Interview de Mme Laurence Parisot, présidente du MEDEF, sur Europe 1 le 7 novembre 2005, sur les violences urbaines, leur impact économique et l'engagement des chefs d'entreprise sur "La charte de la diversité", et sur la position du MEDEF concernant la prochaine négociation sur la nouvelle convention sur l'assurance chômage.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach - Le Premier ministre va sans douter relancer ce soir, sur TF1, son appel à la responsabilité de tous. Qu'est-ce que les chefs d'entreprise sont prêts à faire dans les banlieues, où on les attend et où on les appelle ?
L. Parisot - Aujourd'hui, les chefs d'entreprise tiennent surtout à dire qu'ils estiment que la situation est grave, même très grave. Je tiens à souligner que nous estimons que ce qui se passe aujourd'hui dans notre pays, la France, est tout à fait inédit. Cela ne se compare avec rien de ce que nous avons connu dans un passé récent. Ce ne sont pas les grèves de 95, ce n'est pas mai 68 quand D. Cohn-Bendit demandait à aller dans le dortoir des filles à Nanterre, où il exprimait là un besoin de liberté individuelle. Nous sommes face à une situation où il y a un certain nombre de délinquants qui attaquent des symboles forts, des symboles de la République comme les écoles, des symboles de la liberté d'action, de production comme les entreprises, des symboles de liberté de pensée comme les églises. Donc je crois qu'il faut prendre la mesure de cette situation et ce que nous demandons avant tout, mais je crois comme tous les Français, c'est le rétablissement de l'ordre public.
Autrement dit, vous parlez comme le Premier ministre, le président de la République. Et M. Chirac disait hier que "la République est déterminée à être plus forte que ceux qui veulent semer la violence et la peur". Mais vous estimez que ce n'est pas assez ?
Je parle, je crois, comme toute personne concernée, responsable, comme toute citoyenne française a envie de le faire aujourd'hui. Il ne faut pas se tromper sur l'ordre des priorités. Nous pouvons ensuite débattre sur des questions de société, des enjeux sociaux mais la priorité des priorités, c'est le rétablissement de l'ordre.
Oui et aujourd'hui, pensez-vous que cela peut avoir encore des conséquences sur l'économie ? Je ne parle pas de l'image de la France à l'extérieur mais de l'économie française elle-même...
Les conséquences sont très sérieuses. D'ores et déjà, nous mesurons l'impact de ce qui se passe depuis plus de dix jours sur les services tels que la restauration ou l'hôtellerie. Nous mesurons les conséquences sur le tourisme. Et vous l'avez dit vous-même, je crois que c'est très important de le rappeler, l'image de la France est profondément abîmée et c'est toute la question de l'attractivité de la France qui est posée.
Les quelques chefs d'entreprise de la région Ile-de-France vous disent-ils qu'ils gardent le moral ou qu'ils sont bien sûr inquiets mais prêts à pas rester là où ils sont ?
Les chefs d'entreprise d'Ile-de-France sont des gens extrêmement impliqués sur ces questions depuis longtemps et ils sont prêts aujourd'hui à faire plus. Ils multiplient les initiatives, les expériences pour favoriser tout ce qu'on peut faire en matière d'intégration. Dans quelques jours, le 17 novembre, à Saint-Ouen, le Medef Nord Francilien, qui est présidé par Y. Chir, organise une manifestation qui met en contact chefs d'entreprise de la région et jeunes diplômés qui ont des difficultés à trouver un emploi. Donc ces initiatives existaient déjà mais elles vont continuer bien sûr. Il n'est pas question de baisser les bras.
Vous avez noté que J.-L. Borloo demandait hier soir, que les entreprises fassent un effort majeur, disait-il, pour qu'une entreprise installée dans un territoire ressemble à la population de son territoire...
Je suis tout à fait d'accord avec cette façon d'appréhender la question. Je suis tellement d'accord que j'ai, dès le mois de septembre, proposé à toutes les grandes centrales syndicales d'engager une négociation sur la diversité. Celle-ci est prévue pour janvier 2006. Il s'agit de faire tout pour éviter les discriminations à l'embauche, les discriminations dans la gestion des carrières. Ces discriminations d'ailleurs ne concernent pas que la question des origines, mais concerne évidemment le sexe, cela concerne aussi l'âge qui est une source bien fréquente de discrimination...
Dans Les Echos, vous avez lu la tribune de C. Bébéar, qui estime que la question des banlieues concerne aussi les chefs d'entreprise. Peut-être n'ont-ils pas fait assez selon lui. Mais quel rôle encore les chefs d'entreprise peuvent-ils et doivent-ils jouer ? Par exemple, doivent-ils s'engager pour créer encore plus d'emplois et sans discrimination ?
Nous nous engageons totalement dans cette voie-là. J'ai, au mois de septembre aussi, réuni 150 Medef territoriaux...
Non, mais pour demain...
Mais attendez, je les ai réunis pour dire : "Souscrivons tous d'emblée tout de suite à la charte de la diversité promulguée par C. Bébéar". Mais je dis aussi, pas de mea culpa, pas de leçon de morale. L'entreprise est le meilleur lieu d'intégration qu'on puisse imaginer...
C'est l'armée d'aujourd'hui, quoi !
Peut-être encore plus que les équipes de foot ou les groupes de rock and roll ! Vous dites que "c'est l'armée d'aujourd'hui" : quelle est la question que me posent le plus les chefs d'entreprise depuis dix jours, depuis que ces émeutes ont commencé, qu'ils soient chefs de petites entreprises ou chefs de très grandes entreprises ? La question qu'ils posent la plus fréquemment, c'est pourquoi avons-nous abandonné le service national ?
On peut dire que ce matin, c'est de votre part, présidente du Medef, une sorte d'appel aux chefs des grandes et petites entreprise à plus d'ouverture, de confiance sur toutes ces questions, malgré les violences dont vous avez dénoncé la gravité ?
Ils ont cet état d'esprit-là, ne nous trompons pas. Ils ont tout à fait envie d'intégrer tous ceux qui ont envie de travailler. Nous avons d'ailleurs des démarches qui facilitent ce type d'approche. Il faut mesurer que ce n'est pas toujours facile. A Lyon par exemple, il y a une expérience qui est menée par le Medef de Lyon, dans laquelle ils ont engagé deux chargés de mission qui ont pour objectif de favoriser l'intégration et de faire le lien avec le chef d'entreprise. Qu'est-ce que nous apprenons à ces jeunes gens ? Nous leur apprenons notamment la discipline. Nous leur apprenons que pour travailler, il faut arriver à l'heure au travail, que c'est quelque chose d'important...
Vous voulez dire que dans certain cas peut-être, ces jeunes qui font des actes de violence, inadmissibles encore une fois, ont peut-être peur d'avoir à travailler un jour, s'il y avait des emplois ? Ils ont peur de perdre leur situation avantageuse de mafieux, de dealers dans les banlieues ?
C'est une question qu'on peut se poser effectivement. J'écoutais sur votre antenne J.-L. Borloo, qui répondait à vos questions et qui disait que nous avons développé un plan important, un plan, de rénovation urbaine notamment - et je crois que ce qui est fait de ce point de vue-là est effectivement tout à fait significatif. Et il a ajouté que nous sommes comme rattrapés par le temps. Mais posons-nous aussi la question : est-ce que ce n'est pas parce qu'il y a des premiers effets positifs qui sont perceptibles, observables, que certains - et à mon avis c'est vraiment une minorité bien particulière, une catégorie que juridiquement on appelle des délinquants - ne cherchent pas à protéger leur économie souterraine.
La semaine est aussi importante parce qu'il y a d'abord, jeudi, votre rencontre avec le Premier ministre, monsieur M. de Villepin qui, comme il l'avait annoncé, reçoit à tour de rôle les syndicats. Aujourd'hui F. Chérèque, jeudi, vous et B. Thibault de la CGT, à tour de rôle, sur les inégalités sur le marché du travail et les moyens d'améliorer le pouvoir d'achat. Et demain va s'ouvrir chez vous, au Medef, jusqu'au 31 décembre, l'importante négociation sur la nouvelle convention sur l'assurance chômage. Dans quel état d'esprit êtes-vous ?
Dans un état d'esprit tout à fait ouvert et constructif, que ce soit dans les relations que nous avons avec les grandes centrales syndicales ou avec le Gouvernement...
Mais est-ce qu'on peut aboutir à un accord ?
Je pense que c'est possible. Vous savez que j'ai rencontré tous les syndicats au mois de septembre. J'ai, à cette occasion, rencontré des personnes compétentes, professionnelles, tout à fait à la pointe des dossiers. Et je pense qu'il y a un minimum de relation de confiance. Je ne veux pas dire par-là que nous sommes d'accord, mais je dis que ce climat de confiance, d'écoute et de respect réciproque permet en tous cas de commencer une négociation. Et cela veut dire qu'en tous cas, je ne les considère pas comme mes adversaires mais comme des partenaires.
Concrètement, la CGT et Force ouvrière demandent par exemple que l'employeur cotise davantage sur le travail précaire, c'est-à-dire les CDD, l'intérim. Vous leur dites "oui" ou "non" ?
Il y a un certain nombre d'approche dont on sait qu'elles sont tout à fait incompatibles. D'un côté, certains chefs d'entreprise demandent le retour de la dégressivité, de l'autre certains syndicats demandent une taxation supplémentaire des CDD. Oublions ces positions ultra, engageons les discussions, faisons d'abord un état des lieux, faisons d'abord le diagnostic de la situation, regardons aussi...
Diagnostic... L'Unedic prévoit pour 2005 un déficit cumulé record de près de 14 milliards. Il y a peut-être un moyen d'éviter un trou par an.
Le diagnostic, c'est ce que vous dites, mais ce n'est pas seulement ça. Le diagnostic, c'est aussi comment faire en sorte que nous ayons un système financier durable, pérenne. Je m'explique : la particularité du système de l'Unedic, c'est que quand la situation économique est bonne, nous avons des surplus importants. Et dès que la situation économique se dégrade et là où l'Unedic aurait besoin le plus d'aider les chômeurs, c'est là que le déficit est le plus grand. Il faut repenser ce système financier, avec peut-être la création d'un fond de réserve spécial, pour faire en sorte que le système soit pérenne.
2006, est-ce que cela ne va pas être une année difficile, avec l'annonce des congrès de tous les syndicats ?
Il y a effectivement des échéances électorales, pas seulement politiques mais également chez certaines grandes centrales syndicales. Cela complique parfois les discussions, mais ne nous trompons pas : nous dialoguons beaucoup et nous sommes capables de construire ensemble.
Les salariés de Hewlett-Packard votent, dans la semaine, sur la proposition de leur direction de sauvegarder des emplois, s'ils renoncent à quelques jours de RTT. Est-ce que le Medef soutient l'idée et la méthode ?
Il est évident que le Medef considère que nous avons un manque de quantité de travail en France. Chez Hewlett-Packard, je crois que le nombre de jours travaillés est de 205, alors que la moyenne doit être de 217. Pendant ce temps-là, en Inde, à Bangalore, tous les ingénieurs informaticiens, non seulement travaillent 6 jours sur 7, mais à côté de leur bureau, ils ont un dortoir, une couchette !
Oui, mais enfin, ce n'est pas l'idéal pour un salarié français ou européen d'être indien ou chinois aujourd'hui, alors que les droits sociaux les plus élémentaires ne sont pas respectés...
Evidemment, mais cela veut dire aussi que nous devons faire un effort, un effort en quantité de travail, un effort aussi en recherche et en innovation...
Donc Hewlett-Packard serait un exemple ?
Ce peut être un exemple.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 16 novembre 2005)