Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
C'est avec plaisir que j'ai accepté l'invitation de Michel Mousel, Président de la Mission Interministérielle de l'Effet de Serre, à participer à cette journée d'échange sur les incidences et opportunités économiques mises en évidence par les négociations internationales sur l'effet de serre.
Par mes contacts avec certains d'entre vous, mais aussi au travers de nombreuses réunions de travail que mon cabinet ou mes services ont pu tenir, nous avons déjà pu évoquer ce thème à de multiples reprises depuis Kyoto, mais sans avoir la possibilité d'en débattre globalement.
Cette matinée a pu vous donner un aperçu des différentes questions ouvertes dans cette négociation, qui s'annonce sans doute longue, au-delà de la prochaine échéance de Buenos Aires.
À quelques semaines de cette nouvelle étape, je souhaiterais insister ici sur quelques points.
En premier lieu, le défi de la lutte contre l'effet de serre est planétaire. Seul un profond infléchissement de nos modes de consommation d'énergie et des autres pratiques menant à l'émission de gaz à effet de serre, pourront permettre d'atteindre un objectif de réduction globale, à long terme. Cela ne peut être fait qu'en prenant en compte les contraintes des pays développés mais aussi les besoins légitimes des pays en développement. Les perspectives démographiques de ces derniers ne peuvent, en effet, leur permettre d'emprunter les mêmes chemins que nous. Pour nous, retarder l'infléchissement de nos profils d'émission, notamment ceux des plus gros émetteurs, signifie rendre encore plus difficiles les négociations à venir. Cela renchérit également le coût macroéconomique de cet engagement, et réduit notre aptitude à préserver quelques avantages comparatifs.
En second lieu, une politique pertinente de maîtrise de l'effet de serre doit combiner efficacement les outils de nature réglementaire et institutionnelle, les outils économiques et les outils de développement technologique. Cette combinaison, ce " policy mix ", doit être définie sans préjugé : il ne s'agit pas d'être pour ou contre la " flexibilité ", de même que l'on serait pour ou contre la " rigidité ".
Cette combinaison astucieuse concerne tous les secteurs. Elle doit aussi identifier et développer les opportunités qui correspondent à la position de la France, qui n'est pas toujours celle de ses concurrents et partenaires, notamment ceux situés en dehors de l'Union européenne.
En troisième lieu, je m'attarderai sur les thèmes essentiels qui rythmeront sans doute les négociations à venir, notamment l'étape prochaine de Buenos Aires, et sur les priorités que je souhaite défendre, au sein de l'équipe européenne.
1°) Le défi de la lutte contre l'effet de serre est planétaire
La réalité de l'impact des activités humaines sur le climat ne soulève plus de contestation sérieuse, et l'étude prospective qui vous a été distribuée ce matin, récemment réalisée par la MIES et par mon ministère, ouvre un débat sur ses conséquences potentielles pour la France. Face à cette analyse, nous devons relever un double défi.
1- infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre des pays les plus développés. Seule la relance d'une politique de maîtrise de l'énergie, dans tous les volets de l'activité économique et industrielle, permettra un lissage progressif de l'effort que doivent entreprendre nos sociétés ;
2- permettre, dans le même temps, aux pays en transition ou en développement, qui vont continuer à connaître une forte croissance démographique, d'adopter des politiques " durables " de développement, c'est à dire sans refaire les erreurs que nous avons pu commettre, et en bénéficiant d'un soutien actif de nos pays développés, y compris par la voie d'une coopération économique.
L'objectif mondial n'est pas mince : réduire d'un tiers les émissions de gaz à effet de serre. Cela ne peut se concevoir que dans la durée, compte tenu de l'inertie des systèmes économiques et industriels. Comme le navire a un rayon de " virage " important, il est d'autant plus crucial d'identifier dès à présent le bon cap et d'envoyer les bons signaux à tous les acteurs.
L'équation à résoudre semble donc simple, même si sa solution ne l'est pas : infléchir dès à présent nos émissions de gaz à effet de serre, ce qui passe par les performances de nos procédés, et par nos modes de consommation, de façon à permettre, à moyen terme, un partage équitable de l'effort.
À cet égard et j'y reviendrai, je considère que la réintroduction, dans les négociations internationales, d'un objectif d'émission à long terme et d'un mécanisme objectif et transparent de suivi des convergences, constitue l'un des enjeux de la négociation, auquel l'Europe et la France doivent s'attacher.
2°) Compte tenu de la situation française, quels enjeux industriels et quelles politiques ?
Je sais que les exposés de Michel Mousel et de Pierre BOISSON vous ont déjà tracé les grandes lignes de la situation française et de ses évolutions possibles.
Pierre BOISSON a présidé un exercice majeur de réflexion prospective "Energie 2010-2020", aboutissant à un rapport remarquable et de référence sur les enjeux énergétiques qui nous attendent. Ce rapport montre qu'il existe des voies d'une croissance équilibrée, garantissant le respect de nos engagements de stabilisation de gaz à effet de serre.
J'insisterai donc simplement sur quelques points.
La situation nationale mérite un jugement contrasté, même si elle est globalement favorable. La France se trouve sans doute aujourd'hui parmi les rares pays développés en position de réaliser son objectif contracté à Kyoto.
À peine supérieures à leur niveau de 1990, nos émissions actuelles nécessitent néanmoins une certaine attention par leur structure même. L'intensité énergétique de l'industrie a connu une amélioration significative après le premier choc pétrolier, mais qui s'est ralentie depuis. Les intensités énergétiques du transport et du secteur tertiaire se sont quant à elles dégradées depuis le début des années 80.
La répartition de nos émissions situe l'effort à accomplir pour réaliser l'objectif de stabilisation de nos émissions, contracté dans le cadre de l'engagement communautaire d'une réduction de 8 % par rapport à 1990.
Comment réduire efficacement les émissions de gaz à effet de serre ? Il nous faut agir dans l'ensemble des secteurs qui émettent ou dont l'organisation actuelle facilite ces émissions. Le débat actuel sur les mesures à adopter se focalise essentiellement - j'y reviendrai - sur certains instruments de marché jugés plus " flexibles ".
Certes, je comprends que certains pays, n'ayant pas encore montré une ferme intention d'évoluer, souhaitent éluder les termes de leur débat interne. Le choix fait par la France, en revanche, et au-delà par l'ensemble des pays de l'Union, vise à privilégier largement l'effort intérieur, à l'échelle nationale ou communautaire. C'est la seule façon de répartir équitablement l'effort, et de parvenir, à terme, à l'objectif mondial de réduction.
Ce choix est reflété par l'adoption d'un plan national de lutte contre l'effet de serre, consolidé une première fois en novembre 1997. J'ai demandé cet été à Michel Mousel d'en établir un état d'avancement. Ce bilan d'étape incite au maintien d'une focalisation forte sur les objectifs visés par ce plan. Je ne doute pas, comme le Premier ministre l'a réaffirmé le 11 juin 1998 à l'Assemblée Nationale, que le gouvernement aura à cur de suivre sa mise en uvre effective et son évolution.
Ces mesures doivent, bien entendu, prendre en compte chaque situation mais la priorité est bien dans la relance d'une politique active de maîtrise de l'énergie, soutenue également par des initiatives privées. A cet égard, le renforcement du rôle - et des moyens - de l'Ademe sur la maîtrise de l'énergie et le développement des énergies renouvelables, constitue l'un des gages de l'engagement du Gouvernement.
En ce qui concerne l'industrie, tout d'abord, je note que des progrès significatifs ont été accomplis pour rendre plus efficients les procédés : représentant désormais le quart de l'énergie primaire consommée, les secteurs du verre, de sidérurgie, du ciment, de la chimie ont déjà réduit significativement leurs émissions spécifiques.
Ce résultat est aussi dû à l'évolution structurelle de certaines de ces branches industrielles. En effet, les unités moins rentables qui ont fermé étaient aussi les moins efficaces au plan énergétique. Depuis le début des années 90, ces efforts se sont parfois relâchés et que d'importants gisements d'économies subsistent dans certains secteurs. Ils devront être exploités et leur identification passe notamment par un développement des audits énergétiques.
Le domaine des transports constitue certainement l'une des priorités d'action, ce qui relativise d'ailleurs le débat sur les remèdes à l'effet de serre, parfois réduit aux seuls choix en matière de production énergétique et aux actions dans le secteur industriel.
Ce secteur nécessite une action de longue haleine, compte tenu de la structure d'élasticité de sa demande. Il s'agit non seulement de réduire les émissions unitaires des véhicules - la stratégie communautaire vient de trouver sa première étape avec l'engagement volontaire des constructeurs européens - mais aussi de repenser les systèmes de transport de personnes et de marchandises.
Favoriser les transports collectifs, développer l'intermodalité, sont les grands axes suivis par le gouvernement, traduits dans la Loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie du 30 décembre 1996 et, prochainement, dans la Loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire. Au-delà, une refonte des politiques d'urbanisme sera la clef d'une réduction significative de la mobilité contrainte, qui explique en grande partie l'explosion du poste " transports ".
Le secteur résidentiel-tertiaire nécessite également une attention soutenue. Il s'agit d'améliorer l'efficacité énergétique dans le bâtiment, mais aussi d'optimiser l'utilisation de l'électricité par une politique active de maîtrise de sa demande.
Corrélativement, le secteur des technologies de l'information et de la communication apparaît sans doute comme l'un des domaines privilégiés d'innovation, pour améliorer l'efficacité énergétique des produits et des procédés, et pour réduire les besoins de déplacement.
Je suis frappée de la précision des documents rédigés par plusieurs milliers de sociétés américaines d'électronique, d'informatique et de télécommunications, regroupant notamment les 14 premiers groupes américains mais aussi japonais du secteur : nouveaux capteurs, écrans, réseaux à large bande, électronique de puissance sont autant de technologies intéressantes du point de vue de l'effet de serre, justifiant, selon ces entreprises, que des interventions publiques - y compris des subventions ! - viennent leur fournir un marché national et, au-delà, des marchés extérieurs.
Nos options en matière de production énergétique sont singulières. Si le recours massif à l'énergie nucléaire a constitué, dans les années 80, un avantage indéniable en termes d'émissions de CO2, nonobstant ses autres impacts en termes de risques, de pollutions et de déchets, sa prédominance, y compris en termes de ressources consacrées au développement technologique, constitue une préoccupation pour l'avenir.
C'est pourquoi le gouvernement s'est résolument engagé vers une ouverture des choix énergétiques, en relançant une politique ambitieuse de maîtrise de l'énergie, de développement des énergies renouvelables, notamment de la biomasse, de la co-génération, de substitution des combustibles fossiles les plus polluants, en promouvant notamment l'utilisation du gaz naturel, ou de l'optimisation de leur consommation.
Je souhaite m'attarder un instant sur la situation du charbon, dont les réserves sont, de loin, les plus abondantes parmi les combustibles fossiles, et sont vitales, notamment pour des pays comme la Chine et l'Inde. Il serait à la fois irréaliste et hypocrite de prétendre que ces pays devraient renoncer à l'utilisation de leur première ressource à cause de l'augmentation de l'effet de serre, largement dû aux émissions cumulées de nos pays développés.
Un effort énorme est donc à faire pour augmenter l'efficacité de la consommation d'énergie dans les pays charbonniers, et ce serait sans doute une erreur industrielle de ne pas poursuivre en France le développement de techniques telles que les chaudières à lit fluidisé circulant, car elles représentent aussi un atout pour l'industrie française.
Nouveaux procédés industriels, carburants ou combustibles moins polluants ou de substitution, développement de produits moins énergivores, de systèmes urbains ou de modes de transport plus efficaces, mais aussi d'outils de communication plus puissants, de circuits logistiques optimisés sont donc en filigrane des actions concrètes qui doivent être engagées sans tarder. Bref, autant de sujets qui sont au cur de vos enjeux concurrentiels.
Une politique équilibrée mêle ainsi, dans chaque domaine pertinent d'utilisation, des instruments réglementaires et institutionnels, économiques, techniques, mais aussi des incitations fortes au développement de technologies, de services, de produits innovants, et d'un cadre de marché qui facilitent leur adoption. C'est ainsi que la question des prix de l'énergie est centrale, en France comme dans d'autres pays développés, au premier rang desquels les Etats-Unis. Je distingue mal comment l'ensemble des acteurs économiques pourra porter préférentiellement ses choix vers des produits ou procédés plus économes, si un " signal prix " n'accompagne pas ce choix.
En l'absence de subventions massives ou de restrictions quantitatives importantes dans la fourniture d'énergie, dont je n'ose imaginer les conséquences pour nos économies ou nos entreprises, c'est en effet la variable " prix " qui semble à même de donner un signal à long terme pour de nombreux postes de consommation, et notamment les transports.
La recherche d'un signal prix stable et progressif, permettant aussi de soulager la pression fiscale pesant sur l'emploi et l'investissement, est l'une des voies possibles. C'est pourquoi, la France a demandé l'accélération des travaux relatifs au projet de directive européenne sur la taxation des produits énergétiques, dans un objectif d'harmonisation fiscale, d'incitation aux utilisations les moins polluantes, de maîtrise de l'énergie.
Si la France a particulièrement insisté sur le relèvement des taux d'accises sur les carburants, par rapport au projet initial de la Commission, elle a également souligné son attachement à une modulation des taux de taxation de toutes les énergies finales en fonction du caractère plus ou moins émetteur de gaz à effet de serre des combustibles employés, ainsi qu'à la prise en compte des spécificités des industries fortement consommatrices d'énergie.
L'examen des conséquences de ce texte ne peut à mon sens être réalisé sans étudier tout aussi précisément l'autre volet de cette réforme fiscale, à savoir la réduction des prélèvements fiscaux pesant sur l'emploi et l'investissement.
Par ailleurs, alors que de nombreux travaux - généralement théoriques - se sont penchés sur les modalités de mise en uvre de permis négociables, j'observe que peu de ressources ont été consacrées à la définition d'assiettes optimales pour l'économie française. Ici aussi, je reste à votre disposition pour dépasser les positions de principe.
Je dirai également quelques mots des outils dits " de flexibilité ", que je reformule plutôt comme des mécanismes " d'achat de droits d'émission ", car je n'ai pas le sentiment que ces outils soient nécessairement plus flexibles que les autres politiques et mesures. Plusieurs d'entre eux ont donné lieu à beaucoup de travail théorique - vous savez que les tout premiers gagnants de Kyoto sont les économistes -, mais assez peu à des réflexions opérationnelles.
Je reviendrai plus loin sur les intéressants mécanismes de mise en uvre conjointe et de développement propre, qui doivent correspondre à des projets concrets réalisant des réductions réelles, mais dont les modalités de mise en uvre nécessitent sans doute encore un travail approfondi.
Les mécanismes de permis négociables sont largement mis en avant par les Etats-Unis. Ceux-ci souhaitent bien entendu les utiliser d'abord à leur avantage qui n'est pas nécessairement le vôtre.
Importer massivement ce type de crédits reviendrait probablement, pour les Etats-Unis, non seulement à établir un transfert financier massif avec des pays émetteurs, avec des contreparties géopolitiques évidentes, mais aussi à placer prioritairement leurs entreprises dans les rangs des investisseurs. Un tel endettement signifierait aussi que ce pays repousse d'autant l'infléchissement de ses propres émissions, ce qui ne serait pas sans conséquence sur plusieurs plans :
- de faibles marges de manuvre seraient laissées aux autres pays, et notamment au nôtre ;
- les difficultés seraient encore accrues pour les pays en développement, qui constateraient que le premier émetteur s'est lui-même soustrait à ses engagements ;
- la difficulté serait croissante - et probablement insurmontable - pour infléchir, lors des prochains rounds de négociation, une situation américaine rendue encore plus délicate par la divergence de ses émissions.
Je ne pense donc pas que l'intérêt de la France et de ses entreprises soit d'accepter un développement débridé et sans règle de ces permis à polluer.
3°) La perspective de Buenos Aires
Je m'attarderai enfin sur la perspective des négociations à venir et sur la méthode de travail que j'envisage de suivre.
Buenos Aires sera une étape de plus dans la mise en uvre de la Convention de Rio et du Protocole de Kyoto. Schématiquement, trois groupes d'acteurs seront en présence.
Ce matin, vous avez sans doute eu un aperçu de la situation des Etats-Unis et des pays qui s'abritent derrière eux. De ce côté-là, il semble réaliste de ne pas s'attendre à des avancées majeures à Buenos Aires.
Bien au contraire, compte tenu d'un contexte politique intérieur difficile, de leur difficulté à entraîner des pays en développement comme la Chine ou l'Inde dans une politique d'objectifs quantifiés et contraignants de réduction, il faut s'attendre à ce que les Etats-Unis se focalisent sur une remise en cause de leur engagement, par tous les moyens.
Responsables du quart des émissions mondiales, pour 6 % de la population, l'infléchissement de leurs modes de consommation constitue un enjeu crucial, non seulement pour le respect de leurs engagements mais aussi pour notre propre situation.
Au moment où l'administration américaine annonce qu'elle " réaliserait ", arithmétiquement, 85 % de l'effort par emprunt à d'autres pays, cette perspective me semble porteuse de menaces que les études économiques actuelles n'ont pas appréhendées.
Quel serait l'impact économique et concurrentiel, pour vos entreprises, d'une présence forte d'un acteur tel que les Etats-Unis sur d'éventuels marchés internationaux de permis, dont le fonctionnement aurait de fortes chances d'être largement influencé par le contexte géopolitique ? Quel serait le contexte de la négociation, au début du siècle prochain, si ce pays réalisait aussi peu d'effort domestique et ne modifiait en rien ses modes de production ou de consommation ?
Dans un contexte où le volume global d'émissions permises est désormais fini et décroissant, un début d'infléchissement des émissions des Etats-Unis exige un renchérissement des prix de l'énergie dans ce pays, comme le souligne d'ailleurs un récent rapport de l'Agence Internationale de l'Energie. Cette mesure constituerait le seul gage de pérennité et de respect des engagements contractés à Kyoto.
Les pays en transition ou en développement, ensuite, expression qui recouvre de multiples réalités. Je n'évoquerai pas la situation spécifique de certains pays producteurs d'hydrocarbures, où potentiels de réductions d'émissions sont cependant considérables, en limitant par exemple le torchage du gaz. Celui-ci représente, au plan mondial, l'équivalent de 4 fois la consommation française de gaz naturel.
J'insisterai en revanche sur les situations de pays tels que la Chine ou l'Inde, qui revendiquent, légitimement, un accès équitable au développement, alors qu'ils ont des consommations d'énergie par habitant de l'ordre de vingt fois inférieures à celles des Etats-Unis. Près de 80 % de la population mondiale doit ainsi se contenter de 40 % de l'énergie. Quant aux pays d'Europe Centrale et Orientale et à ceux de la Communauté des Etats Indépendants, j'ai du mal à croire que l'Europe se satisfera durablement de leur situation économique très préoccupante, seule cause jusqu'ici à la réduction drastique de leurs émissions.
Dans ces pays, réintroduire un objectif à long terme de maîtrise de leurs émissions par habitant, en fonction du niveau économique, nécessite aussi un transfert massif de technologies, et l'exportation ou la fabrication sous licence de produits utilisant efficacement l'énergie. L'évolution vertueuse de leur industrie et de leur économie ouvre donc de larges perspectives, que d'autres pays ont déjà bien identifiées.
Je souhaite donc dynamiser la réflexion interministérielle et les échanges avec les entreprises, sur les thèmes de la mise en uvre conjointe et du mécanisme de développement propre, qui vous ont été présentés ce matin. Une réflexion est déjà prête à s'enclencher avec quelques sociétés d'ingénierie, mais le cercle peut être élargi en fonction de vos propositions.
Et l'Europe ? L'Europe est arrivée soudée à Kyoto, et une unité analogue se profile à Buenos Aires. Si des débats actifs agitent les administrations et les experts, ce qui est bien normal vu la complexité des sujets à traiter, l'unité politique de l'Europe est remarquable sur ce dossier. Elle constitue d'ailleurs le seul tremplin possible pour la position française.
Cette unité politique, symbolisée par l'engagement conjoint et solidaire contracté au sein de la " bulle européenne ", traduit la nécessaire convergence des objectifs des principaux pays impliqués. En complément des politiques nationales, la construction juridique, fiscale, industrielle et énergétique européenne justifie que des initiatives fortes soient prises rapidement au niveau communautaire, afin d'éviter toute distorsion de concurrence.
Ce chantier nécessite aussi des échanges approfondis entre nous. J'aborderai donc Buenos Aires avec le souci premier de consolider, et non pas de vider de sa substance, le protocole de Kyoto, dans le cadre des positions européennes :
- réintroduire une notion d'objectif à long terme, un mécanisme de surveillance de la convergence vers cet objectif, et un mécanisme de sanctions, qui conditionne l'efficacité de la politique, à la manière de ce que nous connaissons dans d'autres domaines de convergence ;
- permettre l'établissement de règles d'information, de définition et de mise en uvre de politiques et de mesures, y compris de mécanismes d'achats de droits d'émission, afin d'éviter des distorsions éventuelles de concurrence ;
- rechercher les moyens d'une adhésion de pays en développement à cet objectif à long terme, défini équitablement et leur permettant d'accéder à une coopération économique équilibrée.
En conclusion, j'insisterai essentiellement sur la méthode de travail que j'entends développer dans les mois qui viennent.
Nous devons poursuivre un échange approfondi et objectif sur l'ensemble des voies pertinentes pouvant nous permettre d'aborder avec confiance ces nouveaux enjeux, et sur les opportunités qu'ils entraînent dans leur sillage.
Cette journée a vocation à y contribuer. J'attends donc avec impatience vos propositions et vos suggestions.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention.
(source http://www.environnement.gouv.fr, le 21 septembre 2001)
C'est avec plaisir que j'ai accepté l'invitation de Michel Mousel, Président de la Mission Interministérielle de l'Effet de Serre, à participer à cette journée d'échange sur les incidences et opportunités économiques mises en évidence par les négociations internationales sur l'effet de serre.
Par mes contacts avec certains d'entre vous, mais aussi au travers de nombreuses réunions de travail que mon cabinet ou mes services ont pu tenir, nous avons déjà pu évoquer ce thème à de multiples reprises depuis Kyoto, mais sans avoir la possibilité d'en débattre globalement.
Cette matinée a pu vous donner un aperçu des différentes questions ouvertes dans cette négociation, qui s'annonce sans doute longue, au-delà de la prochaine échéance de Buenos Aires.
À quelques semaines de cette nouvelle étape, je souhaiterais insister ici sur quelques points.
En premier lieu, le défi de la lutte contre l'effet de serre est planétaire. Seul un profond infléchissement de nos modes de consommation d'énergie et des autres pratiques menant à l'émission de gaz à effet de serre, pourront permettre d'atteindre un objectif de réduction globale, à long terme. Cela ne peut être fait qu'en prenant en compte les contraintes des pays développés mais aussi les besoins légitimes des pays en développement. Les perspectives démographiques de ces derniers ne peuvent, en effet, leur permettre d'emprunter les mêmes chemins que nous. Pour nous, retarder l'infléchissement de nos profils d'émission, notamment ceux des plus gros émetteurs, signifie rendre encore plus difficiles les négociations à venir. Cela renchérit également le coût macroéconomique de cet engagement, et réduit notre aptitude à préserver quelques avantages comparatifs.
En second lieu, une politique pertinente de maîtrise de l'effet de serre doit combiner efficacement les outils de nature réglementaire et institutionnelle, les outils économiques et les outils de développement technologique. Cette combinaison, ce " policy mix ", doit être définie sans préjugé : il ne s'agit pas d'être pour ou contre la " flexibilité ", de même que l'on serait pour ou contre la " rigidité ".
Cette combinaison astucieuse concerne tous les secteurs. Elle doit aussi identifier et développer les opportunités qui correspondent à la position de la France, qui n'est pas toujours celle de ses concurrents et partenaires, notamment ceux situés en dehors de l'Union européenne.
En troisième lieu, je m'attarderai sur les thèmes essentiels qui rythmeront sans doute les négociations à venir, notamment l'étape prochaine de Buenos Aires, et sur les priorités que je souhaite défendre, au sein de l'équipe européenne.
1°) Le défi de la lutte contre l'effet de serre est planétaire
La réalité de l'impact des activités humaines sur le climat ne soulève plus de contestation sérieuse, et l'étude prospective qui vous a été distribuée ce matin, récemment réalisée par la MIES et par mon ministère, ouvre un débat sur ses conséquences potentielles pour la France. Face à cette analyse, nous devons relever un double défi.
1- infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre des pays les plus développés. Seule la relance d'une politique de maîtrise de l'énergie, dans tous les volets de l'activité économique et industrielle, permettra un lissage progressif de l'effort que doivent entreprendre nos sociétés ;
2- permettre, dans le même temps, aux pays en transition ou en développement, qui vont continuer à connaître une forte croissance démographique, d'adopter des politiques " durables " de développement, c'est à dire sans refaire les erreurs que nous avons pu commettre, et en bénéficiant d'un soutien actif de nos pays développés, y compris par la voie d'une coopération économique.
L'objectif mondial n'est pas mince : réduire d'un tiers les émissions de gaz à effet de serre. Cela ne peut se concevoir que dans la durée, compte tenu de l'inertie des systèmes économiques et industriels. Comme le navire a un rayon de " virage " important, il est d'autant plus crucial d'identifier dès à présent le bon cap et d'envoyer les bons signaux à tous les acteurs.
L'équation à résoudre semble donc simple, même si sa solution ne l'est pas : infléchir dès à présent nos émissions de gaz à effet de serre, ce qui passe par les performances de nos procédés, et par nos modes de consommation, de façon à permettre, à moyen terme, un partage équitable de l'effort.
À cet égard et j'y reviendrai, je considère que la réintroduction, dans les négociations internationales, d'un objectif d'émission à long terme et d'un mécanisme objectif et transparent de suivi des convergences, constitue l'un des enjeux de la négociation, auquel l'Europe et la France doivent s'attacher.
2°) Compte tenu de la situation française, quels enjeux industriels et quelles politiques ?
Je sais que les exposés de Michel Mousel et de Pierre BOISSON vous ont déjà tracé les grandes lignes de la situation française et de ses évolutions possibles.
Pierre BOISSON a présidé un exercice majeur de réflexion prospective "Energie 2010-2020", aboutissant à un rapport remarquable et de référence sur les enjeux énergétiques qui nous attendent. Ce rapport montre qu'il existe des voies d'une croissance équilibrée, garantissant le respect de nos engagements de stabilisation de gaz à effet de serre.
J'insisterai donc simplement sur quelques points.
La situation nationale mérite un jugement contrasté, même si elle est globalement favorable. La France se trouve sans doute aujourd'hui parmi les rares pays développés en position de réaliser son objectif contracté à Kyoto.
À peine supérieures à leur niveau de 1990, nos émissions actuelles nécessitent néanmoins une certaine attention par leur structure même. L'intensité énergétique de l'industrie a connu une amélioration significative après le premier choc pétrolier, mais qui s'est ralentie depuis. Les intensités énergétiques du transport et du secteur tertiaire se sont quant à elles dégradées depuis le début des années 80.
La répartition de nos émissions situe l'effort à accomplir pour réaliser l'objectif de stabilisation de nos émissions, contracté dans le cadre de l'engagement communautaire d'une réduction de 8 % par rapport à 1990.
Comment réduire efficacement les émissions de gaz à effet de serre ? Il nous faut agir dans l'ensemble des secteurs qui émettent ou dont l'organisation actuelle facilite ces émissions. Le débat actuel sur les mesures à adopter se focalise essentiellement - j'y reviendrai - sur certains instruments de marché jugés plus " flexibles ".
Certes, je comprends que certains pays, n'ayant pas encore montré une ferme intention d'évoluer, souhaitent éluder les termes de leur débat interne. Le choix fait par la France, en revanche, et au-delà par l'ensemble des pays de l'Union, vise à privilégier largement l'effort intérieur, à l'échelle nationale ou communautaire. C'est la seule façon de répartir équitablement l'effort, et de parvenir, à terme, à l'objectif mondial de réduction.
Ce choix est reflété par l'adoption d'un plan national de lutte contre l'effet de serre, consolidé une première fois en novembre 1997. J'ai demandé cet été à Michel Mousel d'en établir un état d'avancement. Ce bilan d'étape incite au maintien d'une focalisation forte sur les objectifs visés par ce plan. Je ne doute pas, comme le Premier ministre l'a réaffirmé le 11 juin 1998 à l'Assemblée Nationale, que le gouvernement aura à cur de suivre sa mise en uvre effective et son évolution.
Ces mesures doivent, bien entendu, prendre en compte chaque situation mais la priorité est bien dans la relance d'une politique active de maîtrise de l'énergie, soutenue également par des initiatives privées. A cet égard, le renforcement du rôle - et des moyens - de l'Ademe sur la maîtrise de l'énergie et le développement des énergies renouvelables, constitue l'un des gages de l'engagement du Gouvernement.
En ce qui concerne l'industrie, tout d'abord, je note que des progrès significatifs ont été accomplis pour rendre plus efficients les procédés : représentant désormais le quart de l'énergie primaire consommée, les secteurs du verre, de sidérurgie, du ciment, de la chimie ont déjà réduit significativement leurs émissions spécifiques.
Ce résultat est aussi dû à l'évolution structurelle de certaines de ces branches industrielles. En effet, les unités moins rentables qui ont fermé étaient aussi les moins efficaces au plan énergétique. Depuis le début des années 90, ces efforts se sont parfois relâchés et que d'importants gisements d'économies subsistent dans certains secteurs. Ils devront être exploités et leur identification passe notamment par un développement des audits énergétiques.
Le domaine des transports constitue certainement l'une des priorités d'action, ce qui relativise d'ailleurs le débat sur les remèdes à l'effet de serre, parfois réduit aux seuls choix en matière de production énergétique et aux actions dans le secteur industriel.
Ce secteur nécessite une action de longue haleine, compte tenu de la structure d'élasticité de sa demande. Il s'agit non seulement de réduire les émissions unitaires des véhicules - la stratégie communautaire vient de trouver sa première étape avec l'engagement volontaire des constructeurs européens - mais aussi de repenser les systèmes de transport de personnes et de marchandises.
Favoriser les transports collectifs, développer l'intermodalité, sont les grands axes suivis par le gouvernement, traduits dans la Loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie du 30 décembre 1996 et, prochainement, dans la Loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire. Au-delà, une refonte des politiques d'urbanisme sera la clef d'une réduction significative de la mobilité contrainte, qui explique en grande partie l'explosion du poste " transports ".
Le secteur résidentiel-tertiaire nécessite également une attention soutenue. Il s'agit d'améliorer l'efficacité énergétique dans le bâtiment, mais aussi d'optimiser l'utilisation de l'électricité par une politique active de maîtrise de sa demande.
Corrélativement, le secteur des technologies de l'information et de la communication apparaît sans doute comme l'un des domaines privilégiés d'innovation, pour améliorer l'efficacité énergétique des produits et des procédés, et pour réduire les besoins de déplacement.
Je suis frappée de la précision des documents rédigés par plusieurs milliers de sociétés américaines d'électronique, d'informatique et de télécommunications, regroupant notamment les 14 premiers groupes américains mais aussi japonais du secteur : nouveaux capteurs, écrans, réseaux à large bande, électronique de puissance sont autant de technologies intéressantes du point de vue de l'effet de serre, justifiant, selon ces entreprises, que des interventions publiques - y compris des subventions ! - viennent leur fournir un marché national et, au-delà, des marchés extérieurs.
Nos options en matière de production énergétique sont singulières. Si le recours massif à l'énergie nucléaire a constitué, dans les années 80, un avantage indéniable en termes d'émissions de CO2, nonobstant ses autres impacts en termes de risques, de pollutions et de déchets, sa prédominance, y compris en termes de ressources consacrées au développement technologique, constitue une préoccupation pour l'avenir.
C'est pourquoi le gouvernement s'est résolument engagé vers une ouverture des choix énergétiques, en relançant une politique ambitieuse de maîtrise de l'énergie, de développement des énergies renouvelables, notamment de la biomasse, de la co-génération, de substitution des combustibles fossiles les plus polluants, en promouvant notamment l'utilisation du gaz naturel, ou de l'optimisation de leur consommation.
Je souhaite m'attarder un instant sur la situation du charbon, dont les réserves sont, de loin, les plus abondantes parmi les combustibles fossiles, et sont vitales, notamment pour des pays comme la Chine et l'Inde. Il serait à la fois irréaliste et hypocrite de prétendre que ces pays devraient renoncer à l'utilisation de leur première ressource à cause de l'augmentation de l'effet de serre, largement dû aux émissions cumulées de nos pays développés.
Un effort énorme est donc à faire pour augmenter l'efficacité de la consommation d'énergie dans les pays charbonniers, et ce serait sans doute une erreur industrielle de ne pas poursuivre en France le développement de techniques telles que les chaudières à lit fluidisé circulant, car elles représentent aussi un atout pour l'industrie française.
Nouveaux procédés industriels, carburants ou combustibles moins polluants ou de substitution, développement de produits moins énergivores, de systèmes urbains ou de modes de transport plus efficaces, mais aussi d'outils de communication plus puissants, de circuits logistiques optimisés sont donc en filigrane des actions concrètes qui doivent être engagées sans tarder. Bref, autant de sujets qui sont au cur de vos enjeux concurrentiels.
Une politique équilibrée mêle ainsi, dans chaque domaine pertinent d'utilisation, des instruments réglementaires et institutionnels, économiques, techniques, mais aussi des incitations fortes au développement de technologies, de services, de produits innovants, et d'un cadre de marché qui facilitent leur adoption. C'est ainsi que la question des prix de l'énergie est centrale, en France comme dans d'autres pays développés, au premier rang desquels les Etats-Unis. Je distingue mal comment l'ensemble des acteurs économiques pourra porter préférentiellement ses choix vers des produits ou procédés plus économes, si un " signal prix " n'accompagne pas ce choix.
En l'absence de subventions massives ou de restrictions quantitatives importantes dans la fourniture d'énergie, dont je n'ose imaginer les conséquences pour nos économies ou nos entreprises, c'est en effet la variable " prix " qui semble à même de donner un signal à long terme pour de nombreux postes de consommation, et notamment les transports.
La recherche d'un signal prix stable et progressif, permettant aussi de soulager la pression fiscale pesant sur l'emploi et l'investissement, est l'une des voies possibles. C'est pourquoi, la France a demandé l'accélération des travaux relatifs au projet de directive européenne sur la taxation des produits énergétiques, dans un objectif d'harmonisation fiscale, d'incitation aux utilisations les moins polluantes, de maîtrise de l'énergie.
Si la France a particulièrement insisté sur le relèvement des taux d'accises sur les carburants, par rapport au projet initial de la Commission, elle a également souligné son attachement à une modulation des taux de taxation de toutes les énergies finales en fonction du caractère plus ou moins émetteur de gaz à effet de serre des combustibles employés, ainsi qu'à la prise en compte des spécificités des industries fortement consommatrices d'énergie.
L'examen des conséquences de ce texte ne peut à mon sens être réalisé sans étudier tout aussi précisément l'autre volet de cette réforme fiscale, à savoir la réduction des prélèvements fiscaux pesant sur l'emploi et l'investissement.
Par ailleurs, alors que de nombreux travaux - généralement théoriques - se sont penchés sur les modalités de mise en uvre de permis négociables, j'observe que peu de ressources ont été consacrées à la définition d'assiettes optimales pour l'économie française. Ici aussi, je reste à votre disposition pour dépasser les positions de principe.
Je dirai également quelques mots des outils dits " de flexibilité ", que je reformule plutôt comme des mécanismes " d'achat de droits d'émission ", car je n'ai pas le sentiment que ces outils soient nécessairement plus flexibles que les autres politiques et mesures. Plusieurs d'entre eux ont donné lieu à beaucoup de travail théorique - vous savez que les tout premiers gagnants de Kyoto sont les économistes -, mais assez peu à des réflexions opérationnelles.
Je reviendrai plus loin sur les intéressants mécanismes de mise en uvre conjointe et de développement propre, qui doivent correspondre à des projets concrets réalisant des réductions réelles, mais dont les modalités de mise en uvre nécessitent sans doute encore un travail approfondi.
Les mécanismes de permis négociables sont largement mis en avant par les Etats-Unis. Ceux-ci souhaitent bien entendu les utiliser d'abord à leur avantage qui n'est pas nécessairement le vôtre.
Importer massivement ce type de crédits reviendrait probablement, pour les Etats-Unis, non seulement à établir un transfert financier massif avec des pays émetteurs, avec des contreparties géopolitiques évidentes, mais aussi à placer prioritairement leurs entreprises dans les rangs des investisseurs. Un tel endettement signifierait aussi que ce pays repousse d'autant l'infléchissement de ses propres émissions, ce qui ne serait pas sans conséquence sur plusieurs plans :
- de faibles marges de manuvre seraient laissées aux autres pays, et notamment au nôtre ;
- les difficultés seraient encore accrues pour les pays en développement, qui constateraient que le premier émetteur s'est lui-même soustrait à ses engagements ;
- la difficulté serait croissante - et probablement insurmontable - pour infléchir, lors des prochains rounds de négociation, une situation américaine rendue encore plus délicate par la divergence de ses émissions.
Je ne pense donc pas que l'intérêt de la France et de ses entreprises soit d'accepter un développement débridé et sans règle de ces permis à polluer.
3°) La perspective de Buenos Aires
Je m'attarderai enfin sur la perspective des négociations à venir et sur la méthode de travail que j'envisage de suivre.
Buenos Aires sera une étape de plus dans la mise en uvre de la Convention de Rio et du Protocole de Kyoto. Schématiquement, trois groupes d'acteurs seront en présence.
Ce matin, vous avez sans doute eu un aperçu de la situation des Etats-Unis et des pays qui s'abritent derrière eux. De ce côté-là, il semble réaliste de ne pas s'attendre à des avancées majeures à Buenos Aires.
Bien au contraire, compte tenu d'un contexte politique intérieur difficile, de leur difficulté à entraîner des pays en développement comme la Chine ou l'Inde dans une politique d'objectifs quantifiés et contraignants de réduction, il faut s'attendre à ce que les Etats-Unis se focalisent sur une remise en cause de leur engagement, par tous les moyens.
Responsables du quart des émissions mondiales, pour 6 % de la population, l'infléchissement de leurs modes de consommation constitue un enjeu crucial, non seulement pour le respect de leurs engagements mais aussi pour notre propre situation.
Au moment où l'administration américaine annonce qu'elle " réaliserait ", arithmétiquement, 85 % de l'effort par emprunt à d'autres pays, cette perspective me semble porteuse de menaces que les études économiques actuelles n'ont pas appréhendées.
Quel serait l'impact économique et concurrentiel, pour vos entreprises, d'une présence forte d'un acteur tel que les Etats-Unis sur d'éventuels marchés internationaux de permis, dont le fonctionnement aurait de fortes chances d'être largement influencé par le contexte géopolitique ? Quel serait le contexte de la négociation, au début du siècle prochain, si ce pays réalisait aussi peu d'effort domestique et ne modifiait en rien ses modes de production ou de consommation ?
Dans un contexte où le volume global d'émissions permises est désormais fini et décroissant, un début d'infléchissement des émissions des Etats-Unis exige un renchérissement des prix de l'énergie dans ce pays, comme le souligne d'ailleurs un récent rapport de l'Agence Internationale de l'Energie. Cette mesure constituerait le seul gage de pérennité et de respect des engagements contractés à Kyoto.
Les pays en transition ou en développement, ensuite, expression qui recouvre de multiples réalités. Je n'évoquerai pas la situation spécifique de certains pays producteurs d'hydrocarbures, où potentiels de réductions d'émissions sont cependant considérables, en limitant par exemple le torchage du gaz. Celui-ci représente, au plan mondial, l'équivalent de 4 fois la consommation française de gaz naturel.
J'insisterai en revanche sur les situations de pays tels que la Chine ou l'Inde, qui revendiquent, légitimement, un accès équitable au développement, alors qu'ils ont des consommations d'énergie par habitant de l'ordre de vingt fois inférieures à celles des Etats-Unis. Près de 80 % de la population mondiale doit ainsi se contenter de 40 % de l'énergie. Quant aux pays d'Europe Centrale et Orientale et à ceux de la Communauté des Etats Indépendants, j'ai du mal à croire que l'Europe se satisfera durablement de leur situation économique très préoccupante, seule cause jusqu'ici à la réduction drastique de leurs émissions.
Dans ces pays, réintroduire un objectif à long terme de maîtrise de leurs émissions par habitant, en fonction du niveau économique, nécessite aussi un transfert massif de technologies, et l'exportation ou la fabrication sous licence de produits utilisant efficacement l'énergie. L'évolution vertueuse de leur industrie et de leur économie ouvre donc de larges perspectives, que d'autres pays ont déjà bien identifiées.
Je souhaite donc dynamiser la réflexion interministérielle et les échanges avec les entreprises, sur les thèmes de la mise en uvre conjointe et du mécanisme de développement propre, qui vous ont été présentés ce matin. Une réflexion est déjà prête à s'enclencher avec quelques sociétés d'ingénierie, mais le cercle peut être élargi en fonction de vos propositions.
Et l'Europe ? L'Europe est arrivée soudée à Kyoto, et une unité analogue se profile à Buenos Aires. Si des débats actifs agitent les administrations et les experts, ce qui est bien normal vu la complexité des sujets à traiter, l'unité politique de l'Europe est remarquable sur ce dossier. Elle constitue d'ailleurs le seul tremplin possible pour la position française.
Cette unité politique, symbolisée par l'engagement conjoint et solidaire contracté au sein de la " bulle européenne ", traduit la nécessaire convergence des objectifs des principaux pays impliqués. En complément des politiques nationales, la construction juridique, fiscale, industrielle et énergétique européenne justifie que des initiatives fortes soient prises rapidement au niveau communautaire, afin d'éviter toute distorsion de concurrence.
Ce chantier nécessite aussi des échanges approfondis entre nous. J'aborderai donc Buenos Aires avec le souci premier de consolider, et non pas de vider de sa substance, le protocole de Kyoto, dans le cadre des positions européennes :
- réintroduire une notion d'objectif à long terme, un mécanisme de surveillance de la convergence vers cet objectif, et un mécanisme de sanctions, qui conditionne l'efficacité de la politique, à la manière de ce que nous connaissons dans d'autres domaines de convergence ;
- permettre l'établissement de règles d'information, de définition et de mise en uvre de politiques et de mesures, y compris de mécanismes d'achats de droits d'émission, afin d'éviter des distorsions éventuelles de concurrence ;
- rechercher les moyens d'une adhésion de pays en développement à cet objectif à long terme, défini équitablement et leur permettant d'accéder à une coopération économique équilibrée.
En conclusion, j'insisterai essentiellement sur la méthode de travail que j'entends développer dans les mois qui viennent.
Nous devons poursuivre un échange approfondi et objectif sur l'ensemble des voies pertinentes pouvant nous permettre d'aborder avec confiance ces nouveaux enjeux, et sur les opportunités qu'ils entraînent dans leur sillage.
Cette journée a vocation à y contribuer. J'attends donc avec impatience vos propositions et vos suggestions.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention.
(source http://www.environnement.gouv.fr, le 21 septembre 2001)