Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
C'est avec grand plaisir que j'interviens dans votre colloque qui célèbre à la fois la publication du rapport du groupe " Énergie 2010-2020 ", présidé par l'ingénieur général des Mines Pierre BOISSON, et le 20ème anniversaire de l'Association Technique Énergie Environnement, l'ATEE. Je remercie tous ceux qui, avec mon Département, ont pris part à l'organisation de cette journée : le Commissariat Général du Plan et l'ATEE, ainsi que l'Association des Économistes de l'énergie, l'AEE.
Chacun mesure la nécessité de disposer d'études prospectives, régulièrement actualisées, sur la situation énergétique française et internationale, afin de préparer notre pays, d'une part à éviter des pénuries ou des problèmes environnementaux, d'autre part à affronter des crises éventuelles liées à l'énergie. C'est en outre une obligation qui résulte de notre appartenance à l'Agence Internationale de l'Énergie et à l'Union Européenne.
La conjoncture internationale a beaucoup évolué et la situation énergétique à court terme paraît nettement plus sereine. Il n'en est pas moins vrai que le long terme est préoccupant et c'est le mérite - et le point fort - du rapport " BOISSON " d'avoir pu réfléchir à un horizon éloigné, tel que 2020 et même 2050. La pertinence d'un tel groupe, au sein du Commissariat Général au Plan, en associant tous les partenaires socio-économiques concernés, se révèle particulièrement précieux dans le contexte économique actuel où les signaux de court terme sont en décalage total avec la prise en compte du long terme.
Le groupe " Énergie 2010-2020 " a analysé avec beaucoup de précision les différentes facettes de la politique énergétique française, en les passant au crible du contexte européen et mondial.
Cette politique, engagée au lendemain du premier choc pétrolier, en 1973-1974, a été poursuivie avec continuité par les gouvernements qui se sont succédé depuis. Elle trouve aujourd'hui une justification supplémentaire avec l'urgence de la lutte contre le chômage et la volonté de prévenir un changement climatique. Que l'on cherche en effet à limiter notre exposition au risque de conflits chez nos fournisseurs, à remplacer une énergie fossile importée par de la matière grise, de la main-d'uvre et des équipements français, ou à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, les solutions sont identiques : maîtrise de la demande, développement des énergies renouvelables, recours au nucléaire.
La politique énergétique actuelle s'inscrit aussi dans un contexte marqué par la création d'un marché intérieur européen de l'énergie et par une prise de conscience croissante des risques de changement climatique lié au développement des énergies fossiles.
Elle poursuit quatre objectifs :
- la sécurité d'approvisionnement à long terme, notamment en recherchant une diversification par type d'énergie et par origine,
- la construction d'un développement énergétique durable, pleinement respectueux de l'environnement,
- la participation au contrat national pour l'emploi, en offrant aux entreprises une énergie très compétitive et en limitant la facture énergétique,
- la préservation et la modernisation d'un service public auquel sont très attachés les français.
Cette politique se veut à la fois, efficace, équilibrée et transparente. Elle laisse une souplesse d'adaptation suffisante aux évolutions du marché, particulièrement pour l'électricité et le gaz qui, comme vous le savez, vont faire l'objet d'une ouverture à la concurrence, maîtrisée et concertée. Notre politique énergétique continue de reposer d'abord sur le choix du nucléaire qui nous permet de disposer d'une électricité abondante et bon marché, de dégager un excédent commercial, de l'ordre de 15 milliards de francs, et de respecter l'environnement.
Tout au long de cette journée, vous allez pouvoir débattre des conclusions du rapport "BOISSON". Celui-ci, extrêmement détaillé, apporte quantité d'informations et d'analyses sur les enjeux de l'énergie en France et dans le monde. Il va falloir les "digérer" avant de les intégrer dans les actions qui seront décidées par le Gouvernement.
Sans vouloir préjuger de vos travaux, je vous fais part de quelques réflexions et questions préliminaires sur les enjeux de cet exercice de prospective énergétique.
Des enjeux internationaux et de long terme
La situation géopolitique a considérablement évolué depuis 1990-1991 et, le nombre d'acteurs s'étant accru, " la nature et la carte des risques s'en trouve profondément modifiée ", comme l'indique le rapport général. La récente chute du prix du brut, à 13 $/bl, après une moyenne de 19 ou 20 $/bl sur 1996-1997, la crise économique en Asie et en Russie, sont des exemples d'aléas de court terme qu'il est difficile de prendre en compte dans une modélisation.
L'exercice de prospective à l'horizon 2050, qui a été effectué par l'Atelier 4 du groupe, met en évidence des tendances de long terme, avec une ambition que n'avaient pas pu avoir les groupes de prospective énergétiques antérieurs. Dans cette optique, on prend la mesure des incertitudes, mais aussi des rigidités, notamment sur le développement de la population et de l'économie des pays émergents et sur le contenu, plus ou moins sobre en énergie, de leur croissance économique. Je retiens, par exemple, l'analyse de l'influence de l'urbanisme sur la consommation d'énergie, avec des villes à grande densité et plutôt " verticales ", ou des villes " horizontales " sur le modèle américain. Une telle approche illustre le sous-titre donné à ce colloque : " le futur se décide aujourd'hui ".
Les enjeux pour la France
Pour analyser les futurs possibles à l'horizon 2010-2020, le groupe a mis en uvre un complexe outil de modélisation, en utilisant plusieurs modèles qui ont abouti à trois scénarios, avec leurs variantes. L'abondance de chiffres qui en résulte doit être maniée avec précautions et le principe même de ces scénarios peut prêter à discussion.
J'insiste en particulier sur le fait que ces scénarios ne doivent être interprétés qu'en termes de "projections" à 2010-2020, et non de prévisions. Nous disposons d'une panoplie de scénarios qui nous aidera dans la préparation des actions de politique énergétique, mais aucun d'entre eux ne peut être considéré comme tendanciel, et la comparaison des scénarios entre eux pose problème, même s'il est espéré que les " fourchettes " proposées puissent encadrer la réalité.
En outre, les rédacteurs ont justement fait valoir que les images du futur ainsi proposées résultent d'hypothèses qui ne sont pas toutes aux mains des pouvoirs publics. Le mode de vie des français, leurs comportements, leurs préférences, joueront un rôle, au même titre que les mesures de politique énergétique ou l'évolution des prix.
Sans entrer dans le détail, Trois types de questions fondamentales me paraissent pouvoir être posées :
1. Les trois scénarios proposés, en tant que " chemins d'une croissance sobre ", ne sont-ils pas trop optimistes, comme tendrait à le faire penser l'examen des évolutions passées de l'intensité énergétique ? Je constate, par exemple, que les trois scénarios présentent des baisses d'intensité énergétique de 1,2 à 1,4 % par an, sur 1997-2020, alors que la moyenne de 1973 à 1997 n'a pas dépassé 1 % par an ;
2. quelle sécurité d'approvisionnement peut-on concevoir à l'horizon 2010-2020, sachant que les trois scénarios envisagés, prévoient une baisse sensible du taux d'indépendance énergétique ? Les importations de gaz apportent, certes, une alternative au pétrole, mais le nombre de zones possibles d'origine reste limité et ira en diminuant ;
3. comment respecter les engagements sur les émissions de gaz à effet de serre ? Il apparaît en effet que l'utilisation des mécanismes de flexibilité prévus par le protocole de Kyoto soit quasiment inévitable à l'horizon 2010, même avec des efforts drastiques de maîtrise de l'énergie, sauf à casser la croissance économique.
Bien que 2020 soit un horizon qui ne peut pas donner lieu à une prospective aussi précise que 2010, il serait intéressant d'examiner si d'autres chemins, toujours sobres, mais avec une structure d'offre quelque peu différente de celle envisagée dans les trois scénarios présentés par le groupe, par exemple avec plus de nucléaire et plus d'énergies renouvelables, ne pourrait pas apporter une meilleure réponse aux défis qui nous attendent à cet horizon.
Ces réflexions n'épuisent évidemment pas le sujet, la richesse des travaux du groupe méritant amplement une journée de débats. C'est pourquoi, je vous souhaite bon courage pour la suite du colloque.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.industrie.gouv.fr, le 26 septembre 2001)
C'est avec grand plaisir que j'interviens dans votre colloque qui célèbre à la fois la publication du rapport du groupe " Énergie 2010-2020 ", présidé par l'ingénieur général des Mines Pierre BOISSON, et le 20ème anniversaire de l'Association Technique Énergie Environnement, l'ATEE. Je remercie tous ceux qui, avec mon Département, ont pris part à l'organisation de cette journée : le Commissariat Général du Plan et l'ATEE, ainsi que l'Association des Économistes de l'énergie, l'AEE.
Chacun mesure la nécessité de disposer d'études prospectives, régulièrement actualisées, sur la situation énergétique française et internationale, afin de préparer notre pays, d'une part à éviter des pénuries ou des problèmes environnementaux, d'autre part à affronter des crises éventuelles liées à l'énergie. C'est en outre une obligation qui résulte de notre appartenance à l'Agence Internationale de l'Énergie et à l'Union Européenne.
La conjoncture internationale a beaucoup évolué et la situation énergétique à court terme paraît nettement plus sereine. Il n'en est pas moins vrai que le long terme est préoccupant et c'est le mérite - et le point fort - du rapport " BOISSON " d'avoir pu réfléchir à un horizon éloigné, tel que 2020 et même 2050. La pertinence d'un tel groupe, au sein du Commissariat Général au Plan, en associant tous les partenaires socio-économiques concernés, se révèle particulièrement précieux dans le contexte économique actuel où les signaux de court terme sont en décalage total avec la prise en compte du long terme.
Le groupe " Énergie 2010-2020 " a analysé avec beaucoup de précision les différentes facettes de la politique énergétique française, en les passant au crible du contexte européen et mondial.
Cette politique, engagée au lendemain du premier choc pétrolier, en 1973-1974, a été poursuivie avec continuité par les gouvernements qui se sont succédé depuis. Elle trouve aujourd'hui une justification supplémentaire avec l'urgence de la lutte contre le chômage et la volonté de prévenir un changement climatique. Que l'on cherche en effet à limiter notre exposition au risque de conflits chez nos fournisseurs, à remplacer une énergie fossile importée par de la matière grise, de la main-d'uvre et des équipements français, ou à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, les solutions sont identiques : maîtrise de la demande, développement des énergies renouvelables, recours au nucléaire.
La politique énergétique actuelle s'inscrit aussi dans un contexte marqué par la création d'un marché intérieur européen de l'énergie et par une prise de conscience croissante des risques de changement climatique lié au développement des énergies fossiles.
Elle poursuit quatre objectifs :
- la sécurité d'approvisionnement à long terme, notamment en recherchant une diversification par type d'énergie et par origine,
- la construction d'un développement énergétique durable, pleinement respectueux de l'environnement,
- la participation au contrat national pour l'emploi, en offrant aux entreprises une énergie très compétitive et en limitant la facture énergétique,
- la préservation et la modernisation d'un service public auquel sont très attachés les français.
Cette politique se veut à la fois, efficace, équilibrée et transparente. Elle laisse une souplesse d'adaptation suffisante aux évolutions du marché, particulièrement pour l'électricité et le gaz qui, comme vous le savez, vont faire l'objet d'une ouverture à la concurrence, maîtrisée et concertée. Notre politique énergétique continue de reposer d'abord sur le choix du nucléaire qui nous permet de disposer d'une électricité abondante et bon marché, de dégager un excédent commercial, de l'ordre de 15 milliards de francs, et de respecter l'environnement.
Tout au long de cette journée, vous allez pouvoir débattre des conclusions du rapport "BOISSON". Celui-ci, extrêmement détaillé, apporte quantité d'informations et d'analyses sur les enjeux de l'énergie en France et dans le monde. Il va falloir les "digérer" avant de les intégrer dans les actions qui seront décidées par le Gouvernement.
Sans vouloir préjuger de vos travaux, je vous fais part de quelques réflexions et questions préliminaires sur les enjeux de cet exercice de prospective énergétique.
Des enjeux internationaux et de long terme
La situation géopolitique a considérablement évolué depuis 1990-1991 et, le nombre d'acteurs s'étant accru, " la nature et la carte des risques s'en trouve profondément modifiée ", comme l'indique le rapport général. La récente chute du prix du brut, à 13 $/bl, après une moyenne de 19 ou 20 $/bl sur 1996-1997, la crise économique en Asie et en Russie, sont des exemples d'aléas de court terme qu'il est difficile de prendre en compte dans une modélisation.
L'exercice de prospective à l'horizon 2050, qui a été effectué par l'Atelier 4 du groupe, met en évidence des tendances de long terme, avec une ambition que n'avaient pas pu avoir les groupes de prospective énergétiques antérieurs. Dans cette optique, on prend la mesure des incertitudes, mais aussi des rigidités, notamment sur le développement de la population et de l'économie des pays émergents et sur le contenu, plus ou moins sobre en énergie, de leur croissance économique. Je retiens, par exemple, l'analyse de l'influence de l'urbanisme sur la consommation d'énergie, avec des villes à grande densité et plutôt " verticales ", ou des villes " horizontales " sur le modèle américain. Une telle approche illustre le sous-titre donné à ce colloque : " le futur se décide aujourd'hui ".
Les enjeux pour la France
Pour analyser les futurs possibles à l'horizon 2010-2020, le groupe a mis en uvre un complexe outil de modélisation, en utilisant plusieurs modèles qui ont abouti à trois scénarios, avec leurs variantes. L'abondance de chiffres qui en résulte doit être maniée avec précautions et le principe même de ces scénarios peut prêter à discussion.
J'insiste en particulier sur le fait que ces scénarios ne doivent être interprétés qu'en termes de "projections" à 2010-2020, et non de prévisions. Nous disposons d'une panoplie de scénarios qui nous aidera dans la préparation des actions de politique énergétique, mais aucun d'entre eux ne peut être considéré comme tendanciel, et la comparaison des scénarios entre eux pose problème, même s'il est espéré que les " fourchettes " proposées puissent encadrer la réalité.
En outre, les rédacteurs ont justement fait valoir que les images du futur ainsi proposées résultent d'hypothèses qui ne sont pas toutes aux mains des pouvoirs publics. Le mode de vie des français, leurs comportements, leurs préférences, joueront un rôle, au même titre que les mesures de politique énergétique ou l'évolution des prix.
Sans entrer dans le détail, Trois types de questions fondamentales me paraissent pouvoir être posées :
1. Les trois scénarios proposés, en tant que " chemins d'une croissance sobre ", ne sont-ils pas trop optimistes, comme tendrait à le faire penser l'examen des évolutions passées de l'intensité énergétique ? Je constate, par exemple, que les trois scénarios présentent des baisses d'intensité énergétique de 1,2 à 1,4 % par an, sur 1997-2020, alors que la moyenne de 1973 à 1997 n'a pas dépassé 1 % par an ;
2. quelle sécurité d'approvisionnement peut-on concevoir à l'horizon 2010-2020, sachant que les trois scénarios envisagés, prévoient une baisse sensible du taux d'indépendance énergétique ? Les importations de gaz apportent, certes, une alternative au pétrole, mais le nombre de zones possibles d'origine reste limité et ira en diminuant ;
3. comment respecter les engagements sur les émissions de gaz à effet de serre ? Il apparaît en effet que l'utilisation des mécanismes de flexibilité prévus par le protocole de Kyoto soit quasiment inévitable à l'horizon 2010, même avec des efforts drastiques de maîtrise de l'énergie, sauf à casser la croissance économique.
Bien que 2020 soit un horizon qui ne peut pas donner lieu à une prospective aussi précise que 2010, il serait intéressant d'examiner si d'autres chemins, toujours sobres, mais avec une structure d'offre quelque peu différente de celle envisagée dans les trois scénarios présentés par le groupe, par exemple avec plus de nucléaire et plus d'énergies renouvelables, ne pourrait pas apporter une meilleure réponse aux défis qui nous attendent à cet horizon.
Ces réflexions n'épuisent évidemment pas le sujet, la richesse des travaux du groupe méritant amplement une journée de débats. C'est pourquoi, je vous souhaite bon courage pour la suite du colloque.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.industrie.gouv.fr, le 26 septembre 2001)