Déclaration de M. Jacques Voisin, président de la CFTC, sur la mondialisation, l'Europe et le dialogue social, la négociation avec le Gouvernement et le syndicalisme chrétien, Bordeaux les 16 et 18 novembre 2005.

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Circonstance : 49ème congrès de la CFTC à Bordeaux les 16 au 18 novembre 2005

Texte intégral

Intervention d'accueil de Jacques Voisin le 16 novembre 2005
Mes Chers Amis.
Au nom de l'équipe confédérale, au nom du comité de pilotage de notre 49e Congrès, je vous souhaite à tous la bienvenue.
Merci à tous ceux qui nous permettent de nous retrouver aujourd'hui : Evidemment un grand merci et un grand salut aux équipes de l'UR Aquitaine, à Serge Roux, président et Danièle Carbonel, secrétaire générale de l'UR et de l'UD, qui nous reçoivent aujourd'hui. Merci également à Philippe Louis, notre pilote politique et Maryse Wolchlegel, chef de projet sur l'organisation de ce Congrès.
Un Congrès c'est toujours et avant tout un grand moment de rencontre et de vie militante, un temps de retrouvailles mais aussi d'engagement.
Un grand moment également parce que, ne l'oublions pas, il y a quarante ans exactement, se tenait à clichy, le premier Congrès confédéral depuis la scission de 1964.
Au cours de ce Congrès, Joseph Sauty, président confédéral à l'époque, donnait aux militants cette consigne : " faites-le, çà se fera ! ". Une phrase simple mais prophétique.
Quarante ans plus tard, la CFTC, en dépit d'une existence mouvementée, est toujours là et bien là, n'en déplaise à ceux qui se porteraient mieux sans nous.
C'est aussi avec gratitude, chers amis, que nous profitons de cet instant pour nous souvenir et tirer un grand coup de chapeau à tous ceux qui nous ont quitté au cours de ces trois dernières années après avoir donné leurs meilleures forces à la CFTC.
A eux tous, là où ils sont, nous leur disons merci; qu'ils restent présents par leur exemple dans nos mémoires.
Rendons leur hommage maintenant.
Ce matin, avec Jacky, nous allons faire le point sur les trois années qui viennent de s'écouler, avec la présentation de notre rapport d'activité et les interventions des délégués.
Trois années difficiles car la mondialisation sans règle ni boussole nous conduit à des mutations brutales, injustes et arbitraires qui frappent de plein fouet nos convictions, celles des solidarités indispensables et des valeurs liées à la dignité de la personne.
Nous ne pouvons et ne devrons jamais admettre que de tels reculs sociaux soient élevés au rang d'évolutions nécessaires ou de progrès décisifs pour le plus grand nombre.
Dans ce contexte, certains sont tentés de dire que la CFTC a changé.
Je vous le dis clairement mais fermement : La CFTC n'a jamais dévié de sa route.
Aujourd'hui comme hier, elle reste et restera un syndicat constructif mais elle continue et continuera toujours à refuser l'inacceptable.
Le monde évolue par à-coups, souvent dans la douleur.
La CFTC, elle, se situe toujours dans la continuité de notre Rapport Programme.
Hier comme aujourd'hui et surtout pour demain, elle défend sans compromis la dignité de la personne, et la fraternité.
C'est pourquoi nous donnons tant de place au dialogue, à la négociation.
Parce qu'en fin de compte, une vraie négociation, celle qui respecte véritablement tous les partenaires, fait avancer tout le monde.
Le conflit est toujours le dernier recours, c'est seulement par le dialogue que l'on peut en sortir par le haut.
C'est en rapprochant les points de vue que l'on peut arriver à la meilleure solution possible.
Nous croyons en l'autre et avançons toujours grâce à nos différences : c'est sans doute cela le signe distinctif de notre CFTC.
Mais attention, en revanche, nous demandons toujours le respect de nos partenaires comme nous tenons à être respecté car notre dignité et celles des salariés que nous représentons n'est pas à vendre, tant nous sommes convaincus que le prix à payer est toujours trop lourd quand on joue impunément avec le dialogue social.
Pendant ce Congrès, nous essaierons aussi de répondre aux attentes des salariés, telle qu'elles ont pu s'exprimer dans notre Baromètre social, cet été.
Les salariés vivent trop souvent l'insécurité au quotidien, la peur de perdre leur travail, celle de ne plus pouvoir soutenir leur famille.
En conséquence, ils ne se reconnaissent plus dans les valeurs d'une entreprise qui ne reconnaît pas en retour leur travail et n'ont d'autres recours que de se replier dans l'indifférence ou la résignation.
Attendent-ils encore quelque chose des organisations syndicales et que peut-on leur proposer ?
C'est à ce défi qu'il nous faut répondre à Bordeaux.
C'est tout l'enjeu de notre motion d'orientation qui sera présentée et débattue demain.
Notre projet est à construire. Il est entre nos mains.
Il est à partager, entre nous d'abord, pour mieux le partager avec d'autres ensuite.
Espérer construire partager, voilà le sens de notre engagement, ici mais aussi bien au-delà, au niveau européen, tellement nous savons que l'indispensable solidarité dépasse largement nos frontières.
C'est avec un très grand plaisir que j'accueille ici John Monks, secrétaire général de la Confédération Européenne des Syndicats. Nul mieux que lui ne saurait nous parler de la difficulté mais aussi de la nécessité qu'il y a à construire l'Europe sociale. Nul mieux que lui ne saura nous y encourager.
Avant de lui passer la parole, je déclare ouvert ce 49ème Congrès confédéral.
Merci à toutes et à tous et très bon Congrès.
(Source http://www.cftc.fr, le 16 novembre 2005)
Discours de clôture de Jacques Voisin
Cher Amis,
La motion d'orientation que nous venons tous ensemble d'adopter se résume en un mot : Action !
Nous n'avons pas d'autre alternative !
Aujourd'hui, nous nous engageons résolument par cette décision à avancer ensemble afin de mieux répondre aux attentes des salariés et défendre leurs intérêts et leurs droits de plus en plus menacés par certaines réformes "idéologiques" au nom de la sacro-sainte mondialisation.
La difficulté n'est pas mince car nous nous trouvons dans une période difficile et incertaine pour le syndicalisme.
Mais, vous le savez, il n'y a pas d'action sans espoir.
Nous avons confiance car la CFTC, elle l'a maintes fois prouvé, a toujours su plonger dans son histoire et ses valeurs.
Qui pourrait prétendre, ici et aujourd'hui, que le temps passé était plus tendre aux syndicalistes et aux salariés ? Et alors, cela nous a-t-il empêché de construire une véritable alternative crédible face aux capitaines d'industries et "aux maîtres des forges" de tout poil ?
Aujourd'hui, comme hier, notre espérance se fonde sur une conviction forte : il faut trouver de nouveaux chemins afin d'inventer des solutions face à un système économique réfractaire à toutes les règles qui ne sont pas les siennes.
On nous a présenté la mondialisation comme devant conduire de façon automatique et naturelle vers le progrès social.
Qu'en est-il ?
Nous voyons qu'il se produit le contraire: dans nos pays, sous l'influence de la financiarisation, l'économie mondialisée appauvrit encore les plus pauvres.
Pire, elle oppose les pauvres, les salariés précaires des pays riches, aux plus pauvres des pays pauvres.
Cette mondialisation qui pourrait être synonyme d'une plus grande opportunité d'échanges, d'une plus juste répartition des biens, de la croissance, de la connaissance et de la responsabilité, est asservie à la cause de celles et ceux qui ne veulent qu'une seule chose: plus de privilèges.
Pour l'instant, les dégâts sociaux et humains l'emportent haut la main sur les promesses.
Le bateau semble ivre.
L'Europe elle-même, ce fabuleux projet de paix, de progrès et de justice sociale auquel la CFTC a adhéré dès l'origine, est en cale sèche depuis un certain 29 mai.
Alors, qu'allons-nous faire ? Allons nous baisser les bras, nous résigner, en rester à ce constat ? Non !
À la CFTC, nous ne devons pas avoir une parole qui dénonce sans parole qui annonce.
Nous défendrons toujours une Europe qui ne doit pas être seulement une Europe de la concurrence, mais une Europe des coopérations économiques et industrielles.
Une Europe faite par et pour les femmes et les hommes qui l'habitent, une Europe capable de préserver son propre modèle social. Ce modèle social existe ! Nous aurons à le renforcer afin de l'exporter auprès de tous ceux qui nous l'envient; je pense notamment aux dix nouveaux pays de l'élargissement.
Espérer, ce n'est pas être naïf, ce n'est pas croire et attendre "des lendemains qui chantent !" dans un confort douillet !
Nous devons à nouveau "mouiller notre chemise" !
Car le monde n'attend pas : si on n'est pas présent, il se fera sans nous !
Car je le sais, mes chers amis, nous pouvons construire collectivement l'avenir que nous voulons !
Nous devons peser sur le rythme, l'opportunité des évolutions que l'on nous présente comme inéluctables.
Et l'Europe entre autre, doit servir à cela.
Déjà, sous nos yeux, de nouveaux pays commencent à participer aux nouveaux enjeux économiques et derrière eux, ce sont des millions de salariés qui veulent, eux aussi, mieux vivre et prendre pleinement leur part de la croissance, mais aussi toute leur part de responsabilité.
Nous en sommes les pionniers.
Alors, mes amis, pour cela, battons nous pour préserver l'existence du syndicalisme et du dialogue social en Europe et dans notre pays.
Face au déficit de démocratie qui marque, hélas, pour l'instant la vie politique en France, nous avons fait ces derniers temps le choix de l'action commune avec nos partenaires syndicaux.
Car lorsque le dialogue social est instrumentalisé, la manifestation et la rue sont l'expression ultime de ceux que l'on n'écoute plus par le dialogue social.
Nous n'avons jamais eu peur de prendre nos responsabilités et nous avons pris toute notre part dans cette expression-là aussi.
C'est parce que la CFTC est pleinement fidèle à ses valeurs qu'elle n'a pas peur de se mélanger à d'autres syndicats lorsqu'il y a un objectif commun à atteindre et un véritable intérêt pour tous les salariés.
"Rester nous-mêmes et coopérer" disait Jean, Jean Bornard.
Cela reste toujours d'actualité aujourd'hui.
Face à tous ceux qui prédisent de façon récurrente l'essoufflement du syndicalisme, nous voulons dire deux choses :
D'une part, les syndicats viennent de faire la preuve qu'ils ont été capables, sur plus de dix mois, de travailler ensemble, dans le respect du pluralisme.
D'autre part, ils ont par leur mobilisation, maintenu la pression et poussé le gouvernement et le patronat à la négociation.
À la CFTC, nous ne sortons pas de là, si l'on nous barre la route de la négociation, nous nous arqueboutons pour mieux y retourner !
Et dans ce processus, la CFTC a joué le rôle qu'elle seule peut jouer en pareil cas: le rôle de charnière, faisant le lien entre tous, travaillant à construire, à trouver de nouvelles perspectives.
Les salariés ne s'y sont pas trompés, eux qui ont participé massivement à toutes ces journées de mobilisation, ainsi que tous les Français qui ont exprimé majoritairement leur soutien aux manifestations dans les sondages.
La confiance dans les syndicats progresse. La syndicalisation se reconstruit en France, et notamment, chez nous, à la CFTC.
Nous avons marqué des points aux dernières prud'homales, vous le savez, et nous gagnons du terrain dans les entreprises. Bravo, continuons !
Les objectifs de 2008 sont ambitieux, certes, mais ils sont à portée de mains. Chaque résultat d'élection professionnelle, chaque sondage, nous les montrent plus accessibles.
Alors tant mieux si nous les dépassons largement !
Les amis, soyons-en sûrs, les salariés attendent encore beaucoup et toujours plus du syndicalisme !
Ils veulent pouvoir continuer à nous faire confiance même s'ils sont résignés, ou parfois défaitistes.
Ils attendent de nous que nous exercions un devoir de vigilance.
Que nous réaffirmions que leurs droits doivent êtres préservés parce qu'ils font partie du Bien Commun : le droit à la santé, à l'éducation, à la sécurité, à l'énergie pour tous.
Pour cela, il nous faut encore construire.
Contester, d'autres le font aussi bien que nous. Construire, c'est là qu'on attend la CFTC !
Notre statut du travailleur illustre notre syndicalisme CFTC.
Oui, nous refusons certaines choses, mais nous savons en proposer d'autres à la place !
Face à la montée de la précarité, aux exigences des entreprises en termes de mobilité, de productivité, de flux tendus, nous construisons une autre vision.
Nous portons ce projet. De même que nous rencontrons, un à un, nos partenaires, pour qu'ils persuadent les décideurs de demain.
Nous vous le disons à vous, qui êtes CFTC :
Faites vôtre, ce statut du travailleur, négociez ses clauses une à une dans vos branches.
Faites-le vivre ! Inspirez vous en ! Critiquez-le ! Améliorez-le !
Notre statut est un projet en perpétuelle évolution, comme la vie elle-même.
À vous de le rendre vivant, concret, palpable, possible !
Face aux dysfonctionnements que vous constatez dans vos lieux de travail, servez vous en comme une alternative généreuse, lucide et réaliste.
Partager, c'est d'abord et aussi croire en la jeunesse !
Les jeunes, je suis heureux de les rencontrer de plus en plus nombreux depuis plusieurs mois dans nos forums et nos rassemblements.
Je connais des envieux qui me disent : ""Comment faites-vous " ?
"Eh bien, nous leur faisons confiance, tout simplement !"
Parce que l'avenir, c'est eux, c'est vous qui êtes aujourd'hui réunis dans cette salle.
Ils nous interpellent dans nos modes traditionnels d'action syndicale, ils nous poussent à l'audace et à l'innovation. Tant mieux !
Si nous ne rejetons pas les formes les plus traditionnelles de l'action syndicale, il s'agit d'en inventer d'autres, certainement mieux adaptées aux nouveaux défis que nous rencontrons.
Lorsque tout semble perdu, à la CFTC, nous avons cette faculté particulière, parce que nous croyons en la dignité de nos interlocuteurs, quels qu'ils soient, d'en appeler à la conscience de chacun.
Et c'est pourquoi je vous dis simplement: "N'ayez pas peur de prendre le micro que vous tendent les journalistes, foncez, communiquez ! "
Je sais que vous êtes de plus en plus nombreux à le faire.
"N'hésitez pas ! Allez voir les élus, travaillez avec d'autres, si l'intérêt des salariés est là ! Repérez tous ces nouveaux leviers de l'action syndicale et investissez-les !"
Nous devons être des veilleurs, qui refusons l'idée qu'il n'existe aucune solution et que nous n'avons rien d'autre à faire qu'à nous coucher bien gentiment.
Réinventons de nouvelles solidarités, comme l'ont fait nos anciens, les précurseurs de la CFTC.
Ceux-là ont paré aux urgences : les cours du soir pour les travailleurs, la solidarité au quotidien et tellement de générosité et d'abnégation.
Aujourd'hui, ces nouvelles solidarités existent, elles s'appellent : droit individuel à la formation, cellules d'accompagnement vers l'emploi, combat dans l'entreprise pour la gestion prévisionnelle des emplois, la prévoyance collective et tant d'autres choses.
Pour les identifier, pour les revendiquer, pour les mettre en place, nous avons besoin de vous, et de tous ceux qui peuvent nous rejoindre.
D'ores et déjà, je vous invite à participer à un grand temps de mobilisation et d'échange en 2006. Nos forums DS, les différents rassemblements dans nos structures devront servir à préparer des Assises consacrées à ces nouveaux champs de l'innovation syndicale.
Je compte sur vous, tous, sans exception !
L'avenir, c'est vous. La CFTC, c'est vous. Et l'action, c'est Aujourd'hui !
J'aime beaucoup cette citation de Geneviève de Gaulle Antonioz, cette grande figure d'ATD Quart Monde, que je vous livre en matière de conclusion : comme elle, nous devons être " des gens de conviction, des gens qui acceptent, à partir des plus pauvres, de se compromettre pour construire cet autre monde dont l'unique moteur ne soit pas la consommation et le profit ".
Les militants qui ont si bien témoigné à l'ouverture de notre 49ème Congrès nous montrent la voie : "rêvons de l'impossible pour qu'il devienne réalité, demain" !
Sachons-nous en souvenir pour être heureux de nous retrouver dans trois ans, avec un magnifique travail accompli, pour notre 50ème Congrès !
Merci, mes chers amis, bonne route et bon travail !
(Source http://www.cftc.fr, le 21 novembre 2005)