Extrait d'un entretien de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, à France inter le 2 septembre 2005, sur le rôle des militaires français au Kosovo et en Côte d'Ivoire.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

Pierre Weill - Maintenir la sécurité et l'ordre public au Kosovo, ce sont les objectifs de la force multinationale de l'OTAN déployée au Kosovo, ancienne province de Serbie où les Albanais sont majoritaires. C'est un général français qui commandait toutes ces forces depuis plus d'un an. Il a transmis ses pouvoirs à un général italien. Michèle Alliot-Marie, bonjour.
Michèle Alliot-Marie - Bonjour.
Q - Vous êtes ministre de la Défense et vous étiez hier encore [01/09] au Kosovo pour assister à cette passation de pouvoir. On se souvient que des milliers de Serbes avaient fuit le Kosovo après des émeutes en mars 2004. Quelle est la situation aujourd'hui dans cette province du Kosovo, donc à majorité albanaise ?
R - Dans cette région qui constitue la frontière extérieure de l'Europe, la situation sécuritaire est maintenant de nouveau calme. Après les évènements de mars 2004, le Kosovo avait effectivement connu une nouvelle flambée de violence. Pour autant, nous savons que cette situation est extrêmement fragile. Elle est d'autant plus fragile que nous arrivons à la fin d'une phase qui est celle de la mise en uvre de règles, de normes, de normes démocratiques, de normes de droit, de normes qui permettront la coexistence des différentes populations. Nous allons donc entrer dans une phase nouvelle et cette nouvelle phase sera celle de la détermination du statut définitif du Kosovo. Est-ce que ce sera un statut d'indépendance ? D'autonomie ? Les discussions vont commencer. Bien entendu, c'est dans cette phase que l'on voit, comme toujours, les extrémistes de tous bords essayer de déstabiliser la situation.
Q - Mais les militaires que vous avez vus hier sur place, vous ont-ils dit que les haines sont toujours là, entre Serbes et Albanais ?
R - Il faut bien distinguer ce qu'est l'opinion publique en général et ce que sont un certain nombre de groupes très politisés. Il est évident que l'ensemble de ceux qui vivent au Kosovo, c'est à dire la très grande majorité, souhaitent retrouver une vie normale, une vie paisible, où ils puissent de nouveau avoir des commerces et où ils puissent donc vivre de nouveau normalement. Mais vous avez effectivement, d'un côté comme de l'autre, un certain nombre de gens qui, eux, entretiennent cette haine et essayent de trouver tous les prétextes pour essayer de faire redémarrer des événements tels que ceux que nous avons connus par le passé. C'est la raison pour laquelle la force internationale est présente là-bas. C'est une force très importante. 2 500 militaires français sont présents au Kosovo. Des militaires français qui font un travail remarquable, et je tiens à le dire, avec ce 'savoir-faire' militaire français, notamment dans le contact avec les populations, ce qui nous permet à la fois d'avoir beaucoup de renseignement, et pour prévenir la violence, le renseignement est essentiel ; c'est ce 'savoir-faire' qui nous permet également d'avoir une efficacité reconnue par toutes les autres forces et c'est ce qui nous a notamment valu d'exercer pendant une année complète le commandement de cette force [KFOR].
Q - Alors venons-en à la situation en Côte d'Ivoire. Le pays est toujours divisé en deux, au Nord les rebelles, au Sud les forces gouvernementales et puis, entre les deux, il y a 6 000 casques bleus et environ 4 000 soldats français de l'opération Licorne. L'Afrique du Sud, je le rappelle, a tenté une médiation qui devait notamment aboutir à l'organisation d'élections le 30 octobre. Seulement les forces rebelles du Nord viennent de faire savoir qu'elles n'acceptaient plus cette médiation sud-africaine. Alors les tentatives de paix se succèdent. Cela n'aboutit pas. Vous n'avez pas l'impression que finalement, toutes les parties veulent en découdre militairement mais ne le disent pas officiellement ?
R - Je dirais qu'il y a peut-être un certain 'parallèle' à faire avec le Kosovo. Mais nous sommes concernés parce que la Côte d'Ivoire est un pays avec lequel nous avons eu et avec lequel nous avons toujours beaucoup de liens. Là aussi, une majorité, une très grande majorité de la population peut-on dire, aspire au calme, à la sécurité, aspire à pouvoir revivre normalement. Et vous avez des 'extrémistes', d'un côté et de l'autre je le précise, qui eux ne veulent pas en entendre parler. Sur fond de rivalité voire de haine ethnique, on voit un certain nombre de gens qui ne rêvent que d'une chose effectivement, c'est de pouvoir reprendre les armes.
Q - Vous croyez à la volonté de paix du président Gbagbo ?
R - Le président Gbagbo a fait un certain nombre de déclarations et a effectivement suivi certaines recommandations de la médiation du président sud-africain Mbeki, afin d'aller vers ce qui peut être une échéance de réconciliation si les choses se passent dans des conditions démocratiques normales, c'est-à-dire vers l'élection présidentielle.
Q - Mais apparemment, on ne peut pas les organiser ces élections. Personne n'en veut !
R - Aujourd'hui, il faut dire d'une part que la présence des casques bleus et la présence française en soutien de la force de l'ONUCI sont indispensables ; sans leur présence, il y aurait - et nous le voyons bien avec des petits accrochages - de nouveau des affrontements et des massacres ; d'autre part, il faut que la communauté internationale fasse une très forte pression sur les deux parties, pour que les conditions de cette élection soient remplies. L'Afrique du Sud vient de déposer un rapport devant le Conseil de sécurité ; il va permettre de juger de la situation. Nous pourrons alors voir à quel moment des élections seront possibles dans des conditions qui permettent leur reconnaissance dans tout le pays. C'est vrai que nous avons de part et d'autre, des signes, des signes inquiétants, notamment parce que le désarmement n'a pas été fait.
Q - De part et d'autre ?
R - De part et d'autre absolument. Il y a des milices. Ces milices pour certaines ont été regroupées ; elles sont soi-disant démobilisées. Mais ce que nous constatons aussi, c'est que les armes n'ont pas été rendues et c'est quelque chose d'inquiétant.

Q - Vous aviez dit que les forces françaises de l'opération Licorne resteraient sur place, en tout cas jusqu'aux élections. Ces élections vont peut-être être reportées d'un mois, trois mois, un an. On reste sur place ?
R - C'est la communauté internationale qui en décidera. Je vous rappelle qu'aujourd'hui, nous sommes en Côte d'Ivoire parce qu'une résolution de l'ONU [la Résolution 1609 du 24 juin 2005] nous demande d'être présents pour soutenir les forces de l'ONUCI, c'est-à-dire la force multinationale des casques bleus présente là-bas. Elle a demandé expressément que nous y soyons, sinon beaucoup de pays n'auraient pas accepté ou n'accepteraient pas de rester au sein de cette force. Donc pour l'instant, ce mandat va jusqu'au 24 janvier [2006]. Après, il y aura une nouvelle résolution qui décidera et bien entendu, nous nous tiendrons à cette résolution.
Q - Cela semble quand même un peu inexplicable ce conflit en Côte d'Ivoire. Ca dure, ça dure. Il n'y a pas de solution ?
R - En Côte d'Ivoire, nous sommes en présence d'un conflit qui montre une remontée des phénomènes ethniques dans ce pays, mais c'est également le cas dans l'ensemble de l'Afrique. C'est d'ailleurs une très grande préoccupation. Le président Houphouët Boigny avait réussi à instaurer l'idée de l'Etat dans l'ensemble de la population, c'est-à-dire l'idée de quelque chose qui permet à tout le monde de vivre ensemble. Il est évident que le thème de l'ivoirité qui est ensuite apparu, a commencé à tendre les relations entre les populations qui vivaient en Côte d'Ivoire. Et il est vrai que nous voyons maintenant très souvent des affrontements présentant un caractère ethnique au sein même de la Côte d'Ivoire.
- Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense, merci d'être venue nous voir ce matin à France Inter.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 5 septembre 2005)