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Le Figaro Magazine - Après la victoire du non, vous aviez espéré une " réorientation politique du PS ". Pensez-vous qu'elle soit toujours d'actualité, compte tenu du climat de division qui y règne ?
Jean-Pierre Chevènement - Je pense surtout qu'elle est inévitable : toute autre voie serait sans issue pour le PS. Le rejet du projet de Constitution européenne a créé une situation entièrement nouvelle pour ce parti ; comme pour la majorité UMP, d'ailleurs, mais davantage que pour l'UMP. Ce sont en effet les électeurs de gauche qui ont majoritairement rejeté le traité, y compris les électeurs socialistes. Si le PS veut gagner - et il veut évidemment gagner - ce parti doit se remettre en phase avec son électorat en lui proposant un véritable projet républicain, respectueux de la volonté populaire. Aucune victoire ne sera possible pour lui sans réorientation. Reste à savoir s'il en est capable.
Q - Avec les mêmes dirigeants ?
R - L'actuelle direction a été désavouée deux fois : le 21 avril 2002 et le 29 mai 2005. Elle a toujours montré une incapacité certaine à se remettre en cause, à procéder aux analyses nécessaires, à modifier sa trajectoire. Je vois donc mal comment elle pourrait créer une nouvelle dynamique. Ni comment l'indispensable réorientation pourrait être mise en oeuvre sans procéder d'abord à des changements d'hommes... quelles que soient les qualités humaines de François Hollande.
Q - L'hypothèse d'une scission vous paraît-elle vraisemblable ?
R - Il y a des échéances électorales. Et face aux échéances électorales, au PS comme à l'UMP, les loups chassent en meute...
Q - On vous sait partisan d'un projet " en rupture avec le social-libéralisme que la gauche professe depuis 1983 ". Mais quelle est la direction exacte que vous souhaiteriez voir adopter par la gauche ?
R - Ce qui s'impose, c'est d'abord un retour aux fondamentaux républicains, à commencer par le respect de la volonté populaire telle qu'elle s'est exprimée le 29 mai. La construction européenne doit se faire avec les peuples et non pas contre eux. Il n'est pas question de faire rentrer par la fenêtre ce qui a été sorti par la grande porte du suffrage universel, c'est-à-dire l'idée aberrante d'une " Constitution européenne " supposant un " peuple européen " qui n'existe pas. La priorité, c'est la renégociation des traités européens existants pour mettre sur pied un véritable gouvernement européen de la zone euro. Il nous faudra aussi une volonté claire pour sortir du marasme économique et faire reculer le chômage. On ne peut pas continuer à tout fonder sur des marchés financiers essentiellement spéculatifs. Nous devons aider l'épargne à s'investir à nouveau dans la production. Mettre un terme aux opérations prédatrices. Renforcer les noyaux stables d'actionnaires. Lancer une véritable politique industrielle. Bref, rompre avec la logique de la rente et de l'endettement perpétuel.
Q - Comme Laurent Fabius et Henri Emmanuelli, vous vous êtes battu contre la Constitution européenne. Cela signifie-t-il qu'ils ont votre préférence, ou votre soutien ?
R - J'évite de formuler mes choix politiques en terme d'hommes. Mais je reconnais à certains le courage d'avoir franchi le Rubicon du non. Ce refus n'est pas rien ; il ouvre l'avenir. Nous ne sommes évidemment pas d'accord sur tout, mais il y a place pour un débat de fond. C'est dans cet esprit que le MRC a d'ailleurs proposé de tenir des états généraux de la gauche qui pourraient être l'occasion d'élever le niveau d'exigence commune.
Q - Avec ou sans ce travail en commun, quel sera l'apport de votre mouvement dans la campagne que mènera la gauche en vue de l'échéance de 2007 ?
R - Cet apport existe déjà, car nos idées ont souvent été comprises et adoptées - fût-ce avec retard - par l'électorat de gauche. Depuis 1992, notre combat n'a pas été vain. Nous étions contre Maastricht : treize ans après, il y a eu le rejet du traité. Même chose pour la laïcité, la Corse, la sécurité, l'Irak : sur toutes ces questions, on ne peut pas dire que la suite nous ait donné tort... Notre mouvement a toujours été un aiguillon pour la gauche et le pays. Face à une échéance comme l'élection présidentielle, qui se joue parfois à quelques centaines de milliers de voix, je ne vois pas comment un candidat de gauche pourrait faire l'économie d'un apport comme le nôtre ; dois-je vous rappeler que j'ai réuni sur mon nom, à la dernière élection présidentielle, 1 524 000 voix, soit plus que les candidats verts, communiste et radical de gauche ? Cette sensibilité républicaine n'a pas disparu.
Q - Pour résumer, où va la gauche selon vous ? Dans quel état ? Avec quelles chances de l'emporter ?
R - La gauche peut se disperser, elle peut aussi se rassembler, mais elle ne pourra pas l'emporter sans un projet national exigeant, seul capable de recréer une dynamique autour d'elle. Cela suppose une remise en cause, mais aussi un effort d'analyse à l'opposé de la faiblesse conceptuelle qui caractérise aujourd'hui le PS, notamment sur la question de la mondialisation. En 2007, tout se jouera sur la dynamique et les idées.
(Source http://mrc-france.org, le 12 septembre 2005)