Interview de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, à Europe 1 le 14 octobre 2005, sur la menace de la grippe du poulet, le conflit social de la SNCM, le modèle social français, les privatisations, et la politique de l'emploi.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach - A 9 heures ce matin, dans très peu de temps, vous allez réunir à Matignon les ministres et les experts concernés par la menace de la grippe du poulet qui entre en Europe. Est-ce que la France va mettre tous les moyens, même s'ils sont coûteux, pour protéger tous les Français ?
R - Bien sûr J.-P. Elkabbach, c'est une affaire qu'il faut prendre au sérieux. Pour le moment, nous parlons d'une épizootie, c'est-à-dire une transmission des volailles à l'homme, mais en Asie uniquement. Alors nous avons vu que ce virus se rapproche, puisqu'on l'a retrouvé à la fois en Turquie et en Roumanie, donc il faut être tout à fait mobilisé. Mais à ce stade, nous n'avons pas connaissance d'une transmission de l'homme à l'homme, c'est-à-dire...
Q - Mais est-ce que vous annoncerez tout à l'heure...
R - De pandémie...
Q - L'état de première alerte ?
R - Alors nous sommes tout à fait mobilisés, l'Union européenne est tout à fait mobilisée, parce que vous le voyez bien, c'est un virus qui bouge, et notamment par le biais des oiseaux migrateurs. Alors nous avons un plan de prévention, de lutte contre la pandémie grippale, et pour ceci nous nous dotons de tous les outils absolument indispensables, par exemple d'un grand nombre de masques, d'un grand nombre d'antiviraux et de vaccins. Le vaccin final ne pourra être préparé que quand nous connaîtrons exactement la nature du virus qui est susceptible de muter, mais nous avons à la fois un plan qui prend en compte tous les médicaments et les matériels indispensables, et en même temps une organisation qui va avec et qui, en fonction de l'élévation du risque, comme cela existe pour les catastrophes naturelles, déclenchera à chaque fois des interventions.
Q - C'est-à-dire que nous aurons ce qu'il faudra pour nous, autant qu'il le faudra ?
R - Absolument. Alors à ce stade nous sommes, comme vous l'avez dit, dans la première alerte, nous avons à l'échelle européenne interdit l'importation de volailles depuis les pays les plus touchés, y compris donc la Roumanie et la Turquie. Nous avons par ailleurs pris des protections pour nos élevages, et nous avons renforcé la surveillance des oiseaux migrateurs.
Q - Mais est-ce qu'il faut déjà fermer dans certaines régions les poulets, les enfermer ?
R - Nous, nous n'en sommes pas à ce stade, la concertation avec l'ensemble des autres pays de l'Union européenne se poursuit, pour déterminer exactement les mesures les plus préventives. Il ne faut pas à ce stade céder du tout à la panique.
Q - Donc pas d'affolement mais précaution et transparence, et est-ce que vous confirmez D. de Villepin que nous aurons, au fur et à mesure, la vérité ?
R - Tout à fait, depuis le départ nous avons souhaité agir en toute transparence. Pour cela, j'ai organisé un certain nombre de réunions, j'ai demandé au ministre de la Santé d'organiser un certain nombre de réunions et de proposer un plan. Nous avons nommé un délégué interministériel, qui est monsieur Houssin, le professeur Didier Houssin. Donc, nous avons aujourd'hui un dispositif d'ores et déjà opérationnel, et nous n'allons pas cesser de l'affiner en fonction de l'évolution...
Q - Vous allez supprimer les poulets aux menus de Matignon ?
R - Non pas du tout, j'en ai même mangé hier, vous voyez.
Q - Ah bon. Alors la SNCM, les navires de la SNCM reprennent la mer et leur trafic, les menaces de faillite et de licenciements massifs s'éloignent. Est-ce que votre gouvernement a l'intention de tout faire, pour remettre à flot cette entreprise qui est exsangue et qui sera bientôt privatisée ?
R - Alors c'est tout l'enjeu des dernières semaines, nous avons proposé un plan qui, je crois, est un bon plan, et nous avons pris des engagements. Pas de licenciements secs, le maintien de l'unité de l'entreprise et le maintien de la flotte. C'est dire que nous voulons sauver l'entreprise...
Q - Ce matin vous dites...
R - Sauver l'emploi.
Q - " Le plan, c'est le plan ".
R - Absolument, et je suis heureux...
Q - " Rien que le plan et le plan ". Il faut rappeler, 34 % l'Etat plus les salariés, 66 % pour les repreneurs, les deux.
R - Tout à fait, et je suis heureux de voir que les salariés ont compris la situation dans laquelle nous étions. C'est le résultat de très nombreuses années de mauvaise gestion. L'Etat a recapitalisé, vous vous en rappelez, en 2003 cette entreprise pour un montant important...
Q - Mais vous reconnaissez que l'Etat était un mauvais patron aussi ?
R - Il y a une conjugaison de facteurs, mais cette entreprise n'a pas été bien gérée, d'où la nécessité aujourd'hui d'ouvrir une nouvelle page. Et je crois que le plan, tel qu'il a été défini, est un bon plan qui permet et qui permettra de sauver l'entreprise.
Q - Les repreneurs devront développer un projet industriel, une gestion moderne plus productive, et l'Etat va rester jusqu'au redressement, c'est-à-dire combien, 2 ans, 3 ans ?
R - Le chiffre de 5 ans a été donné, ce que nous souhaitons, c'est que cette entreprise puisse véritablement repartir. Vous savez que, dans cette affaire, il y a à la fois des contraintes de gestion, mais aussi des contraintes européennes compte tenu des règles de la concurrence. Nous sommes soucieux véritablement d'accompagner cette entreprise vers son redressement, et nous ferons ce qu'il faut.
Q - Vous avez calculé les conséquences économiques des 23 jours de grève ?
R - J'ai vu comme vous un certain nombre de chiffres, c'est une tâche qui n'est pas facile parce qu'il faut évaluer les conséquences sur les entreprises, sur l'ensemble de la...
Q - Mais c'est lourd, vous dites que c'est lourd...
R - C'est lourd, c'est beaucoup trop lourd. Et ce que je souhaite, c'est que par le dialogue nous puissions dorénavant avancer plus rapidement, c'est ce que je souhaite faire sur l'ensemble des fronts où nous constatons des difficultés. Il est important de développer en permanence le dialogue, nous marquons des points. J'ai été heureux de constater, par exemple dans le domaine des seniors, l'accord qui a été conclu avec les partenaires sociaux...
Q - On va voir... on va voir ça tout à l'heure. Mais qui va payer, est-ce que les jours de grève seront payés ?
R - Non, je l'ai dit, nous l'avons dit depuis le début, c'est un principe dans notre pays, c'est d'ailleurs l'honneur du syndicalisme, il y a des droits mais il y a aussi des devoirs, donc les jours de grève ne seront pas payés. Je suis toutefois conscient que cela peut poser de graves difficultés pour les familles, donc que l'on prévoit des aménagements de façon à faire en sorte... des étalements de façon à faire en sorte que ceux-ci puissent être plus faciles, bien évidemment nous sommes prêts à envisager cela.
Q - D. de Villepin, vous avez remarqué que... la presse l'indique ce matin, que l'opinion le murmure, ce qui paie c'est la stratégie de la fermeté ?
R - Ce qui paie c'est la détermination bien sûr, mais c'est aussi la clarté, et je crois qu'il faut expliquer les choses, c'est ce que nous avons fait, ce n'est pas facile. Et je comprends très bien, passer d'une entreprise publique à une entreprise privatisée, qui satisfera des obligations de service public, cela peut ne pas apparaître comme une évidence. Donc il y a un travail de pédagogie et d'explication, il faut de la détermination, et il faut aussi beaucoup de dialogue social...
Q - Mais est-ce que ça vous donne envie d'appliquer la fermeté chaque fois qu'il le faudra, pour avancer, pour réformer le pays ?
R - Je crois que c'est plus de la détermination que de la fermeté. Il faut avancer, nous avons besoin - compte tenu des enjeux, c'est-à-dire la modernisation de notre pays - de marquer cette détermination, c'est bien ce qui sera au rendez-vous.
Q - Quelles sont les erreurs qu'il ne faudra pas recommencer, de la part de l'Etat, du gouvernement, si c'était à refaire dans une histoire de cette nature ?
R - Plus l'Etat est capable d'anticiper, il est bien évident que la décision qui a été prise par mon gouvernement au terme de la procédure... je rappelle que la procédure qui avait été lancée par J.-P. Raffarin d'appel d'offres, elle a été engagée au mois de janvier et elle a abouti au mois de septembre, donc vous voyez qu'on a fait relativement vite, quand on voit que cette procédure a abouti en septembre, et que la décision, elle, est prise en octobre. Ce qu'il aurait fallu faire dans cette entreprise, c'est plus de courage plus tôt, ce qui a été fait aujourd'hui aurait dû être fait...
Q - Non mais les erreurs à ne pas recommencer, par exemple est-ce que... enfin moi je ne vais pas donner des exemples, mais est-ce qu'il fallait annoncer d'emblée la privatisation à 100 % pour après évoluer, quelle leçon...
R - Mais J.-P. Elkabbach, je crois qu'il faut accepter de regarder la réalité en face, c'est-à-dire parfois aussi la complexité. L'annonce d'une privatisation à 100 %, à quoi était-elle due ? Tout simplement au fait que le repreneur avait posé comme condition de la reprise, une privatisation à 100 %. Et à partir du moment où la situation était extrêmement difficile sur le front social, on l'a vu, une marge de manoeuvre s'est présentée. Et l'Etat a donc pu faire ce qu'il souhaitait, c'est-à-dire maintenir une participation minoritaire à 25 %. Vous savez, je suis très frappé dans notre pays de voir que parfois, il y a des oppositions (que je considère pour ma part comme très stériles) entre des donneurs de leçon qui ne connaissent pas toujours parfaitement les dossiers, et qui ignorent un certain nombre de contraintes, et ceux qui sont à la tâche...
Q - C'est qui les opposants, ils sont où ?
R - Ce sont... il y en a beaucoup vous savez...
Q - Non parce qu'il y en a beaucoup à gauche qui considéraient que le Premier ministre ne serait pas capable de gérer et de gouverner dans une crise...
R - Je ne pense pas une fois de plus à des clivages partisans, je pense que... et c'est normal, chacun de nos compatriotes a le droit d'avoir un sentiment sur une crise comme celle de la SNCM. Mais il est très important aussi que chacun intègre les contraintes de la décision, et pour garder un cap il faut, je le redis, beaucoup de détermination, beaucoup de convictions, mais il faut aussi en permanence le dialogue indispensable pour avancer.
Q - Qu'est-ce que D. de Villepin, Premier ministre, a appris de ce conflit social et politique, et que vous pouvez dire ce matin ?
R - Je le redis, d'abord nous devons être en mouvement, en initiative, nous devons moderniser notre pays, il y a des décisions à prendre. Nous avons trop attendu, trop remis à demain des décisions qui s'imposaient. Les décisions qui doivent être prises, je les prendrai, je veux le faire à la fois donc avec conviction, détermination, mais aussi dans le dialogue, parce que je suis convaincu que notre pays, les Français sont prêts aujourd'hui à regarder la réalité en face.
Q - On va voir à travers quelques exemples, mais vous nous dites D. de Villepin, Premier ministre, il est possible aujourd'hui en France de corriger, de changer même dans le modèle social français ce qu'il a de vieillot et d'archaïque ? On peut ?
R - Bien sûr, nous l'avons fait avec le plan d'urgence pour l'emploi et le Contrat Nouvelles Embauches, les partenaires sociaux viennent de le faire dans l'accord sur les seniors. Quand vous pensez que les plus de 55 ans, entre 55 et 64 ans, ils sont aujourd'hui 40 % effectivement à travailler, c'est un chiffre très inférieur à ce que nous voyons dans d'autres pays, il y a donc un problème. Ils se sont mis autour de la table, ils ont discuté pour arriver à des propositions...
Q - Et on peut même aller plus loin ?
R - Mais J.-P. Elkabbach, ce sont des propositions innovantes. Quand on imagine un CDD reconductible de 18 mois, c'est une innovation sociale. Le Contrat Nouvelles Embauches, c'est une innovation sociale, nous avançons...
Q - Donc vous dites "on peut changer le modèle social"...
R - Mais bien sûr...
Q - Récemment vous avez dit, et ça a choqué beaucoup de monde, la rupture, on sait que ça se termine comme la Révolution, dans un bain de sang. Mais on peut rompre les mauvaises habitudes ou même l'immobilisme, sans couper des têtes à la Robespierre et à la Lenine non ?
R - Mais bien sûr, nous aurions tort de ne pas réfléchir sur notre passé. Il faut se connaître, nous sommes un pays qui a, c'est vrai, des tendances éruptives, nous sommes pris par des coups de passion, il faut prendre en compte cela. Il faut en permanence apporter des réponses, des propositions à nos compatriotes, et il faut, je le redis, expliquer. Nous avons souffert d'un manque de débat et d'un manque de clarté. Moi quand j'ai des informations, je les mets sur la table et je souhaite les partager, parce qu'il n'y a pas de raison que le chef du gouvernement garde pour lui les éléments de la décision, et qu'il ne les donne pas à chacun des Français. Donc chacun des Français, dans l'affaire de la SNCM, a pu voir que la privatisation, le choix que nous avions fait - avec le maintien du service public - était la meilleure garantie pour sauver l'emploi et pour sauver l'entreprise. Je crois que c'est dans la recherche de ce consensus que la société française doit évoluer, c'est véritablement pour mieux décider que nous devons davantage débattre.
Q - Pour vous, est-ce que la France se gouverne comme une entreprise publique ?
R - Non, je crois que la France, notre communauté nationale, ce n'est certainement pas une entreprise. Nous avons au cur...
Q - Publique, vous savez pourquoi je vous pose la question ?
R - Non mais c'est la comparaison avec l'entreprise...
Q - Vous savez pourquoi je vous pose la question, hier devant un institut de patrons, vous y étiez pour parler de la croissance, vous vous êtes défini comme un fonctionnaire...
R - Non, ce n'est pas tout à fait ça, j'ai dit que mon état, ma formation d'origine, ça avait été le choix de la Fonction publique et du service public. J'ai commencé ma carrière comme diplomate, je ne le regrette pas...
Q - Oui mais aujourd'hui, vous êtes un homme politique à la tête de l'Etat, alors on se dit : est-ce que c'est d'être fonctionnaire ou d'être diplomate, etc., qui donne les meilleures armes pour se battre aujourd'hui dans la mondialisation ?
R - Une fois de plus J.-P. Elkabbach, n'opposons pas une France contre une autre. Aujourd'hui, nous défendons un intérêt général, un intérêt national, et c'est ça que je veux de plus en plus essayer de faire toucher du doigt. Il y a un intérêt général français, il y a un intérêt public, et c'est cela qu'il nous faut mettre en oeuvre. Quand je parle de patriotisme économique, et que je dis aux chefs d'entreprise, que je dis aux responsables d'association, aux membres de collectivités locales "nous avons un intérêt général à défendre, battons-nous pour le défendre, et il ne doit pas y avoir d'opposition entre ceux qui travaillent dans une entreprise et les autres, c'est le même combat".
Q - Bravo, et vous dites aux entreprises "les emplois, ils naissent là". Mais le diplomate ou le fonctionnaire D. de Villepin considère qu'il doit réformer l'Etat aussi, pour le rendre moins obèse, pour le rendre plus efficace, il n'a pas de tabou ou il en a ?
R - Cela fait des décennies qu'on parle de la réforme de l'Etat, c'est un vieux serpent. Mais il faut moderniser l'Etat, et il faut accepter de donner à l'Etat sa place, de redéfinir ses missions et bien évidemment de le moderniser. Mais vous savez, tous les fonctionnaires y aspirent, donc c'est ce travail de modernisation dans le respect du service public, pour un meilleur service de nos compatriotes.
Q - Alors vous avez dit "on va tenir compte de ce qui s'est passé, et nous prendrons les décisions avec détermination". L. Jospin, quand il était Premier ministre, a privatisé plus qu'E. Balladur, A. Juppé et vous-même, certes vous n'êtes là que depuis 5 mois. Est-ce qu'il avait plus d'audace que vous tous ou est-ce qu'il n'y a aujourd'hui plus rien à privatiser ?
R - D'abord le champ de ce qui est privatisable s'est considérablement réduit, mais moi je ne suis pas du tout quelqu'un qui veut privatiser à tout prix. Je me pose la question à chaque étape, faut-il ou ne faut-il pas, c'est une véritable question. Il y a dans le domaine public, un certain nombre d'entreprises qui n'ont pas vocation du tout ou un certain nombre de services qui n'ont pas du tout vocation à la privatisation. Donc, il faut le faire à bon escient, à chaque fois en visant l'intérêt, et EDF de ce point de vue-là est un bon exemple, il n'est pas question de privatiser EDF.
Q - Alors très bien, l'entreprise - d'après ce que je lis - a 8 milliards de fonds propres, 19 milliards de dettes, vous lui demandez d'investir 1 milliard d'euros par an, elle est prête à ouvrir son capital, comme vous l'avez promis, est-ce qu'elle va y aller, est-ce qu'elle peut y aller ? Réponse ce matin !
R - Alors réponse ce matin, je prendrai les faits un tout petit peu différemment. L'entreprise aujourd'hui a des besoins d'investissements extrêmement importants. Elle n'a pas assez investi au cours des dernières années, et en plus l'ère dans laquelle nous sommes rentrés de l'après-pétrole fait qu'il y a davantage de besoins énergétiques. Donc, c'est une question essentielle de sécurité et d'indépendance pour la France. Nous avons besoin de 30 milliards d'euros, l'entreprise a besoin de 30 milliards d'euros dans les 3 prochaines années. Comment fait-on pour véritablement les trouver ? Eh bien ! c'est pour cela que se pose la question d'une augmentation de capital, non pas d'une privatisation, d'une augmentation de capital. Il s'agit d'ouvrir pour 15 %, 85 % du reste du capital restera propriété de l'Etat, et je ne veux pas le faire à l'aveugle, il ne s'agit pas pour moi de faire une opération ponctuelle, il s'agit d'avoir une vraie vision de l'avenir de cette entreprise. 30 milliards, c'est pour réaliser des investissements, moderniser des centrales, moderniser le réseau pour le service de nos compatriotes...
Q - Donc vous restez sur la même ligne, il faut ouvrir le capital ?
R - Mais... il faut faire une augmentation de capital, mais je pose 3 conditions, car je suis soucieux comme tous nos compatriotes du devenir de cette entreprise. La première, il ne s'agit pas de prendre de l'argent pour le donner à l'Etat et combler quelques trous ici ou là, ce n'est pas du tout la question, c'est de l'argent qui a vocation à être utilisé par l'entreprise, pour les besoins de l'entreprise et pour les salariés, qui auront une part des actions qui seront mises sur le marché. La deuxième condition, c'est qu'il y ait un véritable plan d'investissement d'EDF, qui soit recentré sur la France. Et je souhaite donc que le plan, les besoins de 30 milliards d'investissements au cours des 3 prochaines années soient satisfaits. Et la troisième condition, c'est que je veux que l'Etat signe avec EDF un contrat de service public, qui permette de préciser les engagements de service public de cette entreprise, c'est-à-dire la nécessité pour l'entreprise de satisfaire ses obligations vis-à-vis de ceux qui sont les plus démunis, pas de coupure d'électricité pendant l'hiver, sécurité de l'approvisionnement, modération des tarifs, c'est là un engagement que doit prendre l'entreprise. Et je compte signer, dans les prochains jours, ce contrat avec l'entreprise.
Q - Et tout ça va se faire en 2006 ou à la fin de cet automne ?
R - Il y a...
Q - Les 3 conditions, ils vont vous répondre en combien de temps ?
R - Je souhaite que cela puisse se faire le plus rapidement possible, donc je souhaite être en mesure de pouvoir faire cela le plus rapidement possible...
Q - C'est-à-dire ?
R - Dans le dialogue...
Q - Non mais 2006...
R - Le plus rapidement possible, oui le plus vite possible...
Q - Non parce que les mauvaises langues, D. de Villepin, prétendent que l'ordre a été donné à EDF de ne rien changer d'ici à 2007, la présidentielle, est-ce que c'est vrai ?
R - Non c'est faux, de la même façon je poursuis le dialogue avec l'ensemble des partenaires sociaux, tout ceci doit se faire en bonne compréhension, je veux que tous les syndicats de l'entreprise aient connaissance de la réalité des choses. Dans cette affaire ce que nous défendons, c'est l'intérêt de l'entreprise, c'est l'intérêt des salariés, c'est l'intérêt des usagers et c'est l'intérêt national. Je n'ai rien à casser sur cette procédure...
Q - Donc vous dites ce matin...
R - Chacun doit pouvoir se faire son avis.
Q - Il n'y a pas de raison qu'on attende la Saint-Glinglin ou même pas 2007 ?
R - Vous savez l'intérêt général, quand on peut le satisfaire le plus vite possible, eh bien ! tant mieux.
Q - Qu'est-ce que vous retenez de vos contacts personnels avec le numéro 1 de la CGT, B. Thibault, pendant toute cette période de la SNCM, est-ce que le dialogue a été possible ? Et est-ce que vous pouvez répondre à cette question qui revient comme un leitmotiv chez beaucoup de gens aujourd'hui, et comme vous voulez être transparent, allons-y, est-ce qu'il y a un deal entre vous et B. Thibault pour ne rien faire sur EDF ?
R - D'abord vous savez, J.-P. Elkabbach, je ne suis pas un homme de deal, je suis un homme de transparence, un homme de dialogue, mais je ne conclus pas d'accord secret dans les coins, et je ne l'ai jamais fait sur aucun dossier, et chacun le sait.
Q - Très bien, alors qu'est-ce que vous retenez du dialogue avec lui ?
R - Un vrai dialogue. J'ai expliqué à B. Thibault quelle était la situation de la SNCM, et pourquoi nous étions dans la situation où nous étions, et comment nous pouvions faire pour en sortir. Et je lui ai précisé les engagements qui étaient les nôtres, cela a été un dialogue franc. B. Thibault a ses propres contraintes, sa propre situation à gérer, mais je crois que c'est un dialogue qui a permis de faire avancer les choses.
Q - Sur France 2 le 6 octobre, vous annonciez à A. Chabot et A. Duhamel, après la manifestation du 4, que vous alliez recevoir les syndicats. Il y a peut-être des cicatrices sociales, après ce qui s'est passé, est-ce que vous allez les recevoir D. de Villepin, monsieur le Premier ministre, tous ensemble ou à tour de rôle ?
R - Non, nous allons... parce que nous aurons ainsi un dialogue plus approfondi avec chacun, nous allons rencontrer... je vais rencontrer les partenaires sociaux les uns après les autres, dans le courant du mois de novembre, pour évoquer l'ensemble des sujets, la sécurisation des parcours professionnels, comment faire en sorte qu'un jeune compatriote qui rentre sur le marché du travail à 20 ans, et qui va faire un certain nombre d'années sur le marché du travail, puisse éviter les accrocs, le parcours parfois chaotique, les difficultés, les embûches, comment faire en sorte de l'accompagner sur le marché du travail, c'est un vrai défi pour nous tous, comment faire en sorte de mieux récompenser le travail. Donc il y a un certain nombre de questions qui sont aujourd'hui sur la table, et nous souhaitons véritablement pouvoir avancer dans une meilleure compréhension.
Q - Ils vous ont posé des questions sur le pouvoir d'achat, le budget 2006, il vous laisse peu de marges d'actions et de générosités, qu'est-ce que vous pouvez faire...
R - Nous avons dégagé dans le budget 2006, toutes les marges de manoeuvre possibles pour l'emploi. Vous savez, quand on a une priorité il faut s'y tenir, moi je suis quelqu'un qui creuse le sillon tous les jours. L'emploi, c'est notre priorité...
Q - Ca va mieux ?
R - Les choses s'améliorent, trop lentement encore à mon goût, mais nous avons, au cours des 3 derniers mois, 80.000... plus de 80.000 demandeurs en moins. D'ores et déjà, nous avons passé le cap des 100.000 Contrats Nouvelles Embauches signés, c'est dire qu'il y a un mouvement. Il faut le conforter, c'est un travail de tous les jours, c'est une mobilisation collective. Je salue tous ceux qui concourent au service public pour l'emploi, et qui sont mobilisés à cette tâche, c'est une absolue nécessité. L'ensemble des acteurs est mobilisé partout sur le terrain, donc c'est véritablement un travail collectif qui est engagé. Et J.-L. Borloo, G. Larcher sont en permanence à la manoeuvre. Nous avons la satisfaction de voir par ailleurs qu'il y a l'emploi salarié qui progresse, donc on ne peut pas nous accuser uniquement de tout miser sur les emplois aidés, l'emploi salarié progresse dans notre pays, il y a donc véritablement un mouvement qui se fait.
Q - Le Pdg de Hewlett Packard a proposé aux syndicats de renégocier l'accord sur les 35 heures, pour réduire les 1.240 suppressions d'emplois prévues, est-ce que c'est une bonne idée...
R - Vous savez...
Q - Réduire le temps de travail pour pouvoir sauver des emplois ?
R - Dans le cas du dialogue qui s'instaure dans une entreprise, que l'on puisse, dans le cadre qui est celui fixé par la loi, trouver des aménagements, permettre de répondre aux préoccupations des salariés, défendre l'emploi, je crois que toutes les options doivent être étudiées. J'ai entendu un certain nombre de salariés qui se déclaraient prêts au dialogue, je crois qu'effectivement, toutes les pistes peuvent être étudiées, dès lors qu'il s'agit de sauvegarder l'emploi.
Q - Vous demandez à être jugé sur vos résultats, à chaque fois que vous intervenez vous le faites avec franchise et un certain courage, 5 mois c'est court, c'est un début. Chaque matin, quand vous lisez dans vos journaux que le moral des Français monte un peu, et surtout qui descend, et qui descend encore plus bas, qu'est-ce que vous vous dites ?
R - Aujourd'hui, nous avons un certain nombre d'indices qui nous montrent que les choses bougent, la consommation, la consommation s'améliore, le moral des industriels s'améliore, c'est dire qu'il y a des anticipations positives. Mais je veux croire que l'écart entre la réalité de nos capacités et la réalité de nos atouts, et la perception qu'en ont l'ensemble de nos compatriotes va se réduire, et que nous passerons de l'autre côté de la montagne. C'est-à-dire qu'après une longue période de difficultés, une certaine inquiétude, nous nous rendrons compte que nous pouvons y arriver, et que nous avons des capacités formidables et une vraie chance à saisir. Je crois, je crois à la capacité française, je crois que la France est un grand pays, et que nous devons relever le défi ensemble.
Q - C'est-à-dire servir en politique, même si c'est décrié, même si c'est moqué, ça vaut le coup ?
R - Oui ça vaut le coup, et ça vaut d'autant plus le coup (je le dis souvent) que dans les 19 mois qui nous séparent des échéances démocratiques, nous avons quelque chose à prouver, j'ai quelque chose à prouver. J'ai à prouver que la démocratie ça marche, j'ai à prouver que la politique ça marche et qu'elle n'est pas impuissante, qu'on peut changer les choses à coups de volonté, avec ténacité, et je veux que les débats qui auront lieu en 2007 soient des débats sereins, non pas des débats de frustration qui conduiront à des surenchères, et qui conduiront vers les extrêmes, mais au contraire vers un choix raisonné de notre avenir. Il y a plusieurs avenirs possibles pour la France, je souhaite le meilleur.
Q - Et Uderzo, qui doit vous écouter, doit se marrer ce matin parce qu'il publie le 33e album d'Astérix. Il doit dire que Villepinix, ça va pas mal, en tout cas pour lui ?
R - Je suis un fervent lecteur, donc je me réjouis à l'avance.
Q - Je ne vais pas vous parler longtemps de Sarkozyx, on aura d'autres occasions, mais le président de l'UMP réunit, demain à Paris, 800 cadres de l'UMP, pour une réforme des statuts dans la perspective de 2007. Est-ce que le candidat à la présidentielle doit se déclarer devant le parti ou devant le peuple français ?
R - Vous me parlez de N. Sarkozy, je ne résiste pas, J.-P. Elkabbach à vous montrer - à travers la crise de la SNCM - nous l'avons vu, à quel point ce gouvernement forme une équipe. T. Breton et D. Perben ont fait un travail remarquable dans la gestion de la crise, à la fois responsabilités pour ce qui concerne le Transport, D. Perben, toute l'opération économique et financière T. Breton, et il y a eu dans ce dossier, un aspect ordre public significatif, nous le savons tous. Et, à la fois M. Alliot-Marie comme N. Sarkozy ont joué leur rôle...
Q - Ah, c'est le moment de la distribution des gâteaux, des médailles ?
R - Non mais c'est pour vous dire qu'au-delà des commentaires et des petites phrases qui sont régulièrement ressortis, et du plaisir qu'on peut avoir évidemment dans l'analyse de tous les jours à montrer telles et telles anicroches, la réalité c'est celle d'une équipe qui travaille au service de notre pays, et qui veut régler les problèmes des Français.
Q - Vous ne m'avez pas répondu, candidat à la présidentielle, c'est le peuple, le parti ?
R - Chacun a ses préoccupations, il est normal qu'un chef de parti ait des préoccupations de chef de parti, et il est normal qu'un chef de gouvernement ait des préoccupations de chef de Gouvernement. Je l'ai toujours dit, c'est ma conviction de gaulliste, c'est ma conviction de citoyen, l'élection présidentielle c'est la rencontre entre un homme et un peuple.
Q - C'est ma dernière question, il y a quelque chose qui a profondément choqué, qui s'est passé avant que vous arriviez. Deux ambassadeurs de haut niveau sont accusés de malversations et de détournements liés au programme des Nations unies "Pétrole contre Nourriture". Saddam Hussein leur aurait offert, pour les remercier, des millions de barils qu'ils pouvaient échanger contre des dollars. L'ancien patron du Quai d'Orsay que vous êtes et Premier ministre d'aujourd'hui, est-ce qu'il n'est pas horrifié ?
R - Alors d'abord J.-P. Elkabbach, la responsabilité qui est la mienne m'oblige à vous dire qu'il s'agit d'une affaire qui est devant la Justice, donc je n'ai pas...
Q - Oui, il y a la présomption d'innocence, etc.
R - Mais qu'il puisse y avoir ici et là des conduites plus que critiquables, bien évidemment il appartiendra à la Justice de le dire. Ce que je veux moi dire, pour avoir été le responsable de la diplomatie française, c'est qu'on n'a pas le droit de salir la diplomatie aussi légèrement. En tout état de cause, les actes qui sont concernés touchent une période où les deux ambassadeurs en question n'étaient pas en activité, ils étaient à la retraite. Il s'agit donc d'activités qui sont conduites après l'âge de la retraite, et en conséquence de quoi, je crois que le lien qu'on veut établir entre la diplomatie française et l'activité d'ancien diplomate me paraît tout à fait excessif.
Q - Vous dites que ce sont des cas personnels et rares...
R - Oui...
Q - Mais qui sont condamnables.
R - Ils ont à s'expliquer sur ce qui s'est passé, mais je ne crois pas qu'on puisse entacher la diplomatie française, la diplomatie française ne se détermine pas en fonction...
Q - Ces dérives n'ont pas eu d'effet sur la politique arabe ou trop arabe de la France ?
R - Absolument pas, absolument pas. Alors qu'il y a une réflexion à mener sur un code déontologique, quelle activité un ancien diplomate peut avoir ou ne peut pas avoir, ça je crois que ce qui se passe aujourd'hui doit nous y inciter. J'avais donné pour ma part des consignes extrêmement strictes à mon cabinet, quand j'étais ministre des Affaires étrangères, pour éviter justement toute interférence d'anciens diplomates qui occupaient des fonctions dans telle et telle entreprise, ou qui jouaient le rôle d'intermédiaire. Je crois qu'il faut être extrêmement prudent vis-à-vis de tel et tel comportement, mais c'est une réflexion plus globale qu'il faut faire. Evitons l'amalgame entre la diplomatie française, entre la France, la politique de la France et des comportements individuels.
Q - On n'a pas parlé du président de la République, il va bien ?
R - Il va bien, il est en pleine forme, il pourra reprendre ses déplacements en avion, donc tout va bien et nous nous réunissons très prochainement sur ce dossier difficile qu'est l'emploi pour le faire avancer...
Q - Et c'est l'Europe... peut-être l'Europe qui reçoit ce soir je crois, pour une des dernières fois le chancelier Schröder qui s'en va, avant de recevoir Angela, ça va être un peu plus compliqué ça !
R - Je ne crois pas, je ne crois pas, vous savez les relations franco-allemandes sont des relations qui sont fondées sur l'intérêt de la France et de l'Allemagne, l'intérêt de l'Europe. Donc nous nous retrouverons, j'ai eu l'occasion de parler avec A. Merkel depuis l'accord qui a été conclu, je crois au contraire que nous continuerons à faire du bon travail ensemble, c'est l'intérêt de tous.
Q - Merci d'être venu...
R - Merci J.-P. Elkabbach.
(Source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 octobre 2005)