Conférence de presse de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur le programme de travail de la présidence anglaise de l'Union européenne, Bruxelles le 18 juillet 2005.

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Circonstance : Réunion du Conseil Affaires générales et Relations extérieures à Bruxelles le 18 juillet 2005

Texte intégral

Je voudrais faire le point avant de répondre à vos questions sur le Conseil Affaires générales d'aujourd'hui. La présidence a exposé au Conseil ses priorités.
D'abord, a naturellement été évoqué la lutte contre le terrorisme, la lutte commune contre ce fléau qu'est le terrorisme. Je veux réaffirmer la solidarité totale de la France avec le Royaume-Uni après les attentats de Londres. Nous sommes d'ailleurs disposés à renforcer notre coopération bilatérale, déjà exemplaire dans ce domaine, mais aussi notre coopération au sein de l'Union. Nous sommes ainsi aux côtés de la Présidence britannique pour que des progrès notables soient accomplis dans l'Union européenne dans les six prochains mois.
Le Conseil Justice et Affaires intérieures du 13 juillet a adopté un programme de travail détaillé qui doit être mis en uvre en particulier sur les données téléphoniques. Tous les citoyens comprennent que c'est seulement au niveau européen qu'on peut lutter efficacement contre ce fléau avec des avancées concrètes. On a déjà connu les enquêtes communes, nous avons déjà adopté le mandat d'arrêt européen, nous avons déjà parlé d'évaluation du terrorisme dans les différents pays d'Europe. Pour qu'il n'y ait pas de vide juridique où le terroriste s'introduise, nous avons également parlé de mise en commun du renseignement, même si beaucoup reste à faire dans ce domaine. Mais il faut une meilleure coopération judiciaire et policière, de meilleurs échanges de renseignements, des normes renforcées pour la délivrance et le contrôle des visas. Vous savez que la France a décidé de mettre en place des visas biométriques avec les empreintes des deux index qui, associés aux photos de l'iris, permettront d'avoir progressivement d'ici 2007 une généralisation des visas biométriques pour les ambassades et les consulats français. Je pense aussi à la sécurité aérienne et maritime renforcées, au programme européen des infrastructures sensibles, à l'exercice conjoint de lutte anti-terroriste, à la capacité européenne de réponse à une attaque bio-terroriste et comme ministres de la Santé il y a encore quelques mois, nous avons énormément travaillé sur les attentats bio-terroristes. Je dis, avec un peu de regret quand même, que dans la Constitution, un certain nombre de clauses de solidarité concernaient également les attentats terroristes. Après les attentats de Londres, cette priorité s'impose plus encore à l'Union.
Deuxièmement, nous avons évoqué les perspectives financières. Vous savez que M. Straw et M. Blair, au dernier Conseil à Bruxelles des chefs d'Etat et de gouvernement, avaient décidé à un moment donné de dire non à ce qui avait été proposé par la Présidence luxembourgeoise et donc, quelque part, de créer une crise financière en plus de la crise politique ou institutionnelle. M. Straw s'est engagé à uvrer aujourd'hui pour un accord politique sur les perspectives financières en décembre 2005. Vous comprenez que, dans ce contexte, la France se réjouit de cet engagement. Il est effectivement urgent d'adopter le plus rapidement possible ce premier paquet financier de sept ans pour l'Europe élargie. J'ai fait valoir ce matin l'urgence de trouver un accord financier le plus rapidement possible, pour une raison simple, c'est qu'il faut payer l'élargissement ; la deuxième, c'est que c'est une nécessité.
Il y a une évidence d'abord, c'est de partir de la proposition de la Présidence luxembourgeoise qui était excellente et la nécessité, c'est que chaque Etat membre puisse payer de manière équitable cet élargissement aux nouveaux Etats membres. La Présidence britannique doit rester le plus près possible des propositions de la Présidence luxembourgeoise, acceptées par plus de vingt délégations et considérées comme une base de travail sérieuse par vingt-quatre délégations. Rappelons que dans ces propositions, les dépenses de croissance et de recherche augmentaient entre 2007 et 2013 de 33 % en termes réels alors que les dépenses agricoles de marché diminuaient de 5 %. Si on défait ce fragile équilibre, on risque de retourner à la case départ, le financement de l'élargissement risquerait d'attendre de longues années. Je le rappellerai dans une prochaine tournée que je ferai dans les nouveaux Etats membres ; fin septembre ou début octobre, les quinze anciens Etats-membres doivent accepter de financer leur part du coût de l'élargissement. C'est notamment le cas pour le Royaume-Uni, grand champion de l'élargissement, mais qui bénéficie d'une exemption de financement de l'élargissement grâce à son rabais et qui doit donc traduire ses discours en actes en acceptant une profonde réforme du rabais britannique dès le premier janvier 2007. Je rappelle que si le rabais britannique restait inchangé, le Royaume-Uni serait le seul Etat membre des Quinze à voir sa contribution nette s'accroître entre 2007 et 2013, alors que le solde net négatif français doublera. C'est naturellement inacceptable.
Troisième condition, il faut préparer une réforme sérieuse du budget européen. Nous sommes d'accord avec Tony Blair lorsqu'il dit qu'il faut réformer le budget européen ; une réforme sérieuse, cela veut dire que tout sera sur la table, toutes les dépenses, y compris la PAC, toutes les ressources. Cela veut dire aussi qu'elle doit être longuement réfléchie et préparée, donc proposée aux alentours de 2010 et soigneusement négociée au sein de l'Union pour une mise en uvre en 2014. Si on veut aller beaucoup plus vite, ce ne sera pas une réforme sérieuse, tout le monde sait ici comment se passent les négociations pour une réforme. Il s'agit de préparer le budget de l'Europe de demain, pas de faire une nouvelle "mini réforme", la France n'en veut pas.
M. Straw a également parlé de ce sommet informel convoqué par M. Blair pour octobre, c'est une excellente initiative que la France approuve tout à fait. Deux remarques à ce sujet, la première c'est que le Royaume-Uni insiste à juste titre sur le fait qu'il ne peut y avoir de guerre de modèles en Europe : chaque modèle a ses avantages. En réalité, il n'y a pas de modèle unique, les Anglais ont, avec Lord Beveridge, inventé un modèle social, les Allemands par ailleurs aussi ont pu inventer un autre modèle social, nous-mêmes avec une combinaison des deux, nous avons aussi un autre modèle. Ce qui est sûr c'est que nous devons discuter de la hausse du niveau de vie, de la hausse du pouvoir d'achat et du niveau de protection sociale. Nous pouvons apprendre les uns des autres et nous avons tous à améliorer certains aspects de notre modèle, indiscutablement pour l'emploi en France, indiscutablement pour la lutte contre les fraudes en France dans cette frontière qui existe entre solidarité et assistanat.
Nous attendons de ce sommet une discussion intéressante sur ces sujets. L'Europe doit être un facteur de progrès social, pas de régression. C'est tout le débat sur la directive "services" avec son principe du pays d'origine et les raisons de son fort impact en France. L'Europe ne peut être vue comme le vecteur du nivellement par le bas des conditions de travail et de protection sociale. La France est en faveur de la libéralisation du commerce et des services, d'ailleurs prévue depuis longtemps dans le traité, mais elle ne laissera pas remettre en cause, par ce biais, des acquis sociaux importants. Je le répète, nous sommes prêts à évoquer ces sujets : quel niveau de protection sociale pour quelle augmentation du pouvoir d'achat, où s'arrête l'assistanat et où commence la solidarité, ou plutôt où s'arrête la solidarité nécessaire et où commence un assistanat qui serait négatif pour l'activité de nos pays ? Ces sujets ne sont pas tabous.
Nous avons également évoqué l'élargissement. Le commissaire Rehn a fait le point du dossier, en particulier concernant la Turquie et la Croatie. Quelques remarques à ce sujet. Sur les futurs élargissements, il y a de façon générale trois conditions à rappeler : d'abord les candidats doivent respecter tous les critères, en particulier politiques mais aussi économiques. Le respect strict des critères sera désormais beaucoup plus surveillé par la Commission et par les Etats membres. Deuxième condition, l'Union européenne doit être en mesure d'accueillir de nouveaux membres, institutionnellement mais aussi financièrement. En particulier, les Etats membres doivent être prêts à payer le coût financier de l'élargissement, ce n'est pas la peine d'élargir si, à la réunion financière qui suit, personne ne veut payer. Comme vous le savez la France était prête à payer entre 12 et 13 milliards d'euros pour la période 2007-2013 pour l'élargissement actuel. Troisième condition, il faut l'accord des peuples, le président Barroso a bien compris le problème en disant que nous avons besoin du soutien des Etats membres et de leurs citoyens pour l'élargissement de l'Union européenne. Il serait contraire aux exigences de la démocratie et, à terme, suicidaire pour l'Europe, de s'élargir sans tenir compte des préoccupations des peuples, la Commission l'a rappelé récemment à propos de la Turquie.
L'élargissement n'est pas seulement de la politique étrangère, mais aussi et surtout, pour les citoyens européens, de la politique intérieure. Les récents référendums ont rappelé que le peuple a le pouvoir en Europe, c'est pourquoi en France, les citoyens auront désormais le dernier mot en matière de futur élargissement.
Sur la Croatie, je voudrais dire un mot, je ne peux que rappeler une nécessité absolue, je me suis permis de le dire avec force ce matin devant mes collègues : le 11 juillet il se passait deux choses, il y avait d'abord la task force informelle des directeurs politiques. On voit bien qu'il y a un effort de la Croatie pour respecter les critères d'adhésion à l'Union européenne. La France est attachée à ce que chaque candidature soit examinée selon ses mérites propres. Le 11 juillet, il y avait aussi un terrible anniversaire, celui de Srebrenica auquel j'assistais avec le président du Conseil de l'Union européenne. Tous les criminels de guerre doivent être arrêtés, MM. Karadzic et Mladic doivent se retrouver en prison. Puisqu'on parle de la Croatie, honte à l'impunité pour les criminels de guerre, pour tout le monde, y compris pour nous, ce qui s'est passé à la fin du XXème siècle, honte à la communauté internationale et en particulier à la communauté européenne ! Si demain, il y a une impunité, si demain les criminels de guerre ne sont pas en prison, on ne peut pas fonctionner. Et comme Mme Carla Del Ponte dit qu'il lui faut encore trois ou quatre mois pour s'assurer que la Croatie joue la coopération parfaite sur ces sujets, alors il me paraît capital de dire que s'il faut 3 ou 4 mois, prenons-les et, s'il en faut plus, prenons-les aussi. Faisons confiance au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie pour ne pas être souples sur ces sujets, soyons moralement très rigoureux.
Nous avons également abordé le point OMC inscrit à l'ordre du jour à la demande de la France. Je voudrais remercier la présidence de l'avoir fait car il est important que le Conseil soit étroitement associé aux différentes étapes de la négociation. M. Mandelson a présenté l'état de la négociation après la réunion de la semaine dernière en Chine et les perspectives en vue du Conseil général de l'OMC fin juillet qui constituera une étape importante pour préparer la Conférence ministérielle de Hong Kong en décembre. On entre dans une phase décisive de la négociation avec une exigence, une préoccupation et une volonté. Une exigence : que le Conseil soit en position de pilotage politique ; la Commission est notre négociateur, elle a un mandat fixé par le Conseil, elle doit rendre compte en toute transparence, M. Mandelson s'y est d'ailleurs engagé et je m'en réjouis. Une préoccupation : que l'Europe ne fasse pas des concessions sans être payée en retour. Une volonté : les équilibres entre les sujets, les équilibres au sein du dossier agricole, les équilibres entre les concessions des uns et des autres. La France s'inquiète du déséquilibre persistant, au détriment des intérêts européens, dans le progrès des différents volets de la négociation. D'abord, il n'y a pas d'avancée sur les tarifs industriels et les services, sur l'agriculture, malgré les concessions préalables de l'Union et les mouvements que nous étions en droit d'attendre des Etats-Unis et des grands pays émergents sur le soutien interne.
L'Union est régulièrement placée en position défensive, nos demandes en matière de protection des indications géographiques ne connaissent pas d'avancées, les demandes des pays les plus pauvres sur le coton et le maintien des préférences ne sont pas prises en compte. En conséquence il est désormais urgent d'obtenir à l'OMC un triple rééquilibrage de la négociation : un équilibre global entre l'ensemble des sujets de la négociation, je viens de le dire. Nous attachons beaucoup d'importance à ce que l'ensemble des sujets puisse avancer, et pas uniquement dans l'agriculture mais aussi dans l'industrie et les services. Deuxième équilibre, c'est l'équilibre entre les trois piliers de la négociation agricole, le soutien interne, le soutien à l'exportation et l'accès au marché. Ceci exige notamment que le volet "accès au marché" garantisse une protection suffisante pour nos produits agricoles sensibles et le maintien de la préférence communautaire. Enfin, nous souhaitons un troisième équilibre pour l'ensemble des formes de soutien agricole aux exportations, ce qui implique que les engagements de nos grands partenaires soient symétriques aux nôtres, je pense en particulier aux Etats-Unis. Ce n'est pas le cas actuellement. L'Union européenne reçoit dix fois plus d'importations des pays pauvres que les Etats-Unis. La Commission doit fournir, me semble-t-il, dans les jours qui viennent, un effort considérable pour obtenir un rééquilibrage de la négociation indispensable à la préservation des intérêts européens. J'ai dit que je souhaitais que, dans les conclusions du Conseil, soient mentionnés ces objectifs auxquels nous souscrivons tous conformément au mandat donné à la Commission, ainsi que le souhait du Conseil d'être étroitement associé aux prochaines étapes de la négociation.
Concernant la Chine, le prochain sommet Union européenne-Chine qui aura lieu en septembre prochain sera un rendez-vous important qui permettra de renforcer le partenariat stratégique euro-chinois dans ses différentes dimensions, dans la perspective de la préparation d'un nouveau cadre de coopération. Il faut bien sûr un partenariat stratégique avec la Chine. Le fait que l'Union européenne n'ait pas tenu ses engagements politiques est à cet égard regrettable, comme sur l'embargo. Il faut prêter attention au nécessaire soutien des peuples européens. Il faut montrer à nos concitoyens que l'Europe obtient des contreparties à notre ouverture. Le domaine commercial est particulièrement important, il faut utiliser les instruments commerciaux à notre disposition quand ils sont nécessaires. Sur le textile notre réaction a été bonne, mais elle a été jugée un peu lente. Il faut aussi que la Chine respecte les accords qu'elle a signés, notamment en matière de droits de propriété intellectuelle pour lesquels la situation sur place reste inacceptable alors que nos industriels protestent. Il faut que l'Europe agisse pour que les progrès soient plus marqués et plus visibles.
M. Solana revient du Proche-Orient. Nous avons exprimé notre inquiétude devant la situation dégradée au plan sécuritaire sur le terrain, qui menace le processus en cours. Le Conseil a condamné l'attentat de Netanya. Les tirs de roquettes vont à l'encontre des intérêts palestiniens. L'Union européenne doit se mobiliser plus que jamais des deux côtés, d'abord du côté de M. Sharon pour le consolider dans sa volonté de se retirer de Gaza - le président de la République le recevra d'ailleurs en France les 27 et 28 juillet - mais aussi aider M. Abbas à améliorer la situation sécuritaire. Réussir le retrait israélien de Gaza en soutenant activement l'action de M. Wolfensohn, encourager le développement des conditions économiques pour la création d'un Etat palestinien viable à Gaza et en Cisjordanie et surtout permettre au retrait de Gaza d'être suivi d'une véritable relance du processus de paix.
Un mot sur le Liban et la Syrie : je suis très préoccupé comme tous de voir le Liban attendre pour former son gouvernement. Nous sommes mobilisés pour que les objectifs de la résolution 1559 soient atteints c'est-à-dire le rétablissement de l'entière souveraineté du Liban. La Syrie doit aider le Liban à recouvrer toute son autonomie et coopérer pleinement avec l'envoyé spécial du Secrétaire général de l'ONU, M. Roed Larsen, qui était ici aujourd'hui. Nous voulons fermement dire à la Syrie que le blocus de la frontière syro-libanaise n'est pas acceptable. Nous avons réaffirmé notre soutien au processus politique engagé ainsi qu'au Premier ministre Fouad Siniora. Nous condamnons fermement les attentats qui ont lieu contre des personnalités politiques ou des membres de la société civile, dont les auteurs doivent être punis.
Q - Vous parlez d'une réforme approfondie du budget dans deux quinquennats, pensez-vous que c'est sérieux comme position de négociation ? Concernant l'élargissement, vous dites que l'Union doit être prête institutionnellement, que voulez-vous dire ?
R - Ce qui est sérieux dans l'Union européenne c'est de respecter sa parole. Lorsque l'on négocie un traité, il faut avoir le temps de la négociation, de la réflexion et ensuite, parvenus à un accord, on signe. C'est ce qui s'est passé pour la PAC. Nous sommes convenus de dire qu'entre 2005 et 2013, il y aura une PAC assortie, d'ailleurs à la demande des Britanniques, d'une augmentation annuelle, seulement de 1 % du budget, ce qui, compte tenu de l'inflation, permet de voir la PAC passer de 40 % à 33 % du budget. C'était la proposition de la Présidence luxembourgeois. Il y a là un accord passé avec tous les pays membres dont le Royaume-Uni.
Il est évident que nous devons réfléchir vis à vis de pays comme la Chine, l'Inde, et, - je rentre des Etats-Unis - je dirais surtout vis-à-vis des Américains, pour savoir comment on fait une politique de recherche. J'ai proposé, il y a quelques jours, la création d'une agence européenne de la recherche. Pourquoi ne pas faire, après la PAC, une politique de recherche commune ? Pourquoi ne pas avoir une politique intégrée ? Nous devons avoir des projets concrets aujourd'hui, en particulier dans le domaine de la recherche, des info-technologies, des bio-technologies et des nano-technologies. Oui, ce qui est sérieux, c'est d'écrire un nouveau budget pour l'Europe, qui la prépare à l'avenir.
Sur le plan institutionnel, à Nice, il y a eu un débat et un accord. A la sortie du débat, immédiatement, les chefs d'Etat et de gouvernement se sont vus pour constater la nécessité de mieux préparer au plan juridique, l'accueil de tous les nouveaux Etats membres, autrement dit pour définir des conditions de vie commune à vingt-cinq. C'est la raison pour laquelle il y a eu ce traité constitutionnel. Tout le monde sait que l'on ne pourra pas éternellement s'élargir s'il n'y a pas de règles de vie commune parfaitement écrites et réfléchies.
Au sommet d'octobre prochain, je souhaite que l'on puisse parler de l'avenir politique de l'Europe car, lorsqu'on écoute certains discours, on se demande si certains ne veulent pas continuer à élargir vers un espace de paix et de stabilité, mais en oubliant un peu ce que les pères fondateurs ont voulu faire, c'est-à-dire une union politique de l'Europe, ce dont je vous parlais à l'instant. Faire une politique de recherche intégrée après une Politique agricole commune, cela s'appelle une Europe puissance. Il faut faire une politique de défense, redresser la politique étrangère.
J'ai fait une proposition l'autre jour - et là c'est un élu local qui parle mais quelqu'un qui fait un peu de politique aussi -, une des avancées importantes de ce traité constitutionnel, me semble-t-il, est que les Présidences ne dureraient pas seulement six mois mais deux ans et demi renouvelable une fois. Je pense qu'il serait bon, un jour, je le dis à titre personnel, que les chefs d'Etat et de gouvernement puissent, lors d'un Conseil, mettre cela sur la table. Il n'y a pas besoin de traité pour cela. Très franchement, moi qui ai participé, vraiment jour et nuit, pendant trois mois à la campagne référendaire dans mon pays, je n'ai jamais entendu quelqu'un voter "non" parce que la Présidence passait de six mois à deux ans et demi. Je ne fais pas partie des gens qui disent : "puisque le peuple a dit non, repassons par la fenêtre ce dont n'a pas voulu par la porte". Ce n'est pas une bonne solution, cela peut éviter une catastrophe démocratique, mais je dis que sur des sujets comme celui-ci, on peut avancer. Je souhaite aussi d'ailleurs que mon pays prenne un jour une décision, j'en parlerai au Premier ministre, pour que chaque directive et que chaque règlement européen passe systématiquement avant, au Parlement national.
Q - Si on vous écoute bien, Monsieur le Ministre, l'aboutissement de tout ce que vous dites, c'est qu'il faut mettre en cause l'adhésion de la Croatie, il ne faut pas commencer à négocier avec la Turquie puisqu'on n'a ni financement ni cadre institutionnel. Il faut aller au bout de cette logique finalement.
R - Vous n'avez pas bien compris ce que j'ai dit. Pour la Croatie, soyons clairs, personne ne peut penser un seul instant, en tout cas tous ceux qui connaissent l'histoire et en particulier celle du XXème siècle, que ce pays, s'il respecte les critères, ne puisse pas entrer dans l'Union européenne un jour. Ce que je dis, avec mes tripes, c'est qu'il est important que les criminels de guerre soient en prison. Mme Del Ponte, procureure du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, est très respectable, et si elle nous dit qu'il n'y a pas coopération de tel ou tel pays, moi, je l'écoute. Il n'y a rien de pire que de faire la "politique de l'autruche". Je dis qu'il ne faut négocier qu'avec ceux qui jouent le jeu du Tribunal pénal international. Je ne remets en cause personne, ce que je mets en cause, c'est une chose donnée, ce n'est pas tel pays ou tel autre qui est désigné.
Sur l'adhésion de la Turquie, s'il y a bien un pays qui est tout à fait à l'aise avec ce sujet, c'est bien le nôtre, puisque nous avons décidé qu'il y aurait un referendum national : les Français décideront s'il y a oui ou non une adhésion de la Turquie. Je me permets de dire que, parce que je suis un Européen convaincu et parce que je crois à l'union politique de l'Europe, je crois qu'il faudra en effet trouver des règles communes pour faire une Europe puissance. La Constitution peut continuer, je ne sais pas quel est son avenir aujourd'hui, mais il va falloir trouver des règles communes pour vivre ensemble si l'on veut une union politique, si l'on y croit. Si on croit en une Europe concurrentielle, c'est autre chose.
Q - Sur la Turquie, pensez-vous, comme les socio-démocrates allemands, les Italiens et les Britanniques, que le terrorisme islamique est un facteur pro-Turquie, pour pousser l'intégration de la Turquie dans l'Europe ?
R - Je ferai très attention sur ces sujets. D'abord, il y a un fait nouveau, si les renseignements que j'ai des autorités britanniques sont les bons, il semble que, pour la première fois dans l'histoire de notre continent des Européens nés en Angleterre, soient responsables de ces attentats. Demain cela peut arriver dans un autre pays, la France, l'Espagne, l'Italie. Là, on est dans une situation nouvelle et préoccupante pour la sécurité de notre continent.
Deuxièmement, pour la première fois, ce sont des kamikazes, ce qui pose encore un autre problème.
Et enfin, troisièmement, je ne crois pas du tout qu'à ce niveau là, le terrorisme soit une affaire religieuse. Il y a une volonté politique de déstabilisation des démocraties. Je ne connais pas de Dieu qui puisse vouloir qu'il y ait des enfants, des femmes ou des hommes qui meurent dans des explosion alors qu'ils sont totalement innocents. Ce qui s'est passé l'autre jour, lors d'un attentat en Irak, où certains terroristes ont profité d'enfants qui venaient chercher des bonbons, est quelque chose d'ignoble. Il n'y a pas de Dieu qui accepte ou veut cela. Ce sont des sujets purement politiques.
J'élargis beaucoup plus que cela. Un des grands ressorts du terrorisme, c'est, d'un côté, des gens qui veulent déstabiliser la démocratie et l'Occident, et, de l'autre, ceux qui se servent de l'humiliation, de la pauvreté de certains peuples. Le G8 s'est intéressé à ce sujet et la France s'y intéresse depuis longtemps, le président de la République, en particulier. Il y a là un choix politique planétaire à faire pour les 4/5ème de la planète qui n'ont qu'1/5ème des richesses.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juillet 2005)