Interviews de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT à LCI le 30 septembre 2005, RMC le 4 octobre et RTL le 5, sur le plan de cohésion sociale, la baisse du chômage et la journée de grève du 4 octobre

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Texte intégral

LCI le 30 septembre 2005
Q- 21.500 chômeurs de moins au mois d'août par rapport au mois de juillet, cinq mois consécutifs de baisse du chômage, pour vous, c'est un succès du plan de cohésion sociale de J.-L. Borloo ?
R- C'est une bonne nouvelle et c'est effectivement la mise en uvre du plan de cohésion sociale. Nous avions fortement critiqué en 2003 l'abandon du traitement social du chômage par le gouvernement Raffarin - monsieur Fillon était le ministre du travail à l'époque. Nous avions demandé ce plan, nous avions soutenu une grande partie de ces mesures, et ce sont ces mesures qui donnent des résultats. Mais il est intéressant de regarder plus en détail les raisons pour lesquelles il y a cette baisse : il y a une entrée en apprentissage très importante de la part des jeunes, c'est bien que les jeunes se forment dans des métiers où l'on a besoin d'eux ; il y a aussi un nombre de contrats de professionnalisation, c'est-à-dire des personnes qui sont au chômage et qui bénéficient d'une formation, suite à un accord que la CDFT a signé, ainsi que les autres syndicats, avec le Medef. C'est une bonne chose, parce qu'on a besoin de former les chômeurs. Maintenant, l'enjeu des mois qui viennent, c'est : est-ce que l'on va transformer l'essai ? C'est-à-dire, aller plus loin dans le traitement social, mais faire aussi en sorte que l'on ait un développement de l'emploi durable, c'est-à-dire des emplois pérennes qui durent dans le temps.
Q- Mais cela dépendra de la croissance.
R- Cela dépend de la croissance. Bien évidemment, en période de croissance molle, on a besoin de traitement social du chômage, et on a besoin d'investir pour une croissance plus dynamique.
Q- Espérez-vous que les contrats "nouvelles embauches", dont on ne peut pas juger les résultats aujourd'hui, donneront des résultats, d'ici à la fin de l'année ?
R- Le contrat "nouvelles embauches" ne créera pas d'emplois supplémentaires, j'en suis persuadé.
Q- Ce sera un effet d'aubaine pour les chefs d'entreprise ?
R- Ce sera un effet d'aubaine pour ceux qui veulent embaucher de toute façon, et ils pourront embaucher dans une situation de plus grande flexibilité, précarité pour le salarié. Ce sera aussi une substitution des contrats à durée déterminée par ce CNE, parce qu'il est plus facile de licencier dans ce cas-là.
Q- Parlons de la SNCM, et de ce conflit social. Est-ce la CFDT, comme la CGT, récuse le plan de reprise présenté hier par D. de Villepin ?
R- Au préalable, on voudrait faire une remarque : le Gouvernement, les ministres qui se sont occupés de ce dossier, s'y sont pris comme des amateurs ! Je crois qu'il faut bien le dire. Tout le monde savait, il ne fallait pas être un grand observateur du social pour savoir que la façon dont s'y est pris le Gouvernement, les propositions qui étaient faites, ne pouvaient pas être acceptées et produiraient des réactions très vives.
Q- Vous parlez de la privatisation annoncée par le préfet de la région PACA ?
R- A 100 % ! En plus, le faire faire par un préfet, alors que c'est quelque chose qui, bien évidemment, dépassait la responsabilité d'un préfet, inévitablement, a amené ces résultats-là.
Q- Vous dites que D. de Villepin s'est conduit comme un bleu dans cette affaire ?
R- Je pense qu'ils se sont conduits comme des amateurs ! Est-ce que c'est lui, est-ce son ministre des Transports ? Le preuve qu'ils se sont conduits comme des amateurs : ils sont obligés de reculer. C'est important parce que je crois qu'ils justifient aujourd'hui en reculant que c'est l'action violente qui amène le recul. Pour moi, syndicaliste, qui suis pour le dialogue, pour la négociation et l'évolution par la négociation, inévitablement, on fait un cadeau à l'action violente, et c'est inévitablement une erreur politique. Maintenant le plan, comme les marins CFDT, nous pensons que les propositions du Gouvernement ne vont pas assez loin et nous faisons une proposition très claire, que personne n'a faite, qui pourtant est reprise par les élus politiques des deux régions, nous proposons que les deux régions, en plus de l'Etat, rentrent dans le capital, que ce soit la région PACA ou la région corse. Les deux Conseils régionaux en ont débattu, sont d'accord et je ne vois pas pourquoi le Gouvernement n'étudie pas cette possibilité.
Q- Si l'on prend cette possibilité, autrement dit si l'on écarte toute idée de privatisation...
R- Non. A la CFDT, nous n'écartons pas le fait qu'il puisse y avoir une
entrée dans le capital...
Q- L'ouverture du capital au privé ?
R- L'ouverture du capital au privé.
Q- Donc, pour résumer, l'Etat, les collectivités territoriales et une ouverture au privé ?
R- Cela s'appelle un tour de table et cela se fait d'une façon régulière.
Q- Dans quelle proportion, l'ouverture au privé, selon vous ?
R- L'ouverture au privé, c'est l'objet de la négociation. Il faut le faire avec les...
Q- Les minoritaires ?...
R- Notre démarche est que puisqu'il y a une continuité territoriale, c'est-à-dire un service public obligatoire, il doit y avoir une participation majoritaire des structures publiques, que ce soit l'Etat ou les collectivités locales. Nous souhaitons que l'entrée privée dans le capital se fasse par des capitaux d'une entreprise qui a une expérience dans ce milieu-là, qui a déjà investi dans ce milieu-là, et non pas un fonds de pension, dont on fait que c'est le bénéfice qui les intéresse et non pas le service public.
Q- Mais est-ce que ce que vous dites ne signifie pas que l'Etat et les collectivités territoriales vont devoir, à nouveau, remettre au pot ?
R- Ce qui veut dire, d'une part, qu'il faut que l'Etat et les collectivités territoriales... De toute façon, ils vont remettre de l'argent, l'Etat est obligé d'y remettre de l'argent, parce que...
Q- Encore faut-il qu'il ait l'autorisation de Bruxelles.
R- Ne faisons pas porter à Bruxelles toutes les responsabilités des difficultés. C'est spécifique des politiques français. Au début, on dit "Bruxelles refusera tout". On a dit 15 % ; aujourd'hui, on dit "Bruxelles ne voudra pas aller plus loin", on nous dit 25 %. C'est là qu'on voit que la communication est lamentable dans ce dossier. Mettons tout ce qu'on peut mettre autour de la table et après on discutera. Il nous semble qu'il faut aller un peu plus loin, ce qui n'empêche pas, la CFDT l'a dit, de faire rentrer des capitaux privés dans ce capital.
Q- Mais prenons pour hypothèse que Bruxelles donne ces autorisations, est-ce que ce n'est pas, tout de même, un peu curieux, que ce soit, finalement, les contribuables, une fois encore, qui vont faire, d'une certaine manière, fonctionner cette compagnie maritime ?
R- Je ne suis pas plus satisfait que vous de cette situation-là, mais c'est une irresponsabilité des pouvoirs publics depuis maintenant dix ou quinze ans qui a fait que...
Q- Est-ce que ce n'est pas aussi l'irresponsabilité des organisations syndicales ? Je pense à la CGT, que vous avez parfois critiquée.
R- Sur ce point là, je ne changerai rien, il y a eu un blocage syndical dans cette démarche qui amène aussi ce résultat. Mais qui a la décision, in fine ? Ce sont les pouvoirs publics. Les pouvoirs publics se sont désengagés, ils n'ont pas pris leurs responsabilités. Ils ne prennent pas plus leurs responsabilités vis-à-vis de ce qui se passe aujourd'hui. Donc, maintenant, on ne va pas faire porter la responsabilité à quelques syndicats. Il y a la décision à prendre, mais derrière, on sait très bien, et d'ailleurs tous les syndicats de l'entreprise l'ont dit, qu'il y aura, de toute façon, un plan social et nous souhaitons qu'il soit le plus faible possible, et que l'on retrouve une solution pour toutes les personnes qui seront en difficulté.
Q- Ce matin, souhaitez-vous que la négociation avec le Gouvernement et d'autres organismes, et les collectivités territoriales, reparte à zéro ?
R- Bien évidemment. Là, on voit qu'on commence à... Reparte à zéro, non.
Parce que...
Q- Je veux dire que l'on a trouvé le plan de reprise, là...
R- Il nous semble que l'élément supplémentaire que la CFDT amène au débat aujourd'hui, c'est les collectivités locales, et c'est important. Il y a d'autres services publics qui sont cofinancés par les collectivités locales. C'est l'exemple pour certains transports régionaux au niveau de la SNCF. Donc, il est important d'y revenir. Et je pense que l'on pourrait de cette façon trouver une solution.
Q- Vous avez regretté que l'on soit renvoyé à la violence. Souhaitez vous aujourd'hui la clémence vis-à-vis des marins qui ont détourné le Pascal-Paoli ?
R- Je vais vous surprendre. Je réponds en général à toutes les questions. Mais pour celle-ci, je ne vais vous répondre. Pourquoi ? Il n'y a pas un homme politique dans la région Paca, dans la région Corse, il n'y a pratiquement pas de partis politiques en France qui prennent leurs responsabilités sur ce sujet-là. Donc, n'attendez pas d'un syndicaliste qu'il dise aux politiques ce qu'ils doivent faire. Que les politiques prennent leurs responsabilités. Ils sont au départ des difficultés, qu'ils jugent. On voit bien ce que ce qui se passe en Corse aujourd'hui dépasse le cadre de la SNCM. Il y a des personnes qui profitent de cette situation-là, elles doivent être jugées, ces personnes - sur en particulier l'attentat de cette nuit - par rapport à leurs objectifs. Mais n'attendez pas d'un syndicaliste qu'il prenne ses responsabilités alors que les politiques sont défaillants.
Q- Avez-vous peur d'"une corsisation" de ce dossier ?
R- C'est le cas. Et bien évidemment, tout le monde le note. Et nous ne souhaitons pas une "corsisation" de ce dossier, bien évidemment, parce que nous sommes sur la continuité territoriale. Et s'il doit y avoir continuité territoriale, cela veut dire que c'est la France, et la France, un département, deux départements, vis-à-vis du continent.
Q- Hier, dans sa conférence de presse présentant le plan de financement de la Sécurité sociale, le ministre de la Santé avait oublié une mesure qui est de dire que, pour un acte médical supérieur à 91 euros, il y aura un forfait de 18 euros. Votre réaction ?
R- C'est une démarche scandaleuse que de ne pas annoncer les choses. Je l'apprends ce matin en arrivant sur votre plateau. Encore une fois, on nous dit que la CSG ne vas pas augmenter, les impôts baissent pour les plus favorisés, on n'augmente pas soi-disant la CSG, alors que cela a déjà été le cas, mais en plus on dé rembourse, c'est-à-dire, que ce sont les mutuelles qui vont prendre en charge, c'est-à-dire, que ce sont les assurés qui vont payer en plus. Et je pense, là, aujourd'hui, en particulier aux salariés des petites entreprises ou aux retraités qui n'ont pas d'aide à leur mutuelle, et qui inévitablement seront les plus sanctionnés face à cette nouvelle mesure.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 septembre 2005)
RMC le 4 octobre 2005
Q- Vous auriez préféré une journée de grève un samedi. Pour quelle raison ?
R- La raison était simple : c'est que nous voulions une mobilisation qui concerne aussi le privé, et l'élément déclencheur de cette journée venait de la décision du Gouvernement de mettre en place ce nouveau contrat, le contrat "nouvelles embauches" dans les toutes petites entreprises, et on voulait aussi mobiliser dans ces entreprises-là. Mais aujourd'hui, le temps n'est pas à la polémique, il est bien à la mobilisation.
Q- Vous trouvez que l'on parle un petit peu trop du public ?
R- On voulait aussi éviter trop de désagréments pour les usagers, je pense que c'était notre démarche. Et aujourd'hui, évidemment, on parle de ce qui fait l'actualité, c'est-à-dire, de la gêne pour les usagers et pas assez selon moi des sujets de la grève.
Q- Pourquoi cette journée de grève aujourd'hui ? L'emploi, le pouvoir d'achat, c'est assez large tout de même ?
R- Oui, mais en même temps, ce sont deux sujets qui sont très liés, qui sont totalement dans l'actualité. On l'a bien vu à la rentrée : la pression sur le pouvoir d'achat avec l'augmentation de l'essence, les sujets autour du logement, l'augmentation des prix du logement, en particulier en zone urbaine, qui flambent. Ce sont des éléments qui pèsent beaucoup sur le pouvoir d'achat, donc qui amènent des revendications fortes sur ce sujet-là. Et puis enfin, on le voit depuis maintenant quinze jours, de nouveaux plans sociaux importants, on a parlé de Hewlett-Packard, on a parlé de Cegetel-Neuf-Telecom. Donc on voit bien qu'il y a aussi une grande inquiétude sur ces deux sujets, qui sont directement liés, parce que : faut-il relancer la croissance par la consommation, donc par le pouvoir d'achat ? Est-ce que les suppressions d'emplois empêchent les gens de consommer ? Tous ces éléments-là sont des éléments communs.
Q- Une journée de grève, très franchement, cela ne sert pas à grand chose, c'est un coup d'épée dans l'eau, dans une semaine, on l'aura oubliée cette journée de grève ? On a l'impression que ce qui marche le plus, ce sont plutôt les actions radicales ?
R- Malheureusement, j'ai envie de dire. On est dans cette difficulté-là dans notre pays. J'entends depuis ce matin parler de "service minimum" et je me suis renseigné hier sur les comparaisons européennes par exemple : les pays où il y a moins de journées de grève, ce sont les pays où il n'y a pas de service minimum. Alors cherchez l'erreur...La Grande- Bretagne, en général, l'Allemagne, la Suède, ce sont des pays où il n'y pas de service minimum mais il n'y a pratiquement pas de grève, y compris dans les transports, parce qu'il y a une culture de la négociation plutôt que de conflit. C'est-à-dire que l'on recherche des solutions par la négociation avant de rentrer dans le conflit. En France, je pense que l'on est dans un système qui est savamment entretenu aussi par les hommes politiques. Ils décident, on laisse les syndicats occuper la rue, et puis tout le monde est un peu content dans ce système-là, et on n'avance pas dans cette démarche de négociations que souhaite la CFDT.
Q- Vous parlez de l'emploi, du logement, du pouvoir d'achat. Que peut faire un Gouvernement pour relancer le pouvoir d'achat ?
R- Justement, on nous dit : le Gouvernement ne peut plus rien faire. Et nous à la CFDT, on pense que c'est totalement l'inverse. Je prends l'exemple du prix de l'essence. On a vu il y a quelques années, il y a maintenant pas mal de temps, il y a des négociations en zone urbaine, ici, en Ile-de-France, pour qu'il y ait une aide des entreprises pour le transport. On a notre Carte Orange - elle n'est plus Orange maintenant, mais on l'appelle toujours ainsi - qui est financée en particulier par les employeurs. Là, on propose que l'on débatte avec le Gouvernement pour qu'il y ait une aide pour les salariés qui sont obligés de prendre leur voiture puisqu'il n'y a pas de transport en commun, cela arrive dans beaucoup d'endroits en France. Et cette aide doit passer, selon nous, du Gouvernement par les entreprises pour qu'il y ait une espèce de ticket transport. Deuxième exemple, avec le logement ...
Q- On ne va pas geler les loyers ?
R- Il faut se poser la question. Il n'est pas question pour la CFDT de dire qu'il faut revenir pendant dix ou quinze ans à un système de gel des loyers. Mais on a un problème qui est que l'on manque de constructions. Donc, "les classes moyennes", comme dit le Gouvernement, n'ont pas suffisamment de moyens pour acheter des appartements parce qu'il y a une augmentation des coûts trop élevés, ce qui fait qu'elles occupent des HLM. Et les plus modestes n'arrivent pas à accéder à ces HLM parce qu'il n'y en a pas assez. Ne peut-on pas réfléchir pendant un an, deux ans, trois ans, à une maîtrise de l'augmentation des loyers pour que cela pèse moins sur le budget des ménages, le temps que l'on construise suffisamment d'appartements pour baisser cette pression ? Donc, vous voyez que l'Etat sur des sujets comme ceux-là peut agir bien évidemment, parce que l'Etat a quand même des leviers...
Q- Non, mais ne croyez-vous pas que l'on attend trop de l'Etat ?
R- Je n'attends pas de l'Etat, par exemple qu'il décide de l'augmentation des salaires dans les entreprises. L'Etat a la responsabilité du salaire des fonctionnaires, donc il doit négocier les salaires pour ce qui est de ses employés. Chaque entreprise, chaque branche professionnelle doit négocier des salaires pour ce qui est de leurs salariés, faire en sorte, par exemple, que dans les branches professionnelles on n'ait plus de grilles de salaires en dessous du Smic, des minima...
Q- Et là, vous pensez qu'une journée comme celle-ci va inciter les patrons à augmenter les salaires ? Je ne crois pas...
R- On a eu une vingtaine de branches qui ont négocié après la manifestation - je prends l'exemple de la plasturgie, qui a négocié de telle façon qu'ils ont un système maintenant où il n'y aura plus de minima de branche en dessous du Smic.
Q- Donc, vous dites : oui, cela sert ?
R- Cela sert si derrière il y a inévitablement l'ouverture de négociations. On voit bien, par exemple dans la fonction publique, après la dernière manifestation, il y a eu une augmentation des salaires. Donc, on voit bien que l'on a aussi...
Q- Mais pour les retraites cela n'a servi à rien, elle est passé la réforme des retraites.
R- Mais la réforme des retraites est passée parce que la CFDT s'est engagée. Qu'a-t-on obtenu dans cette réformes des retraites, on oublie ce que l'on a obtenu ? Que les salariés qui ont commencé à travailler à 14 ans au lieu de travailler 46 ans jusqu'à 60 ans, qu'ils puissent partir à 56 ans. Ils ont gagné quatre ans sur leur durée de travail. On a obtenu que le minimum pour les retraites, qui était 75 % du Smic passe à 86 %. On a obtenu que la décote, si vous partez plus tôt, qui était de 10 % par an passe de 10 à 5 %. Donc, nous, à la CFDT...
Q- Vous dites : on a gagné !
R- ...non seulement on s'est mobilisés le 13 mai d'une façon importante pour obtenir des choses, mais on a eu des résultats. On voit donc bien que l'action paye.
Q- Question d'Alain, routier, à F. Chérèque : Pourquoi nous, les routiers, nous n'arrivons pas à imposer notre grève ? Nous sommes menacés de retrait de permis, nous sommes menacés en permanence. Le seul moyen de nous faire entendre, c'est de bloquer plus ou moins, et dès que l'on bloque, ça y est, le permis... Mais comment faire grève, on ne peut pas ! Si on laisse les camions au dépôt, on va appeler d'autres hommes d'entreprises étrangères pour faire le travail à notre place, etc.
R- La CFDT est le premier syndicat chez les transports routiers, donc on est très sensibles à cette...
Q- C'est ce que je vous disais tout à l'heure : il n'y a que les actions radicales qui fonctionnent. En voilà une preuve : Alain est en train de nous le dire : il est obligé de bloquer pour se faire entendre ?
R- On a eu une expérience il n'y a pas longtemps, où on a eu une journée d'action chez les routiers, et on s'était mis d'accord avec M. Sarkozy, qui était ministre de l'Intérieur déjà à l'époque, que l'on bloquait certaines routes, mais que l'on faisait cela d'une façon responsable, c'est-à-dire, qu'on laissait par exemple une voie de circulation. M. Sarkozy n'a pas respecté l'engagement ce jour-là, des chauffeurs routiers CFDT sur Lyon ont eu leur permis de conduire retiré, et ont eu une condamnation au tribunal. Donc, là, je pense que l'on avait trouvé un équilibre dans la possibilité d'avoir une action spectaculaire, comme le souhaite ce monsieur, sans gêner trop les usagers, et inévitablement, on a un Gouvernement qui est allé à la répression vis-à-vis de ces chauffeurs routiers. La difficulté existe. Ceci dit, on voit bien aussi que, dans certaines entreprises lorsque l'on a des actions chez les routiers, ils arrivent à bloquer leur entreprise sans gêner l'usager, et ils arrivent aussi parfois à faire pression sur l'employeur.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 octobre 2005)
RTL le 5 octobre 2005
Q- Jean-Michel Aphatie : Bonjour, François Chérèque.
R- François Chérèque : Bonjour.
Q- Jean-Michel Aphatie : Tout le monde en convient. Il y avait du monde, hier, dans les rues. "J'écoute le message des français" a assuré Dominique de Villepin, dans l'après-midi, à l'Assemblée Nationale. La formule du premier ministre vous satisfait-elle,
François Chérèque ?
R- François Chérèque : Qu'il écoute, c'est une bonne chose. Mais il faut qu'il aille un peu plus loin, qu'il nous donne des réponses.
Q- Jean-Michel Aphatie : Qu'attendez-vous de lui ?
R- François Chérèque : Ce qu'on attend de lui et du patronat? La manifestation d'hier n'était pas dirigée que vers le gouvernement. On attend donc du patronat et du premier ministre des réponses.
Q- Jean-Michel Aphatie : Vous parlez comme il y a 30 ans. Le patronat ! On est revendicatif, ce matin !
R- François Chérèque : Bien évidemment. Après une journée comme celle d'hier, il faut définir quels sont nos interlocuteurs. Et pour des syndicalistes, on ne peut pas se contenter des interlocuteurs uniquement gouvernementaux. On a aussi des responsables patronaux dans les branches professionnelles - mais aussi, au niveau inter-professionnel, le M.E.D.E.F - qui doivent nous donner des réponses.
Parce que, quand même, sur les deux sujets qui sont les nôtes : que ce soit l'emploi ou le pouvoir d'achat, c'est dans les entreprises que l'emploi se fait. C'est dans les entreprises - dans les branches professionnelles - que le pouvoir d'achat se négocie, y compris dans la fonction publique, d'ailleurs.
Q- Jean-Michel Aphatie : Concrètement, François Chérèque, l'emploi. Pensez-vous qu'aujourd'hui les chefs d'entreprise n'embauchent pas par volonté ? Il y a une réticence à embaucher, une mauvaise volonté ?
R- François Chérèque : Non, pas obligatoirement. On sait très bien que la conjoncture économique n'est pas porteuse pour créer des emplois, mais on sait aussi qu'on a un Etat, un gouvernement, qui investit beaucoup dans les aides aux entreprises.
Et je n'ai cessé de le dire depuis plusieurs semaines : dans le budget 2006, on aura 23 milliards d'euros d'aide aux entreprises. Et le premier ministre nous a donné une leçon, ou a donné une leçon à la population, en disant : "on va demander à Hewlett Packard de rembourser les quelques aides qu'ils ont eues".
Q- Jean-Michel Aphatie : En fait, ils n'en n'avaient pas eues.
R- François Chérèque : Et bien, ils n'en n'avaient pas eues. En plus, il a été maladroit. Mais il a oublié que lui-même, chef du gouvernement, dans son budget, il propose 23 milliards d'euros d'aides aux entreprises : que ce soient des allégements de charges ou des aides directes à la création d'emplois.
Donc, nous souhaitons remettre ce sujet-là sur la table, et dire comment on demande des contre-parties aux entreprises, en création d'emplois, mais aussi en évolution de salaires. Comme ces aides aux entreprises sont liées directement au S.M.I.C. ou à la "zone S.M.I.C.", comme on dit, c'est-à-dire sur les bas salaires, on maintient les salaires en France dans des trappes à pauvreté, dans des trappes à bas salaires. Et donc, ces aides sont contradictoires avec une évolution salariale. Donc, on veut débattre à nouveau de ce sujet-là.
Q- Jean-Michel Aphatie : Vous donnez combien de temps, François Chérèque, à Dominique de Villepin pour ce qui le concerne, à Laurence Parisot, présidente du M.E.D.E.F pour ce qui la concerne, pour répondre à vos attentes ? Une semaine ? Quinze jours ? Trois mois ? Six mois ? Combien de temps ?
R- François Chérèque : On ne va pas se fixer un calendrier mais il nous faut des réponses dans les jours, dans les semaines qui viennent.
Q- Jean-Michel Aphatie : Des jours, des semaines, ce n'est pas pareil !
R- François Chérèque : Non, mais le mois d'octobre doit être un mois utile pour pouvoir avancer. Je prends deux exemples : nous avons, cet après-midi, une négociation sur l'emploi des seniors. Donc, un sujet important.
Q- Jean-Michel Aphatie : Avec le M.E.D.E.F.
R- François Chérèque : Avec le M.E.D.E.F. Est-ce que les entreprises vont maintenir les seniors dans leurs entreprises ? Est-ce que les entreprises vont faire un effort pour qu'il y ait une baisse du chômage dans les catégories de plus de 50 ans ? Résultat : ce soir. Est-ce que le M.E.D.E.F. nous a entendus ?
Nous avons une négociation, le 2 novembre, sur la pénibilité au travail et le lien pénibilité-retraite-emploi. Est-ce que le M.E.D.E.F. va nous faire des propositions ? C'est un engagement, suite à la réforme des retraites. Rendez-vous précis : expression syndicale précise, le 2 novembre, sur ce sujet-là.
Le premier ministre, demain matin, met en place le Conseil d'Orientation pour l'Emploi. Nous lui demandons, très précisément, que, demain, il charge ce Conseil d'Orientation pour l'Emploi de réfléchir à ce lien allégement de charges-emploi-salaires. Donc, réponse : demain matin.
Q- Jean-Michel Aphatie : La vérification est faite à la fin de la semaine sur la bonne volonté des uns et des autres. Sinon, on aura des manifestations à nouveau ?
R- François Chérèque : Quand on organise un mouvement comme celui d'hier, ce n'est pas pour l'arrêter le lendemain. Donc, bien évidemment, il y aura une suite. Maintenant, le débat, c'est : quelle suite ? Je l'ai dit, on va fixer nos orientations et nos actions, dans les semaines qui viennent, en fonction de nos objectifs. Il ne s'agit pas, toujours, de faire la même chose.
Négociations dans les branches : donc propositions. Réflexion avec nos fédérations : est-ce qu'on fait des actions dans les branches, là où on a besoin des augmentations de salaires ?
J'ai parlé du 2 novembre : pénibilité. Donc, expression syndicale, ce jour-là. Le 25 octobre, nous avons plusieurs branches professionnelles qui vont se réunir à Strasbourg, le jour où le Parlement Européen va débattre du problème de cette fameuse directive de services dite "Bolkestein" avec : est-ce qu'on va faire en sorte que les entreprises qui viennent en France vont appliquer le droit français ? Donc, manifestation à Strasbourg, le 25 octobre, pour les branches professionnelles concernées. Donc, vous voyez bien qu'en fonction de nos objectifs, nous aurons des réactions diversifiées.
Q- Jean-Michel Aphatie : La C.F.D.T. traditionnellement réformiste, n'est-elle pas un peu débordée par l'activisme de la C.G.T. ? La présence de l'extrême-gauche dans les défilés ? Est-ce que vous n'êtes pas un peu déporté, François Chérèque, par rapport à votre pente naturelle ?
R- François Chérèque : Notre démarche syndicale, c'est de se dire : "il y a des moments, il faut qu'on exprime avec les salariés leurs revendications et leur malaise".
Q- Jean-Michel Aphatie : Il faut courir derrière les troupes ?
R- François Chérèque : Non, non. J'étais devant. Et je pense qu'on est en phase avec les militants C.F.D.T. sur ce point-là. Maintenant, l'objectif, aujourd'hui, c'est de se dire quels sont les résultats qu'on amène. Et c'est là qu'on fait la différence avec la C.F.D.T. Il ne s'agit pas, pour nous, de compter le nombre de manifestants pour se dire qu'on a fait un peu mieux, cette fois-ci, que la fois dernière.
Il s'agit d'amener des résultats concrets. C'est la raison pour laquelle, maintenant, nous allons attendre les réponses du gouvernement et du patronat et, en fonction de nos objectifs, on fera des actions directement liées à ce qu'on veut obtenir. Parce que, rien de pire qu'amener les gens dans la rues tous les 3 mois ou tous les six mois, et de ne pas avoir de résultat.
Q- Jean-Michel Aphatie : Vous convenez, quand même, qu'il y a un climat radical qui ne correspond peut-être pas à votre façon traditionnelle de faire du syndicalisme, François Chérèque ?
R- François Chérèque : Bien évidemment. Et on l'a bien vu au niveau de la S.N.C.M. - et je l'ai dit - A partir du moment où le gouvernement s'y est pris comme des amateurs sur la S.N.C.M.
Q- Jean-Michel Aphatie : Vous êtes absent de ce dossier ? Vous n'avez pas de syndicaliste ?
R- François Chérèque : On a quelques adhérents à la S.N.C.M. Mais, je pense qu'il y a aussi une démarche, parfois, un petit peu totalitaire dans cette entreprise.
Q- Jean-Michel Aphatie : De la C.G.T. ?
R- François Chérèque : Du syndicat majoritaire, ou d'autres. Mais on a vu qu'on avait une concurrence avec d'autres.
Q- Jean-Michel Aphatie : La C.G.T. pour ceux qui ne comprennent pas !
R- François Chérèque : Mais qu'il y a une difficulté à exprimer des choses différentes. Par exemple, la C.F.D.T. de cette entreprise propose, depuis des semaines, qu'on ait une participation des collectivités territoriales dans le capital de l'entreprise. Personne n'écoute cette demande et on se demande bien pourquoi, d'ailleurs !
Q- Jean-Michel Aphatie : Vous poserez la question à ceux qui sont concernés. La récupération politique est aussi une question. On a noté - c'était une singularité de la journée d'hier - que Jack Lang avait défilé deux fois. Une fois, à Boulogne, une fois à Lille. Ca vous agace, la récupération politique, François Chérèque ?
R- François Chérèque : Ça veut dire, qu'au moins, il a la forme, Jack Lang !
Q- Jean-Michel Aphatie : Oh, oui, il a la forme. S'il avait pu, il l'aurait fait 3 fois, peut-être. Mais il ne l'a fait que 2 !
R- François Chérèque : Que des partis politiques viennent dans les manifestations, ce n'est pas nouveau. Mais ce qu'on attend des partis politiques, ce n'est pas d'être sur le trottoir pour regarder défiler les manifestations, c'est de proposer des changements pour notre pays.
Q- Jean-Michel Aphatie : Et il n'en propose pas assez ?
R- Or, je pense qu'il est plus facile pour eux, actuellement, de regarder les manifestations plutôt que de faire des propositions. Et je crois que, si on veut avoir un vrai débat démocratique dans notre pays, on a besoin que la gauche, aussi, fasse des propositions de réformes.
Q- Jean-Michel Aphatie : On note, ce matin, que François Hollande, dans "Le Figaro" dit qu'il est même prêt à faire des propositions avec la Ligue Communiste Révolutionnaire. Qu'est-ce que ça vous inspire comme réflexion, François Chérèque ?
R- François Chérèque : Avant, pour gagner le congrès du Parti Socialiste, il fallait faire à gauche. Maintenant, c'est à l'extrême gauche. Je pense que ce n'est pas une évolution positive pour la politique, et en particulier pour la gauche.
Q- Jean-Michel Aphatie : Un autre grand rendez-vous, c'est E.D.F. Il va y avoir une ouverture du capital, à la mi-octobre. Là aussi, on entend beaucoup la C.G.T. On vous entend peu, François Chérèque, sur ce dossier. C'est bien ? Ce n'est pas bien ?
R- François Chérèque : Parce que, simplement, les militants C.F.D.T. qui étaient opposés à l'ouverture de ce capital pour des raisons de politique énergétique - parce qu'il nous semblait qu'il fallait avoir le débat sur l'énergie avant. Aujourd'hui, la décision est prise. L'Etat restera à 70%.
Donc, le combat, aujourd'hui, n'est plus de lutter contre l'ouverture du capital - parce que la décision est prise - le débat, aujourd'hui, c'est de dire quelle est la politique de l'énergie de demain. Et, on le voit bien avec les prix du pétrole, mieux vaut débattre de ce problème-là, qui est le problème crucial, y compris en terme de pouvoir d'achat pour les salariés qui sont, aujourd'hui, les premières victimes de cette augmentation d'énergie.
Jean-Michel Aphatie : François Chérèque, secrétaire national de la C.F.D.T. était l'invité de RTL, ce matin. Bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 octobre 2005)