Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, à "Europe 1" le 16 août 2005, sur le projet de la SNCF de diminuer le nombre de trains sur trois lignes interrégionales, sur la hausse du prix du carburant, sur la préparation du congrès du Mans, sur le contrat nouvelles embauches institué par le gouvernement.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- Une actualité vous concerne directement, c'est le projet de la SNCF de diminuer le nombre de trains sur trois lignes Corail interrégionales, dont deux qui desservent Nantes. Est-ce qu'à votre avis, l'Etat est en train de brader le service public, comme certains l'affirment ?
R- Je me demande dans quel pays nous vivons : en plein cur de l'été, on apprend, sans débat préalable, sans concertation, sans que l'Etat qui est garant de la cohésion territoriale et de la cohésion sociale se soit prononcé, que la SNCF va supprimer des centaines de kilomètres de lignes de train interrégionaux, les fameux trains Corail, dont effectivement, Nantes-Quimper, Nantes-Bordeaux, Nantes-Lyon, pour prendre quelques exemples qui concernent ma région, mais qui concernent aussi d'autres régions. Donc, là, je pense qu'il y a quelque chose qui ne va plus dans notre pays, surtout au moment où il faudrait développer les transports publics encore davantage, avec la flambée des cours du pétrole et le problème de l'effet de serre. On ne comprend plus du tout comment les choses se passent, et donc, tout cela contribue aussi à créer un climat de défiance dans notre pays, alors que nous avons besoin de confiance.
Q- Que dites-vous à la SNCF ? Qu'elle arrête son projet ? Un moratoire ?
R- Ce que je demande, c'est qu'il y ait à l'Assemblée nationale, dès la rentrée parlementaire, un débat d'orientation pour savoir quelles sont les priorités de la France en matière de transport ferroviaire dans notre pays, en matière de transport des voyageurs, transport des marchandises, le ferroutage, par exemple, qui est l'avenir mais qui est complètement en panne aujourd'hui, le transport de fret qui n'est pas crédible. Donc, je crois que c'est un véritable enjeu de société, et c'est d'autant plus nécessaire que, je le répète, nous avons besoin de développer les transports publics.
Q- Mais il y a quand même un déficit sur ces lignes. Qui va le régler ce déficit ?!
R- Je ne nie pas la nécessité de changer, de moderniser. Mais cela dit, si l'on prend les lignes que j'ai citées tout à l'heure, cela fait vingt ans que l'on ne fait plus d'investissements dessus. Si l'on veut qu'elles soient performantes, attractives, qu'il y ait plus de voyageurs, il faut effectivement qu'on les rende plus attractives. Si je procédais ainsi pour développer les transports publics à Nantes, il y a longtemps qu'on serait en totale régression. Donc, je pense que ce n'est pas la SNCF toute seule qui est en cause, c'est à l'Etat qui signe régulièrement un contrat d'objectifs et de moyens avec la SNCF de fixer les priorités. C'est pour cela que cela ne peut pas se faire sans débat public, ce n'est pas simplement renvoyer aux régions le financement de ces infrastructures de transport interrégional, c'est que le Parlement puisse se prononcer. C'est un travail nécessaire et que tous les Français soient juges.
Q- Il faut faire vite, parce que le projet est pour les horaires d'hiver, donc pour décembre.
R- Oui, il faut faire vite. Mais je pense qu'il y a toujours des possibilités de suspendre ce genre de mesures. Il n'y a pas de nécessité d'agir en plein été. Cela rappelle toujours les mauvais coups de l'été. Je sais bien que c'est une formule un peu facile, mais malheureusement, c'est ce qui s'est passé cet été. Et on comprend la réaction et je pense qu'on ne va pas en rester là.
Q- Vous faisiez allusion à l'augmentation de l'essence, avec un baril de pétrole qui est aux alentours de 66 dollars. Il y a plusieurs propositions, depuis plusieurs jours ; cela va de l'UMP G. Carrez qui propose une combinaison TIPP-TVA, avec un restitution, dans plusieurs mois aux Français, du trop-plein qui aurait été perçu par l'Etat et d'autres qui demandent un retour à la TIPP flottante pour faire baisser, éventuellement, le prix de l'essence. Quelle est votre analyse ?
R- Cela fait trois ans que les socialistes demandent au Gouvernement de remettre en place un système plus équitable que ce que nous avons actuellement. L'actuelle majorité a supprimé la TIPP flottante, effectivement, simplement pour avoir des recettes fiscales supplémentaires. Il n'y avait aucune nécessité économique pour faire cela. L'objectif que nous avions, lorsque nous avions mis en place cette taxe flottante avec le Gouvernement Jospin, c'était pour éviter, justement, les rentrées fiscales excessives, les effets d'aubaine lorsque que le prix du baril flambe. C'est actuellement le cas, donc cette question est toujours posée, nous la posons, et en mais en même temps. Il n'y a pas que la TIPP flottante qui est une réponse ; vous savez que la TVA augmente beaucoup les recettes de l'Etat. L'Etat va sans doute se retrouver avec un milliard d'euros supplémentaires de recettes ; que vat- il en faire ? C'est la question qui est posée.
Q- Je crois qu'il y a une double TVA sur le prix de l'essence ?
R- Oui, il y a beaucoup de recettes : 70 % du prix que vous payez à la pompe va dans les caisses de l'Etat sous forme de différentes taxes. Donc, il est clair qu'avec l'augmentation du prix du baril, il y a davantage de taxes qui rentrent dans les caisses de l'Etat, à peu près un milliard voire 1,5 milliards d'euros supplémentaires. Que va en faire l'Etat ? C'est la question ! L'Etat est tenté, comme pour les autoroutes, de boucher les trous, de rembourser un peu de sa dette. Mais est-ce qu'il ne faut pas affecter ces recettes supplémentaires ? Donc, la part que l'on va restituer aux Français - nous redemandons à nouveau la mise en place de la TIPP flottante, pour éviter les augmentations trop excessives, mais en même temps, il y a une part de recette qui doit allerà des investissements...
Q- Lesquels ?
R- Par exemple, sur les transports publics, je l'ai évoqué à travers le cas de la SNCF ? Mais pourquoi ne pas se poser les questions concernant l'avenir de la croissance, parce qu'aujourd'hui, la croissance est en panne. Nous avions fait des propositions dans le débat budgétaire, le doublement de la prime pour l'emploi, l'augmentation de la prime de rentrée scolaire, qui sont des éléments de pouvoir d'achat qui sont dépensés tout de suite et qui auraient un impact important sur l'économie, donc, qui provoqueraient aussi d'autres recettes. Donc, je crois qu'il y a plusieurs façons d'aborder les problèmes et j'ai le sentiment qu'aujourd'hui, le gouvernement Villepin se met la tête dans le sable. On a beaucoup vu sur les marchés, dans les hôpitaux, dans différents endroits, les ministres pendant l'été, mais face aux vrais problèmes, par exemple, les conséquences sur la croissance, on n'entend plus rien.
Q- Vous avez certainement lu ce matin, dans le Parisien, cette interview du fabiusien C. Bartolone, qui dénonce le triple échec de la direction du PS. Il estime surtout que "F. Bayrou donne davantage le sentiment d'être la voix d'une opposition au Gouvernement, comparé, dit C. Bartolone, au silence de la direction du PS". Que vous inspire ces propos ?
R- [inaud] Je ne crois pas être d'une grande complaisance à l'égard du Gouvernement et je ne suis pas le seul ; F. Hollande s'est exprimé encore ces derniers jours. Je ne veux pas me lancer dans des polémiques entre socialistes, cela n'a absolument aucun intérêt, cela n'intéresse pas les Français. Je pense, au contraire, que nous avons intérêt à nous rassembler. D'ailleurs, nous aurons l'occasion à l'université d'été des socialistes et aux Journées parlementaires qui suivront, de faire le bilan, pas seulement des Cent jours de D. de Villepin, mais des trois ans et cent jours des gouvernements Villepin et Raffarin, c'est-à-dire de la majorité de monsieur Chirac. Aujourd'hui, c'est cela qui est important.
Q- Les socialistes rassemblés, ce n'est pas vraiment le sens des propos de C. Bartolone.
Non, mais je le regrette, parce que je ne crois que nous avons à nous lancer dans une logique d'affrontement ; je pense que cela n'intéresse absolument pas les Français, qui aujourd'hui, souffrent du manque de confiance. C'est d'ailleurs le problème de D. de Villepin : l'échéance des cent jours s'approche à grand pas, et son drame, c'est d'être à la tête d'un Gouvernement de fin de règne, qui n'a ni confiance populaire pour impulser une transformation en profondeur du pays, ni assise politique. Nous avons besoin, justement, de redresser notre pays. On le voit à travers tous les problèmes que nous rencontrons aujourd'hui, celui del'emploi, celui de la croissance, la création de richesse, de la préparation de l'avenir. On voit que ce Gouvernement agit, en quelque sorte, au coup par coup et ne traite pas les vrais problèmes. Où sont les initiatives européennes, par exemple, pour relancer la croissance ? Nous ne sommes pas les seuls confronter à cette question ; rien, silence radio ! Donc, je crois que les socialistes ont pour tâche de préparer l'alternance en 2007. Ce ne sera pas dans une compétition interne ou dans une surenchère excessive qui n'aboutirait à rien, ce sera surtout dans la capacité que nous aurons à proposer un projet alternatif, crédible, réaliste, mais en même temps, audacieux et qui recrée de la confiance et qui rassemble aussi les socialistes et l'ensemble de la gauche.
Q- Comment voyez-vous ce congrès du Mans ? Apaisé ou un peu plus houleux ?
R- Je crois qu'il faut garder son sang froid. Il y a eu le référendum, qui a troublé beaucoup ; les socialistes se sont divisés, malgré les décisions prises démocratiquement. Mais je pense que ce ne peut pas être à travers l'affrontement stérile entre les partisans du oui ou du non, que les choses se régleront. Je crois qu'il faut maintenant dépasser cette époque et se projeter dans l'avenir et cela ne peut-être qu'à travers un projet. Le temps viendra de désigner le candidat à la présidentielle ; ce sera fin 2006, début 2007. Pour l'heure, c'est sur le projet que les Français nous attendent : quelles sont nous réponses alternatives, pas simplement la critique. Elle doit être sévère, elle l'est, mais en tout cas, cela ne peut pas se faire dans la division, cela ne peut se faire que dans le rassemblement.
Q- "Critique sévère", j'imagine que vous employez le terme pour les contrats "nouvelles embauches", mis en place au début du mois. Certains parlent de "nouvelle précarité"...
R- Vous savez qu'aujourd'hui, quand on embauche en France 70 % des embauches se font déjà en CDD. C'est quand même la réalité : un jeune sur quatre est au chômage, et depuis que monsieur Chirac a été réélu, c'est quand même 240 000 chômeurs de plus , même si les derniers chiffres ont rayé des statistiques, par des astuces, un certain nombre de chômeurs. Mais je crois que la réalité est là, elle est vécue par les Français ; il y a une sorte de découragement aujourd'hui. Vous interviewiez tout à l'heure un chef d'entreprise, qui montrait qu'il y avait un climat de méfiance. Je crois que le contrat "nouvelles embauches" de monsieur de Villepin ne s'attaque pas au vrais problèmes. Les vrais problèmes sont ceux de la croissance économique, de l'investissement public, du pouvoir d'achat. Et là, on crée de la précarité en plus, on crée du stress, de l'inquiétude. J'ai beaucoup parlé avec les jeunes qui sont concernés par ces contrats, et je peux vous dire que cela a été très mal reçu. Je ne crois pas que ce soit la réponse, en tout cas, je suis sûr que, pour monsieur de Villepin, la rentrée risque d'être difficile.
Q- Les syndicats promettent une rentrée chaude : est-ce que vous serez à leurs côtés ?
R- Je ne veux pas faire de pronostic, mais ce que je vois, c'est la réalité. Les vacances se terminent dans quelques jours et la dure réalité va revenir. Je pense que c'est à cette dure réalité que le Gouvernement va être confronté. Donc, qu'il n'attende aucune complaisance de notre part, je crois que chacun est dans l'attente, chacun est vigilant - voyez les transports ferroviaires, mais aussi le prix du pétrole, la croissance, l'emploi... Je pense que les syndicats ne vont pas rester inertes et nous non plus.
Q- Vous serez donc sur tous les fronts ?
R- Nous essayerons de l'être, parce qu'il ne s'agit pas de faire de l'opposition pour l'opposition, mais il s'agit de ne rien laisser passer. Et surtout, de montrer qu'il y a un espoir et c'est nous qui devons en être les porteurs.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 août 2005)