Interviews de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à France-Info et dans "Libération" le 2 novembre 2005 et à France-Inter le 9, sur le congrès du PS au Mans, les cinq motions en présence et les violences en banlieue.

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC Libération - France Info - France Inter - Libération

Texte intégral

France-Info le 2 novembre 2005
J.-C. Martin - Le congrès du PS va se tenir à partir du 18 novembre, un moment important, pour vous, personnellement, et pour votre parti. On va y revenir, mais d'abord, dans cette affaire des deux adolescents de Clichy-sous-Bois, morts électrocutés - c'est ce qui a déclenché les premières violences la semaine dernière dans les banlieues parisiennes -, les familles des victimes avaient refusé de rencontrer seules le ministre de l'Intérieur, hier, une façon de récuser N. Sarkozy. Il se trouve que le maire de Clichy-Sous-Bois est un socialiste ; est-ce que vous l'aviez appelé pour parler avec lui de la situation dans sa ville ?
R - Oui, je l'ai appelé pour parler de cette situation qui est très grave, qui me préoccupe au plus haut point. Vous imaginez, pour un maire d'une ville, avoir à la fois deux mineurs tués dans ces circonstances, des émeutes, parce qu'il s'agit bien de cela, dans les cités les plus exposées par la délinquance, et puis avoir aussi une mosquée qui se trouve atteinte par un gaz lacrymogène. Et donc, il pose des questions, il appelle des réponses. Et qu'est-ce qu'il demande depuis trois ans et demi ? Il demande, à l'égard de sa ville, avant que ne soient connus ces faits, une solidarité de tous les instants, il demande une police de proximité, celle qui lui a été supprimée, il demande des crédits de prévention, ceux qui n'existent plus, il demande qu'il y ait des effectifs réguliers de travailleurs sociaux qui viennent accompagner un certain nombre de jeunes dont on sait qu'ils sont en perdition ou en délinquance et qu'il faut ramener dans la société. Alors, ces questions, il les a posées avant, et maintenant il les repose après des incidents exceptionnellement graves.
Q - Hier, l'UMP Y. Jego a aussi accusé le PS de tentatives de manipulation dans cette affaire. Il présente l'avocat des familles comme l'un de vos proches. Avez-vous eu l'occasion de parler avec cet avocat des évènements de Clichy ?
R - Vous vous rendez compte, maintenant, où l'on en est arrivé ? Moi, je refuse ce climat de polémique. Alors, on viendrait dire que, parce que les familles ont choisi un avocat qui se trouverait être un proche du Premier secrétaire du Parti socialiste, il y aurait là comme une manipulation ? Mais qu'est-ce que cela veut dire "un proche" ? Quand on est un avocat, on défend des familles et il n'y a pas là de volonté de notre part d'attiser des tensions, au contraire. Aujourd'hui, le Gouvernement devrait, par la voix du ministre de l'Intérieur mais aussi par la voix du Premier ministre - que dis-je, le président de la République lui-même ! - devrait s'exprimer, pour essayer de retrouver le calme, et au lieu de cela, on semble attiser les tensions, incriminer les uns, provoquer les autres. Je sais que cette situation est difficile, je sais qu'elle est complexe, je sais qu'il n'y a pas de solution facile, y compris dans l'urgence, je sais que ces questions de sécurité préoccupent au plus haut point nos concitoyens. Moi, je ne rentre pas dans la polémique, en revanche, je dis qu'il faut tirer les leçons de ce qui s'est passé depuis trois ans et demi. L'absence de politique de prévention, le démantèlement de la police de proximité, on voit où ça nous conduit. Le délaissement des quartiers, le fait qu'il n'y ait plus de politique sociale là où il y a justement le plus de problèmes sociaux, tout cela doit appeler maintenant des réponses claires de la part du Gouvernement et pas cette confusion et cette incohérence, comme on le note aujourd'hui.
Q - Alors, on entend bien votre critique. Hier, vous avez eu un soutien inattendu, celui d'A. Begag, le ministre de l'Egalité des chances. Il a contesté, de façon assez virulente, les méthodes de son collègue N. Sarkozy. Cela a dû vous faire plaisir...
R - Là aussi, nous ne faisons pas de la joute politique. Qu'est-ce qu'a dit le ministre de l'Intégration, qui lui-même est membre du Gouvernement, puisqu'il est ministre ? Il a dit que l'on ne peut pas parler comme cela d'un certain nombre de quartiers, de cités ou même de jeunes. Il a dit qu'il y avait une forme d'expression qui était aujourd'hui tout à fait malencontreuse. Il a dit qu'il fallait peut-être qu'il soit lui-même plus présent. Tout cela, c'est l'affaire du Gouvernement, bien sûr, c'est l'affaire du pays. Je considère que son intervention doit être également écoutée. Mais ce qui me frappe, aujourd'hui, c'est que c'est le ministre de l'Intérieur qui est le seul à exposer la politique du Gouvernement, alors qu'il y a une défaillance, on le voit, de la politique de sécurité qu'il a mise en place depuis trois ans et demi, mais qu'il y a aussi un manque cruel de crédits sociaux, qu'il y a une défaillance de la politique éducative. A partir de là, j'attendrais du Premier ministre qu'il puisse aujourd'hui s'exprimer et pas simplement en recevant des familles, ce qui est déjà la moindre des choses. Et j'attends du président de la République... Souvenons-nous des conditions dans lesquelles il a fait sa campagne en 2002 : essentiellement sur la question de l'insécurité. Il a mis en cause l'autorité de l'Etat sous prétexte qu'il y avait, c'est vrai, des phénomènes de délinquance, aussi, avant 2002, même s'il n'y avait pas cette déferlante - je prends le mot à dessein - dans les quartiers. Mais je crois qu'aujourd'hui, c'est une parole forte de l'Etat qui doit être entendue. Et quand le président de la République est silencieux, quand le Premier ministre se cache, quand le ministre de l'Intérieur fait de la provocation et que le ministre de l'Intégration est obligé de rappeler, finalement, les principes élémentaires de la République, c'est vrai qu'il y a un problème qui est posé à l'ensemble de l'Etat.
Q - Mais ce que dit également A. Begag, c'est que la critique de gauche, aujourd'hui, face à ces évènements, est un peu facile, il demande où est cette France "Black, Blanc, Beur", tant célébrée à une certaine époque par la gauche, où elle est passée ?
R - Je pense que nous avons aussi, forcément, dès lors que nous avons gouverné, notre part de responsabilités. Nous avons mis, c'est vrai, en place, des outils de la politique de la ville qui servent ou qui devraient servir aujourd'hui. Nous avions mis en place une police de proximité qui a été démantelée, alors que les maires, et aussi le maire de Clichy, tous nous ont dit, de droite comme de gauche, que c'était la seule façon de pouvoir connaître ce qui se passait dans les quartiers, suivre un certain nombre de phénomènes de délinquance, appréhender avant qu'il ne soit trop tard un certain nombre de fauteurs de troubles. Cela a été démantelé. Donc moi, ce que je propose aujourd'hui, c'est que l'on essaie, de bonne foi, de regarder ce qui marche et ce qui ne marche pas, ce qui est nécessaire et ce qui est superflu. Ce qui est superflu, ce sont les provocations verbales, ce qui est nécessaire ce sont des effectifs de police présents, une politique de prévention active, une politique d'éducation forte et un soutien aux quartiers les plus en difficultés.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 10 novembre 2005)
Libération le 2 novembre 2005
A quoi bon ce congrès alors que deux questions majeures, la rénovation idéologique et la désignation du candidat, en ont été évacuées ?
Les militants veulent en terminer avec le débat interne pour promouvoir leur projet, et demain leur candidat (e), auprès des Français. Ce ne sera possible qu'avec un PS en ordre de marche et une gauche rassemblée. Les Français ne nous demandent pas des tête-à-queue idéologiques ou une quête de modernité débouchant sur l'abandon même des principes du socialisme. Cent ans après la création de la SFIO, notre idéal n'a pas changé, c'est d'aller jusqu'au bout de l'égalité humaine, jusqu'au point ultime des conditions de l'épanouissement personnel et de la réussite collective. Les instruments, eux, évoluent : l'école devient centrale, les conditions de redistribution doivent être plus efficaces, l'approche territoriale de la lutte contre les inégalités prend une autre dimension et, surtout, le rôle de l'Etat se modifie. L'Etat ne peut pas réussir s'il n'est pas accompagné par les partenaires sociaux, le réseau associatif et même les citoyens. Voilà une leçon majeure tirée de notre expérience du pouvoir depuis 1981. Quant au choix de notre candidat, il viendra en novembre 2006. Notre motion compte plusieurs postulants. C'est la preuve que voter pour elle, c'est rester libre pour le choix suivant. Tel n'est pas le cas d'une autre motion qui confond son premier signataire et son candidat.
En quoi votre texte se distingue de ceux de Laurent Fabius et du NPS ?
Nombre d'orientations nous réunissent. Heureusement, puisque le projet qui sortira du congrès servira de base à l'élaboration du contrat de gouvernement avec nos partenaires et de plate-forme pour la présidentielle. Des différences existent, par exemple pour relancer la politique salariale (négociation sur l'ensemble des salaires pour nous, seul relèvement du Smic pour d'autres), ou sur l'emploi, où nous fournissons un contenu à la Sécurité sociale professionnelle avec la création d'un nouveau contrat de reclassement. Mais surtout, ce qui nous sépare relève d'une méthode politique. D'abord, le projet ne doit pas être la seule addition des abrogations des lois les plus iniques votées par la droite. Il ne s'agit pas seulement de revenir en arrière, nous avons une obligation de progrès. Ensuite, nous avons une obligation de cohérence. Moi je n'affirme pas de positions que je sais impossible à tenir demain. Je n'ai pas besoin de changer d'avis sur EDF, les impôts, les services publics ou les stock-options au prétexte que je suis dans l'opposition. Enfin, si l'union de la gauche est le principe pour fonder le retour du PS au pouvoir, elle doit se bâtir autour de son projet, de sa conception de la responsabilité, sans chercher une caution à l'extérieur.
Votre réticence à abroger les lois de la droite ne traduit-elle pas une difficulté à s'opposer ?
2007 doit être un progrès, pas un retour à 2002. Nous reviendrons sur tout ce que la droite a mal fait : retraites, assurance maladie, privatisation d'EDF, loi sur l'école, etc. Mais pour proposer une meilleure retraite, un égal accès à la santé, un service public efficace, une école véritablement républicaine. Les Français n'attendent pas de nous un effacement du passé mais une construction de l'avenir. La politique, c'est une gomme et un crayon. Chez certains de mes amis, il n'y aurait plus besoin que de la gomme...
Et si votre motion n'atteint pas 50 % des voix ?
Je ne serai pas candidat au poste de premier secrétaire. Aux motions 2 (Fabius) et 5 (NPS), devenues majoritaires, reviendraient la tâche de former une nouvelle direction. Il serait bon, au nom de la clarté, qu'elles nous dévoilent le nom de leur candidat au poste de premier secrétaire, avant le vote du 9 novembre.
Depuis le 29 mai, le clivage oui/non perdure...
Si le PS et la gauche continuent ainsi, la défaite en 2007 est probable car c'est empêcher le rassemblement, alors que l'enjeu même a disparu. Le traité constitutionnel ne revivra plus sous cette forme. Alors pourquoi entretenir une vaine querelle plutôt que de parler de ce qui sera en cause en 2007 : la poursuite de la politique de droite ou un vrai changement.
Et parler par exemple du chômage où le gouvernement Villepin renverse la tendance ?
Grâce au retour des emplois aidés, sa baisse est une évidence statistique. Mais ce n'est qu'un expédient pour tenir jusqu'en 2007 à grands coups de crédits budgétaires. Il n'y a aucune création d'emplois dans le secteur marchand, la dynamique de la croissance est cassée et si certains indicateurs " passent au vert ", ce n'est que grâce à un coup de peinture.
Mais avec son profil plus " social ", Villepin chasse sur vos terres électorales ?
Quand un gouvernement fait une réforme fiscale pour que 12 000 contribuables empochent 400 millions d'euros de cadeaux fiscaux pendant que 8 millions d'autres se partagent la même somme, je ne m'inquiète pas de cette prétention... Tous les choix de Dominique de Villepin favorisent les plus privilégiés et pénalisent le plus grand nombre (les 18 euros sur les actes médicaux, la hausse de 12 % du prix du gaz). Rien, sauf les mots - " patriotisme économique ", " croissance sociale" -, n'étaye la moindre conception de l'intérêt général. Tout est fait pour les clientèles supposées de la majorité. Si les mots avaient encore un sens, on dirait que c'est un gouvernement de classe.

Si vous l'emportez au Mans, vous vous sentirez renforcé pour 2007 ?
Je ne me suis jamais inventé un destin au lendemain des succès de 2004. A l'inverse, je n'ai jamais considéré que le non au référendum était une défaite pour le PS, et encore moins pour moi. Parce que chaque fois qu'on est en adéquation avec ses idées, en adhésion à ses valeurs, et en respect de son parti, on peut connaître des turbulences, mais on ne perd jamais sa boussole. Je sais où je vais, je ne fais pas dans le zigzag. Je me suis fixé un seul objectif : que la gauche gagne en 2007. Toutes les conditions objectives d'une défaite de la droite sont réunies. Elle a échoué sur le plan économique, elle est déconsidérée sur le plan social, elle est divisée en son sommet, etc. Et pourtant, la gauche n'est pas sûre de gagner. Pour y parvenir, elle doit faire les choix de la cohérence, de la sincérité, de la volonté et de l'unité. Dans la crise démocratique que connaît la France, tout dire pour gagner en 2007, sans disposer de la capacité de réussir ensuite, c'est un risque que je ne veux pas courir. Non pour moi, ni pour mon parti, mais pour mon pays.
(Source http://www.psinfo.net, le 10 novembre 2005)
France-Inter le 9 novembre 2005
Q- Le prochain congrès socialiste du Mans, alors que les militants vont aujourd'hui par leur vote choisir entre les cinq motions en lice, ne sera t-il, comme le croit l'ancien ministre socialiste des Affaires étrangères, H. Védrine, qu'un congrès d'après référendum, ne tranchant ni la ligne du parti, ni la question du ou des candidats à la présidentielle. Dès lors, le Parti socialiste doit-il craindre un congrès pour rien dans le contexte où se trouve le pays ? [...] D'abord la question du couvre-feu, mais aussi celle des zones franches, la lutte contre les discriminations, l'Education, la formation, le logement... Sur ces questions qui concernent directement le pays, aujourd'hui, y a-t-il, peut-il y avoir consensus ou pas ?
R- D'abord, il y a sans doute une responsabilité à établir. Je crois qu'elle est en train de se mettre en évidence, je n'ai pas besoin d'insister. Mais il y a surtout une réponse à apporter et la réponse c'est la République. La République dans le respect de la loi et la République dans la solidarité à laquelle les populations de ces quartiers ont le droit. Je pense à celles qui sont victimes aujourd'hui de ces violences, c'est-à-dire les plus fragiles, les plus modestes d'entre nous et qui subissent aujourd'hui la dégradation de la situation. Mais je pense aussi à ces jeunes en mal d'espérance à qui il faut donner une place dans la société - même si rien ne justifie le recours à la violence. Voilà, c'est la République la réponse. J'ai trouvé que ces derniers jours, même si le Premier ministre a beaucoup tardé à parler - je ne parle pas du Président dont on ne sait pas encore s'il est à l'Elysée ou ailleurs, parce que son silence est assourdissant - mais quand même, dans les réponses qui ont été fournies jusqu'à hier à l'Assemblée nationale, l'aspect rétablissement de l'ordre, tout à fait indispensable, a été prédominant par rapport aux réponses sociales, aux réponses éducatives que l'on doit à ces quartiers. Et j'allais dire de la solidarité territoriale. Comment voulez-vous que des communes - beaucoup sont dirigées par la gauche, mais d'autres par la droite - mais comment voulez-vous que ces communes parmi les plus pauvres de France puissent assumer les charges qui sont les leurs, si on ne leur redistribue pas différemment les dotations de l'Etat, si on ne change pas les finances locales, si on ne modifie pas les règles de la fiscalité locale, alors les inégalités vont continuer à s'aggraver.
Q- Mais comment concevez-vous le rôle de l'opposition dans une situation comme celle-là. On a compris que vous faisiez encore allusion à N. Sarkozy et au poids des mots utilisés.
R- Mais pas simplement !
Q- Mais les propositions quelles sont-elles alors ?
R- Il y a aussi la politique depuis trois ans et demi. Rendez-vous compte, on découvre aujourd'hui que la police de proximité était utile. Eh bien oui, elle l'était, elle n'est plus là, qui l'a supprimée ?
Q- Elle est rétablie !
R- Elle est rétablie, mais il valait mieux la laisser. On découvre que les emplois jeunes c'est quand même une réponse, pas la seule, pour donner de l'activité dans ces quartiers. On les rétablit et encore avec des formules précaires. On découvre que les associations c'est nécessaire pour créer le lien social, on remet les crédits qui avaient été supprimés et par qui ? Par l'actuel Gouvernement ! Donc voilà, moi si j'ai une leçon à tirer, et je la tire aussi pour la gauche si elle doit revenir aux responsabilités, qu'on cesse ce petit jeu d'effacer ce qui a été engagé par les prédécesseurs, qu'on prétende redécouvrir ce qui doit être normalement engagé dans la durée. Deuxièmement, nous avons fait preuve de responsabilité. Vous évoquez le recours à la loi de 1955, c'est un aveu d'échec, convenons-en. Quand on est obligé de recourir à une loi d'exception, en plus chargée de symboles, ce n'est pas la meilleure façon pour...
Q- C'était une loi qui était engagée au début de la guerre d'Algérie. En effet ce n'est peut-être pas indifférent d'évoquer une telle loi maintenant ?
R- C'est vrai que ce n'est pas le meilleur symbole et, en même temps, il faut que les pouvoirs publics puissent disposer d'un certain nombre d'outils. C'est la responsabilité du Gouvernement de les engager. Mais nous, nous serons à la fois responsables, parce que le rétablissement de la loi républicaine c'est un principe sur lequel on ne peut pas transiger, quelle que soit notre position, au Gouvernement ou dans l'opposition. Et dans le même temps, il faut appliquer les lois, et notamment les lois d'exception, avec discernement et nous serons extrêmement vigilants là-dessus.
Q- Vous posez la question de la responsabilité. Venons-en tout de même à la question des motions aujourd'hui et celle du congrès derrière. Est-ce que la vraie responsabilité et le seul débat politique qui vaille, il n'est pas là aujourd'hui, c'est-à-dire la question du pacte républicain, c'est-à-dire la question d'intégration ? Vous ne croyez pas que l'on s'en fout un peu de savoir qui sera candidat à la présidence ?
R- C'est exactement ce que je dis dans la préparation de ce congrès. Je vous remercie de votre soutien à quelques heures du vote, parce que...
Q- C'est une question. Je ne suis pas là pour soutenir qui que ce soit !
R- Au moins sur la méthode. Je ne cesse de dire : "écoutez, franchement, aujourd'hui, [au] congrès du Parti socialiste [qui est] nécessaire, on va faire la répétition du débat sur le oui et sur le non ?". Aujourd'hui, nous avons à répondre aux problèmes de la France. Les Français ont tranché la question du traité constitutionnel. Nous allons pré désigner notre candidat à l'élection présidentielle ? Sans vexer qui que ce soit, je dirais que c'est assez largement indifférent à l'opinion de savoir qui d'entre nous va être notre candidat. En revanche, pour quoi faire, comment et avec quelles solutions ? Eh bien c'est ça le sujet et je n'ai cessé de le mettre au cur de nos débats. Vous dites qu'il y a cinq motions. Mais moi je ne me plains pas que les socialistes aient le choix entre cinq motions qui ne sont pas représentées par des candidats à l'élection présidentielle, mais au contraire par des hommes et des femmes qui proposent, chacun à sa façon ou chacune à sa façon, des options pour l'avenir. Eh bien vous avez raison, moi je crois que pour les socialistes ce n'est pas une somme de slogans qu'il faut ajouter les uns aux autres, ce n'est pas l'addition de toutes les revendications, mais on aurait l'air de quoi ? Nous sommes un grand parti de gouvernement, nous ne sommes pas un syndicat qui devrait ajouter tous les intérêts des catégories professionnelles les unes, les autres. Et puis nous n'avons pas à ajouter des abrogations aux abrogations. Bien sûr qu'il faut abroger les lois de la droite, c'est bien le moins, mais il faut les remplacer. Donc nous avons à donner du sens, une perspective et quels sont les grands enjeux ? Le premier grand enjeu c'est l'emploi d'une manière générale. Quand il y a 40 % de chômage dans ces quartiers, la lutte contre la précarité, la sous activité, le sous emploi, ce n'est pas un vain mot. Donc la première priorité de tout, je le répète, c'est comment remettre de l'emploi ? Deuxièmement, l'éducation. C'est le cur même du projet socialiste. Si on ne prend pas conscience que l'on doit profondément adapter l'école à ce qui se passe aujourd'hui, en faire un pôle d'excellence, je dis bien d'excellence dans la mondialisation, permettre à chacune et à chacun d'avoir conscience de sa réussite possible, donner des taux d'encadrement dans ces quartiers, là, où nous sommes en proie à un certain nombre de découragements, voire de violence, oui de violence aujourd'hui, il faut quand même que l'école de la République soit la réponse, sinon, nous aurons toujours à traiter ou par la prévention ou par la répression.
Q- Puisqu'on a parlé de l'Europe, la réponse dans quelle géométrie ? Les Espagnols, notamment le ministre de l'Intérieur espagnol s'interroge ; les Allemands découvrent - certes, ce n'est pas comparable à ce qui s'est passé en France, mais enfin tout de même - onze véhicules incendiés à Berlin, à Cologne... La question se pose partout ailleurs en Europe de l'intégration et de comment la réussir. Est-ce qu'au fond la France, là, n'est pas en première ligne ? On ne va pas reparler des modèles, parce qu'il y en a un petit peu assez aussi des modèles, c'est comme les candidats. Mais au fond, est-ce qu'il n'y a pas la géométrie pour un vrai débat ?
R- D'abord, la question qui est posée à la France, elle est posée à l'Europe, dès lors qu'elle a fait un choix, il y a maintenant 30 ans, 40 ans, d'ouvrir ses portes pour le travail [aux] travailleurs étrangers, parce que c'est ça qui a été fait. Le patronat en Europe a une politique qui a conduit à avoir une population immigrée. E puis, il y a eu aussi un courant migratoire. Donc l'Europe forcément a à affronter, 30 ans ou 40 ans après, une question majeure qui est l'intégration. Comment y répondre ? Moi je suggère que l'on regarde ce qui marche dans tous les pays européens et la France n'est quand même pas une donneuse de leçons particulièrement bien placée quand même. Mais elle peut être aussi un facteur de généralisation de conflit, c'est bien ce qui inquiète. Donc moi, je suggère qu'il y ait un débat européen...
Q- Un chantier européen ?
R- A là fois pour savoir ce qui marche dans un certain nombre de pays, parce qu'il y a des choses qui marchent, y compris en France d'ailleurs. Heureusement qu'il y a des réussites formidables, qu'il y a des situations qui ont changé du tout au tout. Mais regarder ce qui marche et regarder ce que l'Europe elle-même pourrait faire. La question de la solidarité territoriale c'est une question majeure, pas simplement entre les pays, mais aussi entre les régions, entre les villes. L'Europe avait déjà fait beaucoup, notamment dans les quartiers difficiles, mais aujourd'hui elle doit s'engager. Et si on veut redonner une conscience européenne, il faut aussi que nous nous préoccupions d'autres choses en Europe que de l'agriculture.
Q- Deux choses encore, qui ne sont pas mineures. F. Degois y faisait référence tout à l'heure à 7H30, dans le journal. [Il y aurait] 9 pages de consignes paraît-il avant le vote dans les fédérations pour éviter la triche. C'est quoi cette histoire ?
R- Je ne sais pas quelle est la teneur de ce document, c'est un document qui paraît-il existerait dans une motion du Parti socialiste. Je ne me plains pas qu'il y ait des contrôles, qu'il y ait des vérifications. Mais je souhaite qu'après un vote qui doit être exemplaire, l'interprétation du scrutin elle-même ne souffre pas de contestation. Parce que si au Parti socialiste, on fait des débats - et vous dites que quelquefois c'est long et fastidieux - qu'on vote et il faut en assurer la vérification pointilleuse, et puis après on ne respecta pas le vote, alors à ce moment là, il faudrait changer la conception même du Parti socialiste. Donc moi je dis : un vote après un long débat, un vote incontestable et après on se met tous derrière la motion qui a eu la majorité. Et j'ai fixé moi-même la règle : si la motion dont je suis le premier signataire fait moins de 50 % - il y en a cinq quand même, ce n'est pas si simple et j'aimerais à toutes les élections faire plus de 50 %, et je ne l'ai pas toujours fait dans mon histoire personnelle - mais quand on fait moins de 50 %, on est battu. Moi, je ne me représenterai pas dans ces conditions-là comme secrétaire du Parti socialiste. Mais si la motion dont je suis le premier signataire fait plus de 50 %, alors c'est autour de cette motion-là, autour de la ligne qu'elle représente, autour de la direction qu'elle va fixer, que les socialistes doivent se rassembler. C'est la même meilleure manière, je crois, de travailler aujourd'hui. Pas pour les socialistes, parce que le congrès du Parti socialiste ce n'est pas une affaire entre socialistes, ce n'est même pas une affaire pour la gauche, c'est une affaire pour les Français. Là, ce qui se joue, au moment où le pays traverse une crise, sans doute la crise la plus grave de ces 20 ou 30 dernières années, à un moment où la droite échoue - et je ne m'en réjouis pas - et au plan économique et au plan social et au plan moral ; parce que quand même, souvenons-nous de la déclaration de J. Chirac en 95 : "la fracture sociale" ! Elle est ouverte. Et souvenons-nous de la manière avec laquelle l'insécurité a été posée dans le débat de 2002. Elle est là, l'insécurité, avec la violence. Donc il y a un échec de la droite. Et si le Parti socialiste lui-même n'offre pas une perspective, n'offre pas une alternative, ne montre pas qu'il y a des solutions, des voies possibles de changement, se livre à des débats subalternes ou à des concurrences inutiles, alors je le dis, c'est le Parti socialiste qui portera la responsabilité de l'échec, de l'échec pour le pays en 2007. Ce qui veut dire que pour tout socialiste, aujourd'hui qui a la possibilité de voter - les Français n'ont pas la possibilité de voter, certains le voudraient, il faudra qu'on attende 2007 - mais pour tous les socialistes qui ont la possibilité de voter, ce soir qu'ils prennent un bulletin et qui se disent : est-ce que mon bulletin [qui] ne va pas changer quoi que ce soit au Parti socialiste - ça c'est un autre débat - mais va permettre la victoire de la gauche et de donner un espoir au pays, c'est ça le sens du scrutin.
Q- Une chose très importante, voter c'est toujours la question de la participation. Craignez-vous que le cessez-le-feu .... le couvre-feu - c'est un lapsus, on a tellement envie qu'il y ait le cessez-le-feu - entre ce soir empêche certains militants qui résident dans les zones concernées et il faut voter entre 18H et 22H, ne sortent pour aller voter ce soir ?
R- C'est un risque, vous avez raison. Dans certains quartiers qui sont touchés par les violences aujourd'hui, si couvre-feu...ou même s'il n'y a pas de couvre-feu, c'est tout de même toujours une crainte, il peut y avoir des camarades qui renoncent à l'exercice de leur vote. Mais je ne vais pas interrompre le scrutin au prétexte que nous sommes dans cette situation. Je fais confiance au courage, parce qu'il faut quand même avoir du sens politique pour tous les militants socialistes de venir au siège de leur section voter. C'est un bel acte quand même. On dit les socialistes quand même ils débattent. C'est bien quand même qu'il y ait un parti aujourd'hui, dans la situation dans laquelle nous sommes, qui s'interroge sur son avenir. Moi je ne m'en plains pas, je suis même fier de ce qui se passe au Parti socialiste. A condition qu'on donne une tenue, qu'on donne une image de ce qu'est la politique. C'est ça qui est en jeu aujourd'hui.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 novembre 2005)