Texte intégral
Je vous demande quelques instants de patience avant la suite de l'importante cérémonie qui nous réunit aujourd'hui, ici, à Coëtquidan. Je voudrais saluer Monsieur le ministre Christian Bonnet, le Chef d'Etat Major des Armées, le Chef d'Etat Major de l'Armée de Terre, le chef du cabinet militaire du ministre de la Défense, et bien sûr le général commandant les écoles de Coëtquidan. Je voudrais saluer globalement les officiers généraux, les officiers supérieurs, vous toutes et tous, Mesdames Messieurs.
Je vous présente les excuses d'Alain Richard, ministre de la Défense, qui n'est pas à vos côtés ce soir, comme il l'a été au cours des deux années précédentes. Retenu par d'autres obligations, il a bien voulu me demander de le représenter et c'est pour moi un honneur et un plaisir que de partager ce Triomphe avec vous.
Permettez-moi tout d'abord de vous adresser mes félicitations, puisque vous concluez ce soir un parcours de formation qui clôt une partie de votre vie. Mais cette journée ouvre aussi sur un avenir professionnel ; et votre avenir professionnel sera étroitement mêlé à l'avenir de la France. Je voudrais, au nom du gouvernement et de la Nation tout entière, vous témoigner un sentiment de reconnaissance et un sentiment de confiance. Le sentiment de reconnaissance pour le choix professionnel que vous avez fait. Vous allez être des chefs militaires, vous aurez des responsabilités importantes et vous aurez en charge, pour la part qui vous revient, les intérêts vitaux, les intérêts majeurs de la République française. A cet instant, permettez-moi de saluer les auditeurs qui viennent de pays amis.
Nos intérêts vitaux sont aussi, aujourd'hui, des intérêts vitaux partagés avec d'autres dans un monde ouvert, dans un monde globalisé aux échanges permanents, multiples, aux intérêts croisés. Nous devons prendre en compte cette réalité sur laquelle je reviendrai dans un instant.
Je ne vous dirai pas, parce que vous le savez, que la France est un grand pays, que son rôle international est important, que son message est un message universel. Ce message, c'est la devise de la République française. Vous la connaissez : liberté, égalité, fraternité. Ces trois mots, j'ai la faiblesse de le penser, constituent l'aspiration de la plupart des hommes et des femmes de la planète. Trois mots dont le respect et la réalisation concrète constituent probablement pour le vingt-et-unième siècle la clef de la paix, de la sécurité et du progrès. Trois mots par conséquent qui fondent la démocratie, condition incontournable de cette paix, de cette sécurité que nous voulons pour nous-mêmes, que nous voulons pour l'Europe, que nous voulons pour le monde. Paix, sécurité, progrès sont les objectifs permanents de la France.
Vous voyez que nos intérêts vitaux ne sont pas des intérêts de conquête, des intérêts hégémoniques. Nos intérêts vitaux sont étroitement liés au développement de la démocratie dans le monde. Vous êtes dorénavant parmi les acteurs privilégiés de cette politique.
Mission, je le crois, plus difficile qu'il n'y paraît. Mais je suis convaincu, nous sommes convaincus, la Nation est convaincue que vous disposez à cette fin des qualités nécessaires, et le pays vous fait pleinement confiance. Vous serez les chefs militaires de ce pays au cours du premier tiers du vingt et unième siècle, et vous allez exercer vos responsabilités dans un environnement nécessairement différent de celui qu'ont connu vos prédécesseurs. Très différent de celui qu'ont connu les hommes ou l'esprit des hommes qui parrainent vos différentes promotions : la France combattante qui fait référence à l'initiative du général de Gaulle dans le cadre de la France libre, le général Berger, lui-même acteur de cette France libre, la base de Nà-San, construction collective dans un contexte différent, Raffali, le légionnaire, la campagne d'Italie Vous êtes porteurs de cette histoire, mais il est clair que l'environnement international que vous allez rencontrer est différent de celui auquel cette histoire fait référence.
Ce nouvel environnement, permettez-moi d'en évoquer seulement quelques éléments. D'abord la professionnalisation de nos armées. C'est quelque chose de nouveau, puisque tout le vingtième siècle aura été organisé autour de la conscription depuis 1905 ; et la conscription sera suspendue le 31 décembre 2002. Ce choix de la professionnalisation est un choix réfléchi fait par ce pays, par ses plus hautes autorités : le président de la République, le gouvernement, approuvé par le Parlement. Les débats sont derrière nous. Il s'agit maintenant de faire vivre avec succès ce choix important, moderne, d'une armée professionnelle.
Vous allez exercer vos responsabilités dans un cadre plus multinational qu'auparavant. Cela aussi vous l'aurez constaté et, probablement, votre formation y aura fait largement référence. Depuis dix ans, la France a été engagée dans soixante opérations ; et l'Armée de Terre, dans ces opérations, a joué un rôle considérable. 80% des acteurs de terrain sont des hommes, des femmes de l'Armée de Terre. Ce que l'on observe aujourd'hui, il est vraisemblable qu'on le verra se poursuivre dans les années qui viennent.
Vous allez exercer vos responsabilités dans le cadre européen. La Défense européenne qui devient réalité ! La France est probablement, de tous les pays de l'Union Européenne, celui qui a le plus voulu l'Europe de la Défense. J'ai longtemps siégé au sein de l'assemblée parlementaire de l'UEO ; j'ai souvent observé que seul notre pays développait une vraie volonté politique. L'Europe de la Défense a pris un nouvel essor depuis quelques mois ; depuis notamment le sommet de Saint-Malo. Essor confirmé, au sommet de l'OTAN à Washington, puis conforté à Cologne, et enfin à Helsinki. La France, qui exerce la présidence de l'Union Européenne depuis le 1er juillet, entend bien utiliser les six mois de cette présidence pour faire avancer le plus loin possible cette Europe de la Défense qui va vous accompagner dans les trente ou quarante ans au cours desquels vous allez exercer le métier que vous avez choisi.
Environnement différent aussi : la nature des opérations. Vous êtes formés, vous êtes prêts pour les situations extrêmes, pour l'action militaire strictement entendue. C'est évident. Mais vous allez également être engagés dans d'autres types d'opérations : maintien ou rétablissement de la paix, force d'interposition, action humanitaire, avec des points de jonction avec des opérations de sécurité civile Bref, quelque chose de différent, de nouveau, mais de tout aussi fort que ce que vos prédécesseurs ont connu dans le passé.
Au plan national aussi, vous êtes attendus dans le cadre de la Défense civile, dans l'exercice de missions de service public, comme on l'a vu encore ces derniers mois. Confrontés également aux évolutions technologiques, rapides, importantes : cette nouvelle civilisation de la communication et de l'information qui a nécessairement des conséquences sur les questions de Défense. Nos industries de Défense seront vos partenaires, mais nos industries de Défense aussi s'organisent, se rationalisent, s'internationalisent dans le cadre européen ou au-delà.
Vous avez noté toutes ces évolutions qui seront votre lot quotidien. Vous devrez également tenir compte, peut-être plus qu'avant, d'environnements culturels, sociaux, lorsque vous serez engagés sur des théâtres d'opérations extérieurs. Connaître la culture, les circonstances politiques, les situations ethniques, l'histoire, sera la condition du succès des opérations que vous aurez à mener et à commander. Vous serez aussi confrontés aux évolutions de la société : féminisation, nécessité de rendre des comptes, responsabilité personnelle Bref, vous connaîtrez comme professionnels de la Défense ce que vous touchez du doigt comme citoyens, parce qu'au-delà de votre condition militaire, vous resterez naturellement des citoyens éclairés, avertis, engagés.
Vous voyez donc bien que ce qui vous est demandé, c'est une capacité d'adaptation permanente. Il faut vivre avec son temps, avec les idées de son temps sans négliger les enseignements de l'histoire (et les références à vos noms de baptême à cet égard sont claires). Il faut rendre hommage à l'histoire ; rendre hommage aux hommes et aux femmes qui se sont engagés pour le service de la France, acceptant que leur destin individuel s'efface devant le destin supérieur de la France. Nous en sommes en effet les héritiers. Pour autant, pas de nostalgie ! Il s'agit simplement de s'interroger sur les moyens de s'engager, dans le monde du vingt-et-unième siècle pour être à la hauteur de ces hommes, de ces femmes, de cette France combattante. Etre à la hauteur d'hommes comme Rafalli, comme le général Berger, de ceux qui ont édifié la base de Nà-San ou mené la campagne d'Italie. Sans nostalgie, en gardant les pieds dans son siècle, avec les idées de son temps et en connaissant le monde tel qu'il se développe. Sinon,
on rendrait de mauvais services aux intérêts majeurs et aux intérêts vitaux de la France.
Dans ce contexte, vous allez développer vos qualités, vos qualités personnelles : celles du chef appelé à commander. Les qualités du chef, vous les connaissez : le sens de la décision, la justesse de la décision, l'exemplarité, la lucidité, la rigueur, la loyauté, la profondeur de vue, la faculté, en résumé, de faire donner aux hommes et aux femmes qui seront placés sous votre responsabilité le meilleur d'eux-mêmes, le meilleur d'elles-mêmes. Je laisse sans doute de côté un certain nombre de qualités dont vous êtes pourvus. Vous aurez complété les manques de mon exposé.
Il n'est pas facile d'être chef. D'abord, il faut être capable de favoriser la concertation, y compris et surtout dans cette société de nouvelles technologies, dans laquelle il faut savoir faire face à l'afflux d'information, acquérir une connaissance technique précise et maîtriser un savoir-faire spécifique. Il faut être capable de dialoguer, de consulter et de décider. Il vous appartiendra de trouver le juste chemin. Ce sera dans votre cas primordial car, gardez toujours à l'esprit que l'ordre ou les ordres que vous donnerez peuvent conduire à la mort. A votre mort à vous, à celle des gens que vous commandez, à celle de civils par le fait de dégâts collatéraux. Donc c'est une affaire éminemment sérieuse et grave que cet exercice du commandement.
Vous aurez alors l'occasion de valoriser toute la formation qui est la vôtre, depuis l'école primaire, depuis les différentes étapes que vous avez franchies au lycée, à l'université. Vous pourrez surtout vous appuyer sur la formation que vous avez reçue ici et qui constitue une formation initiale. Elle est excellente. Elle est ouverte sur le monde. Elle favorise les échanges avec les universités, les stages : tout ce qui permet au chef militaire d'être pleinement impliqué dans la société telle qu'elle fonctionne aujourd'hui. Ne vous isolez jamais de cette société. Soyez en phase avec elle. Votre formation doit aussi vous permettre, le cas échéant, de trouver un itinéraire personnel dans la société civile au moment où vous le choisirez, si vous choisissez la voie de la reconversion. Vos responsabilités et vos connaissances sont importantes et cette formation a quelque chose d'exceptionnel.
En 2001, c'est le choix du ministre, tous les élèves des grandes écoles assureront ensemble une formation interarmées de quinze jours. Les locaux sont déjà réservés à l'Ecole Militaire, place Joffre. Son fil conducteur sera double : à la fois l'Europe de la Défense parce que nous sommes pleinement engagés dans cette réalité, et la place de la Défense dans les différents services de l'Etat, dans l'administration française, dans la société française.
Votre formation initiale, vous l'avez compris, devra être complétée tout au long de votre vie par une formation continue. C'est la nécessité de l'époque. Vous aurez également à assumer une mission inédite: le renouvellement, le développement du lien des armées avec la nation, ou plutôt du lien de la nation avec ses armées. Le choix de la professionnalisation, vous l'avez bien compris, modifie cette relation. La conscription avait, de façon plus ou moins réelle, cette mission d'assurer le lien entre la nation et ses armées.
La professionnalisation change la donne. Il reste cependant vrai qu'il est indispensable que l'ensemble de la société française soit irrigué par l'esprit de Défense. Il n'est pas question que professionnalisation rime avec fonctionnarisation. Je n'ai rien contre les fonctionnaires, j'établis ici une simple comparaison. Je crains en effet que les français ne cherchent à se dédouaner à travers la professionnalisation, en disant : " je confie la défense à des hommes, à des femmes. Je paye pour cela des impôts ". Ce n'est pas suffisant ! La défense est l'affaire de toutes les françaises, de tous les français.
Vous assurerez des commandements qui vous amèneront en situation de dialogue avec la société. Il faut absolument éviter que les armées soient coupées de la société et que la société soit coupée des questions de Défense. Il vous appartiendra de faire vivre l'esprit de Défense. Vous ne serez cependant pas seuls pour assurer cette mission ; c'est l'effort de toute la société, du gouvernement, des pouvoirs publics et des collectivités territoriales qui ont des initiatives à prendre dans ce domaine, en particulier dans la vingtaine de départements privés d'une présence militaire et dans lesquels il sera pourtant nécessaire d'assurer le lien de la nation avec ses armées.
Là où vous serez employés, engagés en responsabilité, vous devrez assurer cette mission, parce qu'elle participe de cet esprit de Défense que j'évoque. Dans le cadre de la professionnalisation, vous aurez aussi une part de responsabilité dans la réinsertion professionnelle des hommes et des femmes qui vont s'engager vers 20 ans, 21 ans et qui, huit ans plus tard en moyenne, repartiront dans la société civile, à la recherche d'un emploi, à 28, 29 ou 30 ans. Si l'on veut assurer un bon recrutement, à la fois en qualité et en quantité, il faudra que la société soit capable de réinsérer. Ceci n'est pas de votre seul ressort, mais vous assumerez dans vos régiments une partie de cette responsabilité. Vous vous en acquitterez en liaison avec le tissu économique, le tissu des collectivités locales, territoriales, le tissu culturel, à travers le monde associatif. C'est quelque chose de nouveau, mais d'indispensable.
Il serait catastrophique que les françaises et les français considèrent que le choix de la professionnalisation les libère de l'esprit de Défense. De cela, il n'est pas question et nous en sommes tous comptables. Il vous reviendra de faciliter le recrutement et d'encadrer la réserve opérationnelle de 100 000 hommes qui viendra en renfort dans vos régiments, dans l'exercice de vos responsabilités. Vous devrez faire vivre cette réserve opérationnelle à côté de la réserve citoyenne.
Vous voyez ainsi que votre mission n'est plus seulement une mission militaire, mais une mission citoyenne. Il faut que la société vous donne les moyens d'assurer pleinement vos responsabilités militaires, mais vous donne aussi les moyens d'assurer cette autre partie de la mission qui est de faire vivre l'esprit de Défense.
Mesdames, Messieurs, nous avons et vous avez de nombreux défis à relever. Les enjeux sont importants. L'enjeu principal, c'est celui de notre sécurité au sens large du terme, au sens qui correspond à la réalité de nos intérêts majeurs. Et pour cela, la France a besoin de cadres militaires aux qualités fortes, multiples, complètes, capables de décider, de voir juste, de dialoguer, d'être en relation avec le tissu social ; des chefs aux compétences militaires affirmées, mais aussi pleinement citoyens.
Il vous faut comprendre le monde, vivre dans votre époque, préparer, organiser l'avenir, et surtout, parce que c'est votre responsabilité première, faire face aux imprévus. L'armée, c'est ce qui fonctionne dans un pays quand plus rien d'autre ne fonctionne. Et la France attend que vous soyez présents lorsqu'il s'agira, le cas échéant, de faire face aux imprévus. La France attend de vous toutes ces qualités, mais je puis vous dire que la Nation tout entière a confiance en vous.
Merci.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 9 octobre 2000)
Je vous présente les excuses d'Alain Richard, ministre de la Défense, qui n'est pas à vos côtés ce soir, comme il l'a été au cours des deux années précédentes. Retenu par d'autres obligations, il a bien voulu me demander de le représenter et c'est pour moi un honneur et un plaisir que de partager ce Triomphe avec vous.
Permettez-moi tout d'abord de vous adresser mes félicitations, puisque vous concluez ce soir un parcours de formation qui clôt une partie de votre vie. Mais cette journée ouvre aussi sur un avenir professionnel ; et votre avenir professionnel sera étroitement mêlé à l'avenir de la France. Je voudrais, au nom du gouvernement et de la Nation tout entière, vous témoigner un sentiment de reconnaissance et un sentiment de confiance. Le sentiment de reconnaissance pour le choix professionnel que vous avez fait. Vous allez être des chefs militaires, vous aurez des responsabilités importantes et vous aurez en charge, pour la part qui vous revient, les intérêts vitaux, les intérêts majeurs de la République française. A cet instant, permettez-moi de saluer les auditeurs qui viennent de pays amis.
Nos intérêts vitaux sont aussi, aujourd'hui, des intérêts vitaux partagés avec d'autres dans un monde ouvert, dans un monde globalisé aux échanges permanents, multiples, aux intérêts croisés. Nous devons prendre en compte cette réalité sur laquelle je reviendrai dans un instant.
Je ne vous dirai pas, parce que vous le savez, que la France est un grand pays, que son rôle international est important, que son message est un message universel. Ce message, c'est la devise de la République française. Vous la connaissez : liberté, égalité, fraternité. Ces trois mots, j'ai la faiblesse de le penser, constituent l'aspiration de la plupart des hommes et des femmes de la planète. Trois mots dont le respect et la réalisation concrète constituent probablement pour le vingt-et-unième siècle la clef de la paix, de la sécurité et du progrès. Trois mots par conséquent qui fondent la démocratie, condition incontournable de cette paix, de cette sécurité que nous voulons pour nous-mêmes, que nous voulons pour l'Europe, que nous voulons pour le monde. Paix, sécurité, progrès sont les objectifs permanents de la France.
Vous voyez que nos intérêts vitaux ne sont pas des intérêts de conquête, des intérêts hégémoniques. Nos intérêts vitaux sont étroitement liés au développement de la démocratie dans le monde. Vous êtes dorénavant parmi les acteurs privilégiés de cette politique.
Mission, je le crois, plus difficile qu'il n'y paraît. Mais je suis convaincu, nous sommes convaincus, la Nation est convaincue que vous disposez à cette fin des qualités nécessaires, et le pays vous fait pleinement confiance. Vous serez les chefs militaires de ce pays au cours du premier tiers du vingt et unième siècle, et vous allez exercer vos responsabilités dans un environnement nécessairement différent de celui qu'ont connu vos prédécesseurs. Très différent de celui qu'ont connu les hommes ou l'esprit des hommes qui parrainent vos différentes promotions : la France combattante qui fait référence à l'initiative du général de Gaulle dans le cadre de la France libre, le général Berger, lui-même acteur de cette France libre, la base de Nà-San, construction collective dans un contexte différent, Raffali, le légionnaire, la campagne d'Italie Vous êtes porteurs de cette histoire, mais il est clair que l'environnement international que vous allez rencontrer est différent de celui auquel cette histoire fait référence.
Ce nouvel environnement, permettez-moi d'en évoquer seulement quelques éléments. D'abord la professionnalisation de nos armées. C'est quelque chose de nouveau, puisque tout le vingtième siècle aura été organisé autour de la conscription depuis 1905 ; et la conscription sera suspendue le 31 décembre 2002. Ce choix de la professionnalisation est un choix réfléchi fait par ce pays, par ses plus hautes autorités : le président de la République, le gouvernement, approuvé par le Parlement. Les débats sont derrière nous. Il s'agit maintenant de faire vivre avec succès ce choix important, moderne, d'une armée professionnelle.
Vous allez exercer vos responsabilités dans un cadre plus multinational qu'auparavant. Cela aussi vous l'aurez constaté et, probablement, votre formation y aura fait largement référence. Depuis dix ans, la France a été engagée dans soixante opérations ; et l'Armée de Terre, dans ces opérations, a joué un rôle considérable. 80% des acteurs de terrain sont des hommes, des femmes de l'Armée de Terre. Ce que l'on observe aujourd'hui, il est vraisemblable qu'on le verra se poursuivre dans les années qui viennent.
Vous allez exercer vos responsabilités dans le cadre européen. La Défense européenne qui devient réalité ! La France est probablement, de tous les pays de l'Union Européenne, celui qui a le plus voulu l'Europe de la Défense. J'ai longtemps siégé au sein de l'assemblée parlementaire de l'UEO ; j'ai souvent observé que seul notre pays développait une vraie volonté politique. L'Europe de la Défense a pris un nouvel essor depuis quelques mois ; depuis notamment le sommet de Saint-Malo. Essor confirmé, au sommet de l'OTAN à Washington, puis conforté à Cologne, et enfin à Helsinki. La France, qui exerce la présidence de l'Union Européenne depuis le 1er juillet, entend bien utiliser les six mois de cette présidence pour faire avancer le plus loin possible cette Europe de la Défense qui va vous accompagner dans les trente ou quarante ans au cours desquels vous allez exercer le métier que vous avez choisi.
Environnement différent aussi : la nature des opérations. Vous êtes formés, vous êtes prêts pour les situations extrêmes, pour l'action militaire strictement entendue. C'est évident. Mais vous allez également être engagés dans d'autres types d'opérations : maintien ou rétablissement de la paix, force d'interposition, action humanitaire, avec des points de jonction avec des opérations de sécurité civile Bref, quelque chose de différent, de nouveau, mais de tout aussi fort que ce que vos prédécesseurs ont connu dans le passé.
Au plan national aussi, vous êtes attendus dans le cadre de la Défense civile, dans l'exercice de missions de service public, comme on l'a vu encore ces derniers mois. Confrontés également aux évolutions technologiques, rapides, importantes : cette nouvelle civilisation de la communication et de l'information qui a nécessairement des conséquences sur les questions de Défense. Nos industries de Défense seront vos partenaires, mais nos industries de Défense aussi s'organisent, se rationalisent, s'internationalisent dans le cadre européen ou au-delà.
Vous avez noté toutes ces évolutions qui seront votre lot quotidien. Vous devrez également tenir compte, peut-être plus qu'avant, d'environnements culturels, sociaux, lorsque vous serez engagés sur des théâtres d'opérations extérieurs. Connaître la culture, les circonstances politiques, les situations ethniques, l'histoire, sera la condition du succès des opérations que vous aurez à mener et à commander. Vous serez aussi confrontés aux évolutions de la société : féminisation, nécessité de rendre des comptes, responsabilité personnelle Bref, vous connaîtrez comme professionnels de la Défense ce que vous touchez du doigt comme citoyens, parce qu'au-delà de votre condition militaire, vous resterez naturellement des citoyens éclairés, avertis, engagés.
Vous voyez donc bien que ce qui vous est demandé, c'est une capacité d'adaptation permanente. Il faut vivre avec son temps, avec les idées de son temps sans négliger les enseignements de l'histoire (et les références à vos noms de baptême à cet égard sont claires). Il faut rendre hommage à l'histoire ; rendre hommage aux hommes et aux femmes qui se sont engagés pour le service de la France, acceptant que leur destin individuel s'efface devant le destin supérieur de la France. Nous en sommes en effet les héritiers. Pour autant, pas de nostalgie ! Il s'agit simplement de s'interroger sur les moyens de s'engager, dans le monde du vingt-et-unième siècle pour être à la hauteur de ces hommes, de ces femmes, de cette France combattante. Etre à la hauteur d'hommes comme Rafalli, comme le général Berger, de ceux qui ont édifié la base de Nà-San ou mené la campagne d'Italie. Sans nostalgie, en gardant les pieds dans son siècle, avec les idées de son temps et en connaissant le monde tel qu'il se développe. Sinon,
on rendrait de mauvais services aux intérêts majeurs et aux intérêts vitaux de la France.
Dans ce contexte, vous allez développer vos qualités, vos qualités personnelles : celles du chef appelé à commander. Les qualités du chef, vous les connaissez : le sens de la décision, la justesse de la décision, l'exemplarité, la lucidité, la rigueur, la loyauté, la profondeur de vue, la faculté, en résumé, de faire donner aux hommes et aux femmes qui seront placés sous votre responsabilité le meilleur d'eux-mêmes, le meilleur d'elles-mêmes. Je laisse sans doute de côté un certain nombre de qualités dont vous êtes pourvus. Vous aurez complété les manques de mon exposé.
Il n'est pas facile d'être chef. D'abord, il faut être capable de favoriser la concertation, y compris et surtout dans cette société de nouvelles technologies, dans laquelle il faut savoir faire face à l'afflux d'information, acquérir une connaissance technique précise et maîtriser un savoir-faire spécifique. Il faut être capable de dialoguer, de consulter et de décider. Il vous appartiendra de trouver le juste chemin. Ce sera dans votre cas primordial car, gardez toujours à l'esprit que l'ordre ou les ordres que vous donnerez peuvent conduire à la mort. A votre mort à vous, à celle des gens que vous commandez, à celle de civils par le fait de dégâts collatéraux. Donc c'est une affaire éminemment sérieuse et grave que cet exercice du commandement.
Vous aurez alors l'occasion de valoriser toute la formation qui est la vôtre, depuis l'école primaire, depuis les différentes étapes que vous avez franchies au lycée, à l'université. Vous pourrez surtout vous appuyer sur la formation que vous avez reçue ici et qui constitue une formation initiale. Elle est excellente. Elle est ouverte sur le monde. Elle favorise les échanges avec les universités, les stages : tout ce qui permet au chef militaire d'être pleinement impliqué dans la société telle qu'elle fonctionne aujourd'hui. Ne vous isolez jamais de cette société. Soyez en phase avec elle. Votre formation doit aussi vous permettre, le cas échéant, de trouver un itinéraire personnel dans la société civile au moment où vous le choisirez, si vous choisissez la voie de la reconversion. Vos responsabilités et vos connaissances sont importantes et cette formation a quelque chose d'exceptionnel.
En 2001, c'est le choix du ministre, tous les élèves des grandes écoles assureront ensemble une formation interarmées de quinze jours. Les locaux sont déjà réservés à l'Ecole Militaire, place Joffre. Son fil conducteur sera double : à la fois l'Europe de la Défense parce que nous sommes pleinement engagés dans cette réalité, et la place de la Défense dans les différents services de l'Etat, dans l'administration française, dans la société française.
Votre formation initiale, vous l'avez compris, devra être complétée tout au long de votre vie par une formation continue. C'est la nécessité de l'époque. Vous aurez également à assumer une mission inédite: le renouvellement, le développement du lien des armées avec la nation, ou plutôt du lien de la nation avec ses armées. Le choix de la professionnalisation, vous l'avez bien compris, modifie cette relation. La conscription avait, de façon plus ou moins réelle, cette mission d'assurer le lien entre la nation et ses armées.
La professionnalisation change la donne. Il reste cependant vrai qu'il est indispensable que l'ensemble de la société française soit irrigué par l'esprit de Défense. Il n'est pas question que professionnalisation rime avec fonctionnarisation. Je n'ai rien contre les fonctionnaires, j'établis ici une simple comparaison. Je crains en effet que les français ne cherchent à se dédouaner à travers la professionnalisation, en disant : " je confie la défense à des hommes, à des femmes. Je paye pour cela des impôts ". Ce n'est pas suffisant ! La défense est l'affaire de toutes les françaises, de tous les français.
Vous assurerez des commandements qui vous amèneront en situation de dialogue avec la société. Il faut absolument éviter que les armées soient coupées de la société et que la société soit coupée des questions de Défense. Il vous appartiendra de faire vivre l'esprit de Défense. Vous ne serez cependant pas seuls pour assurer cette mission ; c'est l'effort de toute la société, du gouvernement, des pouvoirs publics et des collectivités territoriales qui ont des initiatives à prendre dans ce domaine, en particulier dans la vingtaine de départements privés d'une présence militaire et dans lesquels il sera pourtant nécessaire d'assurer le lien de la nation avec ses armées.
Là où vous serez employés, engagés en responsabilité, vous devrez assurer cette mission, parce qu'elle participe de cet esprit de Défense que j'évoque. Dans le cadre de la professionnalisation, vous aurez aussi une part de responsabilité dans la réinsertion professionnelle des hommes et des femmes qui vont s'engager vers 20 ans, 21 ans et qui, huit ans plus tard en moyenne, repartiront dans la société civile, à la recherche d'un emploi, à 28, 29 ou 30 ans. Si l'on veut assurer un bon recrutement, à la fois en qualité et en quantité, il faudra que la société soit capable de réinsérer. Ceci n'est pas de votre seul ressort, mais vous assumerez dans vos régiments une partie de cette responsabilité. Vous vous en acquitterez en liaison avec le tissu économique, le tissu des collectivités locales, territoriales, le tissu culturel, à travers le monde associatif. C'est quelque chose de nouveau, mais d'indispensable.
Il serait catastrophique que les françaises et les français considèrent que le choix de la professionnalisation les libère de l'esprit de Défense. De cela, il n'est pas question et nous en sommes tous comptables. Il vous reviendra de faciliter le recrutement et d'encadrer la réserve opérationnelle de 100 000 hommes qui viendra en renfort dans vos régiments, dans l'exercice de vos responsabilités. Vous devrez faire vivre cette réserve opérationnelle à côté de la réserve citoyenne.
Vous voyez ainsi que votre mission n'est plus seulement une mission militaire, mais une mission citoyenne. Il faut que la société vous donne les moyens d'assurer pleinement vos responsabilités militaires, mais vous donne aussi les moyens d'assurer cette autre partie de la mission qui est de faire vivre l'esprit de Défense.
Mesdames, Messieurs, nous avons et vous avez de nombreux défis à relever. Les enjeux sont importants. L'enjeu principal, c'est celui de notre sécurité au sens large du terme, au sens qui correspond à la réalité de nos intérêts majeurs. Et pour cela, la France a besoin de cadres militaires aux qualités fortes, multiples, complètes, capables de décider, de voir juste, de dialoguer, d'être en relation avec le tissu social ; des chefs aux compétences militaires affirmées, mais aussi pleinement citoyens.
Il vous faut comprendre le monde, vivre dans votre époque, préparer, organiser l'avenir, et surtout, parce que c'est votre responsabilité première, faire face aux imprévus. L'armée, c'est ce qui fonctionne dans un pays quand plus rien d'autre ne fonctionne. Et la France attend que vous soyez présents lorsqu'il s'agira, le cas échéant, de faire face aux imprévus. La France attend de vous toutes ces qualités, mais je puis vous dire que la Nation tout entière a confiance en vous.
Merci.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 9 octobre 2000)