Point de presse de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, et de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, sur la recherche d'un accord sur le financement du budget européen lié à l'élargissement de l'UE, la proposition luxembourgeoise d'un gel du rabais britannique et la proposition française d'un sommet exceptionnel européen, Bruxelles le 17 juin 2005.

Prononcé le

Circonstance : Conseil européen des 16 et 17 juin 2005 consacré au budget européen de l'Union élargie pour 2007-2013 à Bruxelles le 17 juin 2005

Texte intégral

M. Douste-Blazy - Merci d'être là. Nous venons faire un point, alors que nous sommes encore en session plénière, pour vous dire que la France souhaite un accord sur le budget. Le président de la République l'a dit à l'instant en session plénière. D'ailleurs, la proposition de la Présidence luxembourgeoise est une bonne proposition. C'est évident que cette proposition demande à la France de faire des efforts. Vous savez que, sur la période 2007-2013, cet effort est de 10 milliards d'euros. Mais nous l'avons décidé, le président vient de le dire, nous sommes prêts à faire cet effort, bien évidemment à une condition, c'est que tout le monde fasse un effort.
C'est donc, bien sûr, tout le sujet du chèque britannique, du rabais britannique. Si on le gardait en l'état, comme vous le savez, la Grande-Bretagne s'exonérerait de l'effort que l'on doit faire pour l'élargissement. Et donc la question est, en définitive, d'actualité. Ce nouveau paquet, c'est comment financer l'élargissement.
La France souhaite donc participer à cela. Elle souhaite aussi que l'effort soit équitable, que chacun, selon d'ailleurs la tradition de la Communauté européenne, puisse financer en fonction de ses moyens.
Vous avez certainement les uns et les autres le texte que le président de la République a prononcé. Il a souhaité un accord à la fois raisonnable mais aussi équitable. Raisonnable, en rappelant le premier principe qui est le principe de discipline budgétaire et donc, évitant tout dérapage. La Présidence luxembourgeoise a fait cette proposition, elle est tout à fait correcte pour nous, même si elle nous demande des efforts. Deuxième principe, c'est la solidarité, en particulier vis-à-vis des nouveaux pays entrants. Et le troisième principe, c'est le respect des engagements, en particulier le respect des engagements concernant l'accord de 2002 sur la politique agricole commune. Enfin, bien sûr, le dernier principe, je l'ai évoqué, c'est celui de l'équité.

Q - Monsieur le Ministre, les Britanniques laissent penser qu'on a le temps d'adopter un budget. Deuxièmement, ils disent depuis hier qu'on a le temps d'adopter un budget, qu'on peut prendre son temps et que le rabais britannique est justifié et donc, ils ne veulent pas négocier sur ce rabais. Troisièmement, est-ce que vous pensez qu'il n'y a pas d'autres menaces de veto en perspective, notamment de la part des Pays-Bas et de l'Italie qui s'estiment lésés dans ce projet de budget ?
R - M. Douste-Blazy- Il est bien sûr trop tôt pour le dire puisque nous sommes en session plénière et, au moment où je parle, les uns et les autres s'expriment. Il n'y a donc pas encore eu vraiment ce que l'on appelle la négociation, les derniers "rounds". On n'en est pas là. On en est à la prise de position, classique dans tout Conseil européen, sur le plan budgétaire en particulier, où chacun donne sa position et ensuite, c'est à la Présidence de regarder où les uns et les autres peuvent évoluer.
En tous les cas, nous avons fait part de notre position, qui est une position d'ouverture pour réussir un accord budgétaire et financier. Le président a été très allant en disant que la France était pour cet accord et il a soutenu la Présidence luxembourgeoise. En même temps, on ne peut pas penser qu'en ce moment d'élargissement, de solidarité pour les pays de l'Est qui viennent d'arriver, on ne peut pas penser qu'un des pays ne fasse pas l'effort. Je crois que c'est clair. C'est politiquement, en tous les cas, ce qui nous paraît essentiel.
Q - Monsieur le Ministre, Madame la Ministre, est-ce que vous pourriez nous décrire un peu l'ambiance dans les séances ? Est-ce qu'il y a vraiment une prise de conscience que l'Europe est en crise, que c'est un moment grave pour l'Europe ? Comment cela se manifeste ? Et deuxièmement, est-ce que vous pouvez étoffer un peu la proposition du président de la République de faire un sommet spécial pour discuter de la mondialisation, du chômage, des questions qui inquiètent les citoyens français et européens ?
R - M. Douste-Blazy - Sur la première question, en effet, depuis le début j'ai participé à ce sommet aux côtés du président Chirac. L'ambiance est, je dirais, par définition, grave, parce que il s'agit de l'avenir de l'Europe. Mais en même temps, je trouve que les uns et les autres s'expriment avec beaucoup de sérénité, qu'il n'y a pas une ambiance de crise, de drame. Ce n'est pas ce que je ressens du tout. Au contraire, je sens qu'il y a ce que le président a dit dans son introduction d'ailleurs, un esprit d'unité et de rassemblement. Je crois qu'il a eu raison de dire ces deux mots. Personne ne veut remettre en cause la construction européenne.
Il peut y avoir des problèmes sur le rapport qui existe entre les citoyens européens et le projet européen. C'est d'ailleurs votre deuxième question. Mais certainement pas sur la construction européenne elle-même, personne n'est revenu sur l'idée même.
Alors, concernant l'idée et la proposition du chef de l'Etat français sur un sommet exceptionnel, je crois que les uns et les autres, en particulier ceux qui ont des référendums à venir, se posent la question de savoir s'il faut les différer, sans remettre en cause le traité, mais différer le moment, la date de l'élection. Ceci donnerait une période de réflexion que plusieurs ont qualifiée de réflexion active, d'engagement actif, pas une pause qui serait passive, mais au contraire une réflexion qui serait active. Cette réflexion, sur quoi est-elle ? Que voulons-nous pour l'Europe ? Est-ce que nous voulons que cela soit un grand marché avec quelques politiques communes, ou est-ce qu'on veut une Europe politique ?
Donc, l'idée, c'est de se mettre au clair sur le plan politique avant même de continuer. Et l'idée d'un sommet exceptionnel, qui a été reprise d'ailleurs par M. Zapatero et puis par d'autres, s'imposera, parce que je crois qu'il est important d'avoir ce temps de réflexion politique. On voit bien les trois questions. Première question : face à l'avènement des grands pôles que sont la Chine, l'Inde, le Brésil et évidemment aujourd'hui, avant tout, les Etats-Unis, quelle compétitivité pour l'Europe ? En même temps, deuxième question qui vient derrière : quel modèle social européen, sachant qu'il faut être compétitifs ? Et enfin, troisième question : quelle place pour l'Europe dans le monde ? Donc, la question de l'Europe puissance.
Q - Si on ne remet pas en cause le Traité et qu'on profite de cette période de réflexion pour débattre, cela veut dire qu'au bout du bout, même avec un délai, on fait revoter la France et les Pays-Bas ?
R - M. Douste-Blazy - C'est quelque chose qui n'a pas été abordé. Ce qui est abordé, ce sont deux choses : aujourd'hui, est-ce que nous remettons en cause le Traité ou non ? Par respect vis-à-vis des peuples qui ont voté et par respect vis-à-vis des peuples qui auront à voter, je crois qu'il n'est pas possible de dire, en plein milieu, on change la règle du jeu. Cela, c'est une première remarque. Donc personne n'a mis cela à l'ordre du jour et d'ailleurs, certains, comme le disait le chancelier Schröder, auraient bien évidemment souligné cela.
Deuxième point, c'est que la période dans laquelle nous entrons, qui est une période de réflexion active dont je viens de parler, va servir. Elle va servir à affirmer le cap politique de l'Union européenne.
Je me permettrais de vous dire qu'on peut parler quand vous le souhaitez évidemment du Traité constitutionnel, mais l'actualité de ce matin, vous vous en doutez, et celle de la journée, peut-être jusqu'à tard, sera les perspectives financières. Donc, si vous voulez bien, nous pourrions revenir sur les perspectives financières, sachant que cela ne me dérange pas de parler du Traité.
Q - Vous avez parlé d'une bonne proposition de la Présidence luxembourgeoise, notamment dans son ensemble, mais on lit dans la déclaration, dans le document de travail du président Chirac, que le gel du chèque britannique serait considéré par la France comme insuffisant et qu'il faut une réduction supplémentaire substantielle. Cela signifie-t-il donc que, pour un accord, le seul gel d'un chèque britannique ne suffira pas à la France ?
R - M. Douste-Blazy - Absolument ! Alors, quand je dis en effet que c'est un bon accord, je voulais dire que le président de la République avait rappelé qu'il souhaitait un accord, que l'augmentation de 1 à 1,06 % lui allait, même si c'est un effort important pour la France. Il a rappelé que sur la période 2007-2013 - je le rappelle et je le souligne encore -, cet effort représente 10 milliards d'euros. Mais il a associé, en effet, ce constat d'un bon accord, à deux choses.
Premièrement, on ne remet pas en cause les engagements précédents, en particulier ceux d'octobre 2002 sur la politique agricole commune, en rappelant le succès de la politique agricole commune, en rappelant que l'Europe était importatrice, il y a 50 ans, que les Européens mangeaient grâce aux importations, et qu'aujourd'hui, nous sommes le premier exportateur. Alors, je sais ce que l'on dit sur la politique agricole commune. Je sais que c'était 50 % du budget il y a quinze ans. Je sais que c'est actuellement 40 %. Je sais qu'après l'accord et, en particulier après l'avis de M. Blair demandant uniquement 1 % d'augmentation, donc au-dessous de l'inflation, ce ne sera que 33 %. Il faut le dire aussi.
Puis il a ajouté, en effet, qu'il faudra aller plus loin sur le chèque britannique, vous avez tout à fait raison, pour arriver, même après 2013 à une diminution telle, qu'il finira par disparaître. Le gel ne suffit pas.
R - Mme Catherine Colonna - Peut-être une chose à ajouter, parce qu'on sait bien que trouver un accord sur le budget, c'est toujours une chose difficile. C'est difficile, parce que les pays défendent légitimement leurs intérêts, quoique chaque Etat membre de l'Union doit aussi penser à l'intérêt de l'Union, à l'intérêt communautaire. Mais d'expérience, c'est une chose difficile. Le ministre vous l'a dit, la France fait partie des pays qui souhaitent un accord, qui chercheront à le faciliter, qui soutiennent les efforts considérables faits par la Présidence. Pour qu'un accord se noue, il faut que chacun y mette du sien.
Le président de la République l'a dit, le ministre vous l'a rappelé, la France est prête à faire des gestes considérables, des gestes qui vont au-delà de ce qu'elle pensait devoir faire il y a encore peu de temps. Elle est prête à le faire parce que c'est l'intérêt de la France et c'est l'intérêt des Français d'avoir une Europe qui fonctionne. Mais un accord ne sera trouvé que si chacun fait des gestes, si les demandes des uns et des autres sont raisonnables, si chacun fait des efforts. Par définition, le budget c'est un tout. Voilà notre message.
Q - Monsieur le Ministre, le gouvernement britannique parle de faire un geste vis-à-vis des dix nouveaux pays sur le chèque britannique, de leur excuser leur part de ce rabais. Est-ce que vous êtes saisi de cette idée et comment réagissez-vous à ce propos d'un geste britannique sur le chèque britannique ?
R - M. Douste-Blazy - La question est assez simple dans ce genre de discussion budgétaire : il y a combien vous payez avant la discussion budgétaire et combien vous payez après la discussion budgétaire. Aujourd'hui l'actualité c'est, comment payer l'élargissement. Quand vous regardez les contributions avant et après les discussions budgétaires, vous voyez qui paie et qui ne paie pas l'élargissement. Permettez-moi de rester un peu sur cette question et je terminerai par là où nous avons commencé.
Je crois que, quand on fait un budget, que ce soit dans une mairie, que ce soit dans un département, une région, un Etat ou dans l'Union européenne, il faut que, derrière, il y ait un sens politique. Le budget, ce n'est pas fait pour savoir qui paie un peu plus que l'autre. Ce n'est pas cela. Cela ne servirait à rien. Un budget, c'est au profit d'une politique, au service d'une vision. La vision, elle est historique : c'est celle de l'élargissement. Comment recevoir ces pays qui sont sortis de la dictature ? Nous les recevons et nous payons pour eux, ce qui est normal. La France a décidé d'augmenter le solde négatif. Elle a décidé, elle le fait et elle le fera, elle l'assume vis-à-vis de son opinion publique. C'est ce que le président de la République a dit ce matin. Il serait souhaitable que tous les pays le fassent. En tous les cas, il ne faut pas qu'il y en ait un qui ne le fasse pas.
Merci beaucoup.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juin 2005)