Déclaration à la presse de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur le rôle de la France en matière d'aide au développement, spécialement sur le continent africain, Tokyo le 20 octobre 1998.

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Circonstance : Conférence internationale sur le développement de l'Afrique (TICAD II) à Tokyo (Japon) les 19 et 20 octobre 1998

Texte intégral

Vous savez que les deux thèmes retenus étaient, hier, le développement et aujourd'hui, d'une part, la bonne gouvernance, d'autre part, la prévention et la gestion des conflits. Je voudrais simplement faire observer l'actualité des thèmes retenus.
Le développement est un thème récurrent. Il est vrai que l'Afrique, à cet égard, et un rapport du PNUD vient de le rappeler, n'a pas sa part dans le développement, même si les progrès observés sur la dernière période. L'arrimage de l'Afrique à la zone franc, et par voie de conséquence, à l'euro, feront probablement de l'Afrique le morceau de la planète qui connaîtra, l'an prochain, une forte croissance. Il était important d'afficher cette bonne nouvelle pour les Africains. Il reste que les investissements, les flux financiers, n'ont pas encore pris l'habitude de se diriger vers l'Afrique, qui ne recueille qu'un pourcentage infime des investissements privés. Et il est évident que le développement de l'Afrique passe aussi par l'augmentation de l'investissement privé, même si chacun s'accorde à reconnaître que l'ADP demeure un préalable indispensable au développement. On ne peut, à cet égard, que féliciter le Japon d'avoir maintenu un niveau d'APD très important, même s'il est vrai que c'est seulement un pourcentage somme toute assez réduit de l'aide japonaise qui va vers l'Afrique subsaharienne, - puisque c'est surtout de celle-là dont on parlait hier.
La France est partenaire du Japon en Afrique et dans d'autres pays, sur un certain nombre de projets aussi divers que la santé, l'agriculture, l'agronomie. Cette fois, c'est une triangulaire que nous allons faire en Afrique, entre le Japon, la Malaisie et la France, sur le créneau de la formation des Africains. Le projet a d'ailleurs été évoqué hier à la tribune par le Premier ministre malaisien M. Mahatir.
En matière d'APD, je signale que la France est désormais, en volume, le second pays donateur, derrière le Japon et devant les Etats-Unis qui étaient au troisième rang en 1996 et dont l'aide a encore régressé, selon les chiffres de 1997. Le pourcentage de l'aide américaine rapportée au PIB est descendu à 0,08 %. La France est à 0,48 %, le Japon se situant autour de 0,25 %. Il y a quelques pays qui font plus, les pays du Nord de l'Europe, je pense à la Suède, la Norvège et les Pays-Bas qui tournent entre 0,7 et 0,8 %, mais sur des sommes qui, en volume, sont évidemment moins importantes. 60 % de l'APD française va vers l'Afrique subsaharienne, et sans décliner dans toute leur diversité les actions que nous conduisons, je voudrais simplement insister sur ce qui est un peu une spécialité française en matière d'aide au développement, à savoir l'appui institutionnel. Comme beaucoup d'autres pays, nous intervenons dans le domaine de la formation ou de la santé, mais nous nous efforçons aussi d'aider ces Etats à se construire, en leur apportant sous forme de coopérants, dans le cadre de "l'assistance technique", de l'expertise, du savoir-faire en matière de justice de police et de fiscalité, car nous considérons que le développement, comme la démocratie, exigent aussi la présence d'Etats construits capables d'organiser l'économie, mais aussi de garantir la sécurité.
J'ai passé la journée d'hier à faire ce qu'on appelle du "bilatéral", en recevant ou en rendant visite à un certain nombre de chefs d'Etat et de ministres. Peut-être en a-t-on parlé hier après-midi, mais je ne suis pas sûr que l'on ait beaucoup insisté sur les conséquences de la crise économique en Afrique, même si nous avons eu l'occasion d'en parler dans d'autres enceintes : à Paris, il n'y a pas si longtemps, lors de la réunion des ministres de la zone franc, et à l'occasion d'un colloque que j'ai présidé à Bercy, sur le thème "Investir en zone franc" qui a d'ailleurs mobilisé 450 entreprises françaises et étrangères. Je peux d'ores et déjà indiquer que l'Afrique, parce qu'elle est moins intégrée à l'économie mondiale, en subira moins brutalement et moins globalement les effets. Il y a bien sûr un certain nombre de secteurs qui vont souffrir : le pétrole - quelques pays africains tirent du pétrole une part considérable de leurs ressources -, le bois - et c'est là que la relation avec l'Asie est importante, puisque ce sont les Asiatiques de très loin les plus gros clients des forestiers africains - mais aussi le textile pour lequel, de manière générale, la baisse des prix de la production asiatique va évidemment compliquer la commercialisation des productions africaines. Mais enfin, le taux de croissance attendu pour l'Afrique l'an prochain, se situe autour de 3 %, et il est clair qu'aucun autre pays, en dehors de l'Afrique, ne peut espérer un tel chiffre.
L'autre actualité, c'est celle des conflits qui continuent de secouer le continent africain. Ceux-ci ne concernent pas que ce continent d'ailleurs ; l'Europe en sait quelque chose avec le Kossovo. L'Asie connaît aussi quelques difficultés ici ou là. Mais l'Afrique continue de voir apparaître, ici ou là, des conflits où la dimension ethnique est exacerbée, mais où la difficulté à assurer les alternances explique parfois - je pense au Congo-Brazzaville - les troubles. Ce qui nous renvoie précisément au thème de la bonne gouvernance, et de la prévention des conflits. Ce sont donc les deux thèmes qui ont été évoqués ce matin.
Pour résumer ce qui s'est dit du côté africain, je reprendrai les propos de M. Chissano, le président du Mozambique, qui a une bonne expérience de ces choses, puisque le Mozambique est un des pays africains qui a su trouver les moyens d'une coexistence, somme toute pacifique, entre les belligérants qui, désormais s'affrontent par les voies normales de la démocratie, c'est-à-dire les élections. Ce qui est vrai au Mozambique ne l'est pas encore en Angola, puisque, comme vous le savez, la guerre a repris entre le président Dos Santos et l'UNITA. M. Chissano a beaucoup insisté, après d'autres, sur le fait que les Occidentaux ont mis deux cents ans pour trouver les voies de la démocratie et nous a reproché la pression que nous mettons à l'engagement d'un processus démocratique en Afrique. Il a même été jusqu'à indiquer les tensions que cette impatience pouvait quelquefois provoquer. C'est intéressant qu'il nous le dise et que nous méditions cela, même s'il est clair que l'intégration à l'économie mondiale que revendique l'Afrique aujourd'hui, et que nous encourageons, passe évidemment aussi par le respect des règles démocratiques. Là dessus tout le monde a été d'accord. Là où évidemment les nuances peuvent apparaître, et nous les trouverons normales, c'est au niveau du rythme et des moyens de cette démocratie, qui peuvent varier d'un pays à l'autre, en fonction de la situation géographique ou de l'histoire. Il faut que nous acceptions cela. Ce qu'il faudrait refuser par contre, c'est la marche arrière. Nous avons entendu ce matin plusieurs intervenants qui auront marqué ces débats. Je parlais tout à l'heure du président Chissano du Mozambique, je pense à présent au président Konaré qui a, de son côté, beaucoup insisté sur la relation entre la bonne gouvernance et la paix, et qui a dit que la pauvreté ne pouvait pas être une excuse au conflit, allant même jusqu'à affirmer "on est trop pauvres pour nous payer des conflits". Il a notamment insisté sur le contrôle de la fabrication et du commerce des armes légères, qu'il considère comme étant sources d'insécurité, et a appelé à dénoncer plus radicalement l'embauche des enfants soldats. Il a invité également à traduire les mercenaires devant les tribunaux internationaux. Des applaudissements ont suivi son allocution. J'en conclus que tout le monde était d'accord avec ses propos, et pourtant j'ai cru voir quelques représentants de pays où il y a sans doute des soldats très jeunes, et peut-être même quelques mercenaires.
Enfin, l'intérêt de cette conférence, au-delà des rencontres, que j'ai beaucoup appréciées, entre ministres venant de pays différents - nous apportons notre aide et d'autres la reçoivent - c'est sa fonction tribunicienne. Le fait de pouvoir dire toutes ces choses du haut d'une tribune à l'attention de quelques centaines de responsables africains, et à travers les médias qui couvrent l'événement dans leurs pays, en direction des populations elles-mêmes, me paraît intéressant. Je suis convaincu que cela contribue à faire évoluer les mentalités et fait entrer dans les esprits quelques réalités : le besoin de la lutte anti-corruption, l'acceptation de l'alternance, choses qui, malheureusement sont encore insuffisamment acceptées.
Je répète qu'en plus des Japonais qui en sont les organisateurs, participaient à cette TICAD, la Coalition mondiale pour l'Afrique, présidée par M. Konaré, l'OUA, que préside le président du Burkina-Faso, M. Compaoré, et le secrétaire général de l'OUA, laquelle, vous le savez, est en articulation avec les Etats-Unis et l'Europe, chargée de la gestion et de la prévention des conflits en Afrique, et qui a beaucoup de travail, de l'Erythrée à la Guinée Bissau. Les organisateurs peuvent être, je crois, satisfaits.
La France est heureuse en tout cas d'avoir participé à cette deuxième TICAD, au cours de laquelle son rôle a été réaffirmé en matière d'APD, singulièrement sur le continent africain. Mais je voulais dire aussi qu'il était bon pour le ministre français de la Coopération d'être en Asie, parce que c'est aussi une manière d'illustrer la réforme de la coopération que nous conduisons depuis quelques mois. C'est pour cela qu'après le Japon, je vais aller ce soir en Thaïlande et demain au Laos. Nous allons parler, en bilatéral, de la coopération que la France conduit avec ces deux pays et qu'elle entend amplifier.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 octobre 2001)