Interview de M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, porte-parole du gouvernement, à "Europe 1" le 8 septembre 2005, sur la santé du président de la République et l'information des Français, sur la réforme des impôts, sur l'emploi, sur les 100 premiers jours du gouvernement.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral

Q- L'attente ne sera plus très longue. Comme prévu en fin de semaine, le président de la République va réapparaître. A quelques heures près, c'est quand ?
R- D'abord, je vous confirme qu'effectivement il s'est rétabli vite, qu'il va bien et que sa sortie de l'hôpital est prévue effectivement de toute façon d'ici la fin de la semaine, dans des délais très courts maintenant.
Q- Mais est-ce qu'un ministre est directement informé ou est-ce qu'il ose poser directement des questions ?
R- En l'occurrence, vous le savez, le Premier ministre était lui très informé, puisqu'il a été en permanence en contact avec le président de la République, soit par téléphone, soit en travaillant directement avec lui, comme d'ailleurs son secrétaire général. Donc je crois que c'étaient là des informations de première source...
Q- Et on vous raconte, à vous, ministre ?
R- Oh, eh bien, oui, si e n'est que sur tous ces sujets, nous avons été les uns et les autres très vite rassurés, comme vous le savez.
Q- J. Chirac a, paraît-il, déjà transformé sa chambre du Val-de-Grâce en bureau présidentiel. Il paraît qu'à son habitude, il est impatient...
R- En tous cas, c'est ce qui m'a été dit à plusieurs reprises et par D. de Villepin et par F. Salat-Baroux, son secrétaire général.
Q- Quand on ne sait pas, vous savez qu'on imagine le meilleur ou le pire, toutes les mauvaises rumeurs. Est-ce que le secret médical est applicable à un président de la République ?
R- Je crois qu'il doit l'être, comme à n'importe quel patient. C'est un droit en France mais, en même temps c'est vrai, les Français ont le droit de savoir exactement si le président de la République est en situation d'exercer pleinement ses fonctions. Et en l'occurrence, cela a été le cas. Et j'ajoute que sur ce point, la transparence a été totale.
Q- Et qu'est-ce que vous répondez à ce qu'écrit l'expert incontesté en Constitution, G. Carcassonne dans Le Point ? Je le cite : "Les Français n'ont aucun droit à connaître le détail de la santé du premier d'entre eux" et "il suffit mais il faut qu'ils soient assurés qu'il est bien en mesure d'exercer sa fonction". Et vous dites qu'il l'est ?
R- Oui, tout à fait. Je crois que c'est d'ailleurs un résumé assez précis de ce qu'est la situation que nous venons de vivre, avec un président de la République très attentif à ce que les communiqués diffusés par les autorités médicales du Val-de-Grâce donnent très précisément l'état des choses. Et de ce point de vue, il me semble que les choses ont été exactement comme vient de le dire monsieur Carcassonne, c'est tout à fait ça.
Q- Mais est-ce que vous vous rendez bien compte que seule l'autorité, le sourire du président de la République, pourront calmer l'impatience des postulants, des témoins et puis de ce que B. Kouchner appelait ici "l'étalage des appétits" ?
R- Qu'un certain nombre de rumeurs aient circulé, aient été au delà de l'indécent, c'est clair, et c'est même, à certains égards, assez indigne. Mais en même temps, ce qui compte, ce sont les faits. Les communiqués qui se sont succédés ont bien précisé l'état des choses. Le président de la République va tout à fait bien. Il va rentrer très rapidement, dans les jours qui viennent, d'ici la fin de la semaine, à l'Elysée, et reprendre l'exercice plein de ses fonctions.
Q- Mais quand il va sortir du Val-de-Grâce, est-ce qu'on le verra, peut-être e, saluant les Français à travers la presse ?
R- Je ne sais pas répondre à cette question mais enfin, il va de soi que les Français le verront effectivement très rapidement, bien sûr.
Q- Le héros invulnérable et inébranlable J. Chirac est finalement un homme comme les autres, qui devra s'adapter. Est-ce que ce sont les médecins qui vont dire si le président de la République peut se rendre la semaine prochaine à New York, aux Nations unies ?
R- Je n'ai pas d'éléments d'information sur ce point. Ce sera naturellement la présidence de la République qui donnera tous ces éléments à ce moment-là...
Q- La situation - les journaux l'écrivent - marque un tournant du quinquennat. Selon vous, en quoi la situation politique à gauche et à droite est maintenant changée ou est en train de changer ?
R- Du seul point de vue de ce moment d'hospitalisation du président de la République, je ne crois pas que ce soit un changement majeur, même si on est un peu dans la passion du moment et, comme vous l'avez dit tout à l'heure, de temps en temps, certains états d'âme s'étalent. Mais je crois qu'en réalité, ce n'est pas l'essentiel. L'essentiel est que les Français nous attendent au travail, avec un certain nombre de résultats.
Q- Ils vous attendent au tournant...
R- Si ça doit être "au tournant", ce doit être au tournant des résultats. Et c'est vrai que nous avons cette obligation permanente. Cela fait une pression lourde sur les épaules...
Q- Il est évident qu'avec la convention UMP, pour les Français, il y a deux politiques économiques distinctes : celle du numéro un du gouvernement, D. de Villepin, et celle de son numéro deux, N. Sarkozy. L'une est dans la réalité, dans le quotidien, l'autre dans la promesse et la prévision. Est-ce qu'elles sont conciliables à court terme dans l'intérêt des Français ?
R- Mais elles sont évidemment totalement complémentaires. Et je vais vous dire les choses très sincèrement là-dessus. Je trouve que ce qu'il vient de se passer ces dix jours...
Q- J'ai toujours peur quand on me dit "sincèrement, je vais vous dire la vérité" !
R- En tout cas, je vous le dis tel que je le sens : les dix jours qui viennent de s'écouler sont des journées qui sont très importantes pour notre famille politique, parce que nous avons clairement posé le décor d'une réforme fiscale, d'une réforme de notre politique économique, sur des bases que tout le monde comprend et sur lesquelles nous nous rejoignons les uns et les autres...
Q- Donc l'émulation Villepin-Sarkozy a du bon, même si elle s'exacerbe ?
R- Mais c'est excellent tout ça ! Cela veut dire que sur des sujets aussi essentiels que la réforme fiscale, sur laquelle nous avons travaillé avec T. Breton, sur les minima sociaux, cet éternel problème dont tout le monde parle, qui consiste à dire qu'en France, quand on touche le RMI, eh bien on perd de l'argent dans certaines situations en reprenant un travail... Eh bien, tout cela, il faut qu'on y apporte des correctifs. On y a travaillé les uns et les autres, à la fois dans l'immédiat, c'est ça que demande D. de Villepin, et pour la suite...
Q- Vous êtes ministre à Bercy, avec T. Breton. Est-ce que vous vous y
retrouvez ?
R- Complètement...
Q- On va prendre des exemples. Pour N. Sarkozy en disant que le plein emploi est possible, avec un chômage à moins de 5 %, est-ce que vous le croyez ?
R- Mais ce n'est pas qu'on le "croit", c'est indispensable de travailler pour cela !
Q- Eh bien, pourquoi ne le réalisez-vous pas, si c'est si simple ?!
R- Mais personne n'a dit que c'était simple, et d'ailleurs, je n'ai pas entendu, dans le discours de N. Sarkozy, qu'il disait qu'il fallait faire ça en claquant des doigts. C'est une politique qu'on est en train d'engager. Vous avez vu que nous avons créé le contrat "nouvelles embauches". C'est dans la déclaration de politique générale de D. de Villepin. Derrière cela ; c'est un nouveau regard sur l'organisation du travail en France...
Q- Donc vous aussi, vous dites ce matin, que le chômage à moins 5 % oui, bien sûr, on peut le faire ?
R- Mais c'est une perspective sans laquelle aucun gouvernement normalement constitué ne doit travailler. Regardez un peu l'esprit dans lequel on est. Le chômage a commencé un peu de baisser, à la faveur de la reprise de l'activité économique. On a une chance historique d'engager des orientations, dans ce domaine, qui sont très importantes. La baisse des impôts, même chose, même combat : dans ce domaine-là, il faut poursuivre.
Q- N. Sarkozy répète qu'aucun Français ne doit payer en impôt plus de 50 % des revenus de son travail et vous, avec le Premier ministre, vous avez évoqué de plafonner les impôts de deux tiers des revenus ou à 60 %. Qui dit vrai ? Qui rêve ?
R- Mais ce n'est pas une question de rêve. C'est formidable d'avoir fait entrer dans le débat public, et bientôt, puisque cela va être adopté à l'automne, un élément majeur. L'objectif est que la France soit dans les grands standards internationaux en matière de fiscalité. C'est pour cela que vous allez avoir cet automne, au service des Français, une réforme fiscale, comme on n'en a pas eu depuis très longtemps. Pour qu'on voit bien de quoi on parle : un, on va faire un plafonnement, c'est-à-dire que désormais, les Français ne peuvent pas payer au-delà d'un certain seuil. J'ai proposé 60%, mais ce n'est pas tombé du ciel ! C'est parce que c'est grosso modo la moyenne de ce que font les pays qui ont fait ce plafond...
Q- Ne pouvez-vous pas le ramener à 50 %, comme N. Sarkozy ?
R- Après, il y a un problème d'argent. On a décidé de mobiliser l'essentiel de nos réserves pour l'emploi cette année. Après, je crois que tout le monde est bien d'accord pour comprendre que la baisse des impôts ne peut pas se faire sur du déficit. Il faut le gager sur des économies. Donc le ministre du Budget que je suis dit que l'on fait les choses les unes après les autres. Mais enfin, ce plafond sera voté dès cet automne !
Q- Est-ce que la différence n'est pas radicale dans le calendrier ? Vous parlez de cet automne, mais pour 2007. Alors que lui demande que ce soit appliqué dès cet automne, avec le renfort d'E. Balladur qui dit qu'il faut faire baisser les impôts fortement là, cet automne...
R- Là-dessus, il y a peut-être une différence mais elle est mineure, elle est juste sur un point. Mais je crois que sur ce point, N. Sarkozy peut tout à fait être sur la même ligne que moi. C'est simplement cette idée de dire qu'on a des contraintes de finances publiques. Nous avons décidé de focaliser tous les crédits publics disponibles sur l'emploi, parce que justement, on veut engager la baisse du chômage. Et cette priorité est décidée par D. de Villepin, qui a annoncé une pause sur la baisse de l'impôt sur le revenu, comme d'ailleurs on l'avait fait l'année d'avant, par rapport à la priorité sur l'emploi. C'est-à-dire qu'en clair, on a financé en priorité les mesures pour l'emploi. Cela me paraît être le bon sens, c'est ce que les Français demandent. Mais afficher dès maintenant la couleur sur le plafond fiscal, sur d'autre part, une réforme comme il y en a jamais eu sur l'impôt sur le revenu, avec suppression des tranches intermédiaires, au service des classes moyennes, la suppression de l'abattement de 20 % en échange d'une baisse du barème... Tout ça, ça nous fait une norme comparée, par rapport à l'international, qui est excellente.
Q- Ce matin, la presse estime que N. Sarkozy symbolise une rupture et qu'il propose une alternative de droite à la droite...
R- Sur ces sujets, il y a en réalité - et on l'a bien vu dans les discours - une très grande profusion d'idées qui va dans le même sens. Parce que quand vous refaites la liste de tous ces éléments, ce que nous proposons en matière de réforme fiscale et ensuite aussi de politique économique, ce qu'on veut faire sur l'organisation du travail, ce que D. de Villepin a lancé avec le contrat "nouvelles embauches", tous ces éléments vont exactement dans le même sens...
Q- Vous défendez - c'est normal, vous êtes le porte-parole du Gouvernement ! - la politique économique et sociale de D. de Villepin. Mais on l'impression que de l'intérieur du Gouvernement vient la pression la plus forte. Vous pouvez faire difficilement croire aux Français, ce matin, que vous dites "merci Nicolas, vous servez la politique actuelle du Gouvernement" !
R- Je recommence, j'avais bien compris la question ! Pour être bien clair, qu'est-ce qu'on est en train de faire ensemble ? On est en train de faire que dans notre famille politique, celle de la majorité présidentielle, cela bouillonne d'idées et que le débat soit chez nous. Après, on discute du rythme, mais enfin, reconnaissez quand même qu'on a là sacrément accéléré le rythme sur beaucoup de choses...
Q- Il n'y a pas de "rupture", comme on dit ?
R- Cela dépend des sujets. Il y a des sujets sur lesquels on est plutôt en rupture, par rapport à ce qui a pu se faire ces vingt dernières années, d'autres non. Ce n'est pas systématique. Regardez par exemple ce que l'on est en train de faire en augmentant la prime pour l'emploi, pour faire une vraie différence entre celui qui est au RMI et celui qui reprend un travail. Ca, c'est une rupture. Jusqu'à présent, cela n'avait pas existé. Quand on dit que désormais, celui qui est au RMI doit être accompagné, doit être coaché dans sa reprise de travail, mais à une condition, c'est qu'il joue le jeu aussi, sinon on peut pas avoir le même rapport avec lu qu'avant, s'il ne va pas aux propositions d'emploi etc. C'est ça qui change par rapport au passé... [...] Et quand vous faites la différence avec ce qui peut se passer à gauche, où ils ne sortent pas une seule idée, vous comprenez quand même que par rapport à ça, aujourd'hui, on a vis-à-vis des Français une idée de créativité.
Q- Selon J.-M. Ayrault, la gauche se prépare pour 2007, même si elle n'est pas prête certes, mais elle ironise sur votre camp et elle dit que les "cent jours" de D. de Villepin, ce n'est rien du tout. Et F. Bayrou n'est pas loin de dire la même chose. Cent jours après, la confiance est pas toujours au rendez vous...
R- Je ne sais pas, c'est toujours difficile de comparer les uns aux autres. La seule chose que je peux dire, c'est qu'au moins, en cent jours, on a compris la méthode Villepin : c'est celle qui est autour d'un seul mot, le pragmatisme et l'efficacité.
Q- Quelle est la plus grande réussite de ce Gouvernement et de D. de Villepin en cent jours ?
R- En cent jours, un style et une méthode. Les gens comprennent bien maintenant la détermination totale à utiliser ces vingt mois à faire bouger les choses...
Q- Le plus important en 100 jours, c'est donc l'émergence de D. de Villepin ?
R- C'est vous qui l'avez dit, mais en tous les cas, ce qui est vrai, c'est que dans ce domaine-là, les uns et les autres ont bien compris qu'il s'agit pas simplement de regarder le temps passé, mais d'utiliser chaque jour, chaque semaine, à proposer des choses nouvelles, pour que les Français voient bien qu'il n'y a rien de pire que l'immobilisme ! Il faut bouger !
Q- Et c'est ce que dit N. Sarkozy : il n'y a rien de pire que l'immobilisme !
R- Eh bien, tant mieux, vous voyez !
Q- Si le pétrole continue d'augmenter pour les Français, quelle mesure prendrez-vous pratiquement ?
R- Sur ce sujet précis, on va évidemment bouger. Vous l'avez bien vu : on a pris une première mesure sur la cuve pour le fuel. J'ai moi-même annoncé que les formulaires de remboursement étaient prêts : 75 euros. Pour les professionnels, on va étudier, grâce à une commission qui va être installée par T. Breton et moi-même, les conséquences exactes en matière de fiscalité. Et naturellement, comme le Premier ministre s'y est engagé, il y aura une redistribution, aux professionnels en particulier qui sont plus touchés, et puis aussi aux gens modestes.
Q- Pour conclure, il y a une formule, dans Le Nouvel Observateur, de C. Goasguen, qui est dans votre majorité. Il dit que "la droite avait un boulevard pour 2007, il ne reste plus qu'une rue".
R- J'adore C. Goasguen, mais il m'arrive de pas être d'accord avec lui. Je pense exactement l'inverse. On avait plutôt une impression d'être dans une rue, aujourd'hui on a un boulevard. A une condition : c'est de bien montrer aux Français que ce qui compte, ce sont les idées, le combat sur le fond pour le pays.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 septembre 2005)