Texte intégral
Monsieur le président
Monsieur le ministre,
Mesdames et messieurs
Je suis particulièrement honorée et heureuse que ce séminaire sur la gouvernance internationale de l'environnement puisse se tenir à Paris et je me réjouis de constater qu'il suscite tant d'intérêt de votre part.
Cette rencontre tombe en effet à point nommé.
En effet, dans le cadre du prochain conseil d'administration du Progamme des Nations-Unies pour l'environnement (PNUE) qui se tiendra en Corée dans deux semaines, le renforcement de la gouvernance et celui du PNUE, sera abordé
et par ailleurs comme vous le savez, la France s'est engagée à être très active dans ce domaine. Elle fait des propositions sur lesquelles je vais revenir.
Ce séminaire est donc important à mes yeux car il nous permettra de mieux cerner les contours de la gouvernance internationale de l'environnement et, je l'espère, d'esquisser quelques solutions aux questions que tout le monde se pose aujourd'hui.
Ces questions, dont vous allez débattre durant ces deux jours sont complexes et spécifiques.
Pour ma part je voudrais relever, en préalable de mes propos, deux spécificités relatives à l'environnement qui me paraissent essentielles.
La première - et nous touchons là à une caractéristique assez rare pour la souligner - c'est l'irréversibilité. Les dommages que nous sommes en train de causer à notre environnement sont en effet parfois irréversibles à notre échelle. C'est le cas du changement climatique et la biodiversité. Et l'on ne peut donc pas dire, comme nous le ferions en matière de commerce ou d'économie, que les années de croissance succèderont aux crises et que les conséquences de nos erreurs finiront bien par s'estomper. Non. Pour notre environnement, ce qui est perdu l'est bel et bien. C'est ce qui fait la gravité des enjeux environnementaux globaux.
Le second trait spécifique à l'environnement tient au fait qu'il s'agit d'un bien collectif non monétisé auquel il est difficile d'attribuer une valeur commerciale immédiate. C'est pourquoi il m'a paru important au plan national, que la reconnaissance du vivant à sa juste valeur soit l'une des quatre orientations de notre stratégie nationale pour la biodiversité.
Nous sommes tous conscients de l'existence d'un patrimoine mondial. Nous sommes également tous conscients de la nécessité de le protéger. Mais nous percevons encore mal les bénéfices attendus au niveau national de l'effort demandé au niveau international. C'est de là que proviennent en grande partie les difficultés de mise en oeuvre des accords internationaux.
*
Vous allez ainsi débattre des divers aspects de la gouvernance internationale, de la recherche d'une vision commune, de la construction d'une action collective et de son organisation, et enfin de l'architecture possible d'un système plus efficace. Autant de questions qui m'intéressent et auxquelles je voudrais apporter ma contribution.
En vous disant tout d'abord pourquoi il est aujourd'hui nécessaire que les choses évoluent (A).
En ébauchant ensuite avec vous, quelques pistes de travail qui pourraient nourrir vos échanges (B).
-A-Constat
Le constat est accablant et les perspectives sont préoccupantes car la panoplie des outils dont nous disposons aujourd'hui pour faire face aux atteintes portées à l'environnement n'est plus à la hauteur des enjeux.
A.1 - Un constat accablant, une perspective préoccupante.
(Un environnement en danger)
Nous connaissons tous les atteintes portées à l'environnement. Qu'il s'agisse de la poursuite de la déforestation et de la désertification, de la diminution de la biodiversité à un rythme sans précédent ou des changements climatiques dont nous subissons déjà les dommages.
Ici en France, 10% de notre flore est en sursis ; 19% des vertébrés ont disparu ou sont en péril ; 35% des espèces de mammifères sont considérées comme en danger ou vulnérables et 50% de nos zones humides ont été détruites durant les trois dernières décennies.
Je pourrais ainsi multiplier les chiffres et les exemples.
(un appareil normatif pléthorique mais brouillon)
La prise de conscience collective de ces multiples atteintes à l'environnement, à conduit à la mise en place d'un appareil normatif pléthorique mais brouillon :
Aujourd'hui, en faisant abstraction des accords bilatéraux, on compte plus de cinq cents traités, pour l'essentiel régionaux.
La plupart des conventions se sont dotées d'institutions ad hoc, d'instances décisionnelles, de structures scientifiques et d'instances consultatives.
Cette densification du réseau conventionnel s'est également accompagnée d'une multiplication des programmes environnementaux par les organismes multilatéraux eux-mêmes.
On en trouve ainsi à l'UNESCO, à l'organisation des Nations-Unies pour agriculture et l'alimentation, à l'Organisation internationale du travail, à l'Office des migrations internationales, à l'Organisation mondiale de la santé ou encore à l'Agence internationale de l'énergie atomique, pour n'en citer que quelques uns.
Mais après cette " prise de conscience " marquée par une véritable " frénésie normative ", nous sommes entrés dans la phase de " la prise de bonne conscience ".
Car il faut bien admettre que la mise en uvre de tous ces engagements reste souvent lettre morte et que la profusion des textes contraste avec la faiblesse des mesures prises sur le terrain.
Il est clair que certains Etats se sont engagés ou s'engagent encore parfois sans intention de mettre en uvre leurs engagements, d'autres souhaiteraient le faire mais ne disposent pas des moyens nécessaires.
En bref, l'action ne suit pas toujours les mots. Or quelle sont les perspectives ?
(des perspectives alarmantes)
D'après la Banque mondiale, dans les 50 prochaines années, la population mondiale pourrait croître de 50 % et le produit intérieur brut pourrait quadrupler ! La Chine compte d'ailleurs quadrupler le sien dans les vingt prochaines années !
Il ne fait donc aucun doute que la croissance démographique et économique à venir suscitera des tensions environnementales.
Nous devons donc nous préparer à faire face. Nous devons disposer d'outils qui nous permettront de concilier les demandes de croissance économique, qui sont d'ailleurs bien légitimes, avec l'exigence de préservation de notre environnement.
Or le système actuel a montré ses limites.
A.II - Un système actuel défaillant qui a atteint ses limites
Je ne vais pas m'étendre sur ses lacunes qui ont été précisément décrites dans de nombreux ouvrages et sur lesquelles vous allez vous-mêmes revenir.
Permettez-moi seulement de mentionner très brièvement les principales :
Tout d'abord, le manque de coordination entre les différents organes. En particulier, la confusion institutionnelle qui règne entre les divers secrétariats des innombrables traités rend l'ensemble extrêmement complexe. Comment espérer par ailleurs que les pays les moins riches puissent suivre activement l'ensemble des réunions dont une récente étude interne estime la durée à l'équivalent de 192 jours par an.
Deuxième lacune, une trop faible capacité institutionnelle dans les pays en voie de développement : le système actuel qui encadre les transferts de financement vers les pays en voie de développement, manque d'envergure et de résultats.
Et enfin un manque d'efficacité des normes environnementales : il est vrai que le domaine de l'environnement ne se prête pas toujours facilement à la définition d'objectifs clairs et quantifiés, rendant ainsi l'efficacité des normes délicates. Mais on doit déplorer le manque " d'effectivité " des conventions qui permettent trop rarement d'atteindre l'objectif fixé.
A ces lacunes se rajoutent d'autres difficultés inhérentes à la gouvernance internationale en matière d'environnement, en particulier la profusion des acteurs. Je note à cet égard le rôle prééminent joué par les Organisations non gouvernementales (ONG), ou encore la complexité intrinsèque des accords conclus dont certains ne sont compréhensibles, semble-t-il, que par les experts qui les ont rédigés.
J'ai encore pu constater tous ces écueils à la dernière conférence de la convention sur la biodiversité. Et pourtant, il est important d'y être !
Ce tableau très rapide pour lequel j'ai volontairement forcé le trait fait ressortir l'obligation qui s'impose à nous d'agir et d'améliorer le système actuel.
C'est pourquoi la France s'efforce de faire des propositions.
-B- Agir
Nous le faisons, convaincus que l'amélioration du système actuel repose sur quelques notions essentielles. Je voudrais ici en souligner quatre.
B.I - il n'y a pas d'alternative au multilatéralisme
Je crois tout d'abord qu'il faut agir dans un cadre multilatéral.
a- Je suis bien consciente que certains pays développés ne souhaitent pas avoir les mains liées dans un domaine qu'ils considèrent avant tout comme relevant de leur compétence nationale exclusive.
Mais ce repli derrière les frontières nationales est illusoire et dangereux.
Illusoire car les grands enjeux environnementaux sont globaux. Faut-il encore le rappeler ? Une tonne de CO2 produite en Afrique aura les mêmes effets à Moscou, à Chicago ou à Abidjan. L'exploitation des bois tropicaux concerne autant les pays producteurs que les pays consommateurs, la perte d'une espèce affecte également tous les pays du monde !
Le changement climatique, la protection de la couche d'ozone ou celle de la biodiversité demandent des réponses globales dont l'efficacité dépend directement de leur niveau de coordination au plan international.
Ce repli derrière les frontières nationales est aussi une attitude dangereuse car, en empêchant toute émulation, tout obligation morale, il tire l'effort commun vers le bas, vers le moins performant.
b - Je sais aussi que de nombreux pays en voie de développement appréhendent un système multilatéral dans lequel ils croient percevoir un moyen pour le Nord de conditionner le développement du Sud.
A ces pays, qui restent réticents à l'idée d'un engagement multilatéral, je voudrais dire tout d'abord que leur soif de développement et de croissance économique est tout à fait légitime. Il ne saurait être question d'en douter et d'installer, au nom de la préservation de notre planète, une sorte de monde à deux vitesses : ceux qui auraient pu se développer, et ceux qui n'en auraient plus le droit.
Mais faut-il pour autant que les pays émergents répètent à leur dépends et aux nôtres, les erreurs que nous avons nous même commises et dont nous subissons tous aujourd'hui les conséquences ?
Car non seulement le Sud souffrira autant que le Nord des atteintes portées à notre environnement, mais les experts nous disent que ces pays sont sans doute les plus vulnérables, en particulier aux dommages du changement climatique.
Faisons donc en sorte que la croissance des pays émergents et des pays en voie de développement soit une croissance aussi propre que possible. C'est l'intérêt de tous.
Permettez moi à ce stade de me féliciter des dernières déclarations du gouvernement chinois qui entend justement marquer un tournant dans son développement et progresser vers une croissance plus " verte et sociale ". Je sais toute la valeur des efforts engagés dans ce cadre par mon homologue et ami M. XSIE.
Le multilatéralisme est imparfait et frustrant car il est souvent difficile de réunir des consensus acceptables pour tous, mais il n'y a pas d'alternative crédible. Soyons en convaincus.
B.2 - Rien n'est possible sans le Sud
Ma deuxième conviction, c'est que nous ne pouvons agir sans ou contre les pays en voie de développement.
N'oublions pas que les pays émergents et en voie de développement émettront après 2010, autant de CO2 que les pays développés et qu'ils abritent une majeure partie de notre patrimoine de faune et de flore. Or la pression environnementale sera de plus en plus forte dans les pays en voie de développement, il faut en être conscient.
Nous devons donc trouver les voies d'un meilleur dialogue, d'une coopération plus efficace, d'un soutien plus ferme.
Nous connaissons les principales difficultés auxquelles il faut faire face, en particulier la faiblesse des capacités institutionnelles que je mentionnais précédemment.
Je considère à cet égard, et je l'ai dit à Kuala Lumpur, que les mécanismes de " conversion de dette contre nature " doivent être plus largement mis en uvre dans les pays les plus endettés.
Les quelques décennies qui séparent notre développement de celui des pays du Sud nous ont permis de prendre conscience des enjeux environnementaux et de développer des technologies plus propres. Mettons ces acquis à profit. Nous en avons les moyens techniques.
Plus de solidarité, plus de transferts technologiques et plus de renforcement des capacités institutionnelles, voilà des passages obligés.
B.3 - le besoin de connaissance scientifique.
Ma troisième conviction, c'est que nous devons développer notre connaissance scientifique des phénomènes environnementaux.
C'est d'ailleurs un des principes fondateurs de mon action politique au niveau national, qu'il s'agisse de risques technologiques ou naturels, de chasse ou de nature. Je vais ainsi installer dans les prochaines semaines, un conseil scientifique national du patrimoine naturel et de la biodiversité, dont les avis me seront très utiles.
Rappelons nous l'exemple de la couche d'ozone. C'est la mise en évidence scientifique de l'appauvrissement de la couche d'ozone qui a permis la mobilisation internationale et l'adoption du Protocole de Montréal en 1987. C'est par ce que des scientifiques ont annoncé en décembre 2000, que la couche pourrait être restaurée dans les cinquante prochaines années que la communauté internationale reste mobilisée.
C'est un exemple à méditer car il nous fournit trois enseignements :
Tout d'abord que la connaissance scientifique est le meilleur gage de mobilisation politique,
deuxièmement qu'elle fournit la légitimité aux engagements parfois coûteux que les responsables politiques doivent prendre,
Et finalement qu'elle permet de cibler parfaitement les actions à entreprendre.
C'est pourquoi, considérant que dans le domaine particulier de la biodiversité, des progrès restaient à accomplir, la France organisera en janvier 2005 un colloque mondial sur le thème de la connaissance scientifique en matière de biodiversité.
B.4 - L'exemplarité
Ma dernière conviction, qui va peut être vous surprendre, est relative à la notion d'exemplarité dans la mise en uvre des engagements environnementaux.
Je suis convaincue qu'au-delà des règles que nous pouvons nous imposer, au-delà des conventions, des déclarations et des ratifications, il faut, en matière d'environnement, que certains décident de jouer un rôle moteur :
Il faut des pionniers qui vont montrer à leurs voisins que les engagements pris sont réalistes, que leur mise en uvre reste compatible avec les contraintes économiques ou financières,
Il faut que des meneurs, animés d'une profonde conviction et d'une force politique particulière démontre la justesse des idées et la valeur des bénéfices escomptés.
C'est selon moi une condition majeure de la mobilisation internationale. L'exemplarité, le " leadership " de certains ne sont certes pas suffisants mais ils sont nécessaires.
Dans le domaine de l'environnement, il y a un intérêt commun mais il n'y a pas d'intérêts réciproques.
Autrement dit, si votre voisin pollue plus que vous ne le souhaitez, ce n'est pas en polluant plus vous-même que vous pouvez le contraindre à changer d'attitude. Nous ne pouvons pas faire jouer de " rétorsions environnementales ", comme il y a des rétorsions commerciales. Si nous nous alignons tous sur le " moins faisant ", sur le plus réservé, sur le moins engagé, nous sommes certains de perdre.
Il faut au contraire que ceux qui en ont les moyens montrent l'exemple et prouvent que des progrès sont possibles.
Je souhaite que l'Europe devienne cet exemple en matière d'environnement. Nous en avons les moyens et surtout, nous en avons la volonté politique parce que nous reconnaissons notre responsabilité morale.
Je constate d'ailleurs que c'est la voie sur laquelle nous nous sommes engagés en matière de changement climatique et je m'en réjouis.
Voilà, Monsieur le président, les quelques éléments que je souhaitais vous soumettre.
III - conclusion
Vous allez, aujourd'hui et demain, débattre entre scientifiques de " l'internalisation des coûts environnementaux ", de la " structure de la société internationale d'où est absente la hiérarchie des organes ", ou encore de la " difficulté d'élaborer des règles dans un domaine où la prise en charge de l'intérêt général suppose l'acceptation de contraintes supérieures à la somme des intérêts individuels ".
Vous allez aussi certainement discuter des différentes architectures qui pourraient améliorer et " chapeauter " le système actuel.
Je crois qu'il nous faut être à la fois ambitieux et réaliste.
Dans l'absolu nous pourrions espérer voir se mettre en place des systèmes centralisés comme l'OMC, ou des systèmes hiérarchisés comme le Conseil de sécurité, capables de décider de sanctions.
De tels modèles me semblent aujourd'hui hors d'atteinte. Il faut, je crois privilégier des modèles fondés avant tout sur la coopération.
C'est en tout cas ce que fera la France en continuant à promouvoir, avec d'autres pays qui partagent nos convictions, la mise en uvre d'une Organisation des Nations-unies pour l'Environnement. Je ne doute pas que vos débats alimentent avantageusement notre réflexion sur ce sujet.
Monsieur le président, je voudrais conclure mon propos sur une note d'optimisme.
Qui aurait dit il y vingt ans qu'il y aurait un jour un tribunal pénal international ou une Organisation mondiale du commerce ?
De son côté la France s'apprête dans les semaines à venir à modifier sa Constitution pour lui adosser une charte de l'environnement, élevant ainsi la protection de l'environnement au plus haut niveau de notre droit, comme ce fut le cas autrefois pour les droits de l'homme puis pour les droits sociaux.
Enonçant ce devoir de protection, la charte de l'environnement reconnaît la responsabilité de chacun à l'égard de l'environnement. Ce faisant, notre pays souhaite résolument s'inscrire dans l'avenir et faire uvre de développement durable.
L'Europe évolue aussi : l'article 3 du projet de constitution européenne stipule que les objectifs de l'Union sont " d'uvrer pour le développement durable de l'Europe " fondé sur une économie qui tend à " un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement ".
Il nous faut donc garder le cap !
L 'amélioration de la gouvernance internationale de l'environnement est un immense chantier qui prendra du temps. Mais j'ai confiance que l'évidence des enjeux et la nécessité du changement finiront par s'imposer à tous.
Je vous remercie.
(Source http://www.environnement.gouv.fr, le 16 mars 2004)
Monsieur le ministre,
Mesdames et messieurs
Je suis particulièrement honorée et heureuse que ce séminaire sur la gouvernance internationale de l'environnement puisse se tenir à Paris et je me réjouis de constater qu'il suscite tant d'intérêt de votre part.
Cette rencontre tombe en effet à point nommé.
En effet, dans le cadre du prochain conseil d'administration du Progamme des Nations-Unies pour l'environnement (PNUE) qui se tiendra en Corée dans deux semaines, le renforcement de la gouvernance et celui du PNUE, sera abordé
et par ailleurs comme vous le savez, la France s'est engagée à être très active dans ce domaine. Elle fait des propositions sur lesquelles je vais revenir.
Ce séminaire est donc important à mes yeux car il nous permettra de mieux cerner les contours de la gouvernance internationale de l'environnement et, je l'espère, d'esquisser quelques solutions aux questions que tout le monde se pose aujourd'hui.
Ces questions, dont vous allez débattre durant ces deux jours sont complexes et spécifiques.
Pour ma part je voudrais relever, en préalable de mes propos, deux spécificités relatives à l'environnement qui me paraissent essentielles.
La première - et nous touchons là à une caractéristique assez rare pour la souligner - c'est l'irréversibilité. Les dommages que nous sommes en train de causer à notre environnement sont en effet parfois irréversibles à notre échelle. C'est le cas du changement climatique et la biodiversité. Et l'on ne peut donc pas dire, comme nous le ferions en matière de commerce ou d'économie, que les années de croissance succèderont aux crises et que les conséquences de nos erreurs finiront bien par s'estomper. Non. Pour notre environnement, ce qui est perdu l'est bel et bien. C'est ce qui fait la gravité des enjeux environnementaux globaux.
Le second trait spécifique à l'environnement tient au fait qu'il s'agit d'un bien collectif non monétisé auquel il est difficile d'attribuer une valeur commerciale immédiate. C'est pourquoi il m'a paru important au plan national, que la reconnaissance du vivant à sa juste valeur soit l'une des quatre orientations de notre stratégie nationale pour la biodiversité.
Nous sommes tous conscients de l'existence d'un patrimoine mondial. Nous sommes également tous conscients de la nécessité de le protéger. Mais nous percevons encore mal les bénéfices attendus au niveau national de l'effort demandé au niveau international. C'est de là que proviennent en grande partie les difficultés de mise en oeuvre des accords internationaux.
*
Vous allez ainsi débattre des divers aspects de la gouvernance internationale, de la recherche d'une vision commune, de la construction d'une action collective et de son organisation, et enfin de l'architecture possible d'un système plus efficace. Autant de questions qui m'intéressent et auxquelles je voudrais apporter ma contribution.
En vous disant tout d'abord pourquoi il est aujourd'hui nécessaire que les choses évoluent (A).
En ébauchant ensuite avec vous, quelques pistes de travail qui pourraient nourrir vos échanges (B).
-A-Constat
Le constat est accablant et les perspectives sont préoccupantes car la panoplie des outils dont nous disposons aujourd'hui pour faire face aux atteintes portées à l'environnement n'est plus à la hauteur des enjeux.
A.1 - Un constat accablant, une perspective préoccupante.
(Un environnement en danger)
Nous connaissons tous les atteintes portées à l'environnement. Qu'il s'agisse de la poursuite de la déforestation et de la désertification, de la diminution de la biodiversité à un rythme sans précédent ou des changements climatiques dont nous subissons déjà les dommages.
Ici en France, 10% de notre flore est en sursis ; 19% des vertébrés ont disparu ou sont en péril ; 35% des espèces de mammifères sont considérées comme en danger ou vulnérables et 50% de nos zones humides ont été détruites durant les trois dernières décennies.
Je pourrais ainsi multiplier les chiffres et les exemples.
(un appareil normatif pléthorique mais brouillon)
La prise de conscience collective de ces multiples atteintes à l'environnement, à conduit à la mise en place d'un appareil normatif pléthorique mais brouillon :
Aujourd'hui, en faisant abstraction des accords bilatéraux, on compte plus de cinq cents traités, pour l'essentiel régionaux.
La plupart des conventions se sont dotées d'institutions ad hoc, d'instances décisionnelles, de structures scientifiques et d'instances consultatives.
Cette densification du réseau conventionnel s'est également accompagnée d'une multiplication des programmes environnementaux par les organismes multilatéraux eux-mêmes.
On en trouve ainsi à l'UNESCO, à l'organisation des Nations-Unies pour agriculture et l'alimentation, à l'Organisation internationale du travail, à l'Office des migrations internationales, à l'Organisation mondiale de la santé ou encore à l'Agence internationale de l'énergie atomique, pour n'en citer que quelques uns.
Mais après cette " prise de conscience " marquée par une véritable " frénésie normative ", nous sommes entrés dans la phase de " la prise de bonne conscience ".
Car il faut bien admettre que la mise en uvre de tous ces engagements reste souvent lettre morte et que la profusion des textes contraste avec la faiblesse des mesures prises sur le terrain.
Il est clair que certains Etats se sont engagés ou s'engagent encore parfois sans intention de mettre en uvre leurs engagements, d'autres souhaiteraient le faire mais ne disposent pas des moyens nécessaires.
En bref, l'action ne suit pas toujours les mots. Or quelle sont les perspectives ?
(des perspectives alarmantes)
D'après la Banque mondiale, dans les 50 prochaines années, la population mondiale pourrait croître de 50 % et le produit intérieur brut pourrait quadrupler ! La Chine compte d'ailleurs quadrupler le sien dans les vingt prochaines années !
Il ne fait donc aucun doute que la croissance démographique et économique à venir suscitera des tensions environnementales.
Nous devons donc nous préparer à faire face. Nous devons disposer d'outils qui nous permettront de concilier les demandes de croissance économique, qui sont d'ailleurs bien légitimes, avec l'exigence de préservation de notre environnement.
Or le système actuel a montré ses limites.
A.II - Un système actuel défaillant qui a atteint ses limites
Je ne vais pas m'étendre sur ses lacunes qui ont été précisément décrites dans de nombreux ouvrages et sur lesquelles vous allez vous-mêmes revenir.
Permettez-moi seulement de mentionner très brièvement les principales :
Tout d'abord, le manque de coordination entre les différents organes. En particulier, la confusion institutionnelle qui règne entre les divers secrétariats des innombrables traités rend l'ensemble extrêmement complexe. Comment espérer par ailleurs que les pays les moins riches puissent suivre activement l'ensemble des réunions dont une récente étude interne estime la durée à l'équivalent de 192 jours par an.
Deuxième lacune, une trop faible capacité institutionnelle dans les pays en voie de développement : le système actuel qui encadre les transferts de financement vers les pays en voie de développement, manque d'envergure et de résultats.
Et enfin un manque d'efficacité des normes environnementales : il est vrai que le domaine de l'environnement ne se prête pas toujours facilement à la définition d'objectifs clairs et quantifiés, rendant ainsi l'efficacité des normes délicates. Mais on doit déplorer le manque " d'effectivité " des conventions qui permettent trop rarement d'atteindre l'objectif fixé.
A ces lacunes se rajoutent d'autres difficultés inhérentes à la gouvernance internationale en matière d'environnement, en particulier la profusion des acteurs. Je note à cet égard le rôle prééminent joué par les Organisations non gouvernementales (ONG), ou encore la complexité intrinsèque des accords conclus dont certains ne sont compréhensibles, semble-t-il, que par les experts qui les ont rédigés.
J'ai encore pu constater tous ces écueils à la dernière conférence de la convention sur la biodiversité. Et pourtant, il est important d'y être !
Ce tableau très rapide pour lequel j'ai volontairement forcé le trait fait ressortir l'obligation qui s'impose à nous d'agir et d'améliorer le système actuel.
C'est pourquoi la France s'efforce de faire des propositions.
-B- Agir
Nous le faisons, convaincus que l'amélioration du système actuel repose sur quelques notions essentielles. Je voudrais ici en souligner quatre.
B.I - il n'y a pas d'alternative au multilatéralisme
Je crois tout d'abord qu'il faut agir dans un cadre multilatéral.
a- Je suis bien consciente que certains pays développés ne souhaitent pas avoir les mains liées dans un domaine qu'ils considèrent avant tout comme relevant de leur compétence nationale exclusive.
Mais ce repli derrière les frontières nationales est illusoire et dangereux.
Illusoire car les grands enjeux environnementaux sont globaux. Faut-il encore le rappeler ? Une tonne de CO2 produite en Afrique aura les mêmes effets à Moscou, à Chicago ou à Abidjan. L'exploitation des bois tropicaux concerne autant les pays producteurs que les pays consommateurs, la perte d'une espèce affecte également tous les pays du monde !
Le changement climatique, la protection de la couche d'ozone ou celle de la biodiversité demandent des réponses globales dont l'efficacité dépend directement de leur niveau de coordination au plan international.
Ce repli derrière les frontières nationales est aussi une attitude dangereuse car, en empêchant toute émulation, tout obligation morale, il tire l'effort commun vers le bas, vers le moins performant.
b - Je sais aussi que de nombreux pays en voie de développement appréhendent un système multilatéral dans lequel ils croient percevoir un moyen pour le Nord de conditionner le développement du Sud.
A ces pays, qui restent réticents à l'idée d'un engagement multilatéral, je voudrais dire tout d'abord que leur soif de développement et de croissance économique est tout à fait légitime. Il ne saurait être question d'en douter et d'installer, au nom de la préservation de notre planète, une sorte de monde à deux vitesses : ceux qui auraient pu se développer, et ceux qui n'en auraient plus le droit.
Mais faut-il pour autant que les pays émergents répètent à leur dépends et aux nôtres, les erreurs que nous avons nous même commises et dont nous subissons tous aujourd'hui les conséquences ?
Car non seulement le Sud souffrira autant que le Nord des atteintes portées à notre environnement, mais les experts nous disent que ces pays sont sans doute les plus vulnérables, en particulier aux dommages du changement climatique.
Faisons donc en sorte que la croissance des pays émergents et des pays en voie de développement soit une croissance aussi propre que possible. C'est l'intérêt de tous.
Permettez moi à ce stade de me féliciter des dernières déclarations du gouvernement chinois qui entend justement marquer un tournant dans son développement et progresser vers une croissance plus " verte et sociale ". Je sais toute la valeur des efforts engagés dans ce cadre par mon homologue et ami M. XSIE.
Le multilatéralisme est imparfait et frustrant car il est souvent difficile de réunir des consensus acceptables pour tous, mais il n'y a pas d'alternative crédible. Soyons en convaincus.
B.2 - Rien n'est possible sans le Sud
Ma deuxième conviction, c'est que nous ne pouvons agir sans ou contre les pays en voie de développement.
N'oublions pas que les pays émergents et en voie de développement émettront après 2010, autant de CO2 que les pays développés et qu'ils abritent une majeure partie de notre patrimoine de faune et de flore. Or la pression environnementale sera de plus en plus forte dans les pays en voie de développement, il faut en être conscient.
Nous devons donc trouver les voies d'un meilleur dialogue, d'une coopération plus efficace, d'un soutien plus ferme.
Nous connaissons les principales difficultés auxquelles il faut faire face, en particulier la faiblesse des capacités institutionnelles que je mentionnais précédemment.
Je considère à cet égard, et je l'ai dit à Kuala Lumpur, que les mécanismes de " conversion de dette contre nature " doivent être plus largement mis en uvre dans les pays les plus endettés.
Les quelques décennies qui séparent notre développement de celui des pays du Sud nous ont permis de prendre conscience des enjeux environnementaux et de développer des technologies plus propres. Mettons ces acquis à profit. Nous en avons les moyens techniques.
Plus de solidarité, plus de transferts technologiques et plus de renforcement des capacités institutionnelles, voilà des passages obligés.
B.3 - le besoin de connaissance scientifique.
Ma troisième conviction, c'est que nous devons développer notre connaissance scientifique des phénomènes environnementaux.
C'est d'ailleurs un des principes fondateurs de mon action politique au niveau national, qu'il s'agisse de risques technologiques ou naturels, de chasse ou de nature. Je vais ainsi installer dans les prochaines semaines, un conseil scientifique national du patrimoine naturel et de la biodiversité, dont les avis me seront très utiles.
Rappelons nous l'exemple de la couche d'ozone. C'est la mise en évidence scientifique de l'appauvrissement de la couche d'ozone qui a permis la mobilisation internationale et l'adoption du Protocole de Montréal en 1987. C'est par ce que des scientifiques ont annoncé en décembre 2000, que la couche pourrait être restaurée dans les cinquante prochaines années que la communauté internationale reste mobilisée.
C'est un exemple à méditer car il nous fournit trois enseignements :
Tout d'abord que la connaissance scientifique est le meilleur gage de mobilisation politique,
deuxièmement qu'elle fournit la légitimité aux engagements parfois coûteux que les responsables politiques doivent prendre,
Et finalement qu'elle permet de cibler parfaitement les actions à entreprendre.
C'est pourquoi, considérant que dans le domaine particulier de la biodiversité, des progrès restaient à accomplir, la France organisera en janvier 2005 un colloque mondial sur le thème de la connaissance scientifique en matière de biodiversité.
B.4 - L'exemplarité
Ma dernière conviction, qui va peut être vous surprendre, est relative à la notion d'exemplarité dans la mise en uvre des engagements environnementaux.
Je suis convaincue qu'au-delà des règles que nous pouvons nous imposer, au-delà des conventions, des déclarations et des ratifications, il faut, en matière d'environnement, que certains décident de jouer un rôle moteur :
Il faut des pionniers qui vont montrer à leurs voisins que les engagements pris sont réalistes, que leur mise en uvre reste compatible avec les contraintes économiques ou financières,
Il faut que des meneurs, animés d'une profonde conviction et d'une force politique particulière démontre la justesse des idées et la valeur des bénéfices escomptés.
C'est selon moi une condition majeure de la mobilisation internationale. L'exemplarité, le " leadership " de certains ne sont certes pas suffisants mais ils sont nécessaires.
Dans le domaine de l'environnement, il y a un intérêt commun mais il n'y a pas d'intérêts réciproques.
Autrement dit, si votre voisin pollue plus que vous ne le souhaitez, ce n'est pas en polluant plus vous-même que vous pouvez le contraindre à changer d'attitude. Nous ne pouvons pas faire jouer de " rétorsions environnementales ", comme il y a des rétorsions commerciales. Si nous nous alignons tous sur le " moins faisant ", sur le plus réservé, sur le moins engagé, nous sommes certains de perdre.
Il faut au contraire que ceux qui en ont les moyens montrent l'exemple et prouvent que des progrès sont possibles.
Je souhaite que l'Europe devienne cet exemple en matière d'environnement. Nous en avons les moyens et surtout, nous en avons la volonté politique parce que nous reconnaissons notre responsabilité morale.
Je constate d'ailleurs que c'est la voie sur laquelle nous nous sommes engagés en matière de changement climatique et je m'en réjouis.
Voilà, Monsieur le président, les quelques éléments que je souhaitais vous soumettre.
III - conclusion
Vous allez, aujourd'hui et demain, débattre entre scientifiques de " l'internalisation des coûts environnementaux ", de la " structure de la société internationale d'où est absente la hiérarchie des organes ", ou encore de la " difficulté d'élaborer des règles dans un domaine où la prise en charge de l'intérêt général suppose l'acceptation de contraintes supérieures à la somme des intérêts individuels ".
Vous allez aussi certainement discuter des différentes architectures qui pourraient améliorer et " chapeauter " le système actuel.
Je crois qu'il nous faut être à la fois ambitieux et réaliste.
Dans l'absolu nous pourrions espérer voir se mettre en place des systèmes centralisés comme l'OMC, ou des systèmes hiérarchisés comme le Conseil de sécurité, capables de décider de sanctions.
De tels modèles me semblent aujourd'hui hors d'atteinte. Il faut, je crois privilégier des modèles fondés avant tout sur la coopération.
C'est en tout cas ce que fera la France en continuant à promouvoir, avec d'autres pays qui partagent nos convictions, la mise en uvre d'une Organisation des Nations-unies pour l'Environnement. Je ne doute pas que vos débats alimentent avantageusement notre réflexion sur ce sujet.
Monsieur le président, je voudrais conclure mon propos sur une note d'optimisme.
Qui aurait dit il y vingt ans qu'il y aurait un jour un tribunal pénal international ou une Organisation mondiale du commerce ?
De son côté la France s'apprête dans les semaines à venir à modifier sa Constitution pour lui adosser une charte de l'environnement, élevant ainsi la protection de l'environnement au plus haut niveau de notre droit, comme ce fut le cas autrefois pour les droits de l'homme puis pour les droits sociaux.
Enonçant ce devoir de protection, la charte de l'environnement reconnaît la responsabilité de chacun à l'égard de l'environnement. Ce faisant, notre pays souhaite résolument s'inscrire dans l'avenir et faire uvre de développement durable.
L'Europe évolue aussi : l'article 3 du projet de constitution européenne stipule que les objectifs de l'Union sont " d'uvrer pour le développement durable de l'Europe " fondé sur une économie qui tend à " un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement ".
Il nous faut donc garder le cap !
L 'amélioration de la gouvernance internationale de l'environnement est un immense chantier qui prendra du temps. Mais j'ai confiance que l'évidence des enjeux et la nécessité du changement finiront par s'imposer à tous.
Je vous remercie.
(Source http://www.environnement.gouv.fr, le 16 mars 2004)