qu'on sera encore dans une République ? Ce sont des débats qui n'ont jamais lieu. Il n'y a pas de lisibilité non plus à moyen et long terme. Donc, on veut un peu donner notre analyse de la situation et ensuite, ce qu'il nous semble nécessaire de faire. Dans les pistes que nous, nous voulons lancer, il y a la question du pouvoir d'achat - c'est un élément, ce n'est pas le seul -, mais si l'on veut également redonner confiance aux salariés, à ceux qui sont sans emploi, ou aux retraités, il faut aussi qu'ils sentent que leur pouvoir d'achat s'améliore. Cela va, y compris, booster la consommation et l'activité économique, donc l'emploi. C'est un élément, ce n'est pas le seul, mais c'est un élément.
Q- Y a-t-il un risque de radicalisation du climat social après cette très forte bronca électorale de dimanche dernier ? Sentez-vous actuellement un climat de révolte en France ?
R- Il y a un mécontentement très fort, et cela fait quand même trois fois que les citoyens, dont en grande partie les salariés, utilisent le bulletin de vote, d'une certaine manière, comme une sanction. Cela fait trois fois. Le Premier ministre disait : "Il y a de l'inquiétude", oui, il y a de l'inquiétude, c'est vrai. Mais il y a aussi du mécontentement, il faut bien en avoir conscience. Donc, là, c'est un peu "on a voté, on attend de voir", mais ce ne sera pas très long, on ne va pas attendre des mois, d'une certaine manière. Nous, on est un syndicat, on ne va pas faire d'a priori. On attend de voir et d'entendre surtout quelle sera la déclaration de politique générale, quels seront les axes sur lesquels, y compris économiques - parce qu'on ne peut pas déconnecter, y compris par rapport au Pacte de stabilité - quels seront les axes définis par le Gouvernement, que l'on puisse en discuter rapidement. Ou le Gouvernement tient compte, prend conscience de la réalité de la situation sociale - où il y a effectivement une crise - et puis on discute. S'il n'en tient pas compte, à un moment donné, si l'on n'a pas satisfaction, on devra appeler à la mobilisation. Mais pour le moment, on attend d'avoir plus de précisions.
Q- Vous parliez de ce "Pacte de stabilité". A votre avis, faut-il s'affranchir des règles européennes de ce Pacte de stabilité qui oblige, je rappelle, les pays de la zone euro à limiter le déficit des finances publiques à 3 % du PIB ? On oublie cela, et puis on augmente les dépenses ?
R- Il y a quand même plusieurs pays qui sont largement au-dessus, ce n'est pas la première fois. Mais d'une certaine manière, sans que pour autant ce soit pour faire de l'investissement public, pour consolider des dépenses sociales. Donc, il y a la France qui a des problèmes, il y a l'Allemagne, l'Italie, il y a toute une série, dans la zone euro même, de pays qui ont aujourd'hui une croissance plus faible. Ces critères européens de convergence agissent comme des rails desquels on n'a pas le droit de sortir. Cela conditionne idéologiquement la politique économique, comme s'il n'y en avait qu'une seule possible, et il faut savoir s'en exonérer.
Q- Vous parliez à l'instant de cette "grève à la SNCF". Que dites-vous ce matin à tous les voyageurs qui vont galérer aujourd'hui en raison de cette grève ?
R- Ecoutez, s'il y a une grève, c'est qu'ils ne sont pas satisfaits. C'est toujours le même problème. J'apprécie d'ailleurs que vous dites "qui vont galérer" - que l'on ne nous parle pas d'otages, parce que c'est vraiment agaçant. Moi, les seuls otages que je connaisse, c'est F. Aubenas...
Q- Mais est-ce le début du bras de fer avec le Gouvernement ?
R- C'était programmé avant. C'est aussi le bras de fer avec la direction
de la SNCF, sur la question salariale, la question des emplois...
Q- Que dites-vous à tous ceux qui vont galérer ?
R- C'est aussi pour défendre une conception du service public à laquelle les citoyens, les travailleurs sont attachés. Cela faisait aussi partie leur vote la semaine dernière.
Q- On parle beaucoup en ce moment du "modèle social français", parfois, pour souligner ces rigidités, parce que ce modèle social produit depuis 20 ans un chômage massif. Et ce modèle social, on peut dire que vous en faites partie, est-ce que les syndicats ne sont-ils pas aussi, peut-être, responsables de l'impossibilité d'innover, de faire preuve d'imagination pour trouver des solutions à la crise du chômage ? Je rappelle le taux de chômage en Grande-Bretagne : 4,5 %. En France ; + de 10 %. Il y a quelque chose qui ne colle pas là ?
R- Comparaison n'est pas raison parfois. 4,5 en Grande-Bretagne, c'est le taux officiel, avec beaucoup plus de pauvreté, avec des petits boulots. Vous savez, quand vous n'avez rien et que l'on prend un petit boulot, à n'importe quelle heure, quand vous n'avez pas de durée du travail, c'est cela aussi l'Angleterre. Quand je discute avec mes camarades anglais, ils n'en sont pas satisfaits de ce modèle anglo-saxon. Les syndicats... Regardez, on a négocié récemment une convention de reclassement personnalisé, quand il y a un plan social dans des petites entreprises, pour qui on faciliterait le reclassement. Nous, on est prêts à certaines choses mais pas à n'importe quoi. On parle du "modèle anglais", on parle du "modèle suédois" ou "danois"... Tenez, sur le plan économique, ce sont trois pays qui ne sont pas dans l'euro. Je ne dis pas qu'il faut quitter l'euro, mais cela fait partie aussi de la réflexion que l'on doit avoir. Qu'il se donne aussi des marges de manuvre.
Q- Parmi les mesures envisagées par le Gouvernement dans son plan pour l'emploi, il y aurait un contrôle plus strict des demandeurs d'emploi. Il serait possible de suspendre ou de réduire les allocations des chômeurs peu pressés de retrouver du travail. Pour vous, est-ce un casus belli ?
R- Oui. Parce que, si on commence à... C'était déjà dans les tuyaux. Je vous rappelle d'ailleurs que cela, c'est nous qui l'avons fait sortir. Parce qu'il ne fallait pas en parler avant le 29 mai. Si le "modèle social français" ça consiste à dire : il y a du chômage parce que les chômeurs sont des "fainéants" - pardonnez-moi l'expression -, cela démarre mal. Donc, on demande au Gouvernement de revoir sa copie, parce que, là, il y avait une copie qui circulait avant le 29 mai. Qu'il y ait des contrôles, cela existe, on n'est pas contre, ce n'est pas cela. D'abord, ce ne doit pas être les Assedic qui doivent les faire, et, d'une certaine manière, quand dans le texte du Gouvernement qui circulait avant le référendum, on nous dit : "tenir compte de la situation de l'emploi dans le bassin de l'emploi", comment faites-vous dans un bassin d'emploi où une grosse entreprise délocalise ou ferme, qu'il y a, par exemple, 500 salariés qui se retrouvent sans travail et qu'on ne leur propose rien ? On leur demande d'accepter n'importe quoi ? Cela, ce n'est pas notre conception !
Q- Il y a à la tête du Gouvernement un tandem, Villepin-Sarkozy. Qui préférez-vous : Villepin ou Sarkozy ?
R- Je ne rentre pas là-dedans. C'est leur problème ce n'est pas le nôtre en tant que syndicat. Nous, nous sommes un syndicat, je le dis bien, nous ne sommes pas un parti politique. On verra comment cela fonctionne. Je ne rentre pas dans ce type de schéma. Ça c'est un schéma politique, c'est leur problème, ce n'est pas le nôtre.
Q- Vous ne voyez pas deux conceptions économiques, celle de D. de Villepin et celle de Sarkozy ? On dit qu'il est beaucoup plus libéral.
R- Il y avait effectivement M. Sarkozy... Ces derniers temps ont été plus marqués par le libéralisme. Syndicalement, on s'est toujours opposé au libéralisme économique. Mais moi je n'apprécie pas quand on explique - par exemple, certains responsables politiques, qui disent : "Le modèle français ne marche pas puisqu'il y a tant de chômeurs".Oui mais quand vous commencez à affaiblir ce "modèle" par la politique économique menée depuis des années - celui qui veut tuer son chien l'accuse de rage - et après on dit : voyez, il ne marche pas, donc il faut changer de système ! Le libéralisme économique, ce n'est vraiment pas ce qui est nécessaire pour la France. Alors, il y a un modèle social, il peut évoluer, il évolue d'ailleurs d'une certaine manière. Mais il faut qu'il garde ses principes fondamentaux qui sont ceux de solidarité et d'égalité de droits.
(Source : premier-ministre, Service d'information du 6 juin 2005)