Texte intégral
France 2 le 21 juin 2005
Q- La CGT appelle aujourd'hui à une grande journée d'action pour la défense de l'emploi et des services publics. Le problème est que vous êtes un petit peu seul, puisque la plupart des autres syndicats, eux, préfèrent continuer à négocier avec J.-L. Borloo. N'avez-vous pas dégainé un petit peu vite au risque de vous trouver très isolé ?
R- Je crois que le Gouvernement a dégainé très rapidement, à la fois sur le contenu des mesures annoncées par le Premier ministre dans son discours de politique générale à l'Assemblée nationale, et à la fois, par la procédure utilisée...
Q- Le Gouvernement disait : "il y a urgence pour trouver des solutions au problème de l'emploi".
R- Oui, bien sûr, mais personne ne peut penser qu'avec les mesures annoncées par Monsieur de Villepin, s'agissant d'une plus grande précarité dans l'emploi - parce que c'est à cela que conduisent les mesures annoncées, que toutes les organisations syndicales contestent et les masses financières de nouveau consacrées à l'aide à l'emploi détenues par les entreprises - personne ne peut penser que cela va résoudre ou que cela va infléchir la courbe du chômage. Et, en plus, sur la procédure, de nous annoncer que c'est par ordonnance que l'on va contourner les organisations syndicales, puisque tout doit être bouclé le 1er septembre, c'est la raison qui nous amène, pour ce qui nous concerne, à considérer, qu'effectivement, il y a urgence, il y a un défi qui nous est posé par le Gouvernement. Raison pour ne pas laisser le temps à ce que les décisions soient prises et que nous soit reproché éventuellement le fait de ne pas avoir fait ce qu'il fallait, en temps et en heure. Nous nous sommes mobilisés durant toute l'année 2005 sur les questions d'emploi et de pouvoir d'achat, et vous vous souvenez sans doute qu'en janvier, en février, le 10 mars, plusieurs millions de salariés se sont exprimés ; le 16 mai, le lundi de Pentecôte, a été très contesté à partir du principe du jour de travail gratuit. Quelque part, le 29 mai, le référendum sur le projet constitutionnel a aussi montré le large mécontentement social sur les politiques nationale et européenne mises en uvre. Ce n'est certainement pas pour accepter comme argent comptant de nouvelles mesures destinées à précariser davantage la situation faite aux salariés.
Q- Mais cela n'aurait-il pas été plus efficace que les syndicats se mettent d'accord pour une action unitaire ? Pourquoi y allez-vous tout seuls ?
R- Bien sûr. C'est la raison pour laquelle nous avions proposé une rencontre intersyndicale immédiatement après la consultation du 29 mai, notamment lorsque nous avons entendu dans les rangs de la majorité parlementaire, des appels à accélérer la cadence et à intensifier des réponses de nature libérale. La précarisation du travail devant être la solution au chômage. Nous contestons cette approche ! Ce n'est pas par une plus grande précarité que le chômage va se résoudre, bien au contraire.
Q- Regrettez-vous quand même de ne pas être suivis par FO, par la CFDT ?
R- Je regrette surtout que nous n'ayons pas été en capacité - ce n'est pas la première fois malheureusement... Nous sommes, à la fois, dans une situation de fort mécontentement social, et encore, de nouveau, dans une situation de forte division syndicale. Ce n'est pas une situation normale dans un pays comme la France. Nous prenons nos responsabilités pour peser sur les décisions gouvernementales, mais bien évidemment, nous ne nous résoudrons pas à cette division. Et si d'autres organisations souhaitent envisager d'autres initiatives, y compris à la rentrée, nous serons partants. Mais je pense qu'il est aujourd'hui déjà nécessaire de se mobiliser. C'est l'objet de la journée qui va avoir plusieurs dizaines de rassemblements, avec de la revendication, avec aussi de la musique, et parfois des pique-niques pour tenir compte de la météo.
Q- Vous parlez de "précarité", le Gouvernement, lui, parle de "souplesse", et il dit : "il vaut mieux de la souplesse que du chômage, parce que la vraie précarité, c'est le chômage".
R- Oui, mais démonstration est faite que, plus on a précarisé le travail, moins cela avait d'influence sur le chômage. Regardons la réalité de C qu'est la situation des salariés. Une majorité des offres d'emploi aujourd'hui est déjà caractérisée comme étant du temps partiel, des contrats à durée déterminée. Bref, une précarité qui ne cesse de croître dans le travail. Et lorsque l'on nous propose aujourd'hui "un nouveau contrat d'embauche" avec une période d'essai de deux ans - c'est ce qui est annoncé par le Gouvernement -, c'est-à-dire, deux ans pendant lesquels l'employeur n'a aucune raison à présenter pour justifier le licenciement d'un salarié. Et on ne nous fera pas croire...
Q- J.-L. Borloo a l'air de dire que cela pourrait être renégocié tout cela...
R- Le Gouvernement est en train, peut-être, de prendre conscience que la nature de ses annonces a provoqué de grandes critiques parmi les organisations syndicales, parce que toutes les organisations syndicales ont critiqué les dispositions proposées. Il est donc en train de chercher si il n'y a pas à atténuer la portée de certaines mesures. C'est la raison pour laquelle...
Q- Il dit que "cela pourrait être amélioré" en tout cas.
R- C'est depuis, surtout, le moment où l'on reparler de mobilisation et de pression sur le Gouvernement qu'il ne s'en tient pas simplement aux annonces. Mais j'ai quand même l'impression pour l'instant que tout cela repose sur une grande improvisation dans l'approche qui est celle du Gouvernement.
Q- Quelle amélioration, pour vous, pourrait rendre acceptable ce contrat nouvelle embauche ?
R- Il est hors de question de toute façon pour nous d'accepter le principe d'installer des salariés à l'essai durant deux ans, c'est-à-dire, encore une fois, de les rendre corvéables et victimes du seul bon vouloir de l'employeur, en faisant supporter l'incertitude économique sur les seuls salariés. Il n'y a aucune raison que les incertitudes économiques reposent sur les seuls salariés. C'est la raison pour laquelle nous ne voulons pas réintroduire de nouveau droit social dans les termes qui sont proposés par le Gouvernement.
Q- Les employeurs justement, eux, disent qu'il y a trop de contraintes, et c'est cela qui nous empêche d'embaucher ; plus de souplesse, cela fera plus d'embauche".
R- D'ailleurs, c'est significatif, parce que, quand vous écoutez la plupart des employeurs ou des organisations patronales : ils apprécient la nouvelle mesure, non pas comme étant susceptible de créer de l'emploi, ils apprécient la mesure, parce qu'elle leur permettrait éventuellement, elle leur permettra surtout, de pouvoir licencier plus facilement. On voit bien que cela n'est donc pas une mesure destinée à l'emploi, c'est une mesure plutôt destinée à flexibiliser les sorties et faciliter les sorties de l'emploi.
Q- Oui, mais ils disent que, si on licencie plus facilement, on est incité à embaucher plus facilement ?
R- Oui, c'est exactement ce que l'on dit depuis 20 ans. Or aujourd'hui, il y a 80 % des licenciements qui sont prononcés sans dispositions particulières, il n'y a pas de plan social, il n'y a pas de mesures d'accompagnement, il n'y a aucune sécurité pour les salariés. Le système d'indemnisation du chômage s'applique en matière de droits sur 40 % des chômeurs. 60 % des chômeurs n'ont pas de droits, ou les entreprises sont responsables de leurs actes et de leurs choix, mais ont des droits qui sont organisés, pris en charge par la collectivité publique, par l'Etat, et donc le contribuable. Ce n'est donc pas un système aussi protecteur qu'on le dit. Et plus la précarité a progressé, plus le chômage a suivi une courbe parallèle.
Q- Il y a des pays où cette souplesse, ça fonctionne. Par exemple, en Angleterre, il y a 5 % de chômeurs. Cela ne vaut-il pas le coup d'essayer en France ?
R- Oui, en s'accordant à considérer que les 5 %, statistiques officielles, masquent une réalité sociale qui est beaucoup plus critiquable. Mais chaque pays a ses propres statistiques. Je retiens que les barèmes ne sont pas comparables. Si l'on veut faire des comparaisons européennes - on a cité le Danemark, d'autres pays nordiques -, je crois qu'il y a déjà à prendre en compte la réalité du tissu industriel, du tissu des activités, il y a à prendre en compte la réalité démographique de chacun des pays - la France est un pays plus âgé que ne l'est le Danemark. Mais surtout, si l'on veut des systèmes plus protecteurs, il faut aussi accepter de mettre les moyens financiers correspondants. Le Danemark a une politique fiscale qui met le niveau d'imposition beaucoup plus élevé qu'en France.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 juin 2005)
la Nouvelle Vie Ouvrière du 24 Juin 2005
Le Premier ministre a fait connaître ses intentions. Répondent-elles aux attentes exprimées à l'occasion de la campagne pour le référendum sur le traité constitutionnel ?
Non ! Immédiatement après le référendum du 29 mai, c'est le changement des postes ministériels qui a dominé l'actualité. Le discours de politique générale du nouveau Premier ministre l'a vite confirmé. Ce gouvernement est à mille lieues des attentes qui se sont exprimées depuis des mois, en particulier dans le domaine social et pour cause. La majorité de droite a fait le choix de privilégier le meilleur dispositif politique pour les prochaines échéances électorales. Le président de l'UMP est ainsi consacré ministre de l'Intérieur et pratiquement vice-Premier ministre.
Une concertation s'est ouverte la semaine dernière sur le volet emploi des propositions gouvernementales. Le gouvernement consulte les organisations syndicales après avoir annoncé les mesures. N'est-ce pas une conception originale du dialogue social ?
Les premiers actes de ce nouveau gouvernement sont totalement inacceptables. C'est en particulier vrai de ce qu'il appelle le dialogue social avec les organisations syndicales. Le nouveau Premier ministre s'est lancé dans un exercice de communication et rien d'autre, en organisant sous l'objectif des caméras des rencontres avec les organisations syndicales le lundi précédent son discours de politique générale. Naturellement nous avons insisté sur le sens des attentes des salariés et les domaines sur lesquels il nous semblait que le gouvernement devait prendre le temps de la confrontation des analyses pour répondre à la crise sociale. Nous souhaitions une grande négociation sur les principaux sujets économiques et sociaux. Nous avons demandé en particulier de pouvoir nous exprimer sur la nature des choix budgétaires de 2006 qui seront arbitrés pendant l'été sur les mesures en matière de politique fiscale, de structure du budget, sur la nature et le niveau des dépenses publiques qui structurent l'avenir du pays Elles témoignent des engagements ou des renoncements de l'État dans plusieurs grands domaines comme la formation, la recherche, l'éducation Lors de cette rencontre du lundi 6 juin, nous n'avons pas pu connaître le plus petit début d'orientation du discours qu'allait prononcer le Premier ministre 48 heures plus tard. C'est par ce discours que nous avons découvert une série de dispositions, naturellement présentées sous le label de la priorité à l'emploi, qui donnent pour l'essentiel, grande satisfaction aux seules organisations patronales. Elles consistent principalement à rendre le marché du travail plus flexible en fragilisant les salariés et à remettre davantage d'argent public dans l'escarcelle des entreprises. Pourtant la démonstration est maintenant évidente, les sommes allouées au nom de l'emploi ont été multipliées par dix en dix ans, le chômage et la précarité n'ont jamais été aussi élevés. Sur le fond comme sur la forme, ces réponses interviennent à contresens des messages exprimés depuis des semaines au travers des mobilisations syndicales et du référendum. Le gouvernement démontre une nouvelle fois qu'il refuse de tenir compte de l'avis des électeurs, et voudrait installer un climat de renoncement et de fatalité. Il alimente ainsi une crise sans précédent pour notre pays. C'est une période à bien des égards dangereuse pour notre démocratie et le fonctionnement de nos institutions.
Gérard Larcher vous a malgré tout reçu en début de semaine pour connaître votre opinion sur les mesures pour l'emploi annoncées par le Premier ministre ?
Je remarque que la décision de recevoir les organisations syndicales au ministère du Travail a fait suite à l'annonce de notre mobilisation du 21 juin. La réunion du vendredi 17 juin au ministère confirme que le gouvernement est face à ses propres contradictions, il peine à démontrer l'efficacité et le bien fondé des mesures Villepin, qu'il s'agisse du contrat nouvelle embauche, du chèque emploi, des nouvelles exonérations de cotisations sociales. Il entretient le flou sur la mise en uvre concrète et se réserve pour les ordonnances qui seront prises cet été. Cela donne l'impression d'une équipe gouvernementale évoluant dans une gigantesque improvisation. Une seule certitude dans ses choix : la parole des organisations patronales pèse infiniment plus que les voix syndicales.
Cette situation ne renforce-t-elle pas la responsabilité du syndicalisme ?
C'est notre avis. Compte tenu de la place prise par les questions sociales dans le débat du référendum, nous avons immédiatement proposé que les organisations syndicales se concertent sur cette situation inédite. Les faits, depuis, nous ont donné raison. Loin d'abandonner, le gouvernement, par la nature des réponses apportées, continue de vouloir imposer des réformes très négatives pour les salariés. Nous l'avions vu venir et cela justifiait des initiatives unitaires dans la lignée de celles décidées en janvier, février et mars dernier.
C'était aussi un moyen de pression sur les rendez-vous de négociation : le 10 juin sur les salaires dans les branches professionnelles, le 21 juin sur la pénibilité du travail ou encore le 24 juin sur l'emploi des seniors. Les autres syndicats ont refusé une rencontre centrale ; nous avons accepté de les rencontrer séparément. Nous leur avons dit qu'il ne fallait pas donner de temps au temps, sauf à prendre le risque de laisser le gouvernement libre de décider tout et n'importe quoi durant l'été.
Le fait que la Cgt mobilise seule le 21 juin, n'est-il pas déjà un mauvais signe ?
Au moins deux organisations, Fo et la Cfdt, ne peuvent pas dire qu'en décidant de la mobilisation du 21 juin nous les avons mis devant le fait accompli. Avant d'arrêter notre décision, le jour même du discours de politique générale, nous les avons informés de notre intention de rechercher rapidement un moment d'action unitaire, surtout si le Premier ministre s'attaquait au droit du travail. On sait ce qu'il est advenu. L'une et l'autre, pour des motifs futiles, ont choisi la critique sans l'action, Fo renvoyant plutôt sur un rendez-vous à la rentrée. C'était faire peu de cas de la procédure et du calendrier annoncé par le gouvernement. Il entend procéder par ordonnances avec l'objectif de tout boucler pour le 1er septembre. Dans cette situation, il nous est apparu indispensable de ne pas laisser ce processus s'installer sans donner aux salariés l'occasion d'exprimer leur désaccord.
Nous avons eu raison d'appeler à la mobilisation le 21 et il y aura des suites que j'espère plus unitaires. La manière la plus efficace de s'opposer à ces nouvelles dispositions consiste à porter partout les revendications, comme nous l'avons fait depuis le début de l'année, qu'il s'agisse de l'emploi et de la nature des emplois, du pouvoir d'achat, des salaires et des retraites, de la défense des services publics. Pour ce faire, nous entendons nous saisir de toutes les opportunités. C'est en mobilisant autour des revendications que l'on pourra obliger le gouvernement à revoir ses copies.
Des divergences se sont fait jour dans la Cgt sur la position à adopter pendant la campagne pour le référendum. Ne risquent-elles pas de perdurer ?
Le débat dans le syndicat, principalement entre responsables, a plus porté sur la nature de la contribution syndicale pour cette consultation que sur l'appréciation que les uns et les autres pouvaient porter sur le projet de traité constitutionnel. Fait politique important, cette consultation a été marquée par une très forte participation. Dès lors que les Français estiment avoir l'occasion de peser sur des choix qui concernent leur propre avenir, la mobilisation est au rendez-vous. Le deuxième enseignement porte sur ce qu'ont exprimé plus particulièrement les salariés. Que l'on prenne les salariés du public ou ceux du privé, quelle que soit la tranche d'âge, de 18 à 60 ans, le Non a été majoritaire, voire très majoritaire chez les ouvriers, les employés, les chômeurs. La population active, celle qui va entamer sa vie professionnelle, celle au travail, au chômage ou dans une situation de précarité d'emploi, a fait le choix du Non. Le même constat prévaut lorsque l'on compare les résultats aux sympathies syndicales. Une majorité des salariés sympathisants des trois principales confédérations syndicales du pays ont voté Non.
Dans le camp du " NON " bien sûr, mais aussi dans celui du " OUI ", se sont exprimées des attentes sociales. Comment comptez-vous les rassembler pour offrir un débouché aux revendications sociales en France et en Europe ?
Nous ne voulons pas nous tromper de grille d'analyse. C'est vrai en France, ça l'est également en Europe. On ne peut s'en tenir à un simple décompte mathématique pour identifier ceux des électeurs qui seraient satisfaits ou pas de la situation sociale. Autrement dit, nous ne devons pas considérer que seuls 55 % des Français seraient mécontents au plan social et 45 % satisfaits. Nous avons abordé cette question à l'occasion du comité exécutif de la CES. Cela reviendrait à considérer que les salariés des dix pays qui ont ratifié le traité sont, par principe, heureux de leur sort. Parmi ceux qui ont fait le choix d'approuver le projet de traité, certains l'on fait aussi avec l'espoir que la constitution proposée contribue à améliorer la situation sociale. Une partie d'entre eux peut facilement se retrouver dans des mobilisations de caractère syndical. Nous devons travailler au rassemblement de tous les salariés pour changer leur quotidien, obtenir des réponses concrètes et immédiates.
Vous avez participé mi-juin au comité exécutif de la Confédération européenne des syndicats (CES). Quelle analyse fait-il de la situation ?
Nous avons eu une très longue discussion, la situation le justifiait. Les deux référendums qui ont fait événement en Europe, la France et les Pays-Bas, ont mis en évidence une crise de la construction européenne. Elle se trouve confirmée par l'échec du sommet des chefs d'États et de gouvernements. Le choix des salariés de deux pays importants de refuser le traité suscite la réflexion des syndicalistes européens. Nous avions besoin d'analyser, de bien comprendre ce qui s'est passé. Ce temps de réflexion était d'autant plus nécessaire que la CES n'a pas caché son soutien au projet de traité. Dans le même temps, ces résultats témoignent, selon la CES elle-même, d'un rejet de la politique néo-libérale et des menaces sur les normes sociales. C'est aussi la conséquence d'une construction européenne qui n'intègre pas suffisamment la dimension sociale dans ces objectifs. Ces critiques figuraient déjà dans l'avis formulé par son comité exécutif en 2004. Pour autant, le mouvement syndical européen est soucieux que la crise ouverte sur le traité ne débouche pas sur des réflexes nationalistes où les partis d'extrême droite racistes et xénophobes tireraient leur épingle du jeu. Nous préférons la recherche de réponses et de droits coordonnés en Europe à la mise en opposition de salariés s'affrontant sur des logiques nationales. J'ai suggéré que nous puissions prendre le temps d'un échange plus approfondi sur le projet européen lui-même Nous avons convenu d'un nouveau moment d'analyse à l'occasion d'une rencontre des premiers responsables des confédérations en juillet à Florence.
La Cgt prépare son congrès. Il se tiendra en avril prochain à Lille. Quelles sont, selon vous, les questions prioritaires à débattre ?
On rentrera dès septembre dans le vif de la préparation du congrès. Les instances de direction de la Cgt ont eu quelques échanges permettant de placer le développement de la Cgt comme fil rouge des débats. De cela découlent trois séries de questions à approfondir dans un contexte, à plusieurs égards, inédit. Il nous faut passer à une autre intensité de notre développement. C'est l'une des clés sur laquelle il nous faut agir avec plus de détermination et sans doute de précision. Nous nous étions fixé des objectifs d'adhésions ; le congrès sera l'occasion de les évaluer. Chaque mois qui passe, chaque lutte, nous montre combien il serait indispensable de pouvoir nous appuyer sur un plus grand nombre de syndiqués et d'entreprises comptant une présence Cgt. Il nous faut un développement rapide pour être plus efficaces et plus combatifs, gagner en pertinence dans nos propositions alternatives, dégager un nouvel âge pour la démocratie syndicale et sociale. Pour cela, il nous faut rediscuter de notre forme d'organisation, de nos modes de fonctionnement, de l'utilisation de nos moyens financiers Une deuxième série de questionnements portera sur l'environnement dans lequel nous assumons nos responsabilités syndicales. Depuis mars 2003, beaucoup de choses ont changé au plan politique, économique, en France et dans le monde, la situation sociale faite aux salariés ne s'est pas améliorée. S'agissant du paysage syndical, nous sommes toujours dans une phase ou l'unité syndicale à ses hauts et ses bas, mais ce qui domine est une extrême difficulté à peser ensemble de manière cohérente sur les événements.
La troisième série de questions concerne nos ambitions revendicatives. Il nous faut repréciser notre vision des garanties sociales auxquelles nous aspirons, réaffirmer l'ambition d'installer un nouveau statut du travail salarié. Nous devons en repréciser les termes pour que cela puisse motiver l'ensemble des mobilisations et des mouvements que nous voulons fédérer autour de cette notion de droit social renouvelé. Au nom du progrès d'aucuns voudraient instaurer l'individualisation des droits. Nous pensons au contraire que la liberté des salariés ne peut s'exercer que dans le cadre de droits collectifs développés.
Malgré quelques progrès, les syndiqués sont encore peu associés aux débats, aux orientations, aux décisions de la Cgt. À quoi cela tient-il ?
Des efforts réels sont faits, mais nous devons convenir que la démocratie est un exercice très exigeant pour tous les niveaux de la Cgt. Surtout si l'on ambitionne de faire de chaque syndiqué un acteur des décisions de l'organisation. La Cgt veut plus d'adhérents, plus d'adhérents acteurs du positionnement et de la réflexion stratégique de l'organisation. C'est encore plus difficile à organiser aujourd'hui. Le profil des entreprises s'est considérablement modifié et nos syndicats sont de plus petite taille qu'il y a 10 ou 15 ans. Nous dénombrons plusieurs dizaines de milliers de syndiqués dits isolés, c'est-à-dire sans structures syndicales adéquates leur permettant d'échanger, d'élaborer collectivement les revendications et de construire les mobilisations. Il nous faut être plus volontariste qu'hier pour permettre à chaque syndiqué d'être informé et de pouvoir intervenir en permanence. C'est la raison pour laquelle, parmi les premières décisions prises en vue du congrès, nous avons mis en place un collectif dont la mission principale a été de réfléchir à des dispositions visant à associer, à impliquer, le maximum de syndiqués. Nous visons une vaste consultation des syndiqués et aussi des salariés. Une démarche d'une ampleur inédite qui va nécessiter l'implication de toutes nos organisations. Il s'agit d'un effort considérable que nous avons à mener de front avec les batailles revendicatives qui s'annoncent intenses jusqu'au congrès d'avril prochain. Plus nous avancerons dans la préparation du congrès, plus nous préciserons le plan de travail pour sensibiliser les syndiqués par différents moyens.
(Source http://www.cgt.fr, le 28 juin 2005)
Q- La CGT appelle aujourd'hui à une grande journée d'action pour la défense de l'emploi et des services publics. Le problème est que vous êtes un petit peu seul, puisque la plupart des autres syndicats, eux, préfèrent continuer à négocier avec J.-L. Borloo. N'avez-vous pas dégainé un petit peu vite au risque de vous trouver très isolé ?
R- Je crois que le Gouvernement a dégainé très rapidement, à la fois sur le contenu des mesures annoncées par le Premier ministre dans son discours de politique générale à l'Assemblée nationale, et à la fois, par la procédure utilisée...
Q- Le Gouvernement disait : "il y a urgence pour trouver des solutions au problème de l'emploi".
R- Oui, bien sûr, mais personne ne peut penser qu'avec les mesures annoncées par Monsieur de Villepin, s'agissant d'une plus grande précarité dans l'emploi - parce que c'est à cela que conduisent les mesures annoncées, que toutes les organisations syndicales contestent et les masses financières de nouveau consacrées à l'aide à l'emploi détenues par les entreprises - personne ne peut penser que cela va résoudre ou que cela va infléchir la courbe du chômage. Et, en plus, sur la procédure, de nous annoncer que c'est par ordonnance que l'on va contourner les organisations syndicales, puisque tout doit être bouclé le 1er septembre, c'est la raison qui nous amène, pour ce qui nous concerne, à considérer, qu'effectivement, il y a urgence, il y a un défi qui nous est posé par le Gouvernement. Raison pour ne pas laisser le temps à ce que les décisions soient prises et que nous soit reproché éventuellement le fait de ne pas avoir fait ce qu'il fallait, en temps et en heure. Nous nous sommes mobilisés durant toute l'année 2005 sur les questions d'emploi et de pouvoir d'achat, et vous vous souvenez sans doute qu'en janvier, en février, le 10 mars, plusieurs millions de salariés se sont exprimés ; le 16 mai, le lundi de Pentecôte, a été très contesté à partir du principe du jour de travail gratuit. Quelque part, le 29 mai, le référendum sur le projet constitutionnel a aussi montré le large mécontentement social sur les politiques nationale et européenne mises en uvre. Ce n'est certainement pas pour accepter comme argent comptant de nouvelles mesures destinées à précariser davantage la situation faite aux salariés.
Q- Mais cela n'aurait-il pas été plus efficace que les syndicats se mettent d'accord pour une action unitaire ? Pourquoi y allez-vous tout seuls ?
R- Bien sûr. C'est la raison pour laquelle nous avions proposé une rencontre intersyndicale immédiatement après la consultation du 29 mai, notamment lorsque nous avons entendu dans les rangs de la majorité parlementaire, des appels à accélérer la cadence et à intensifier des réponses de nature libérale. La précarisation du travail devant être la solution au chômage. Nous contestons cette approche ! Ce n'est pas par une plus grande précarité que le chômage va se résoudre, bien au contraire.
Q- Regrettez-vous quand même de ne pas être suivis par FO, par la CFDT ?
R- Je regrette surtout que nous n'ayons pas été en capacité - ce n'est pas la première fois malheureusement... Nous sommes, à la fois, dans une situation de fort mécontentement social, et encore, de nouveau, dans une situation de forte division syndicale. Ce n'est pas une situation normale dans un pays comme la France. Nous prenons nos responsabilités pour peser sur les décisions gouvernementales, mais bien évidemment, nous ne nous résoudrons pas à cette division. Et si d'autres organisations souhaitent envisager d'autres initiatives, y compris à la rentrée, nous serons partants. Mais je pense qu'il est aujourd'hui déjà nécessaire de se mobiliser. C'est l'objet de la journée qui va avoir plusieurs dizaines de rassemblements, avec de la revendication, avec aussi de la musique, et parfois des pique-niques pour tenir compte de la météo.
Q- Vous parlez de "précarité", le Gouvernement, lui, parle de "souplesse", et il dit : "il vaut mieux de la souplesse que du chômage, parce que la vraie précarité, c'est le chômage".
R- Oui, mais démonstration est faite que, plus on a précarisé le travail, moins cela avait d'influence sur le chômage. Regardons la réalité de C qu'est la situation des salariés. Une majorité des offres d'emploi aujourd'hui est déjà caractérisée comme étant du temps partiel, des contrats à durée déterminée. Bref, une précarité qui ne cesse de croître dans le travail. Et lorsque l'on nous propose aujourd'hui "un nouveau contrat d'embauche" avec une période d'essai de deux ans - c'est ce qui est annoncé par le Gouvernement -, c'est-à-dire, deux ans pendant lesquels l'employeur n'a aucune raison à présenter pour justifier le licenciement d'un salarié. Et on ne nous fera pas croire...
Q- J.-L. Borloo a l'air de dire que cela pourrait être renégocié tout cela...
R- Le Gouvernement est en train, peut-être, de prendre conscience que la nature de ses annonces a provoqué de grandes critiques parmi les organisations syndicales, parce que toutes les organisations syndicales ont critiqué les dispositions proposées. Il est donc en train de chercher si il n'y a pas à atténuer la portée de certaines mesures. C'est la raison pour laquelle...
Q- Il dit que "cela pourrait être amélioré" en tout cas.
R- C'est depuis, surtout, le moment où l'on reparler de mobilisation et de pression sur le Gouvernement qu'il ne s'en tient pas simplement aux annonces. Mais j'ai quand même l'impression pour l'instant que tout cela repose sur une grande improvisation dans l'approche qui est celle du Gouvernement.
Q- Quelle amélioration, pour vous, pourrait rendre acceptable ce contrat nouvelle embauche ?
R- Il est hors de question de toute façon pour nous d'accepter le principe d'installer des salariés à l'essai durant deux ans, c'est-à-dire, encore une fois, de les rendre corvéables et victimes du seul bon vouloir de l'employeur, en faisant supporter l'incertitude économique sur les seuls salariés. Il n'y a aucune raison que les incertitudes économiques reposent sur les seuls salariés. C'est la raison pour laquelle nous ne voulons pas réintroduire de nouveau droit social dans les termes qui sont proposés par le Gouvernement.
Q- Les employeurs justement, eux, disent qu'il y a trop de contraintes, et c'est cela qui nous empêche d'embaucher ; plus de souplesse, cela fera plus d'embauche".
R- D'ailleurs, c'est significatif, parce que, quand vous écoutez la plupart des employeurs ou des organisations patronales : ils apprécient la nouvelle mesure, non pas comme étant susceptible de créer de l'emploi, ils apprécient la mesure, parce qu'elle leur permettrait éventuellement, elle leur permettra surtout, de pouvoir licencier plus facilement. On voit bien que cela n'est donc pas une mesure destinée à l'emploi, c'est une mesure plutôt destinée à flexibiliser les sorties et faciliter les sorties de l'emploi.
Q- Oui, mais ils disent que, si on licencie plus facilement, on est incité à embaucher plus facilement ?
R- Oui, c'est exactement ce que l'on dit depuis 20 ans. Or aujourd'hui, il y a 80 % des licenciements qui sont prononcés sans dispositions particulières, il n'y a pas de plan social, il n'y a pas de mesures d'accompagnement, il n'y a aucune sécurité pour les salariés. Le système d'indemnisation du chômage s'applique en matière de droits sur 40 % des chômeurs. 60 % des chômeurs n'ont pas de droits, ou les entreprises sont responsables de leurs actes et de leurs choix, mais ont des droits qui sont organisés, pris en charge par la collectivité publique, par l'Etat, et donc le contribuable. Ce n'est donc pas un système aussi protecteur qu'on le dit. Et plus la précarité a progressé, plus le chômage a suivi une courbe parallèle.
Q- Il y a des pays où cette souplesse, ça fonctionne. Par exemple, en Angleterre, il y a 5 % de chômeurs. Cela ne vaut-il pas le coup d'essayer en France ?
R- Oui, en s'accordant à considérer que les 5 %, statistiques officielles, masquent une réalité sociale qui est beaucoup plus critiquable. Mais chaque pays a ses propres statistiques. Je retiens que les barèmes ne sont pas comparables. Si l'on veut faire des comparaisons européennes - on a cité le Danemark, d'autres pays nordiques -, je crois qu'il y a déjà à prendre en compte la réalité du tissu industriel, du tissu des activités, il y a à prendre en compte la réalité démographique de chacun des pays - la France est un pays plus âgé que ne l'est le Danemark. Mais surtout, si l'on veut des systèmes plus protecteurs, il faut aussi accepter de mettre les moyens financiers correspondants. Le Danemark a une politique fiscale qui met le niveau d'imposition beaucoup plus élevé qu'en France.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 juin 2005)
la Nouvelle Vie Ouvrière du 24 Juin 2005
Le Premier ministre a fait connaître ses intentions. Répondent-elles aux attentes exprimées à l'occasion de la campagne pour le référendum sur le traité constitutionnel ?
Non ! Immédiatement après le référendum du 29 mai, c'est le changement des postes ministériels qui a dominé l'actualité. Le discours de politique générale du nouveau Premier ministre l'a vite confirmé. Ce gouvernement est à mille lieues des attentes qui se sont exprimées depuis des mois, en particulier dans le domaine social et pour cause. La majorité de droite a fait le choix de privilégier le meilleur dispositif politique pour les prochaines échéances électorales. Le président de l'UMP est ainsi consacré ministre de l'Intérieur et pratiquement vice-Premier ministre.
Une concertation s'est ouverte la semaine dernière sur le volet emploi des propositions gouvernementales. Le gouvernement consulte les organisations syndicales après avoir annoncé les mesures. N'est-ce pas une conception originale du dialogue social ?
Les premiers actes de ce nouveau gouvernement sont totalement inacceptables. C'est en particulier vrai de ce qu'il appelle le dialogue social avec les organisations syndicales. Le nouveau Premier ministre s'est lancé dans un exercice de communication et rien d'autre, en organisant sous l'objectif des caméras des rencontres avec les organisations syndicales le lundi précédent son discours de politique générale. Naturellement nous avons insisté sur le sens des attentes des salariés et les domaines sur lesquels il nous semblait que le gouvernement devait prendre le temps de la confrontation des analyses pour répondre à la crise sociale. Nous souhaitions une grande négociation sur les principaux sujets économiques et sociaux. Nous avons demandé en particulier de pouvoir nous exprimer sur la nature des choix budgétaires de 2006 qui seront arbitrés pendant l'été sur les mesures en matière de politique fiscale, de structure du budget, sur la nature et le niveau des dépenses publiques qui structurent l'avenir du pays Elles témoignent des engagements ou des renoncements de l'État dans plusieurs grands domaines comme la formation, la recherche, l'éducation Lors de cette rencontre du lundi 6 juin, nous n'avons pas pu connaître le plus petit début d'orientation du discours qu'allait prononcer le Premier ministre 48 heures plus tard. C'est par ce discours que nous avons découvert une série de dispositions, naturellement présentées sous le label de la priorité à l'emploi, qui donnent pour l'essentiel, grande satisfaction aux seules organisations patronales. Elles consistent principalement à rendre le marché du travail plus flexible en fragilisant les salariés et à remettre davantage d'argent public dans l'escarcelle des entreprises. Pourtant la démonstration est maintenant évidente, les sommes allouées au nom de l'emploi ont été multipliées par dix en dix ans, le chômage et la précarité n'ont jamais été aussi élevés. Sur le fond comme sur la forme, ces réponses interviennent à contresens des messages exprimés depuis des semaines au travers des mobilisations syndicales et du référendum. Le gouvernement démontre une nouvelle fois qu'il refuse de tenir compte de l'avis des électeurs, et voudrait installer un climat de renoncement et de fatalité. Il alimente ainsi une crise sans précédent pour notre pays. C'est une période à bien des égards dangereuse pour notre démocratie et le fonctionnement de nos institutions.
Gérard Larcher vous a malgré tout reçu en début de semaine pour connaître votre opinion sur les mesures pour l'emploi annoncées par le Premier ministre ?
Je remarque que la décision de recevoir les organisations syndicales au ministère du Travail a fait suite à l'annonce de notre mobilisation du 21 juin. La réunion du vendredi 17 juin au ministère confirme que le gouvernement est face à ses propres contradictions, il peine à démontrer l'efficacité et le bien fondé des mesures Villepin, qu'il s'agisse du contrat nouvelle embauche, du chèque emploi, des nouvelles exonérations de cotisations sociales. Il entretient le flou sur la mise en uvre concrète et se réserve pour les ordonnances qui seront prises cet été. Cela donne l'impression d'une équipe gouvernementale évoluant dans une gigantesque improvisation. Une seule certitude dans ses choix : la parole des organisations patronales pèse infiniment plus que les voix syndicales.
Cette situation ne renforce-t-elle pas la responsabilité du syndicalisme ?
C'est notre avis. Compte tenu de la place prise par les questions sociales dans le débat du référendum, nous avons immédiatement proposé que les organisations syndicales se concertent sur cette situation inédite. Les faits, depuis, nous ont donné raison. Loin d'abandonner, le gouvernement, par la nature des réponses apportées, continue de vouloir imposer des réformes très négatives pour les salariés. Nous l'avions vu venir et cela justifiait des initiatives unitaires dans la lignée de celles décidées en janvier, février et mars dernier.
C'était aussi un moyen de pression sur les rendez-vous de négociation : le 10 juin sur les salaires dans les branches professionnelles, le 21 juin sur la pénibilité du travail ou encore le 24 juin sur l'emploi des seniors. Les autres syndicats ont refusé une rencontre centrale ; nous avons accepté de les rencontrer séparément. Nous leur avons dit qu'il ne fallait pas donner de temps au temps, sauf à prendre le risque de laisser le gouvernement libre de décider tout et n'importe quoi durant l'été.
Le fait que la Cgt mobilise seule le 21 juin, n'est-il pas déjà un mauvais signe ?
Au moins deux organisations, Fo et la Cfdt, ne peuvent pas dire qu'en décidant de la mobilisation du 21 juin nous les avons mis devant le fait accompli. Avant d'arrêter notre décision, le jour même du discours de politique générale, nous les avons informés de notre intention de rechercher rapidement un moment d'action unitaire, surtout si le Premier ministre s'attaquait au droit du travail. On sait ce qu'il est advenu. L'une et l'autre, pour des motifs futiles, ont choisi la critique sans l'action, Fo renvoyant plutôt sur un rendez-vous à la rentrée. C'était faire peu de cas de la procédure et du calendrier annoncé par le gouvernement. Il entend procéder par ordonnances avec l'objectif de tout boucler pour le 1er septembre. Dans cette situation, il nous est apparu indispensable de ne pas laisser ce processus s'installer sans donner aux salariés l'occasion d'exprimer leur désaccord.
Nous avons eu raison d'appeler à la mobilisation le 21 et il y aura des suites que j'espère plus unitaires. La manière la plus efficace de s'opposer à ces nouvelles dispositions consiste à porter partout les revendications, comme nous l'avons fait depuis le début de l'année, qu'il s'agisse de l'emploi et de la nature des emplois, du pouvoir d'achat, des salaires et des retraites, de la défense des services publics. Pour ce faire, nous entendons nous saisir de toutes les opportunités. C'est en mobilisant autour des revendications que l'on pourra obliger le gouvernement à revoir ses copies.
Des divergences se sont fait jour dans la Cgt sur la position à adopter pendant la campagne pour le référendum. Ne risquent-elles pas de perdurer ?
Le débat dans le syndicat, principalement entre responsables, a plus porté sur la nature de la contribution syndicale pour cette consultation que sur l'appréciation que les uns et les autres pouvaient porter sur le projet de traité constitutionnel. Fait politique important, cette consultation a été marquée par une très forte participation. Dès lors que les Français estiment avoir l'occasion de peser sur des choix qui concernent leur propre avenir, la mobilisation est au rendez-vous. Le deuxième enseignement porte sur ce qu'ont exprimé plus particulièrement les salariés. Que l'on prenne les salariés du public ou ceux du privé, quelle que soit la tranche d'âge, de 18 à 60 ans, le Non a été majoritaire, voire très majoritaire chez les ouvriers, les employés, les chômeurs. La population active, celle qui va entamer sa vie professionnelle, celle au travail, au chômage ou dans une situation de précarité d'emploi, a fait le choix du Non. Le même constat prévaut lorsque l'on compare les résultats aux sympathies syndicales. Une majorité des salariés sympathisants des trois principales confédérations syndicales du pays ont voté Non.
Dans le camp du " NON " bien sûr, mais aussi dans celui du " OUI ", se sont exprimées des attentes sociales. Comment comptez-vous les rassembler pour offrir un débouché aux revendications sociales en France et en Europe ?
Nous ne voulons pas nous tromper de grille d'analyse. C'est vrai en France, ça l'est également en Europe. On ne peut s'en tenir à un simple décompte mathématique pour identifier ceux des électeurs qui seraient satisfaits ou pas de la situation sociale. Autrement dit, nous ne devons pas considérer que seuls 55 % des Français seraient mécontents au plan social et 45 % satisfaits. Nous avons abordé cette question à l'occasion du comité exécutif de la CES. Cela reviendrait à considérer que les salariés des dix pays qui ont ratifié le traité sont, par principe, heureux de leur sort. Parmi ceux qui ont fait le choix d'approuver le projet de traité, certains l'on fait aussi avec l'espoir que la constitution proposée contribue à améliorer la situation sociale. Une partie d'entre eux peut facilement se retrouver dans des mobilisations de caractère syndical. Nous devons travailler au rassemblement de tous les salariés pour changer leur quotidien, obtenir des réponses concrètes et immédiates.
Vous avez participé mi-juin au comité exécutif de la Confédération européenne des syndicats (CES). Quelle analyse fait-il de la situation ?
Nous avons eu une très longue discussion, la situation le justifiait. Les deux référendums qui ont fait événement en Europe, la France et les Pays-Bas, ont mis en évidence une crise de la construction européenne. Elle se trouve confirmée par l'échec du sommet des chefs d'États et de gouvernements. Le choix des salariés de deux pays importants de refuser le traité suscite la réflexion des syndicalistes européens. Nous avions besoin d'analyser, de bien comprendre ce qui s'est passé. Ce temps de réflexion était d'autant plus nécessaire que la CES n'a pas caché son soutien au projet de traité. Dans le même temps, ces résultats témoignent, selon la CES elle-même, d'un rejet de la politique néo-libérale et des menaces sur les normes sociales. C'est aussi la conséquence d'une construction européenne qui n'intègre pas suffisamment la dimension sociale dans ces objectifs. Ces critiques figuraient déjà dans l'avis formulé par son comité exécutif en 2004. Pour autant, le mouvement syndical européen est soucieux que la crise ouverte sur le traité ne débouche pas sur des réflexes nationalistes où les partis d'extrême droite racistes et xénophobes tireraient leur épingle du jeu. Nous préférons la recherche de réponses et de droits coordonnés en Europe à la mise en opposition de salariés s'affrontant sur des logiques nationales. J'ai suggéré que nous puissions prendre le temps d'un échange plus approfondi sur le projet européen lui-même Nous avons convenu d'un nouveau moment d'analyse à l'occasion d'une rencontre des premiers responsables des confédérations en juillet à Florence.
La Cgt prépare son congrès. Il se tiendra en avril prochain à Lille. Quelles sont, selon vous, les questions prioritaires à débattre ?
On rentrera dès septembre dans le vif de la préparation du congrès. Les instances de direction de la Cgt ont eu quelques échanges permettant de placer le développement de la Cgt comme fil rouge des débats. De cela découlent trois séries de questions à approfondir dans un contexte, à plusieurs égards, inédit. Il nous faut passer à une autre intensité de notre développement. C'est l'une des clés sur laquelle il nous faut agir avec plus de détermination et sans doute de précision. Nous nous étions fixé des objectifs d'adhésions ; le congrès sera l'occasion de les évaluer. Chaque mois qui passe, chaque lutte, nous montre combien il serait indispensable de pouvoir nous appuyer sur un plus grand nombre de syndiqués et d'entreprises comptant une présence Cgt. Il nous faut un développement rapide pour être plus efficaces et plus combatifs, gagner en pertinence dans nos propositions alternatives, dégager un nouvel âge pour la démocratie syndicale et sociale. Pour cela, il nous faut rediscuter de notre forme d'organisation, de nos modes de fonctionnement, de l'utilisation de nos moyens financiers Une deuxième série de questionnements portera sur l'environnement dans lequel nous assumons nos responsabilités syndicales. Depuis mars 2003, beaucoup de choses ont changé au plan politique, économique, en France et dans le monde, la situation sociale faite aux salariés ne s'est pas améliorée. S'agissant du paysage syndical, nous sommes toujours dans une phase ou l'unité syndicale à ses hauts et ses bas, mais ce qui domine est une extrême difficulté à peser ensemble de manière cohérente sur les événements.
La troisième série de questions concerne nos ambitions revendicatives. Il nous faut repréciser notre vision des garanties sociales auxquelles nous aspirons, réaffirmer l'ambition d'installer un nouveau statut du travail salarié. Nous devons en repréciser les termes pour que cela puisse motiver l'ensemble des mobilisations et des mouvements que nous voulons fédérer autour de cette notion de droit social renouvelé. Au nom du progrès d'aucuns voudraient instaurer l'individualisation des droits. Nous pensons au contraire que la liberté des salariés ne peut s'exercer que dans le cadre de droits collectifs développés.
Malgré quelques progrès, les syndiqués sont encore peu associés aux débats, aux orientations, aux décisions de la Cgt. À quoi cela tient-il ?
Des efforts réels sont faits, mais nous devons convenir que la démocratie est un exercice très exigeant pour tous les niveaux de la Cgt. Surtout si l'on ambitionne de faire de chaque syndiqué un acteur des décisions de l'organisation. La Cgt veut plus d'adhérents, plus d'adhérents acteurs du positionnement et de la réflexion stratégique de l'organisation. C'est encore plus difficile à organiser aujourd'hui. Le profil des entreprises s'est considérablement modifié et nos syndicats sont de plus petite taille qu'il y a 10 ou 15 ans. Nous dénombrons plusieurs dizaines de milliers de syndiqués dits isolés, c'est-à-dire sans structures syndicales adéquates leur permettant d'échanger, d'élaborer collectivement les revendications et de construire les mobilisations. Il nous faut être plus volontariste qu'hier pour permettre à chaque syndiqué d'être informé et de pouvoir intervenir en permanence. C'est la raison pour laquelle, parmi les premières décisions prises en vue du congrès, nous avons mis en place un collectif dont la mission principale a été de réfléchir à des dispositions visant à associer, à impliquer, le maximum de syndiqués. Nous visons une vaste consultation des syndiqués et aussi des salariés. Une démarche d'une ampleur inédite qui va nécessiter l'implication de toutes nos organisations. Il s'agit d'un effort considérable que nous avons à mener de front avec les batailles revendicatives qui s'annoncent intenses jusqu'au congrès d'avril prochain. Plus nous avancerons dans la préparation du congrès, plus nous préciserons le plan de travail pour sensibiliser les syndiqués par différents moyens.
(Source http://www.cgt.fr, le 28 juin 2005)