Texte intégral
Depuis plusieurs semaines, les chercheurs manifestent leur inquiétude; ils s'interrogent légitimement sur l'évolution de notre recherche, et certains directeurs de laboratoire envisagent de répondre aux appels à la démission lancés pour le 9 mars. Cette inquiétude devant l'avenir peut être la pire ou la meilleure des choses. La pire si elle se traduit par une attitude de renoncement, de fuite ou, ce qui revient au même, par le repli sur soi et le conservatisme.
Or cette attitude immobiliste est malheureusement celle qui a prévalu dans les gouvernements qui nous ont précédés. Lorsque le gouvernement de M. Jospin a augmenté les crédits de la recherche de 2,2 % par an, la croissance était l'une des plus élevées de la décennie. En 2004, j'ai obtenu que les moyens de la recherche augmentent de 3,9 % dans un contexte budgétaire pourtant particulièrement difficile. C'est la première fois en dix ans qu'un gouvernement marque ainsi le caractère prioritaire de la recherche avec une progression de son budget supérieure à la croissance du PIB.
Le président de la République et le Premier ministre ont réaffirmé cette priorité en annonçant la préparation d'une loi d'orientation mais aussi de programmation pour la recherche - la première depuis vingt ans ! - et en s'engageant à ce que la politique scientifique soit adossée à la mobilisation dans la durée des moyens supplémentaires nécessaires.
Mais surtout, au-delà des débats de chiffres, la politique menée par les gouvernements précédents n'était pas marquée par une priorité forte accordée à la recherche, car elle n'a pas permis d'engager les réformes de fond, pourtant reconnues comme indispensables, et elle a laissé notre pays avec une organisation peu adaptée à l'environnement international dans lequel évolue la recherche.
Je crois - et ce sentiment est largement partagé par de nombreux chercheurs que j'ai rencontrés - que de l'inquiétude actuelle peut sortir une mutation de notre système de recherche qui prépare résolument l'avenir non seulement des chercheurs mais de notre société tout entière. J'en ai l'intime conviction et la volonté résolue.
En réclamant des assises et un nouveau colloque de Caen, symbole de la refondation de notre système de recherche au début des années 1960, la communauté scientifique a montré qu'elle a pris la mesure des enjeux, qui sont moins la survie d'un système que l'invention d'un nouveau cadre qui permettra son développement et sa reconnaissance.
Dans le contexte international, qui est le champ d'évolution de la recherche, les ajustements limités préconisés récemment par M. Schwartzenberg ne suffisent plus. Notre dispositif, trop émietté, lourd et administratif, appelle des réformes de plus grande ampleur.
Le premier défi que nous devons relever est celui des perspectives pour les jeunes chercheurs. Les carrières assurent une grande liberté mais elles ne rémunèrent pas assez l'excellence, n'offrent pas de possibilité de progression dynamique aux jeunes et ne facilitent pas suffisamment les évolutions professionnelles entre l'entreprise, l'enseignement et la recherche.
D'autres facteurs d'attractivité doivent nous mobiliser : facilité pour conduire ses recherches en toute indépendance et sérénité, environnement favorable aux liens entre l'université et les entreprises, possibilité pour les jeunes d'accéder très rapidement à des responsabilités et de se lancer dans les voies de recherche les plus audacieuses.
Car notre deuxième défi est de redonner toute sa place à la recherche fondamentale d'excellence. Notre pays doit préserver et développer sa capacité à repousser les frontières de la connaissance, patrimoine et bien public indispensable à la formation de nos élites scientifiques et à la diffusion des savoirs comme à l'irrigation du processus d'innovation de nos entreprises. Cet objectif, je l'ai promu aussi au niveau de l'Europe en soutenant fortement le projet de création d'un Conseil européen de la recherche chargé de développer la recherche fondamentale. Je souhaite aussi en faire une de mes priorités en mettant à l'étude la création d'une agence nationale permettant de financer les projets de recherche proposés par les organismes et les universités sur des critères d'excellence scientifique.
Autre priorité : le développement de l'attractivité de notre recherche pour les entreprises dont l'effort de recherche est une faiblesse de notre pays. Beaucoup a déjà été fait par le gouvernement pour améliorer l'environnement économique de la recherche avec la refonte du crédit d'impôt recherche et le statut de la " jeune entreprise innovante ". Nous devons progresser dans deux domaines : ouvrir notre recherche sur le monde de l'entreprise, dans un contexte international, et favoriser la mobilité des chercheurs entre les organismes, l'université et l'entreprise. La qualité des laboratoires et des équipes de recherche est le facteur essentiel de l'attractivité de la recherche pour les entreprises : elle suppose des plates-formes et des compétences techniques et scientifiques au plus haut niveau mondial et un environnement favorisant la circulation des idées et des hommes, la transdisciplinarité, et la raisonnable protection du savoir.
Quatrième défi : l'insertion plus forte de notre recherche dans l'espace européen, à l'échelle duquel nous devrons à l'avenir faire valoir nos atouts. Cet objectif suppose de développer la dimension régionale de la recherche. Il faut à notre recherche des pôles territoriaux attractifs, où les entreprises pourraient trouver, dans un périmètre rapproché, l'ensemble des compétences dont elles ont besoin pour leurs développements scientifiques et technologiques ou pour la formation et la diffusion des connaissances. C'est un facteur essentiel de compétitivité auquel l'État doit oeuvrer activement avec l'ensemble des acteurs et notamment des universités renforcées.
L'inquiétude de la communauté scientifique a pour origine un sentiment de sclérose partielle d'un système, d'impuissance devant un monde qui évolue et dont elle craint de ne pouvoir suivre le mouvement. Elle est confrontée à des choix. De sa capacité à évoluer et à s'adapter dépendront sa place dans le monde de la connaissance, sa force d'innovation, son rayonnement international.
L'État s'est engagé résolument en annonçant une loi d'orientation et de programmation et sa volonté de dégager les moyens permettant d'atteindre en 2010 l'objectif de 3 % décidé à Lisbonne. Mais les mutations nécessaires ne pourront se faire sans l'adhésion de la communauté scientifique, qui doit, dans la concertation et la responsabilité, faire émerger les propositions pour son avenir, et celui de la société tout entière car cet engagement est au service de la croissance et du bien-être de chaque citoyen et des futures générations.
Je veux donner à la recherche de notre pays, au-delà d'une priorité incontestée, de nouvelles frontières, ambitieuses et stimulantes, à conquérir. C'est le sens de l'objectif que le chef de l'État a fixé à notre pays et vers lequel, sans plus attendre, nous devons tous nous mobiliser.
(source http://www.dialogue-initiative.com, le 29 mars 2004)