Texte intégral
J.-P. Elkabbach - Bonjour F. Hollande.
R - Bonjour J.-P. Elkabbach.
Q - Alors, la concertation sur l'emploi commence. Il n'y aura donc pas d'ordonnances sèches. D. de Villepin ne passe pas en force avec des ordonnances. Est-ce que ça veut dire qu'il vous a entendu ? Est-ce que vous êtes satisfait ce matin ?
R - Je pense qu'il a entendu la voix des salariés d'abord qui demandaient à ce que leurs organisations soient au moins, c'est bien le minimum, consultées avant que des ordonnances ne soient prises mais quand même. Je veux bien croire qu'il y ait urgence, sauf à penser que le Gouvernement n'est pas en place depuis trois ans et qu'il aurait fallu découvrir dans ces dernières heures, dans ces derniers jours, qu'il y avait un problème dans notre pays. Mais je ne serai pas plus cruel.
Q - D'autant plus que la gauche, vous ne pouvez pas être cruel, quand elle était au pouvoir, a eu recours, quand elle en a eu besoin, aux ordonnances.
R - Je vais venir sur les ordonnances. La gauche, quand elle était au pouvoir, elle n'a pas eu besoin d'ordonnances pour créer deux millions d'emplois et diminuer d'un million le chômage sous la responsabilité de L. Jospin.
Q - Avec une croissance de 4 %.
R - Avec une croissance qui existait dans le monde et que nous avons pu faire fructifier en France. Mais je reviens à la procédure. Il y aura donc consultation des organisations syndicales. C'était bien le moins. Mais que devient le Parlement ? D'abord, comment imaginer dans un pays comme le nôtre qu'il soit possible de prendre de nouvelles mesures pour l'emploi par la loi - puisque c'est le choix qu'a fait le Gouvernement, il aurait pu recourir à la négociation entre partenaires sociaux - il a décidé la loi. Comment est-il possible de concevoir qu'il puisse y avoir de nouvelles mesures par la loi sans que la majorité et l'opposition puissent en délibérer ? Mais il n'y a qu'en France que l'on voit des procédures de cette nature.
Q - Mais ça ne serait pas, si vous me permettez F. Hollande, le premier débat sur l'emploi. Or, il y a douze jours, c'était le référendum. On voit bien que le temps galope. Comment nier qu'il faut aller vite ?
R - Mais aller vite, ça devrait commencer par relancer la croissance. La première mesure que devrait prendre le Gouvernement de D. de Villepin, et il n'y a pas besoin de passer par la loi, ce serait d'augmenter immédiatement l'allocation de rentrée scolaire et la prime pour l'emploi de façon à ce que les ménages, pas seulement les plus modestes, que des ménages de catégories moyennes, de couches populaires, puissent consommer davantage.
Q - Et ça suffirait à relancer la croissance ?
R - Il y aurait déjà un processus de confiance dans ces catégories pour consommer. Deuxièmement, il serait très important que le Gouvernement éclaire sa politique économique pour que l'investissement lui-même puisse repartir. Il ne peut pas y avoir de créations d'emplois durables dans notre pays s'il n'y a pas une politique de croissance. Et là, aujourd'hui, on voudrait nous faire croire qu'il suffirait de changer des dispositions du droit du travail pour que, d'un seul coup, des entreprises embauchent. Une entreprise, qu'elle soit petite, qu'elle soit moyenne ou qu'elle soit grande, n'embauche que lorsqu'elle a de l'activité, lorsqu'il y a des commandes et lorsqu'il y a une demande à satisfaire. Donc la première mesure, là tout de suite, que je demande au Gouvernement, c'est que puisqu'il a renoncé aux baisses d'impôts - je ne m'en plains pas même si c'est une promesse de plus que J. Chirac n'honorera pas - puisqu'il a renoncé aux baisses d'impôts, qu'il commence tout de suite à augmenter l'allocation de rentrée scolaire et la prime pour l'emploi et nous verrons immédiatement les effets en termes de croissance, d'activité et d'embauche.
Q - Mais le Parti socialiste, F. Hollande, est-ce qu'il peut présenter, il pourrait présenter un programme alternatif tout de suite pour réduire le chômage ou il s'agit surtout de critiquer ce que les autres font ?
R - Non moi, je fais trois propositions. L'une, de méthode, parce qu'elle est essentielle en ces matières. Nous ne pouvons retrouver la confiance que si l'ensemble des partenaires sociaux - quand je dis les partenaires sociaux, ce sont les syndicats et les représentants des entreprises - se retrouvent avec l'Etat autour d'une table pour dire : voilà, que faisons-nous pour les deux années qui restent - imaginons que nous soyons dans cette situation avant les élections de 2007 - que décidons-nous pour les questions qui nous appartiennent, que ce soit la formation professionnelle, que ce soit les règles du droit du travail, que ce soit l'activité - Ca, c'est une question de méthode qui emporte tout le reste. Dans toutes les grandes démocraties européennes, c'est ainsi qu'il est fait. Deuxièmement, je ferais en sorte de changer complètement le système d'exonération de cotisations sociales. Plus personne n'y comprend rien. Ca coûte très cher. 18 milliards d'euros, c'est-à-dire, vous vous rendez compte, près de 150 milliards de francs sans que l'on soit sûr que l'ensemble de ces sommes soit consacré véritablement à des créations d'emplois. Troisièmement, je changerais le mode de calcul des cotisations sociales. Puisque l'on nous dit qu'il faut lutter, et c'est vrai, contre la précarité, eh bien que les cotisations sociales soient plus élevées lorsque le contrat est de courte durée mais plus basses lorsque le contrat est à durée indéterminée. Ainsi, il y aurait une vraie incitation à l'embauche. Et le dernier point, vous savez, il y a eu il y a encore quelques semaines, le vote d'une loi Borloo dont on nous a dit - et les intentions n'étaient pas mauvaises - qu'elle pouvait produire ses effets. Je suis maire, vous l'avez rappelé, de Tulle. Je ne sais même pas aujourd'hui quel contrat je peux utiliser pour les chômeurs de longue durée et donc, la proposition que le Parti socialiste fait, c'est de dire : supprimons tous ces contrats dont personne ne sait exactement à quoi ils correspondent pour les jeunes, les chômeurs de longue durée, ceux qui ont été écartés du marché du travail après licenciement et faisons un seul contrat de réinsertion qui permette justement à chaque employeur du privé comme du public de savoir ce qu'il y a derrière.
Q - Vous avez noté que le contrat nouvelle embauche avec deux ans d'essai où le salarié est protégé, accompagné par l'Etat, semble convenir aux très petites entreprises. Mais, sur France 2 et au Sénat hier, le Premier ministre a défendu le plan Villepin qui n'est pas si mal accueilli que cela. Et s'il marchait ce plan ? Pourquoi ne pas lui accorder une chance ou, en tout cas, sa chance ?
R - Ecoutez, nous, on veut accorder toutes les chances possibles à un Gouvernement à la condition qu'il procède par une méthode qui nous y associe. Vous nous dites : il faut faire en sorte que le pays ...
Q - Vous dites qu'il peut vous associer alors qu'il reste deux ans ?
R - Notre objectif, c'est de faire réussir le pays. On est dans l'opposition mais on est attentif à la vie de nos concitoyens. Donc j'attendais que l'opposition puisse être consultée, elle ne l'a pas été, puisse être impliquée dans un débat parlementaire, elle ne le sera pas, puisse même donner ses propositions à un moment, ce ne sera pas le cas. Je sais heureusement par voie de presse...
Q - Attendez, au fur et à mesure, les choses évoluent, se précisent.
R - Donc un Gouvernement qui s'y prend de cette manière, c'est-à-dire consulte parce qu'on lui demande, les partenaires sociaux, et ce n'est pas son premier réflexe, et procède par ordonnances, c'est-à-dire en occultant le Parlement et enfin, ne se donne même pas d'objectif que l'on pourrait vérifier, parce que j'ai cru comprendre dans l'intervention de D. de Villepin que la formule, hélas malheureuse, des - cent jours - était déjà abandonnée. Maintenant aucun objectif chiffré n'est donné en termes de réduction du chômage, aucun objectif en termes de croissance, aucun objectif en termes de budget, nous ne connaissons rien de la préparation du budget pour 2006.
Q - Soyez patient, ça va vite mais chaque jour compte.
R - Vous savez, J.-P. Elkabbach, il ne reste qu'un seul budget avant les élections de 2007, un seul. Ce que veut faire en ce moment D. de Villepin, c'est le dernier avatar de la majorité, la dernière phase. Il ne reste plus qu'un seul budget. Donc le rôle maintenant de l'opposition, c'est de préparer l'alternance.
Q - Si on développe chaque sujet, il y a trois-quatre questions clés que je ne pourrais pas vous poser. Est ce que vous avez noté que le ton n'est plus incantatoire mais qu'il est maîtrisé, plus modeste chez D. de Villepin ? Ca, au moins, ça aurait dû vous frapper.
R - Oui, ça m'a d'ailleurs plutôt...
Q - Bien impressionné ou non ?
R - Oui, ça m'a plutôt frappé à l'Assemblée. Beaucoup s'attendaient à ce que ce soit incantatoire, lyrique. Peut-être même beaucoup dans la majorité attendaient cela. Moi, je ne me suis pas plaint que le chef du Gouvernement revienne aux préoccupations qui ont fait une partie, une partie seulement, mais qui ont fait le résultat du référendum, qui n'était pas celui que je souhaitais. Et c'est vrai que la situation économique, que le chômage, est effectivement ce qui taraude nos concitoyens. Donc moi, je ne me plains pas que ce soit la priorité. Elle est d'ailleurs depuis toujours de tous les gouvernements ; ça aurait dû l'être du Gouvernement Raffarin. Mais ça, je ne m'en plains pas. Ce que je conteste, en revanche, c'est et la méthode et les mesures. Le contrat de nouvelle embauche, qui ne sera qu'un contrat de nouvelle précarité, et le fait qu'il n'y a pas de politique de croissance. Et il ne peut pas y avoir de réussite s'il n'y pas une politique de croissance.
Q - Est-ce que vous pensez qu'il peut entraîner naturellement sa majorité et une partie du pays lui-même ?
R - Je pense que D. de Villepin est un homme seul, parce que, d'abord, il n'a pas la confiance des Français pour le moment.
Q - A travers la majorité parlementaire, oui.
R - Regardons la situation de la majorité. L'UDF n'a pas voté la confiance et, au sein de l'UMP, on sent bien qu'aujourd'hui les esprits sont davantage tournés vers la présidentielle que vers la réussite du Gouvernement.
Q - Tandis qu'au Parti socialiste non ! On ne va pas insister sur ce point, non parce qu'il y a des divisions de tous les côtés.
R - Je veux insister sur la solitude du Gouvernement de Villepin et donc sur la précarité même de sa situation.
Q - Quand les autres pays nous observent, F. Hollande, vous ne croyez pas qu'ils découvrent : France, 10 % de chômeurs, 45 milliards d'euros pour payer une dette de 1.100 milliards en hausse régulière. Montant des dépenses pour l'emploi : 60 milliards d'euros comme je le disais hier. Est-ce que vous croyez qu'on peut penser que c'est un modèle et que le courage de la vérité n'est pas de reconnaître que ce n'est ni un modèle ni un exemple et qu'il faut accepter de le faire changer, de l'assouplir ?
R - Permettez-moi de dire que vous parlez du résultat du Gouvernement de J.-P. Raffarin, pas encore de celui de D. de Villepin. Parce que nous avons été, un moment, une référence, il n'y a pas si longtemps. Nous avons été un des pays - je parle il y a 5 ou 6 ans, l'année 2000 par exemple - nous étions le pays qui faisait en Europe le plus de croissance. Nous étions le pays qui créait le plus d'emplois. Nous étions le pays qui diminuait le plus vite ...
Q - Non mais ne parlons pas ...
R - Je le dis quand même, parce qu'il faudrait que nous ne pensions pas que le Gouvernement ou les Gouvernements depuis 2002, correspondent à ce qu'est la France. Maintenant, vous avez raison, il y a un problème en France, c'est qu'il y a toujours une vision qui correspond à celle de l'Etat, comme si l'Etat, seul, pouvait tout faire. Et je pense que nous-mêmes, les socialistes, devons prendre conscience qu'il ne peut y avoir de changement dans notre pays, de changement profond, donc de réussite que si l'ensemble des partenaires sociaux, l'ensemble de ce qui est le mouvement de l'économie, de l'activité mais aussi du monde de l'initiative puisse être associé aux décisions.
Q - Donc ça, il faudra l'attendre du congrès du Parti socialiste au mois de novembre.
R - Je vais prendre un exemple.
Q - Non, non, non, il faut aller vite, pardon, parce que je voudrais vous poser deux questions. Aujourd'hui, J. Chirac et Monsieur Schröder se rencontrent à Paris. Monsieur Chirac a vu hier Monsieur Juncker. Il a demandé à T. Blair de faire un geste, d'accepter un rabais sur les milliards que la Grande-Bretagne reçoit depuis 21 ans de Bruxelles. T. Blair refuse. Qu'est-ce qu'il faut faire ? Est-ce qu'il faut continuer le processus de ratification de la Constitution ou dire - on s'arrête, on souffle - ou alors, lancer des initiatives franco-allemandes ? Lesquelles ?
R - Premièrement, il apparaît qu'il n'y a pas de plan B, et ceux qui ont prétendu que le rejet du traité constitutionnel pouvait déboucher sur une autre solution, plus fructueuse pour l'Europe politique et l'Europe sociale, aujourd'hui devraient considérer qu'ils ont conduit le pays, le nôtre, à des solutions qui n'existaient pas. Deuxièmement, je crois qu'il faut que les ratifications continuent mais on voit bien que le traité constitutionnel lui-même est menacé, et peut-être mortellement touché. Troisièmement, qu'est-ce qu'il faut faire dans l'attente ...
Q - Tout de suite, tout de suite.
R - ...dans l'attente d'un nouveau processus politique ? Je crois qu'il faut aller vers l'Europe la plus concrète. Nous avons deux sujets : le budget et là, il faut que la France qui demande à la Grande-Bretagne avec juste raison de revenir sur son chèque ...
Q - Donc vous vous sentez plus proche de Paris et de Berlin, sur ce plan, que de Londres ?
R - Non, non, je demande à ce que la France et l'Allemagne fassent une proposition. Il faut augmenter le budget européen. Nous n'en sortirons pas s'il n'y a pas un effort plus important de l'Europe pour elle-même, c'est-à-dire pour maintenir ce qui existe, l'agriculture, les fonds structurels, l'élargissement et relancer la croissance.
Q - D'accord, mais on voit que la France et l'Allemagne veulent bouger.
R - Eh bien, il faut que le signe qui puisse être envoyé soit un signe d'augmentation du budget européen. Deuxième signe, il faut qu'il y ait une coopération renforcée, c'est-à-dire une alliance entre la France et l'Allemagne et les pays qui le voudront pour aller plus loin sur les grands projets d'infrastructures, de transports. Il faut que l'Europe concrète se mette en place.
Q - L. Fabius répétait hier qu'il faut rassembler, il faut rassembler. Lors de votre congrès prochain, en novembre, est-ce qu'il faudra un rassembleur ou un vainqueur et un vaincu ?
R - Je pense qu'il faut d'abord un projet. Ce qui est attendu par nos concitoyens, ce n'est pas un candidat, pour l'instant, ça viendra. Ce n'est pas une alliance tactique, une combinaison de partis, c'est parfois nécessaire mais ça ne peut s'organiser qu'autour d'un projet. Et pourquoi j'ai voulu que le grand rendez-vous des socialistes pour le mois de novembre soit un congrès d'idées ? Parce que la meilleure façon de faire travailler les socialistes, c'est de ne pas les préparer à une campagne, pour savoir s'il faut se ranger derrière telle ou telle bannière, c'est de dire devant les Français quelles propositions nous faisons, quel projet nous avons et quelle France nous voulons.
Q - Donc un vainqueur et un vaincu avec une stratégie et un vrai projet.
R - Avec une stratégie autour d'un projet et un rassemblement de la gauche sur des idées que l'on peut proposer en étant sûr de pouvoir les réaliser, de les traduire dans les faits lorsque nous serons, si les Français en décident, associés aux responsabilités du Gouvernement.
Q - Merci F. Hollande.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 10 juin 2005)
R - Bonjour J.-P. Elkabbach.
Q - Alors, la concertation sur l'emploi commence. Il n'y aura donc pas d'ordonnances sèches. D. de Villepin ne passe pas en force avec des ordonnances. Est-ce que ça veut dire qu'il vous a entendu ? Est-ce que vous êtes satisfait ce matin ?
R - Je pense qu'il a entendu la voix des salariés d'abord qui demandaient à ce que leurs organisations soient au moins, c'est bien le minimum, consultées avant que des ordonnances ne soient prises mais quand même. Je veux bien croire qu'il y ait urgence, sauf à penser que le Gouvernement n'est pas en place depuis trois ans et qu'il aurait fallu découvrir dans ces dernières heures, dans ces derniers jours, qu'il y avait un problème dans notre pays. Mais je ne serai pas plus cruel.
Q - D'autant plus que la gauche, vous ne pouvez pas être cruel, quand elle était au pouvoir, a eu recours, quand elle en a eu besoin, aux ordonnances.
R - Je vais venir sur les ordonnances. La gauche, quand elle était au pouvoir, elle n'a pas eu besoin d'ordonnances pour créer deux millions d'emplois et diminuer d'un million le chômage sous la responsabilité de L. Jospin.
Q - Avec une croissance de 4 %.
R - Avec une croissance qui existait dans le monde et que nous avons pu faire fructifier en France. Mais je reviens à la procédure. Il y aura donc consultation des organisations syndicales. C'était bien le moins. Mais que devient le Parlement ? D'abord, comment imaginer dans un pays comme le nôtre qu'il soit possible de prendre de nouvelles mesures pour l'emploi par la loi - puisque c'est le choix qu'a fait le Gouvernement, il aurait pu recourir à la négociation entre partenaires sociaux - il a décidé la loi. Comment est-il possible de concevoir qu'il puisse y avoir de nouvelles mesures par la loi sans que la majorité et l'opposition puissent en délibérer ? Mais il n'y a qu'en France que l'on voit des procédures de cette nature.
Q - Mais ça ne serait pas, si vous me permettez F. Hollande, le premier débat sur l'emploi. Or, il y a douze jours, c'était le référendum. On voit bien que le temps galope. Comment nier qu'il faut aller vite ?
R - Mais aller vite, ça devrait commencer par relancer la croissance. La première mesure que devrait prendre le Gouvernement de D. de Villepin, et il n'y a pas besoin de passer par la loi, ce serait d'augmenter immédiatement l'allocation de rentrée scolaire et la prime pour l'emploi de façon à ce que les ménages, pas seulement les plus modestes, que des ménages de catégories moyennes, de couches populaires, puissent consommer davantage.
Q - Et ça suffirait à relancer la croissance ?
R - Il y aurait déjà un processus de confiance dans ces catégories pour consommer. Deuxièmement, il serait très important que le Gouvernement éclaire sa politique économique pour que l'investissement lui-même puisse repartir. Il ne peut pas y avoir de créations d'emplois durables dans notre pays s'il n'y a pas une politique de croissance. Et là, aujourd'hui, on voudrait nous faire croire qu'il suffirait de changer des dispositions du droit du travail pour que, d'un seul coup, des entreprises embauchent. Une entreprise, qu'elle soit petite, qu'elle soit moyenne ou qu'elle soit grande, n'embauche que lorsqu'elle a de l'activité, lorsqu'il y a des commandes et lorsqu'il y a une demande à satisfaire. Donc la première mesure, là tout de suite, que je demande au Gouvernement, c'est que puisqu'il a renoncé aux baisses d'impôts - je ne m'en plains pas même si c'est une promesse de plus que J. Chirac n'honorera pas - puisqu'il a renoncé aux baisses d'impôts, qu'il commence tout de suite à augmenter l'allocation de rentrée scolaire et la prime pour l'emploi et nous verrons immédiatement les effets en termes de croissance, d'activité et d'embauche.
Q - Mais le Parti socialiste, F. Hollande, est-ce qu'il peut présenter, il pourrait présenter un programme alternatif tout de suite pour réduire le chômage ou il s'agit surtout de critiquer ce que les autres font ?
R - Non moi, je fais trois propositions. L'une, de méthode, parce qu'elle est essentielle en ces matières. Nous ne pouvons retrouver la confiance que si l'ensemble des partenaires sociaux - quand je dis les partenaires sociaux, ce sont les syndicats et les représentants des entreprises - se retrouvent avec l'Etat autour d'une table pour dire : voilà, que faisons-nous pour les deux années qui restent - imaginons que nous soyons dans cette situation avant les élections de 2007 - que décidons-nous pour les questions qui nous appartiennent, que ce soit la formation professionnelle, que ce soit les règles du droit du travail, que ce soit l'activité - Ca, c'est une question de méthode qui emporte tout le reste. Dans toutes les grandes démocraties européennes, c'est ainsi qu'il est fait. Deuxièmement, je ferais en sorte de changer complètement le système d'exonération de cotisations sociales. Plus personne n'y comprend rien. Ca coûte très cher. 18 milliards d'euros, c'est-à-dire, vous vous rendez compte, près de 150 milliards de francs sans que l'on soit sûr que l'ensemble de ces sommes soit consacré véritablement à des créations d'emplois. Troisièmement, je changerais le mode de calcul des cotisations sociales. Puisque l'on nous dit qu'il faut lutter, et c'est vrai, contre la précarité, eh bien que les cotisations sociales soient plus élevées lorsque le contrat est de courte durée mais plus basses lorsque le contrat est à durée indéterminée. Ainsi, il y aurait une vraie incitation à l'embauche. Et le dernier point, vous savez, il y a eu il y a encore quelques semaines, le vote d'une loi Borloo dont on nous a dit - et les intentions n'étaient pas mauvaises - qu'elle pouvait produire ses effets. Je suis maire, vous l'avez rappelé, de Tulle. Je ne sais même pas aujourd'hui quel contrat je peux utiliser pour les chômeurs de longue durée et donc, la proposition que le Parti socialiste fait, c'est de dire : supprimons tous ces contrats dont personne ne sait exactement à quoi ils correspondent pour les jeunes, les chômeurs de longue durée, ceux qui ont été écartés du marché du travail après licenciement et faisons un seul contrat de réinsertion qui permette justement à chaque employeur du privé comme du public de savoir ce qu'il y a derrière.
Q - Vous avez noté que le contrat nouvelle embauche avec deux ans d'essai où le salarié est protégé, accompagné par l'Etat, semble convenir aux très petites entreprises. Mais, sur France 2 et au Sénat hier, le Premier ministre a défendu le plan Villepin qui n'est pas si mal accueilli que cela. Et s'il marchait ce plan ? Pourquoi ne pas lui accorder une chance ou, en tout cas, sa chance ?
R - Ecoutez, nous, on veut accorder toutes les chances possibles à un Gouvernement à la condition qu'il procède par une méthode qui nous y associe. Vous nous dites : il faut faire en sorte que le pays ...
Q - Vous dites qu'il peut vous associer alors qu'il reste deux ans ?
R - Notre objectif, c'est de faire réussir le pays. On est dans l'opposition mais on est attentif à la vie de nos concitoyens. Donc j'attendais que l'opposition puisse être consultée, elle ne l'a pas été, puisse être impliquée dans un débat parlementaire, elle ne le sera pas, puisse même donner ses propositions à un moment, ce ne sera pas le cas. Je sais heureusement par voie de presse...
Q - Attendez, au fur et à mesure, les choses évoluent, se précisent.
R - Donc un Gouvernement qui s'y prend de cette manière, c'est-à-dire consulte parce qu'on lui demande, les partenaires sociaux, et ce n'est pas son premier réflexe, et procède par ordonnances, c'est-à-dire en occultant le Parlement et enfin, ne se donne même pas d'objectif que l'on pourrait vérifier, parce que j'ai cru comprendre dans l'intervention de D. de Villepin que la formule, hélas malheureuse, des - cent jours - était déjà abandonnée. Maintenant aucun objectif chiffré n'est donné en termes de réduction du chômage, aucun objectif en termes de croissance, aucun objectif en termes de budget, nous ne connaissons rien de la préparation du budget pour 2006.
Q - Soyez patient, ça va vite mais chaque jour compte.
R - Vous savez, J.-P. Elkabbach, il ne reste qu'un seul budget avant les élections de 2007, un seul. Ce que veut faire en ce moment D. de Villepin, c'est le dernier avatar de la majorité, la dernière phase. Il ne reste plus qu'un seul budget. Donc le rôle maintenant de l'opposition, c'est de préparer l'alternance.
Q - Si on développe chaque sujet, il y a trois-quatre questions clés que je ne pourrais pas vous poser. Est ce que vous avez noté que le ton n'est plus incantatoire mais qu'il est maîtrisé, plus modeste chez D. de Villepin ? Ca, au moins, ça aurait dû vous frapper.
R - Oui, ça m'a d'ailleurs plutôt...
Q - Bien impressionné ou non ?
R - Oui, ça m'a plutôt frappé à l'Assemblée. Beaucoup s'attendaient à ce que ce soit incantatoire, lyrique. Peut-être même beaucoup dans la majorité attendaient cela. Moi, je ne me suis pas plaint que le chef du Gouvernement revienne aux préoccupations qui ont fait une partie, une partie seulement, mais qui ont fait le résultat du référendum, qui n'était pas celui que je souhaitais. Et c'est vrai que la situation économique, que le chômage, est effectivement ce qui taraude nos concitoyens. Donc moi, je ne me plains pas que ce soit la priorité. Elle est d'ailleurs depuis toujours de tous les gouvernements ; ça aurait dû l'être du Gouvernement Raffarin. Mais ça, je ne m'en plains pas. Ce que je conteste, en revanche, c'est et la méthode et les mesures. Le contrat de nouvelle embauche, qui ne sera qu'un contrat de nouvelle précarité, et le fait qu'il n'y a pas de politique de croissance. Et il ne peut pas y avoir de réussite s'il n'y pas une politique de croissance.
Q - Est-ce que vous pensez qu'il peut entraîner naturellement sa majorité et une partie du pays lui-même ?
R - Je pense que D. de Villepin est un homme seul, parce que, d'abord, il n'a pas la confiance des Français pour le moment.
Q - A travers la majorité parlementaire, oui.
R - Regardons la situation de la majorité. L'UDF n'a pas voté la confiance et, au sein de l'UMP, on sent bien qu'aujourd'hui les esprits sont davantage tournés vers la présidentielle que vers la réussite du Gouvernement.
Q - Tandis qu'au Parti socialiste non ! On ne va pas insister sur ce point, non parce qu'il y a des divisions de tous les côtés.
R - Je veux insister sur la solitude du Gouvernement de Villepin et donc sur la précarité même de sa situation.
Q - Quand les autres pays nous observent, F. Hollande, vous ne croyez pas qu'ils découvrent : France, 10 % de chômeurs, 45 milliards d'euros pour payer une dette de 1.100 milliards en hausse régulière. Montant des dépenses pour l'emploi : 60 milliards d'euros comme je le disais hier. Est-ce que vous croyez qu'on peut penser que c'est un modèle et que le courage de la vérité n'est pas de reconnaître que ce n'est ni un modèle ni un exemple et qu'il faut accepter de le faire changer, de l'assouplir ?
R - Permettez-moi de dire que vous parlez du résultat du Gouvernement de J.-P. Raffarin, pas encore de celui de D. de Villepin. Parce que nous avons été, un moment, une référence, il n'y a pas si longtemps. Nous avons été un des pays - je parle il y a 5 ou 6 ans, l'année 2000 par exemple - nous étions le pays qui faisait en Europe le plus de croissance. Nous étions le pays qui créait le plus d'emplois. Nous étions le pays qui diminuait le plus vite ...
Q - Non mais ne parlons pas ...
R - Je le dis quand même, parce qu'il faudrait que nous ne pensions pas que le Gouvernement ou les Gouvernements depuis 2002, correspondent à ce qu'est la France. Maintenant, vous avez raison, il y a un problème en France, c'est qu'il y a toujours une vision qui correspond à celle de l'Etat, comme si l'Etat, seul, pouvait tout faire. Et je pense que nous-mêmes, les socialistes, devons prendre conscience qu'il ne peut y avoir de changement dans notre pays, de changement profond, donc de réussite que si l'ensemble des partenaires sociaux, l'ensemble de ce qui est le mouvement de l'économie, de l'activité mais aussi du monde de l'initiative puisse être associé aux décisions.
Q - Donc ça, il faudra l'attendre du congrès du Parti socialiste au mois de novembre.
R - Je vais prendre un exemple.
Q - Non, non, non, il faut aller vite, pardon, parce que je voudrais vous poser deux questions. Aujourd'hui, J. Chirac et Monsieur Schröder se rencontrent à Paris. Monsieur Chirac a vu hier Monsieur Juncker. Il a demandé à T. Blair de faire un geste, d'accepter un rabais sur les milliards que la Grande-Bretagne reçoit depuis 21 ans de Bruxelles. T. Blair refuse. Qu'est-ce qu'il faut faire ? Est-ce qu'il faut continuer le processus de ratification de la Constitution ou dire - on s'arrête, on souffle - ou alors, lancer des initiatives franco-allemandes ? Lesquelles ?
R - Premièrement, il apparaît qu'il n'y a pas de plan B, et ceux qui ont prétendu que le rejet du traité constitutionnel pouvait déboucher sur une autre solution, plus fructueuse pour l'Europe politique et l'Europe sociale, aujourd'hui devraient considérer qu'ils ont conduit le pays, le nôtre, à des solutions qui n'existaient pas. Deuxièmement, je crois qu'il faut que les ratifications continuent mais on voit bien que le traité constitutionnel lui-même est menacé, et peut-être mortellement touché. Troisièmement, qu'est-ce qu'il faut faire dans l'attente ...
Q - Tout de suite, tout de suite.
R - ...dans l'attente d'un nouveau processus politique ? Je crois qu'il faut aller vers l'Europe la plus concrète. Nous avons deux sujets : le budget et là, il faut que la France qui demande à la Grande-Bretagne avec juste raison de revenir sur son chèque ...
Q - Donc vous vous sentez plus proche de Paris et de Berlin, sur ce plan, que de Londres ?
R - Non, non, je demande à ce que la France et l'Allemagne fassent une proposition. Il faut augmenter le budget européen. Nous n'en sortirons pas s'il n'y a pas un effort plus important de l'Europe pour elle-même, c'est-à-dire pour maintenir ce qui existe, l'agriculture, les fonds structurels, l'élargissement et relancer la croissance.
Q - D'accord, mais on voit que la France et l'Allemagne veulent bouger.
R - Eh bien, il faut que le signe qui puisse être envoyé soit un signe d'augmentation du budget européen. Deuxième signe, il faut qu'il y ait une coopération renforcée, c'est-à-dire une alliance entre la France et l'Allemagne et les pays qui le voudront pour aller plus loin sur les grands projets d'infrastructures, de transports. Il faut que l'Europe concrète se mette en place.
Q - L. Fabius répétait hier qu'il faut rassembler, il faut rassembler. Lors de votre congrès prochain, en novembre, est-ce qu'il faudra un rassembleur ou un vainqueur et un vaincu ?
R - Je pense qu'il faut d'abord un projet. Ce qui est attendu par nos concitoyens, ce n'est pas un candidat, pour l'instant, ça viendra. Ce n'est pas une alliance tactique, une combinaison de partis, c'est parfois nécessaire mais ça ne peut s'organiser qu'autour d'un projet. Et pourquoi j'ai voulu que le grand rendez-vous des socialistes pour le mois de novembre soit un congrès d'idées ? Parce que la meilleure façon de faire travailler les socialistes, c'est de ne pas les préparer à une campagne, pour savoir s'il faut se ranger derrière telle ou telle bannière, c'est de dire devant les Français quelles propositions nous faisons, quel projet nous avons et quelle France nous voulons.
Q - Donc un vainqueur et un vaincu avec une stratégie et un vrai projet.
R - Avec une stratégie autour d'un projet et un rassemblement de la gauche sur des idées que l'on peut proposer en étant sûr de pouvoir les réaliser, de les traduire dans les faits lorsque nous serons, si les Français en décident, associés aux responsabilités du Gouvernement.
Q - Merci F. Hollande.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 10 juin 2005)