Texte intégral
Aujourd'hui, la rupture, c'est la droite qui en parle... Mais que fait la gauche?
La seule rupture visible, c'est celle du gouvernement avec le pacte citoyen et le modèle social français. La droite n'est plus libérale, elle devient néoconservatrice. Elle assimile adaptation et modernité, alors qu'adaptation signifie généralement régression sociale. Prenez le contrat nouvelles embauches. Officiellement, c'est une adaptation. En réalité, c'est le retour au "salarié jetable" du XIXe siècle. Si s'adapter, c'est baisser les salaires, faire reculer les droits des salariés, je suis contre. Pour autant, faire croire que la gauche du parti veut revenir au "Gosplan" est ridicule. Je suis attristé que François Hollande parle de nous en évoquant "ceux qui voudraient rompre avec le capitalisme en 100 jours". C'est le genre de caricature que la droite réserve à la gauche.
Vous n'êtes donc pas pour la rupture?
Je suis en rupture avec la logique de l'économie de marché sur des points importants, pas avec l'économie de marché elle-même. Je souhaite que le capitalisme soit régulé par la politique. Je suis en rupture avec cette tendance qui voudrait que les actionnaires gèrent le monde. Il faut aussi s'inscrire en rupture avec la dégénérescence de nos institutions et avec ceux qui, au PS, prônent une alliance avec le centre.
A ce propos, votre ami Oskar Lafontaine n'est-il pas responsable de la défaite du SPD en Allemagne?
Non, c'est de la faute du SPD qui refuse une alliance de toute la gauche. Car la gauche est nettement majoritaire en Allemagne. Préférer la CDU à Lafontaine est une responsabilité que prend le SPD. Cela pose un grave problème à tout le PSE : Mandelson (le commissaire européen travailliste au Commerce extérieur) plus la grande coalition, c'est tout de même beaucoup.
Et avec Hollande, Strauss-Kahn, Aubry et les autres, vous êtes en rupture?
Quand je disais qu'il ne fallait pas privatiser EDF, ils étaient en rupture avec moi. Ils ne le sont plus. Même chose sur la prime pour l'emploi ou le transfert des cotisations sociales des entreprises sur la valeur ajoutée. La majorité du PS reprend ce que je dis depuis des années. Plus globalement, je trouve que la majorité du parti manque de cohérence et de clarté. Elle ressemble plus à un attelage défensif qu'à une coalition dynamique. Quand on a six candidats dans ses rangs, et peut-être un septième qui l'est sans le dire, ça pose problème!
Pourquoi craignez-vous un congrès inutile?
S'il doit déboucher sur la même orientation et la même direction, les Français qui ont voté non le 29 mai auront le sentiment que le PS n'a rien compris. Si les socialistes ne se mettent pas en harmonie avec les aspirations du peuple de gauche, ils se condamnent à péricliter. Déjà, 40 % de Français pensent que la gauche ne ferait pas mieux que la droite. Le rôle de la gauche n'est pas d'expliquer aux gens qu'elle ne peut rien changer.
Pour renverser la direction, pourquoi n'avoir pas choisi de rejoindre Fabius?
Bloc contre bloc, c'est dangereux pour le socialisme. La confrontation entre le oui et le non n'est pas un clivage à perpétuer. Nous ne souhaitions pas non plus que le débat sur l'orientation soit pollué par la présidentielle. Laurent Fabius a certes fait un pas. Mais il reste, y compris dans l'histoire récente, des sujets qui justifient que le NPS dépose sa propre motion. Pour la suite, la nouvelle direction, nous la ferons sans exclusive, car je crois savoir qu'il existe des gens dans la majorité qui n'y sont pas très à l'aise. Et pour la présidentielle, chacun saura prendre ses responsabilités, sans se tromper de ligne politique.
Par Paul QUINIO
(Source http://nouveau-ps.net, le 25 octobre 2005)
Jean-Michel Aphatie : Henri Emmanuelli bonjour.
Henri Emmanuelli : Bonjour.
Q - Le "Nouvel Observateur" publie, aujourd'hui, les bonnes feuilles du livre de Lionel Jospin, qui sera en librairie la semaine prochaine, sous le titre "Le monde tel que je le vois". C'est édité chez Gallimard. "Ce livre de Lionel Jospin est l'événement de la rentrée politique" affirme le "Nouvel Obs". Vous le ressentez comme ça ?
R - Moi, je pense que l'événement politique du jour, c'est la hausse du prix du gaz !
Q - Ah ! Vous me l'avez faite !
R - Pour la troisième fois, dans l'année.
Q - Alors, ce n'est pas normal, le prix du gaz ?
R - Je remarque que le microcosme a décidé, une fois de plus, de monter une de ses opérations dont il a le secret : c'est-à-dire la promotion.
Q - Mon pauvre ami ! Le microcosme, vous en êtes encore là !
R - Ne me dites pas "mon pauvre ami".
Q - Non, le microcosme, franchement !
R - Je suis courtois, donc, vous restez courtois.
Q - Je ne sais pas si vous êtes courtois parce que, je vous pose une question vous répondez autre chose !
R - Est-ce que je peux répondre !
Q - On va parler du prix du gaz, si vous voulez.
R - Ou bien, est-ce qu'à chaque fois que j'essaie de répondre, je vais être harcelé par un chien qui essaierait d'attraper un os dans une poubelle.
Q - Non. On va parler du prix du gaz. Souhaitez-vous parler du prix du gaz, Henri Emmanuelli ?
R - Oui.
Q - Alors, parlons du prix du gaz. En quoi la demande de G.D.F...
R - On ne peut pas parler à deux, Monsieur Aphatie. J'étais en train de vous faire une réponse. J'étais en train de vous dire que, pour moi, c'est l'événement du jour. Maintenant, si vous souhaitez absolument qu'on parle de ça.
Q - Non, je veux qu'on parle du prix du gaz, puisque c'est l'événement du jour, selon vous !
R - Comme je suis votre invité, je vais répondre à votre question sur le sujet qui vous préoccupe.
Q - Parlons du prix du gaz. En quoi la demande de G.D.F est-elle illégitime selon vous, Henri Emmanuelli ?
R - C'est la troisième fois cette année et, en réalité, ces hausses à répétition n'ont qu'un objectif : c'est de permettre de valoriser les actions de G.D.F pour pouvoir privatiser. Et je trouve ça scandaleux.
Q - Est-il plus facile alors, selon vous, de laisser l'entreprise s'enfoncer dans des difficultés financières pour la subventionner ensuite ?
R - Elle ne s'enfonce pas du tout. Elle n'est pas en difficulté financière. Elle fait de gros bénéfices, tout comme Total, d'ailleurs. Total, qui va faire, lui, des milliards d'euros de bénéfices, que nous avons privatisé. Ses bénéfices vont partir dans les fonds de pension étrangers et, en revanche, la promesse qui avait été faite par le gouvernement de taxer Total a été abandonnée en route. Sur le budget, il n'y aura qu'une chose évidente, cette année : c'est un allégement de l'impôt sur la fortune. Pour le reste, on ne parle plus de grand chose.
Q - "Le Figaro" annonce aussi, ce matin, que pour E.D.F, le choix du gouvernement est imminent, c'est-à-dire que l'ouverture du capital va se préciser. Ça vous convient, Henri Emmanuelli ou pas ?
R - Ça ne me convient pas du tout parce que, je pense qu'au moment où nous sommes dans une crise énergétique importante qui menace l'avenir de ce pays comme de toute l'Europe, d'ailleurs, en fait qui va nous poser des problèmes sérieux. Le gouvernement, au lieu de reprendre la main sur la politique énergétique, va privatiser l'outil privilégié de cette politique. Or, nous avons vu à l'étranger ce que donnait la privatisation de la production d'électricité : ce n'est pas ce que nous souhaitons, ce n'est pas ce que souhaitent les français.
Nous avons une entreprise qui produit de l'électricité au meilleur prix européen, qui garantit la sécurité de l'approvisionnement. Et confier E.D.F à la logique de la gestion privée, c'est-à-dire : confier des centrales nucléaires à la logique de la gestion privée, s'agissant d'investissements ou de la sécurité, ce n'est pas une bonne affaire pour la France.
Q - La direction d'E.D.F dit qu'elle a besoin de faire des investissements importants : elle les chiffre à 30 milliards et le gouvernement n'a pas les moyens de renflouer, de donner cet argent. Alors, comment on fait ?
R - Ça, c'est la version de Monsieur Breton.
Q - Et de Monsieur Gadonneix, PDG d'E.D.F.
R - Evidemment, il a été nommé par Monsieur Breton.
Q - C'était aussi la version de Monsieur Roussely, nommé par Monsieur Jospin.
R - Oui, qui pensait être renouvelé par Monsieur Breton. Bon. E.D.F a toujours construit des centrales : non seulement, elles s'avèrent rentables, mais elles permettent à la France, en plus, d'exporter massivement vers l'étranger des milliards de kilowatts d'électricité. Donc, je suis désolé mais je ne vois pas ce que nous raconte Monsieur Breton. En plus, quand on dit qu'E.D.F est endetté, ce sont ses aventures extérieures qui l'ont endettée. Ce n'est pas la production d'énergie sur le continent.
Q - Mais, ça s'est fait et il faut faire avec la situation financière d'E.D.F telle qu'elle est.
R - Mais la situation financière telle qu'elle est d'E.D.F. n'inquiète aucun banquier, n'inquiète aucun prêteur. Il y a, en plus, des certificats d'investissement qui peuvent être émis. Donc, l'affaire de l'investissement est un pur prétexte, de la part de ce gouvernement, pour essayer de boucher des trous budgétaires. Et tout le monde le sait, y compris la majorité.
Q - Un autre titre fait la Une, ce matin, des journaux, c'est la crise qui existe entre le gouvernement et la Commission Européenne. Le gouvernement demande au Commissaire au Commerce, qui est Monsieur Mandelson, le britannique, de ne pas plus parler d'agriculture dans les négociations préparatoires à l'O.M.C. Comprenez-vous la position du gouvernement français ?
R - Je comprends la réticence du gouvernement français à confier à Monsieur Mandelson, qui est partisan d'un libre-échange sans précautions, les négociations relatives ou à l'agriculture ou, comme on l'a vu, cet été, les quotas chinois. Car Monsieur Mandelson qui, je le rappelle car vous avez la courtoisie de ne pas le faire, est un travailliste, c'est-à-dire "un socialiste britannique" a géré ce dossier, en réalité, d'une façon ahurissante. C'est-à-dire que, acceptant 50 % de surplus de la production chinoise, il nous a expliqué, en plus, qu'il avait remporté une victoire.
En fait, Monsieur Mandelson est partisan d'un libre-échange sans précautions, aussi bien en matière industrielle qu'en matière agricole. Et je comprends qu'au moment où la question de la survie de l'industrie européenne et de l'économie européenne devient quand même "le" principal problème, le gouvernement français ait quelques réticences.
Q - Donc, vous soutenez notamment Jacques Chirac puisque ce dernier a déjà exprimé vis-à-vis de la Commission la défiance qu'il ressent ?
R - Ce n'est pas que je soutiens Monsieur Jacques Chirac. Ça fait des mois et des années que j'essaie d'alerter l'opinion publique et en particulier les décideurs économiques sur les risques que prend l'Europe, l'industrie européenne, l'économie européenne, qui ne peut pas dans le système mondialisé où nous sommes rattrapés par la seule compétitivité des écarts de salaires qui vont de 1 à 10 : car ça paraît à peu près possible, n'est-ce pas ? Et tous les industriels qu'on rencontre en privé vous disent : "On ne tiendra pas ! On ne tiendra pas !" Et, pour revenir au sujet sur lequel je vous ai contrarié, au départ.
Q - Non, non, on ne va pas en parler ! Voilà, je ferme le "Nouvel Obs" !
R - Je suis choqué d'entendre dire qu'on a manipulé les délocalisations. Car ceci est un fait, et je voudrais dire que ceux qui ne s'en aperçoivent pas, à mon avis, ne sont pas dans l'air du temps.
Q - Il y avait un débat entre Laurent Fabius et François Hollande, à Paris, mardi soir. François Hollande a dit : "Entre les textes que présentent les socialistes, finalement, nous ne sommes pas si éloignés que ça". C'est un constat que vous partagez, Henri Emmanuelli ?
R - Je constate que beaucoup de choses ont été reprises. Effectivement, j'étais contre la privatisation d'E.D.F : aujourd'hui, tous les socialistes le sont. A la bonne heure ! Je me suis opposé à la prime sur l'emploi, en disant qu'il valait mieux des augmentations de salaires : aujourd'hui, tous les socialistes sont sous cette position. A la bonne heure ! Je me suis opposé à la politique fiscale, et notamment à la réduction de l'impôt sur le revenu : aujourd'hui, je constate que tout le monde parle de réhabiliter l'impôt. A la bonne heure ! Je me suis opposé à la baisse de la fiscalité sur les stock-options : plus personne, aujourd'hui, ne s'en souvient. J'ai souhaité que les cotisations sociales portent sur la valeur ajoutée, et non pas sur la feuille de paie : aujourd'hui, tous les socialistes y viennent. Et bien, tant mieux.
En revanche, sur la question européenne dont je parlais à l'instant, je ne suis pas du tout d'accord avec la motion majoritaire qui nous propose, aujourd'hui, des réformes institutionnelles qui auraient été impossibles si le "oui" était passé.
Q - Le temps de parole du microcosme est épuisé. Henri Emmanuelli, vous étiez l'invité de RTL. Bonne journée !
R - Vous avez l'air de mauvaise humeur, Monsieur Aphatie.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 24 octobre 2005)
La seule rupture visible, c'est celle du gouvernement avec le pacte citoyen et le modèle social français. La droite n'est plus libérale, elle devient néoconservatrice. Elle assimile adaptation et modernité, alors qu'adaptation signifie généralement régression sociale. Prenez le contrat nouvelles embauches. Officiellement, c'est une adaptation. En réalité, c'est le retour au "salarié jetable" du XIXe siècle. Si s'adapter, c'est baisser les salaires, faire reculer les droits des salariés, je suis contre. Pour autant, faire croire que la gauche du parti veut revenir au "Gosplan" est ridicule. Je suis attristé que François Hollande parle de nous en évoquant "ceux qui voudraient rompre avec le capitalisme en 100 jours". C'est le genre de caricature que la droite réserve à la gauche.
Vous n'êtes donc pas pour la rupture?
Je suis en rupture avec la logique de l'économie de marché sur des points importants, pas avec l'économie de marché elle-même. Je souhaite que le capitalisme soit régulé par la politique. Je suis en rupture avec cette tendance qui voudrait que les actionnaires gèrent le monde. Il faut aussi s'inscrire en rupture avec la dégénérescence de nos institutions et avec ceux qui, au PS, prônent une alliance avec le centre.
A ce propos, votre ami Oskar Lafontaine n'est-il pas responsable de la défaite du SPD en Allemagne?
Non, c'est de la faute du SPD qui refuse une alliance de toute la gauche. Car la gauche est nettement majoritaire en Allemagne. Préférer la CDU à Lafontaine est une responsabilité que prend le SPD. Cela pose un grave problème à tout le PSE : Mandelson (le commissaire européen travailliste au Commerce extérieur) plus la grande coalition, c'est tout de même beaucoup.
Et avec Hollande, Strauss-Kahn, Aubry et les autres, vous êtes en rupture?
Quand je disais qu'il ne fallait pas privatiser EDF, ils étaient en rupture avec moi. Ils ne le sont plus. Même chose sur la prime pour l'emploi ou le transfert des cotisations sociales des entreprises sur la valeur ajoutée. La majorité du PS reprend ce que je dis depuis des années. Plus globalement, je trouve que la majorité du parti manque de cohérence et de clarté. Elle ressemble plus à un attelage défensif qu'à une coalition dynamique. Quand on a six candidats dans ses rangs, et peut-être un septième qui l'est sans le dire, ça pose problème!
Pourquoi craignez-vous un congrès inutile?
S'il doit déboucher sur la même orientation et la même direction, les Français qui ont voté non le 29 mai auront le sentiment que le PS n'a rien compris. Si les socialistes ne se mettent pas en harmonie avec les aspirations du peuple de gauche, ils se condamnent à péricliter. Déjà, 40 % de Français pensent que la gauche ne ferait pas mieux que la droite. Le rôle de la gauche n'est pas d'expliquer aux gens qu'elle ne peut rien changer.
Pour renverser la direction, pourquoi n'avoir pas choisi de rejoindre Fabius?
Bloc contre bloc, c'est dangereux pour le socialisme. La confrontation entre le oui et le non n'est pas un clivage à perpétuer. Nous ne souhaitions pas non plus que le débat sur l'orientation soit pollué par la présidentielle. Laurent Fabius a certes fait un pas. Mais il reste, y compris dans l'histoire récente, des sujets qui justifient que le NPS dépose sa propre motion. Pour la suite, la nouvelle direction, nous la ferons sans exclusive, car je crois savoir qu'il existe des gens dans la majorité qui n'y sont pas très à l'aise. Et pour la présidentielle, chacun saura prendre ses responsabilités, sans se tromper de ligne politique.
Par Paul QUINIO
(Source http://nouveau-ps.net, le 25 octobre 2005)
Jean-Michel Aphatie : Henri Emmanuelli bonjour.
Henri Emmanuelli : Bonjour.
Q - Le "Nouvel Observateur" publie, aujourd'hui, les bonnes feuilles du livre de Lionel Jospin, qui sera en librairie la semaine prochaine, sous le titre "Le monde tel que je le vois". C'est édité chez Gallimard. "Ce livre de Lionel Jospin est l'événement de la rentrée politique" affirme le "Nouvel Obs". Vous le ressentez comme ça ?
R - Moi, je pense que l'événement politique du jour, c'est la hausse du prix du gaz !
Q - Ah ! Vous me l'avez faite !
R - Pour la troisième fois, dans l'année.
Q - Alors, ce n'est pas normal, le prix du gaz ?
R - Je remarque que le microcosme a décidé, une fois de plus, de monter une de ses opérations dont il a le secret : c'est-à-dire la promotion.
Q - Mon pauvre ami ! Le microcosme, vous en êtes encore là !
R - Ne me dites pas "mon pauvre ami".
Q - Non, le microcosme, franchement !
R - Je suis courtois, donc, vous restez courtois.
Q - Je ne sais pas si vous êtes courtois parce que, je vous pose une question vous répondez autre chose !
R - Est-ce que je peux répondre !
Q - On va parler du prix du gaz, si vous voulez.
R - Ou bien, est-ce qu'à chaque fois que j'essaie de répondre, je vais être harcelé par un chien qui essaierait d'attraper un os dans une poubelle.
Q - Non. On va parler du prix du gaz. Souhaitez-vous parler du prix du gaz, Henri Emmanuelli ?
R - Oui.
Q - Alors, parlons du prix du gaz. En quoi la demande de G.D.F...
R - On ne peut pas parler à deux, Monsieur Aphatie. J'étais en train de vous faire une réponse. J'étais en train de vous dire que, pour moi, c'est l'événement du jour. Maintenant, si vous souhaitez absolument qu'on parle de ça.
Q - Non, je veux qu'on parle du prix du gaz, puisque c'est l'événement du jour, selon vous !
R - Comme je suis votre invité, je vais répondre à votre question sur le sujet qui vous préoccupe.
Q - Parlons du prix du gaz. En quoi la demande de G.D.F est-elle illégitime selon vous, Henri Emmanuelli ?
R - C'est la troisième fois cette année et, en réalité, ces hausses à répétition n'ont qu'un objectif : c'est de permettre de valoriser les actions de G.D.F pour pouvoir privatiser. Et je trouve ça scandaleux.
Q - Est-il plus facile alors, selon vous, de laisser l'entreprise s'enfoncer dans des difficultés financières pour la subventionner ensuite ?
R - Elle ne s'enfonce pas du tout. Elle n'est pas en difficulté financière. Elle fait de gros bénéfices, tout comme Total, d'ailleurs. Total, qui va faire, lui, des milliards d'euros de bénéfices, que nous avons privatisé. Ses bénéfices vont partir dans les fonds de pension étrangers et, en revanche, la promesse qui avait été faite par le gouvernement de taxer Total a été abandonnée en route. Sur le budget, il n'y aura qu'une chose évidente, cette année : c'est un allégement de l'impôt sur la fortune. Pour le reste, on ne parle plus de grand chose.
Q - "Le Figaro" annonce aussi, ce matin, que pour E.D.F, le choix du gouvernement est imminent, c'est-à-dire que l'ouverture du capital va se préciser. Ça vous convient, Henri Emmanuelli ou pas ?
R - Ça ne me convient pas du tout parce que, je pense qu'au moment où nous sommes dans une crise énergétique importante qui menace l'avenir de ce pays comme de toute l'Europe, d'ailleurs, en fait qui va nous poser des problèmes sérieux. Le gouvernement, au lieu de reprendre la main sur la politique énergétique, va privatiser l'outil privilégié de cette politique. Or, nous avons vu à l'étranger ce que donnait la privatisation de la production d'électricité : ce n'est pas ce que nous souhaitons, ce n'est pas ce que souhaitent les français.
Nous avons une entreprise qui produit de l'électricité au meilleur prix européen, qui garantit la sécurité de l'approvisionnement. Et confier E.D.F à la logique de la gestion privée, c'est-à-dire : confier des centrales nucléaires à la logique de la gestion privée, s'agissant d'investissements ou de la sécurité, ce n'est pas une bonne affaire pour la France.
Q - La direction d'E.D.F dit qu'elle a besoin de faire des investissements importants : elle les chiffre à 30 milliards et le gouvernement n'a pas les moyens de renflouer, de donner cet argent. Alors, comment on fait ?
R - Ça, c'est la version de Monsieur Breton.
Q - Et de Monsieur Gadonneix, PDG d'E.D.F.
R - Evidemment, il a été nommé par Monsieur Breton.
Q - C'était aussi la version de Monsieur Roussely, nommé par Monsieur Jospin.
R - Oui, qui pensait être renouvelé par Monsieur Breton. Bon. E.D.F a toujours construit des centrales : non seulement, elles s'avèrent rentables, mais elles permettent à la France, en plus, d'exporter massivement vers l'étranger des milliards de kilowatts d'électricité. Donc, je suis désolé mais je ne vois pas ce que nous raconte Monsieur Breton. En plus, quand on dit qu'E.D.F est endetté, ce sont ses aventures extérieures qui l'ont endettée. Ce n'est pas la production d'énergie sur le continent.
Q - Mais, ça s'est fait et il faut faire avec la situation financière d'E.D.F telle qu'elle est.
R - Mais la situation financière telle qu'elle est d'E.D.F. n'inquiète aucun banquier, n'inquiète aucun prêteur. Il y a, en plus, des certificats d'investissement qui peuvent être émis. Donc, l'affaire de l'investissement est un pur prétexte, de la part de ce gouvernement, pour essayer de boucher des trous budgétaires. Et tout le monde le sait, y compris la majorité.
Q - Un autre titre fait la Une, ce matin, des journaux, c'est la crise qui existe entre le gouvernement et la Commission Européenne. Le gouvernement demande au Commissaire au Commerce, qui est Monsieur Mandelson, le britannique, de ne pas plus parler d'agriculture dans les négociations préparatoires à l'O.M.C. Comprenez-vous la position du gouvernement français ?
R - Je comprends la réticence du gouvernement français à confier à Monsieur Mandelson, qui est partisan d'un libre-échange sans précautions, les négociations relatives ou à l'agriculture ou, comme on l'a vu, cet été, les quotas chinois. Car Monsieur Mandelson qui, je le rappelle car vous avez la courtoisie de ne pas le faire, est un travailliste, c'est-à-dire "un socialiste britannique" a géré ce dossier, en réalité, d'une façon ahurissante. C'est-à-dire que, acceptant 50 % de surplus de la production chinoise, il nous a expliqué, en plus, qu'il avait remporté une victoire.
En fait, Monsieur Mandelson est partisan d'un libre-échange sans précautions, aussi bien en matière industrielle qu'en matière agricole. Et je comprends qu'au moment où la question de la survie de l'industrie européenne et de l'économie européenne devient quand même "le" principal problème, le gouvernement français ait quelques réticences.
Q - Donc, vous soutenez notamment Jacques Chirac puisque ce dernier a déjà exprimé vis-à-vis de la Commission la défiance qu'il ressent ?
R - Ce n'est pas que je soutiens Monsieur Jacques Chirac. Ça fait des mois et des années que j'essaie d'alerter l'opinion publique et en particulier les décideurs économiques sur les risques que prend l'Europe, l'industrie européenne, l'économie européenne, qui ne peut pas dans le système mondialisé où nous sommes rattrapés par la seule compétitivité des écarts de salaires qui vont de 1 à 10 : car ça paraît à peu près possible, n'est-ce pas ? Et tous les industriels qu'on rencontre en privé vous disent : "On ne tiendra pas ! On ne tiendra pas !" Et, pour revenir au sujet sur lequel je vous ai contrarié, au départ.
Q - Non, non, on ne va pas en parler ! Voilà, je ferme le "Nouvel Obs" !
R - Je suis choqué d'entendre dire qu'on a manipulé les délocalisations. Car ceci est un fait, et je voudrais dire que ceux qui ne s'en aperçoivent pas, à mon avis, ne sont pas dans l'air du temps.
Q - Il y avait un débat entre Laurent Fabius et François Hollande, à Paris, mardi soir. François Hollande a dit : "Entre les textes que présentent les socialistes, finalement, nous ne sommes pas si éloignés que ça". C'est un constat que vous partagez, Henri Emmanuelli ?
R - Je constate que beaucoup de choses ont été reprises. Effectivement, j'étais contre la privatisation d'E.D.F : aujourd'hui, tous les socialistes le sont. A la bonne heure ! Je me suis opposé à la prime sur l'emploi, en disant qu'il valait mieux des augmentations de salaires : aujourd'hui, tous les socialistes sont sous cette position. A la bonne heure ! Je me suis opposé à la politique fiscale, et notamment à la réduction de l'impôt sur le revenu : aujourd'hui, je constate que tout le monde parle de réhabiliter l'impôt. A la bonne heure ! Je me suis opposé à la baisse de la fiscalité sur les stock-options : plus personne, aujourd'hui, ne s'en souvient. J'ai souhaité que les cotisations sociales portent sur la valeur ajoutée, et non pas sur la feuille de paie : aujourd'hui, tous les socialistes y viennent. Et bien, tant mieux.
En revanche, sur la question européenne dont je parlais à l'instant, je ne suis pas du tout d'accord avec la motion majoritaire qui nous propose, aujourd'hui, des réformes institutionnelles qui auraient été impossibles si le "oui" était passé.
Q - Le temps de parole du microcosme est épuisé. Henri Emmanuelli, vous étiez l'invité de RTL. Bonne journée !
R - Vous avez l'air de mauvaise humeur, Monsieur Aphatie.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 24 octobre 2005)