Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière dans "Lutte ouvrière" les 2, 9, 16, et 23 février 2003 sur la condamnation d'Alain Juppé, sur le vote d'extrême gauche aux élections régionales 2004, et sur la fermeture d'Air Littoral.

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

Le 2 février 2004
JUPPÉ CONDAMNÉ PAR UNE LOI QU'IL A FAIT VOTER
Dans la guerre qu'il livre aux catégories les plus pauvres de la population, le gouvernement ne laisse passer aucune occasion. Le remplacement de diverses prestations familiales par la PAJE (prestation d'accueil du jeune enfant) va se traduire pour des milliers de femmes vivant déjà avec de très faibles ressources (les 530 euros mensuels garantis par l'Allocation pour parent isolé) par une perte de 1300 euros dans les huit mois entourant la naissance de leur enfant, soit 30% de leurs revenus en moins durant cette période. Par contre, les familles les plus riches percevront 180 euros de plus par mois et quand elles emploient une nurse pour s'occuper de leurs enfants, elles continueront à bénéficier d'une réduction d'impôt pour emploi de personnel à domicile.
Pour le ministre des Affaires sociales, ce hold-up sur les ressources des mères les plus déshéritées ne serait qu'un "point de détail". En tout cas, le cas Juppé a plus intéressé la grande presse que le sort de ces mères qui n'ont pourtant, elles, commis aucun délit !
On a rarement entendu un tel concert de louanges adressé à un homme condamné pour des faits dont personne n'ose nier la réalité. "Un homme courageux... un homme d'honneur... un homme dont la France a besoin"... L'ironie de l'histoire, c'est que Juppé a été condamné par des juges qui ont simplement appliqué une loi que fit voter le gouvernement Balladur... auquel ce même Juppé appartenait, et que tous les ténors du parti gaulliste se sont empressés de critiquer une décision de justice... ce qui, depuis une loi due à de Gaulle, est en principe un délit !
Que Juppé soit "honnête", c'est-à-dire n'ait pas retiré d'avantage personnel de cette affaire d'emplois fictifs, offerts par la ville de Paris et des entreprises privées à des cadres du RPR, est secondaire. Car ce que cette affaire montre, comme celles qui avaient éclaboussé le Parti Socialiste en son temps, c'est l'emprise de l'argent sur la vie politique.
Nous vivons dans un pays qui se veut une "démocratie". C'est évidemment mieux qu'un régime de dictature. Mais cette prétendue démocratie n'est qu'un paravent, derrière lequel se dissimule la toute puissance du grand capital. La bourgeoisie possède ou contrôle tous les grands moyens d'information. Elle a à son service des armées de prétendus spécialistes dont le métier consiste à fabriquer l'opinion dans le sens qui convient le mieux aux possédants. Mais aussi des partis qui défendent ses intérêts, et à qui elle offre en retour les moyens de monopoliser la vie politique.
Ce sont les électeurs qui décident, nous dit-on hypocritement. Mais aucun travailleur, aucune organisation ouvrière indépendante des puissances d'argent, ne peut rivaliser à armes égales, dans une compétition électorale de quelque importance, avec les partis qui représentent les intérêts des classes dominantes.
Il y a quelques années, à la suite de la multiplication "d'affaires" trop criantes, la loi a hypocritement interdit les subventions ouvertes des entreprises aux partis politiques, et a mis en place un financement "public" (dans lequel la droite et le Parti socialiste se sont réservé la part du lion). Mais cela n'a évidemment pas empêché les vieilles pratiques, l'aide indirecte des grandes entreprises aux partis politiques de leur choix, les commissions versées à la suite de marchés juteux, ou l'utilisation des moyens que donne la gestion d'une grande ville ou d'une région, de continuer. Pour les classes riches, ces miettes redistribuées aux partis qui les servent ne sont rien en comparaison des cadeaux que les dirigeants politiques du pays leur font : les innombrables mesures prises pour permettre à la bourgeoisie de s'enrichir toujours plus au détriment des travailleurs en sont la preuve.
Mais puisque nous allons bientôt être appelés à voter pour décider qui, de la droite ou de la gauche plus ou moins plurielle, gérera dans les conseils régionaux les intérêts de la bourgeoisie, servons- nous du bulletin de vote pour faire le seul geste utile possible, pour dire que nous ne sommes pas dupes et que nous sommes de plus en plus nombreux à être déterminés à vouloir chambouler ce régime.
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 4 février 2004)
09/02/2004
CHOISIR LE SEUL VOTE QUI PEUT FAIRE MAL A LA FOIS AU GOUVERNEMENT ET AU PATRONAT !
Le 9 février, le ministre de la santé a lancé le coup d'envoi de ce qui est présenté comme une "réforme" de la Sécurité sociale. Mais après la "réforme" du régime des retraites, qui a abouti à allonger la durée de cotisations nécessaire pour percevoir une retraite plus faible, et la "réforme" des allocations de chômage qui s'est traduite globalement par une diminution du montant des allocations et de la durée pendant laquelle elles sont versées, il est évident que sous prétexte de "sauver" la Sécurité sociale, le gouvernement se prépare à réduire encore les prestations versées aux assurés. D'ailleurs, avant même que cette prétendue réforme soit mise en route, l'annonce du dé-remboursement de plusieurs centaines de médicaments a bien montré dans quel sens s'orientent Chirac, Raffarin et Mattei : se donner les moyens de puiser encore plus largement dans les caisses de la Sécurité sociale pour faire des cadeaux au patronat, sous forme d'exonérations de charges sociales, et offrir en même temps aux assurances privées le moyen de faire du profit en plaçant des assurances complémentaires. Et tant pis pour la fraction la plus pauvre de la population, celle qui aujourd'hui, bien souvent, n'a même pas de quoi cotiser à une mutuelle, et qui verra demain ses possibilités d'accès aux soins encore plus amputées.
L'approche des élections régionales de mars, puis européennes de juin, ne freine même pas le rythme des attaques contre la classe ouvrière, parce que Chirac et ses ministres savent bien qu'ils ne pourront pas compter sur le soutien des classes populaires, et s'emploient au contraire à plaire à l'électorat traditionnel de la droite, réactionnaire et anti-ouvrier. Et c'est vrai que ces élections seront une occasion, pour les travailleurs, d'exprimer leur rejet de cette politique directement dirigée contre eux.
Mais peut-on vraiment exprimer ce rejet en votant pour une liste présentée par la "gauche plurielle", ou par l'une de ses composantes, alors que Chirac et Raffarin ne font que poursuivre la politique qui a été celle de la gauche durant les quinze années où elle a dirigé le gouvernement entre 1981 et aujourd'hui. Car on ne peut pas oublier que c'est un gouvernement socialiste, celui de Mauroy, qui a inventé le "forfait hospitalier" ; comme c'est dans le cabinet de Martine Aubry, ministre socialiste de la santé, qu'ont été préparées les mesures de dé-remboursement que Mattei applique aujourd'hui.
Il n'y a qu'un seul vote qui permettra d'exprimer une condamnation conséquente des mesures anti-ouvrières qui se succèdent sans interruption. C'est le vote pour les listes présentées par Lutte ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire, parce qu'elles constituent la seule opposition véritable, non seulement au gouvernement, mais aussi au patronat. La seule qui revendique l'arrêt des subventions à fonds perdus aux entreprises, la hausse des impôts sur leurs bénéfices comme sur les grandes fortunes, et la création par l'État, avec l'argent ainsi dégagé, des milliers d'emplois qui font cruellement défaut dans les hôpitaux, les maisons de retraite, l'enseignement, etc. pour maintenir à un niveau satisfaisant tous les services publics et pour construire les centaines de milliers de logements bons marché absolument nécessaires.
Les partis de l'ex-gauche plurielle n'osent même pas dire que s'ils revenaient demain au gouvernement, ils annuleraient toutes les mesures prises aujourd'hui par l'équipe Chirac-Raffarin. Parce que, comme ces derniers, ils n'ont pas d'autre ambition que d'être admis à gérer les affaires des capitalistes.
Ne parlons même pas du faux opposant qu'est le démagogue Le Pen : dans le domaine du chômage, de la durée du travail, de la Sécurité sociale, sa politique c'est de faire la même chose que Raffarin, en pire si c'est possible.
Le seul vote qui montrera clairement que grandit le nombre des travailleurs qui veulent défendre les intérêts de leur classe, ce sera le vote pour les listes présentées par Lutte ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire.
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 13 février 2004)
Le 16/02/2004

LE VOTE POUR L'EXTREME-GAUCHE, SEUL MOYEN DE CONDAMNER CLAIREMENT, LE 21 MARS, LA POLITIQUE DU GOUVERNEMENT ET DU PATRONAT
Le gouvernement vient de mettre en chantier ce qu'il appelle une "réforme de la Sécurité sociale", destinée d'après-lui à la "sauver". Bien qu'il prétende n'être engagé que dans une phase de "concertation", on sait d'avance ce qu'il compte faire : réduire une fois de plus les remboursements, et augmenter encore le taux de la CSG, impôt d'autant plus injuste qu'il n'est pas progressif, et frappe de la même manière les smicards et les millionnaires.
Au même moment, Sanofi-Synthélabo, un des requins géants de l'industrie pharmaceutique française, a lancé une opération visant à prendre le contrôle d'un autre prédateur poids lourd de l'industrie pharmaceutique, Aventis (nourri lui-même de l'absorption de Roussel, Rhône-Poulenc, Hoechst, et quelques autres gros poissons).
Et puisque les actionnaires d'Aventis sont sollicités pour le rachat de leurs actions à un prix supérieur au marché, Sanofi-Synthélabo s'emploie à les séduire, en se vantant d'avoir une rentabilité de 24 à 25 % contre seulement 15 % pour Aventis. C'est tout de même nettement mieux que la caisse d'épargne ! Il est vrai qu'en 1998, au moment de sa fusion avec Sanofi, Synthélabo se vantait d'avoir augmenté, au cours des dix années précédentes, son chiffre d'affaire de 320% et ses profits de 1700% : les profits avaient donc augmenté cinq fois plus que le chiffre d'affaires.
D'ailleurs, Sanofi-Synthélabo affirme qu'il peut mettre sur la table 53 milliards d'euros (cinq fois le chiffre du prétendu "trou abyssal" de la Sécurité sociale) pour prendre le contrôle de son concurrent. Mais d'où provient cet argent, si ce n'est des médicaments et pour l'essentiel des caisses de la Sécurité sociale ?
Diminuer les possibilités d'accès aux soins pour la fraction la plus pauvre de la population, tout en permettant aux gros actionnaires de s'enrichir effrontément aux dépens des cotisations des travailleurs, voilà le programme qu'appliquent dans les faits Chirac et Raffarin. Mais c'est dans tous les domaines que le gouvernement mène cette politique destinée à permettre aux plus riches de s'enrichir encore plus sur le dos de la population laborieuse, car l'industrie pharmaceutique n'est qu'un exemple.
La "réforme" de la Sécurité sociale qu'on nous annonce ne sera qu'une phase de plus de l'offensive menée sans relâche par le gouvernement et le patronat contre la population laborieuse, après les attaques contre les retraites et les chômeurs.
Les élections régionales de mars prochain constitueront une occasion de condamner cette politique. Il ne faut pas la laisser passer. Mais voter pour une liste de l'ex-gauche plurielle, afin d'exprimer notre dégoût de la politique de la droite, serait une démarche de dupes, car le Parti Socialiste, quand il était au gouvernement, a mené lui aussi une politique en faveur des possédants. Bien des mesures appliquées aujourd'hui par la droite ont été préparées dans les cabinets du gouvernement Jospin. Et aujourd'hui, alors qu'il est dans l'opposition, le Parti socialiste n'ose même pas s'engager à annuler purement et simplement, s'il revient au pouvoir, les mesures prises par Chirac et Raffarin, pas plus qu'il n'avait annulé, sous Jospin, la décision de Balladur de porter à quarante années la durée de cotisations nécessaires pour prendre sa retraite à taux plein.
C'est parce que le gouvernement de l'ex-gauche plurielle a profondément déçu les travailleurs que le Parti socialiste et le Parti Communiste ont perdu quatre millions d'électeurs à l'élection présidentielle de 2002. Et aujourd'hui nous n'avons aucune raison d'absoudre ces partis pour leur politique passée, d'autant qu'ils ne la regrettent même pas.
Les seules listes qui permettront, dans les élections qui viennent, de condamner clairement la politique que mènent aujourd'hui Chirac et Raffarin, sans avoir l'air d'approuver celle qui amena Jospin et le Parti socialiste au naufrage électoral des présidentielles, les seules qui s'opposent non seulement au gouvernement mais aussi au patronat, ce sont les listes présentées en commun par Lutte ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire.
5Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 18 février 2004)
Le 23 février 2004

IL FAUT SUPPRIMER LE SECRET DES AFFAIRES !
La compagnie Air Littoral vient d'être ajoutée à la longue liste des entreprises qui ferment. Elle jette à la porte tout son personnel, des ouvriers aux pilotes, en passant par les hôtesses de l'air. Du ministère des Transports au conseil régional de Languedoc-Roussillon et au dernier en date des prétendus repreneurs, tout ce beau monde a lanterné les travailleurs de l'entreprise jusqu'au dernier moment pour finir par leur annoncer brutalement la nouvelle.
Mais, bien avant que l'entreprise ferme, ses actions sont passées de main en main, des sociétés d'aviation mais aussi des affairistes financiers détenant successivement la majorité des actions. Et l'on peut supposer que tous ceux qui ont acheté puis revendu des actions d'Air Littoral se sont sucrés au passage. Mais on ne peut que le supposer car toutes ces manipulations financières ont été couvertes par le secret des affaires. Et, évidemment, les travailleurs d'Air Littoral n'ont jamais été avertis du pourquoi de ces opérations financières alors, pourtant, que c'est eux qui allaient en payer la note.
Et l'histoire d'Air Littoral ne fait que reproduire celle d'Air Lib dont la société du baron Seillière était l'actionnaire majoritaire avant qu'il revende ses actions, précipitant la ruine de cette entreprise et aboutissant, il y a un an, au licenciement de ses 4200 travailleurs, dont la majorité n'a pas retrouvé un emploi depuis.
Ce même baron Seillière qui a joué ainsi avec l'emploi et la vie des travailleurs d'Air Lib a osé déclarer, la semaine dernière, qu'il trouvait "scandaleuse" la grève des contrôleurs aériens. Pour cet homme, ruiner la vie de milliers de personnes, c'est normal, c'est dans l'ordre des choses. Mais qu'une catégorie de travailleurs ose se servir de la grève, la seule arme dont ils disposent, pour se défendre, c'est scandaleux.
Mais, à côté d'Air Littoral ou d'Air Lib, combien de grandes entreprises licencient, suppriment des emplois, ferment des usines entières ou délocalisent, sans que les travailleurs de ces entreprises, sans que la collectivité, aient leur mot à dire ?
Ces grandes entreprises exercent un pouvoir exorbitant sur l'économie et, par là-même, un pouvoir de vie ou de mort sur le sort de leurs travailleurs et sur le sort de toute une ville ou de toute une région.
C'est un pouvoir dictatorial tout à fait légal, protégé par la Constitution et les lois. L'État reconnaît aux grandes entreprises le droit de placer et de déplacer leurs capitaux au gré de leurs spéculations sans se préoccuper du coût social de leurs décisions. Pire, il les aide financièrement, soit directement par des subventions, soit indirectement par des dégrèvements d'impôt et par des allégements de charges sociales. C'est en raison de ces cadeaux au grand patronat qu'on creuse le trou de la Sécurité sociale et qu'on pousse au déficit le budget de l'État. Et on nous dit après qu'il n'y a pas d'argent pour les hôpitaux ou pour les écoles et que les assurés doivent accepter d'être plus mal remboursés pour combler le déficit de la Sécurité sociale !
Les élections régionales permettront à l'électorat populaire de dire qu'il n'est pas d'accord avec cette politique qui est poursuivie cyniquement par le gouvernement de droite, après avoir été poursuivie hypocritement par le gouvernement socialiste.
Voter pour les listes LO-LCR, c'est aussi affirmer que l'activité des grandes entreprises résulte du travail de milliers de travailleurs et concerne l'ensemble de la collectivité et qu'en conséquence, il serait normal que la collectivité puisse les contrôler et connaître le pourquoi de leurs choix. Et, cela non pas lorsqu'il est trop tard, non pas lorsque le couperet tombe et que les travailleurs se retrouvent à la porte, mais lorsque les décisions sont prises, souvent un ou deux ans avant ! Il faut supprimer le secret des affaires pour que la population puisse constater que les licenciements collectifs ne sont jamais justifiés et qu'il est possible de faire d'autres choix, moins profitables pour les actionnaires, mais qui permettent de mettre fin au chômage au lieu de l'aggraver.
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 24 février 2004)