Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, sur "Europe 1" le 24 mars 2004, sur ses consignes de vote au deuxième tour des élections régionales, sur ses relations avec la droite au pouvoir.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral


Q- J.-P. Elkabbach-. Dans les régions sans candidat Front national, que demandez-vous aux électeurs ?
R- "Je leur demande de rester chez eux. Ils n'ont pas plus de raison de voter pour la droite que pour la gauche, ces deux formations faisant la même politique et ayant été complices dans la politique qui mène à la décadence de la France."
Q- Mais au moins, depuis 30 ans, et au prétexte que, justement, droite et gauche se valent et alternent, vous ordonnez au Front national de déserter. Mais n'y a-t-il pas l'un qui est moins pire que l'autre ?
R- "Non, je ne pense pas, je pense qu'il y en a... l'un est très mauvais, c'est la gauche, et l'autre est très mauvais aussi mais, de plus, il le fait avec les voix de la droite, ce qui est une circonstance aggravante."
Q- Mais vous êtes donc le seul chef qui, au milieu d'une bataille, demande à ses troupes ou dit à ses troupes : faites comme vous voulez, débandez-vous.
R- "Non, pas du tout, restez à votre poste et préparez-vous à tirer sur les premiers qui sortent des tranchées."
Q- Et c'est qui qui va sortir des tranchées ?
R- "Ah ben je ne sais pas, on va bien voir. La bataille politique n'est pas terminée, c'est un épisode. D'ailleurs nous entrons en campagne dès lundi pour la campagne européenne et par conséquent, nous allons tout de suite recoller des affiches, redistribuer des tracts et repartir à l'assaut des positions de nos adversaires."
Q- C'est formidable parce que vous faites des promesses inouïes que vous n'arrivez pas à tenir et puis après le grand soir, c'est toujours pour demain.
R- "Non, moi je ne fais pas de promesses..."
Q- C'est une consolation d'ailleurs.
R- "... je me bats. Mais ceux qui ne se battent pas n'ont pas de chance d'espérer la victoire, par conséquent, ce n'est pas parce qu'on se bat qu'on gagne, mais certainement, quand on ne se bat pas, on ne gagne pas."
Q- Il y a 17 triangulaires au deuxième tour, vous entendez l'argument : " Le Pen est en train de faire gagner la gauche ", alors pourquoi ne dites-vous pas d'une manière claire : " Votez Huchon, votez Vauzelle, votez Queyranne" ?
R- "Oui, mais ça c'est le leitmotiv de ceux qui, je le rappelle, aux dernières élections régionales, ont mis la gauche au pouvoir dans la plupart des régions alors qu'ils avaient la possibilité politique de prendre les régions. Ils ont préféré mettre la gauche au pouvoir plutôt que d'être élus avec les voix des élus du Front national, c'est un gag !"
Q- Oui, mais vous voyez bien que vous neutralisez la voix de l'électeur, parce que même un non choix c'est peut-être aussi un choix, c'est voter à gauche."
R- "Mais ce n'est pas un non choix, voyons ! Dans 17 régions nous allons avoir des élus. Les élections, c'est fait pour désigner des élus et ce sont des élections à la proportionnelle, il y a trois listes généralement qui vont s'opposer, ces listes vont avoir un nombre d'élus proportionnel à leur nombre d'électeurs. C'est pour cela qu'il faut qu'il y ait beaucoup d'électeurs du Front national et même de ceux qui sont plus près du Front national que d'autres formations, qui viennent voter au deuxième tour."
Q- Il y a une victoire de la gauche annoncée, comment l'expliquez-vous, moins de deux ans après 2002 ?
R- "Eh bien écoutez, moi je crois ça a l'air dérisoire, mais je pense que c'est le ressac médiatique de l'affaire espagnole et du succès inattendu des socialistes espagnols qui a renversé la tendance et donné du courage aux socialistes français qui étaient, je crois, assez désespérés. Ce n'est peut-être que cela et malheureusement cela a évité, cela a empêché la prise de conscience des Français, le choc que j'attendais. Parce qu'il est indispensable que les Français s'en rendent compte qu'ils sont dans un état de faillite, c'est ça la vérité, et on s'en apercevra au lendemain de l'élection. Parce que la plupart des mauvaises nouvelles ont été reportées à la semaine prochaine."
Q- Oh, mais il y en a assez, déjà, de mauvaises nouvelles, non ?
R- "Oui, mais c'est ... le réalisme ça consiste à les regarder en face."
Q- Mais alors, justement, J.-M. Le Pen, si le Front national avait des responsabilités dans le gouvernement des régions ou même de l'Etat, que ferait-il face aux mécontentements additionnés - des chercheurs, des profs de gym, des exclus, des chômeurs et des intermittents -, que ferait-il ?
R- "Nous avons... je ne vais pas exposer, là, en quelques secondes, le programme du Front national..."
Q- Il y en a un.
R- "Il repose sur une donnée fondamentale, c'est que nous sommes pour les Français et la France d'abord, c'est-à-dire que nous pensons que le critère national est un des critères essentiels de l'action politique et nous voulons rétablir, en France, les moyens pour les Français d'être dans leur pays et d'avoir une politique prioritaire, par rapport à leurs intérêts."
Q- Mais qui visez-vous ?
R- "Comment ?"
Q- Qui visez-vous, qui n'est pas Français ? Parce que si vous visez, vous pensez aux Musulmans de France, ils sont Français.
R- "Mais ce n'est pas du tout les musulmans, je parle du Gouvernement, je parle des gouvernements de gauche et de droite, qui sont des gouvernements au mieux "a-nationaux" et au pire, "anti-nationaux". Par conséquent, je crois que la politique d'un Etat ça consiste à défendre les intérêts de son pays, de sa population, de ses électeurs, quand ce sont des hommes politiques."
Q- Jean-Pierre Raffarin dit : "Il faut réformer" ; N. Sarkozy, " Il faut réformer plus vite, plus loin"; et Jean-Louis Borloo, "Il faut plus de cohésion sociale". Qu'en pensez-vous ?
R- "Oui, il faut réformer autrement, il faut repartir à la base, il faut faire une bonne analyse de la situation et en tirer les conséquences qui ne sont pas des conséquences très faciles à faire adopter, par le peuple français. Mais sans l'accord du peuple français et ça postule qu'il ait compris ce dont il s'agit, eh bien il n'y aura rien de possible."
Q- Vous dénoncez souvent "les menteurs" et "les fausseurs" en politique, hein, ça c'est vrai...
R- "Oui, c'est vrai, oui, mais..."
Q- Allez-y.
R- "Je n'en aurai pas fini de faire mon réquisitoire."
Q- Oui, mais chaque fois vous promettez la victoire et des places, alors en quoi êtes-vous différent ?
R- "Non, je ne promets pas de places, moi je suis un peu comme Churchill..."
Q- Vous venez de dire qu'il y aura des places dans les conseils régionaux.
R- "... je promets de la souffrance, de la sueur, du sang, c'est le prix, sans doute, de notre sauvegarde et cela n'est pas pour l'immédiat. Et je pense que c'est ça qui est essentiel, c'est de sauver la France et les Français. Ils ne se rendent pas compte que le pays est en état de faillite virtuelle, que la crise est extrêmement profonde et que rien n'est fait à part de bonne paroles pour essayer de l'en arracher."
Q- Les Français n'entendent donc pas votre force, votre énergie, votre véhémence, ils sont sourds ou alors ils sont complètement indifférents parce qu'ils vous ont trop entendu ?
R- "Il y en a quand même un sur cinq en faveur d'un mouvement politique qui n'a ni journaux, ni radios, ni télévisions et qui a, contre lui, l'ensemble de la classe politique et l'ensemble, on peut dire, des forces politiques, économiques et sociales françaises. Cela n'est pas si mal. A l'indice de performance, nous sommes de loin les meilleurs."
Q- Oui, c'est comme ce que vous disiez à propos de votre fille. En Ile-de-France, le Front national obtenait 16,3 en 98, en 2004 12,26, il y a donc une différence de trois, quatre points, et vous félicitez votre fille...
R- "Non, même ça, non non, il y a pire, parce qu'il a fait 10 aux élections législatives et Marine..."
Q- Vous la félicitez pour "sa remarquable...
R- "... et Marine Le Pen a fait... oui"
Q- Progression"...
R- "Oui "remarquable progression" par rapport au dernier scrutin, le dernier scrutin c'est un scrutin éminemment politique, ce sont les législatives et aux législatives, nous avons fait dix et Marine fait 12,5. C'est par conséquent un très gros progrès, en face de deux candidats complices qui se sont, en quelques sortes, partagé le travail."
Q- Ben oui, ils ne le croiraient pas eux-mêmes. Enfin, vous êtes un gentil papa mais c'est faux.
R- "Non, ce n'est pas vrai, je maintiens mon point de vue et Marine Le Pen et sa liste ont fait une excellente campagne qui portera ses fruits sinon demain, au moins après-demain. "
Q- Eh bien elle a 40 ans elle aussi, si elle est partie prenante...
R- "Non, elle n'a pas 40 ans, elle a 36 ans."
Q- Non, elle a 40 ans devant elle.
R- "Ah oui... et plus que ça parce que nous gagnons, je crois, un trimestre de vie par année."
Q- Dans ces régionales 2004, M. Le Pen, est-ce que votre meilleur ennemi sur le terrain n'a pas été le Général Sarkozy ?
R- "Oui, peut-être, M. Sarkozy est venu quatre fois ou cinq fois en PACA, il était hier à Nice, moi je serai ce soir à Marseille où je vais lui répondre sur son discours arrogant, il faut bien le dire, et dérisoire..."
Q- C'est-à-dire, c'est-à-dire ?
R- "Il prend les électeurs du Front national pour des imbéciles quand il leur demande de venir au secours de son parti, alors qu'ils m'ont éliminé dans la campagne électorale, ce qui a quand même été un coup dur pour la campagne du Front national, et qu'ils ne nous ont pas acceptés dans aucune des assemblées et que..."
Q- Vous... d'accord.
R- "Pardon, je continue, s'il vous plaît, et que ce mode de scrutin était fait pour éliminer le Front national. Or, le Front national est présent et sera présent dans 17 régions et il n'a été éliminé des 5 autres que par l'accord qui est intervenu entre le petit traître Mégret et M. Sarkozy, sans doute, ou M. Raffarin qui, avec 1 % des voix, nous a empêchés d'être présent dans 5 régions. "
Q- Mais vous êtes en train de démontrer que Raffarin, à sa manière, et Sarkozy, sont sur tous les fronts et en tout cas Sarkozy est omniprésent...
R- "Oui."
Q- Ne croyez-vous pas qu'il est efficace ?
R- "Je crois que..."
Q- Il est efficace pas seulement contre vous ?
R- "Non, mais je crois qu'il n'est pas un bon ministre de l'Intérieur, contrairement à ce qu'il laisse entendre. En revanche, il est un excellent ministre de la propagande, c'est d'ailleurs le poste que je lui avais offert dans mon gouvernement."
Q- Pourquoi pas ministre de l'Intérieur ?
R- "Parce que tout ce qu'il a..."
Q- Regardez, l'insécurité qui diminue.
R- "Tout ce qu'il a touché, il l'a raté : la Corse, l'organisation de l'Islam en France..."
Q- Attendez, attendez, sur la Corse. Sur la Corse, le Front national est éliminé. Vous faites un bide en Corse.
R- "Il est éliminé... non, "un bide"... il y avait 19 listes..."
Q- Il y avait 17.
R- "...Monsieur, 19, nous avons doublé nos voix, nous avons doublé nos voix en Corse et il y avait 19 listes."
Q- Moins de 5 %.
R- "Comment ?"
Q- Moins de 5 %.
R- "4,5 %, c'est vrai."
Q- Alors, vous disiez, il n'est pas efficace en matière d'insécurité.
R- "Oui, en matière d'insécurité j'affirme qu'il n'est pas efficace. D'ailleurs le Syndicat des magistrats a bien déclaré qu'il y avait eu 1.500.000 et délits de plus que ne le disait M. Sarkozy."
Q- Mais vous savez que l'on est en campagne électorale, mais pourquoi vous vous l'attaquez d'avoir favorisé l'islamisation de la France ? Ca c'est énorme ça quand même.
R- "Oui, absolument, il a organisé l'Islam en France, il l'a unifié, mais contrairement à ce qu'il croyait pouvoir faire, ce n'est pas derrière le modéré D. Boubakeur que cela s'est fait, c'est derrière les plus extrémistes des islamistes en France. Ça s'appelle un coup d'épée dans l'eau, c'est même un peu pire que cela et dans beaucoup d'autres domaines. Bref, encore une fois, M. Sarkozy parle beaucoup, je me demande quand il trouve le temps de faire son office de ministre de l'Intérieur puisqu'il est sur toutes les estrades..."
Q- Mais vous êtes tous en campagne ! Vous êtes tous en campagne...
R- "Non mais pas lui ! Pas lui !..."
Q- Il faut être objectif.
R- "... il n'est pas en campagne, il n'est pas candidat !"
Q- François Mitterrand avait gouverné avec les communistes, vous vous en souvenez M. Le Pen, il les avait peu à peu asphyxiés et réduits. Quel "Mitterrand de droite" fera-t-il la même chose avec vous ?
R- "Ah ben j'espère qu'aucun, j'espère que c'est nous qui ferons l'inverse, c'est nous qui les absorberons parce que, en effet, je constate que dans l'adversité nous ne cessons de progresser, quoi qu'on dise. "
Q- A condition de faire preuve d'humilité et de patience. Patience, patience.
R- "Oui, bien sûr. La patience est une des formes principales du courage."
Q- Et c'est pourquoi, dès lundi, vous êtes en campagne et en combat pour les européennes, les présidentielles, les...
R- "Ah mais je suis dès ce soir à Marseille pour répondre à M. Sarkozy et je serai, lundi matin, en campagne pour les élections européennes et j'aurai au moins dans cette région, trois élus."
Q- Infatigable... Le Pen !
R- "Infatigable !"
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 24 mars 2004)