Conférence de presse conjointe de MM. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, Javier Solana, secrétaire général de l'OTAN, Chris Patten, commissaire européen chargé des relations extérieures, et Madeleine Albright, secrétaire d'Etat américaine, sur la coopération politique entre l'UE et les Etats-Unis et la situation en Yougoslavie (notamment l'initiative de la Russie de réunir MM. Milosevic et Kostunica) et au Proche-Orient, Paris le 2 octobre 2000.

Prononcé le

Circonstance : Réunion ministérielle Union européenne - Etats-Unis, à Paris le 2 octobre 2000

Texte intégral

Nous avons achevé les travaux de cette réunion ministérielle Union européenne - Etats-Unis. Ces derniers étaient représentés par Madeleine Albright. J'en ai exercé la Présidence, avec à mes côtés Javier Solana comme Secrétaire général et Chris Patten qui représentait la Commission. Nous avons travaillé sur un certain nombre de sujets : la situation dans les Balkans Occidentaux, la Russie, la situation au Proche-Orient, l'Europe de la Défense, la question d'un éventuel dialogue à propos du pétrole et la préparation du sommet Union européenne - Etats-Unis qui aura lieu à Washington le 18 décembre prochain.
Sur chaque point, nous avons vérifié nos analyses, mais en réalité nous avons pu travailler à la fois vite et, je crois, bien, de façon très précise, parce que nous connaissons parfaitement nos positions, nous sommes en contact tous les jours, nous réagissons de façon très convergente, souvent de façon quasiment identique sur la plupart des sujets. Je pense là essentiellement au Proche-Orient, aux Balkans, à la situation en Russie. Sur les autres sujets, qui sont d'ailleurs ceux que nous avons traité au déjeuner, c'est à dire l'Europe de la défense, le dialogue entre les producteurs et les consommateurs de pétrole et la préparation du sommet, c'est différent.
A propos de l'Europe de la défense, c'est plus un travail. Les Etats-Unis ont des questions auxquelles nous répondons. Ce dialogue, simplement, s'est renforcé ces derniers mois. Il s'est structuré. Je crois qu'il progresse bien et qu'il permet de répondre aux questions qui pourraient se poser. Sur la question du pétrole, c'est un échange de vues et d'analyses, puisque l'Union européenne a appelé à un certain nombre d'initiatives concernant le dialogue producteurs-consommateurs, pas uniquement avec l'OPEP d'ailleurs, mais avec les producteurs en général. Nous avons été très intéressés par la décision américaine sur les réserves stratégiques, c'est une décision que nous analysons, qui présente de l'intérêt du point de vue européen, qui nous amène à réfléchir à nos dispositifs sur ce plan.
Quant au sommet Union européenne - Etats-Unis, il s'agissait de déterminer à ce stade un avant projet d'ordre du jour. Il comporterait évidemment un dialogue sur les grands sujets de politique étrangère qu'on ne peut pas fixer à l'avance puisque cela dépend de l'actualité. Il comporterait évidemment un échange sur ceux des contentieux dont il serait utile de parler dans un sommet. Ce n'est pas la peine de perdre notre temps dans des sommets à ne parler que des contentieux, d'abord parce que les données sont connues, les positions sont connues. Je rappelle d'ailleurs que tous les contentieux Europe - Etats-Unis, au total, représentent 1% simplement des échanges entre l'Europe et les Etats-Unis, donc c'est totalement marginal en termes économiques. Mais si quelque chose d'utile peut être fait, on le fera. Il y aura certainement dans ce sommet de décembre un volet "initiatives communes", nous avons pensé à un certain nombre de sujets, mais il pourra y en avoir d'autres : nous avons pensé à la question du sida, la question du prix des médicaments, à certains volets de la coopération scientifique, la question du climat, la question de l'environnement. Nous avons pensé aussi qu'il était bon de garder pour ce sommet une partie de discussions libres, pour qu'un échange puisse avoir lieu sur un sujet qui sera fixé plus tard en tenant compte de l'actualité. Voilà le résumé rapide de notre séance de travail, qui s'est passée, il est presque inutile de le dire tellement c'est évident, dans un excellent climat et qui était, je crois très concrète et très satisfaisante pour nous tous. Le fait de se voir tout le temps et d'être en concertation tout le temps nous permet d'aller vite, mais les sujets ne sont jamais épuisés en fait - il y a toujours des rebondissements, il y a toujours des sujets d'actualité qui peuvent modifier le regard et nous amener à ajuster encore notre réaction. Mais cette rencontre ministérielle Union européenne - Etats-Unis intervient à un très bon moment de nos relations, de notre coopération et je m'en réjouis à tout point de vue."
Q - Mme Albright a dit que les questions concernant les pays non-membres de l'Union européenne ont été discutées pendant la réunion. Est- ce qu'on peut dire qu'il y a un accord total sur ce sujet ou il y a encore quelques points de désaccords, sur le rôle que doivent jouer dans les opérations extérieures les pays membres de l'OTAN et non-membres de l'Union européenne au moment de la décision ?
R - A cet égard, je crois que les mécanismes d'information mutuelle et de consultation se mettent en place de façon tout à fait satisfaisante mais au rythme où se met en place le projet de défense européenne. Les consultations ne peuvent pas avoir lieu avant que les mécanismes existent ou aient été décidés par les Quinze.
Les Quinze sont tout à fait ouverts à tout ce qui est information et consultation mais ça ne peut pas être une façon pour un pays qui ne fait pas partie de l'Union européenne d'entrer dans la décision des Quinze. Donc c'est là l'équilibre à trouver et je crois que les procédures que nous sommes en train de développer sont très bonnes, parce qu'elles permettent de concilier ces éléments.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez dit que l'initiative américaine sur l'utilisation des réserves stratégiques de pétrole était intéressante pour l'Union européenne, est-ce que les Européens vont utiliser leur stock stratégique de pétrole sur le marché, et Mme Albrigth concernant le dialogue producteur-consommateur, comment cela va se faire concrètement puisque les Etats-Unis ont toujours refusé de parler avec l'OPEP en tant que cartel, maintenant est-ce qu'on envisage vraiment un dialogue avec l'OPEP ?
R - L'Union européenne a en effet pris un nombre d'initiatives ces derniers jours pour essayer de relancer, pour essayer de lancer un dialogue entre les pays producteurs, pas uniquement l'OPEP d'ailleurs, mais les pays producteurs en général et les pays consommateurs. Cela, c'est une chose. Une réflexion, des échanges ont lieu sur les modalités et les objectifs. Quant aux réserves stratégiques, j'ai dit que l'Union européenne analysait ce qu'ont fait les Etats-Unis. La situation n'est pas comparable : les pays européens n'ont pas le même dispositif, donc n'ont pas pris la décision de faire la même chose. Mais l'Union européenne pense que c'est intéressant à terme d'avoir une meilleure connaissance du mécanisme américain.
Q - Aujourd'hui le président russe a invité M. Milosevic et M. Kostunica à Moscou pour parler dans le but de résoudre la situation en Yougoslavie, quelle est votre réaction sur cette initiative ?
(...)
R - J'ajouterai aux propos de Mme Albright que l'initiative de M. Poutine était bonne si c'était pour dire à M. Milosevic qu'il doit se retirer, étant donné qu'il a été rejeté par les Serbes qui ont eu le courage formidable d'aller voter en masse et d'aller voter contre lui pour sortir du piège où il les a enfermés. C'est également une bonne initiative si c'est pour marquer auprès de M. Kostunica que la Russie, elle aussi, reconnaît qu'il a gagné et qu'il est d'ores et déjà le représentant légitime d'une nouvelle République fédérale de Yougoslavie.
Q - Est-ce que l'initiative de M. Poutine complique les efforts de l'Union européenne et des Etats-Unis pour essayer de résoudre la crise en Yougoslavie, puisqu'il parle d'un second tour ?
R - Je vais redire ici ce que j'ai dit à Moscou jeudi dernier après mes entretiens avec M. Poutine et M. Ivanov : il y a une convergence globale entre les Etats-Unis, la Russie et l'Union européenne, dans la mesure où la Russie, elle aussi, soutient le changement démocratique en République fédérale de Yougoslavie. Les dirigeants russes ne manifestent aucune espèce de complaisance, ni aucune espèce d'indulgence par rapport au président Milosevic et à son régime, donc on peut parler de convergence à ce niveau.
Maintenant dans la façon de s'exprimer, au jour le jour, face à tel ou tel problème particulier, il est clair qu'il y a une très grande convergence, quasiment une identité de vues entre l'Union européenne et les Etats-Unis, mais il est clair aussi que les Russes s'expriment sur un ton différent pour des raisons qui tiennent à ce qu'est la Russie, à ce qu'est la Serbie historiquement. Mais cela ne veut pas dire qu'il y a est désaccord sur l'objectif : il peut y avoir une différence de timing, une différence sur tel ou tel point, mais nous travaillons donc à la fois à l'intérieur de cette convergence générale - évidemment nous travaillons beaucoup plus étroitement entre Européens et avec les Américains par rapport à cela - je crois pouvoir dire que l'objectif est le même. Et quand il s'agira d'aider une République fédérale de Yougoslavie devenue ou redevenue démocratique, et bien nous agirons à l'intérieur de la même politique, mais entre temps il y a des nuances mais qui s'expliquent aisément.
Q - Et si Milosevic décide de rester au pouvoir ?
R - Pour le moment nous ne sommes pas dans l'hypothèse où plus rien ne serait possible pour le convaincre de partir. Nous sommes encore dans un combat, un combat démocratique. Il faut quand même noter que le président Milosevic n'a pas osé prétendre avoir été élu au premier tour. C'était cela son objectif et il n'a même pas osé prétendre qu'il était arrivé en tête au premier tour. Il a été obligé de reconnaître ou de faire reconnaître par des chiffres officiels, très certainement faux mais quand même, qu'il était loin derrière M. Kostunica, ce qui veut dire qu'il a été acculé à la défensive par ce très grand mouvement démocratique qui s'est développé en Serbie. Nous en sommes là et il faut se concentrer à l'heure actuelle sur cet objectif. Nous sommes dans cette phase et le plus urgent pour le moment c'est de ne pas de spéculer sur les hypothèses de l'avenir, le plus urgent, je crois et le plus utile, c'est de confirmer que nous reconnaissons la légitimité de M. Kostunica après le premier tour et que nous le soutenons et lui faisons confiance pour la conduite de ce mouvement démocratique en Serbie. Je crois qu'il vaut mieux pour le moment en rester là.
Q - Je vois que vous pensez tous déjà à ce qui se passera en Yougoslavie après Milosevic : Mme Albright, quel signe avons-nous pour penser que M. Kostunica coopérera avec l'Occident ?
(...)
R - J'ajoute qu'il est important de ne rien faire ces jours-ci qui apporte des arguments à M. Milosevic et qui l'aide à renforcer les manuvres d'arrière-garde auxquelles il se livre.
Q - Monsieur le Ministre, Madame, vous précisiez tout à l'heure que M. Milosevic appartenait au Tribunal de La Haye, autrement dit que c'était son sort, que c'était son avenir, or pourtant si M. Kostunica arrive à la présidence, il a déjà clairement indiqué qu'il ne reconnaissait pas la validité et la légitimité de ce tribunal.
[réponse de Mme Albright] "Nous pensons que Milosevic devrait se retrouver à La Haye, c'est un criminel de guerre et c'est normal qu'il soit à La Haye"
R - Je suis d'accord.
Q - On ne peut pas exclure aujourd'hui que demain Slobodan Milosevic, pour mater l'opposition, soit fasse tirer dans la foule, soit utilise la violence pour se maintenir au pouvoir. Est-ce que l'Union européenne, les Etats-Unis et surtout l'OTAN envisagent aujourd'hui concrètement différents scénarios pour répondre à cette possibilité ?
R - Il y a deux choses différentes : il y a le travail que peuvent faire des analystes sur les scénarios pour réfléchir à ce qui peut se passer ou pas et ce que doivent faire ou dire des responsables politiques à un moment donné. Il me semble que notre tâche ces jours-ci et spécialement cette semaine, c'est de ne rien faire ou de ne rien dire qui complique la tâche du mouvement démocratique en Yougoslavie, qui a eu le courage de s'exprimer, qui est maintenant incarné par M. Kostunica, qui incarne même la nouvelle République fédérale de Yougoslavie. Nous devons concentrer nos actions sur le fait de l'aider. Tout est possible de la part du régime, nous le savons, M. Kostunica et l'opposition le savent encore mieux que nous. Donc, je crois que notre tâche c'est de les soutenir, de les aider en trouvant la bonne façon de faire et peut-être en étant plus positifs que menaçants. Je crois pouvoir dire par exemple que la main tendue au peuple serbe par les Européens et par les Etats-Unis pendant le mois de septembre au moment où commençait à se préparer cette élection, c'est que nous ont dit les responsables de l'opposition serbe, il a été très important qu'on ne soit pas dans le registre de la menace mais qu'on soit dans le registre positif, constructif en disant "si la démocratie l'emporte, vous allez retrouver le chemin de l'Europe, de la modernisation de la démocratie". Je crois comprendre que c'est ce que les opposants attendent de nous pour le moment.
Q - Vous avez parlé de violence à Jérusalem et en Palestine. A votre avis qui est responsable de cette violence et qui peut y mettre un terme et qui devrait y mettre un terme ?
R - J'ai dit très clairement qui aux yeux de la France était responsable de la provocation et de tout ce qui a découlé : les violences, les morts, les blessés. Même s'il y a eu d'autres groupes après qui en ont profité pour utiliser la violence, pour reprendre leur combat contre le processus de paix. En ce qui concerne ceux qui peuvent agir pour faire baisser la tension, ce sont les responsables des deux camps, qui ne sont d'ailleurs pas "responsables" de ces incidents dramatiques, donc ils sont dans la position d'avoir à employer tous les moyens possibles pour calmer les esprits et pour faire en sorte que l'engrenage de la violence s'arrête et pour reprendre les discussions. Nous espérons de toutes nos forces que cet esprit de dialogue et de négociation va prendre le dessus sur le reste et que les discussions qui sont menées à l'heure actuelle vont pouvoir aller jusqu'au bout. Je salue à nouveau à cet égard l'engagement tout à fait remarquable du président Clinton et de Mme Albright, personnellement tous les deux dans ces discussions. Ce qu'ils font est admirable mais évidemment cela ne peut pas se substituer, au bout du compte, à l'engagement des deux parties qui auront à prendre leurs responsabilités historiques. En ce qui concerne l'Union européenne, en ce qui concerne la France et les autres, nous ferons tout jusqu'au bout pour soutenir, pour apporter la solution et notre contribution après.
Q - Est-ce que vous pensez qu'un sommet régional serait utile à l'heure actuelle au Moyen-Orient ?
R - Je pense que les sommets utiles sont les sommets qui aident les principaux responsables à prendre les décisions difficiles et historiques.
Q - La réunion des pays donateurs pour le Liban dépend-elle de la sécurité et de la stabilité au sud du Liban, de la composition du gouvernement et sa nature ou bien encore de l'application de la résolution 520 qui demande le départ des forces étrangères du sud du Liban ?
R - La réunion dépend d'un peu tout ce que vous avez cité. Cette conférence aura lieu bien sûr, mais il faut qu'elle ait lieu dans les meilleures conditions possibles, pour qu'elle soit utile et donc qu'elle soit bien préparée.
Q - L'opinion française a été très choquée par les images de cet enfant palestinien tué par balles au côté de son père, j'aimerais savoir si vous avez évoqué ces images au cours de votre réunion, qu'est-ce qu'elles suscitent au Quai d'Orsay et à la Maison Blanche ?
R - Ce sont des images bouleversantes mais il y a des situations bouleversantes au Proche-Orient même certains jours où il n'y a pas d'images, en fait. Nous le savons dans un sens ou dans l'autre. C'est précisément parce que nous le savons très bien que nous sommes si obstinément engagés dans le travail de recherche de la paix, parce que nous en connaissons très bien les immenses difficultés mais nous savons que la seule autre alternative à l'accord de paix, c'est cela, la violence dans toute sa brutalité horrible.
Q - Les Palestiniens, avec le soutien de la Ligue arabe, viennent de demander que les Territoires palestiniens soient mis sous la protection du Conseil de sécurité. Ils demandent par la même occasion une commission d'enquête internationale. Est-ce que vous pensez que de telles demandes ont une chance aboutir et quelle est votre approche sur la question ?
R - Je comprends que les Palestiniens fassent des demandes de ce type mais je voudrais leur dire que la priorité absolue, c'est de trouver une solution de fond. Il y aurait beaucoup de commissions d'enquête à faire dans un sens ou dans l'autre au Proche-Orient. Est-ce que cela nous rapprocherait de la solution ? Je ne sais pas. Donc je comprends très bien que sous le coup de la tristesse, de la douleur, de la colère, de l'émotion, on réagisse de toutes les façons possibles et qu'on cherche à accumuler preuve sur preuve, mais il y a déjà ces films terribles dont on a parlé. Je dirais qu'aujourd'hui, ce qu'il faut privilégier à tout prix, c'est ce qui permet de remettre en marche les efforts pour trouver une solution sur le fond. Voilà ce qu'il faut faire mais cela suppose beaucoup de courage politique pour les Palestiniens et beaucoup de courage politique pour M. Barak. Comme nous l'avons déjà dit tous les deux, il y a quelques partenaires étrangers qui sont là comme facilitateurs et qui peuvent les aider mais au bout du compte, il n'y a qu'eux qui peuvent décider./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2000)