Extraits de l'entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec France info le 28 juin 2005, sur la recherche d'une solution à la crise européenne, l'importance du pilier franco-allemand et de pays comme la Pologne dans l'Union européenne, et sur la modernisation du budget européen de l'Union élargie.

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Média : France Info

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Q - Parlons de l'Europe ! Vous étiez hier à Varsovie avec vos homologues polonais et allemands. Comment peut-on, aujourd'hui, surmonter la crise ?
R - Nous devons remettre ce problème dans une perspective historique. Pas de replâtrage, pas de statu quo ! Nous avons un problème majeur, une crise financière et une crise politique. La seule question est la suivante : voulons-nous une union politique capable de faire de l'Union européenne une force politique ambitieuse pour non seulement ne pas nous battre, mais aussi pour être comparable aux Etats-Unis d'Amérique, comparable à la Chine ou à l'Inde demain, ou alors, est-ce que nous voulons être une simple zone de libre-échange, une Europe concurrentielle, avec la meilleure concurrence possible ?
Je suis pour la première vision, parce que c'est elle que les pères fondateurs ont voulu, et peut-être que nous avons fait l'erreur de passer par le texte constitutionnel, un texte juridique, avant de discuter du cas politique. Et c'est peut-être cela que les Français, en définitive, nous ont reproché.
Q - Et les Polonais, dans quel état d'esprit sont-ils ? Parce que l'on sait qu'à Varsovie, il y a une tentation atlantiste très forte ?
R - Il y a en effet un débat mais pour avoir rencontré le président de la République hier, ainsi que le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères, il est évident que la Pologne est arrimée plus que jamais à l'Union européenne. Qu'avons-nous dit hier ? Premièrement, que nous étions bien sûr associés à l'union politique ; deuxièmement, que le pilier franco-allemand - j'étais avec mon homologue allemand - est important, mais il doit aussi s'élargir à des grands pays, des grandes nations comme la Pologne. Et puis, nous avons parlé de tous les contacts que l'on pourrait avoir avec l'Ukraine. L'Ukraine vient d'arriver en démocratie, va s'ouvrir au marché, et donc il est important que les industries françaises puissent y être présentes, il est important que les intellectuels, les éditorialistes, bref la société française puisse y être présente, via les Polonais, ce qui est plus facile sur le plan géographique.

Q - Concernant le pilier franco-allemand dont vous parliez, on dit souvent que le moteur franco-allemand a des ratées. La possible élection d'Angela Merkel à l'automne prochain, qui remplacerait Gerhard Schröder, ne vous fait-elle pas peur ? On dit, et elle n'en fait pas mystère, sa volonté de renforcer l'axe germano-britannique ?
R - D'abord, je connais bien Angela Merkel ; elle est démocrate-chrétienne et il y a longtemps que je la rencontre dans les différents congrès politiques. Les démocrates-chrétiens sont pour l'union politique. C'est pour cela que je me permettais de dire tout à l'heure : faisons de cette crise, en définitive, un bien permettant de mettre à plat le sujet.
Que voulons-nous politiquement ? Les démocrates-chrétiens - les Allemands, comme Les Français, les Italiens et les Espagnols - veulent qu'il y ait une union politique intégrée. J'entends parfois certains Britanniques dire : "Entre la nation et la mondialisation, il n'y a pas de place pour l'Europe". Nous, nous disons : "Entre la nation et la mondialisation, il y a justement la place pour un modèle européen unique au monde". C'est cela qui me paraît important. Enfin, n'oubliez pas le chancelier Kohl et François Mitterrand, Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt, aujourd'hui Jacques Chirac et Gerhard Schröder. C'est-à-dire qu'à un moment donné, cela dépasse les clivages et cela s'impose à vous, lorsque vous êtes responsable d'une nation.
Q - Un ultime petit mot. Le budget européen, qui a été retoqué à Bruxelles il y a quelques jours, était le premier budget de l'élargissement. On en a finalement assez peu parlé après l'échec, mais la France était prête à débloquer 10 milliards d'euros supplémentaires. Est-ce que cette offre tient toujours ?
R - Bien sûr, je l'ai dit aux Polonais, hier. Nous avons décidé - le président Chirac a décidé - pour 2007-2013 de donner 10 milliards d'euros de plus. C'est le prix de l'élargissement. Il fallait, pour cela, qu'il y ait aussi évidemment une modification du rabais britannique, parce que si le chèque britannique n'est pas modifié, n'est pas réformé, alors le seul pays qui ne paye pas sa quote-part à l'élargissement était le Royaume-Uni. Nous nous sommes permis de le dire. Ce n'était pas un problème entre les dépenses du passé et les dépenses de l'avenir, puisque ce paquet 2007-2013 présenté au Luxembourg permettait une augmentation des dépenses de recherche de 33 %. Nous sommes pour la modernisation du budget européen. Mais il ne faut pas que la modernisation du budget européen soit le prétexte à ne pas faire payer au Royaume-Uni sa quote-part de l'élargissement. Ce n'est pas possible.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 juin 2005)