Déclaration de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la coopération européenne en matière de gestion durable forestière et la place de l'Europe forestière, Hanovre le 4 octobre 2000.

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Circonstance : Colloque "Gestion forestière durable : planifier globalement agri localement" à Hanovre le 4 octobre 2000

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Chers collègues,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui pour parler de gestion durable forestière, et très heureux d'en avoir l'occasion ici, en Allemagne, où l'arbre et la forêt ont véritablement valeur de symbole.
Car nos forêts européennes sont le fruit de notre histoire, celle de relations séculaires entre la nature et nos sociétés. Elles sont profondément inscrites dans l'évolution sociale, économique et culturelle de nos pays et dans celles de nos institutions. J'en ai la conviction, la forêt illustre, plus que d'autres domaines, la nécessité et l'intérêt de l'action collective.
Jadis, le souci d'un approvisionnement " soutenu " en bois de marine des flottes de guerre, ou celui de la préservation des domaines de chasse princiers, ont conduit aux premières actions de protection des forêts. Avec leur développement démographique et économique, les Européens ont ainsi été amenés à prendre conscience très tôt de l'impasse à laquelle conduisait une exploitation minière.
Aujourd'hui, les enjeux forestiers sont synonymes de : "long terme", "intérêt collectif", "principe de précaution", "prévention des risques naturels", "protection du patrimoine", "préservation de la biodiversité", "aménagement du territoire ", "consommation engagée"
Les frontières de notre environnement écologique, économique et social, se sont étendues à l'ensemble de la planète, et les rythmes d'évolution s'accélèrent.
A L'HEURE DE LA " MONDIALISATION ", QUELLE PEUT ETRE LA PLACE DE L'EUROPE FORESTIERE ?
Je voudrais tout d'abord exprimer ma conviction que l'Union européenne est, de fait, un acteur majeur sur la scène forestière internationale.
Certes, avec 100 millions d'hectares, les forêts européennes représentent à peine 3 % de la couverture forestière du globe (deux fois moins que le Canada ou les Etats-Unis). Mais ce seul chiffre reflète mal l'importance de la forêt en Europe.
Kaveli HEMILÄ, qui est ici aujourd'hui, en parlerait mieux que moi : avec l'adhésion en 1995 de la Finlande et de la Suède, l'UE est devenue un géant économique du secteur de la forêt et du bois, à la fois pôle de consommation et de production. Premier marché mondial consommateur de produits forestiers, l'UE est ainsi aujourd'hui le deuxième producteur mondial de produits papetiers et de sciages et, plus généralement, le troisième exportateur de produits forestiers.
L'Union européenne, qui est également le second importateur de bois tropicaux (derrière le Japon), consacre par ailleurs environ 600 millions d'euro par an, directement ou par l'intermédiaire des Etats-membres, à l'aide publique au développement du secteur forestier, ce qui en fait le premier contributeur mondial.
Cette situation nous confère, de fait, une responsabilité particulière en matière de garanties de gestion durable des ressources forestières.
Or, parallèlement à sa place dans les échanges forestiers, l'Union européenne a développé, au fil de sa longue tradition de confrontation entre l'homme et les forêts, un savoir-faire de gestion des milieux naturels qui possède une réelle spécificité.
Les écoles ou universités européennes (notamment en Allemagne, en Autriche et en France) ont conçu précocement un enseignement de sciences forestières qui a constitué un véritable facteur de rayonnement international de l'Europe.
Pourtant, cette brillante école de pensée s'est trouvée désarçonnée face à la montée en puissance de la prise de conscience internationale des limites des ressources naturelles et des menaces que faisaient peser sur leur pérennité les activités humaines. Techniciens mettant en uvre des pratiques expérimentées de façon pragmatique, les forestiers ont accueilli parfois avec réticence des concepts séduisants mais abstraits : " écosystèmes ", " biodiversité " Mal armés pour valoriser des connaissances empiriques insuffisamment formalisées, ils se sont souvent réfugiés dans un repli frileux, alors même qu'ils pouvaient en faire des pôles d'excellence.
Je voudrais ici illustrer mon propos par quelques exemples :
La multifonctionnalité, que l'OMC découvre progressivement pour l'agriculture, constitue en forêt européenne un concept de référence depuis des décennies.
Plusieurs de nos pays ont développé, à travers des programmes de gestion des littoraux dunaires ou de restauration de terrains de montagne, de véritables techniques de génie biologique.
Les plans d'aménagement forestiers, outils de base des gestionnaires sylviculteurs, préfigurent en quelque sorte l'application à un territoire d'outils du management moderne comme l'analyse stratégique.
C'est cette expérience d'une gestion dynamique d'un territoire dans l'espace et le temps, de cette difficulté à concilier l'élévation des moyennes à grande échelle et la gestion de l'exception, qui fait la valeur du savoir-faire forestier européen et qu'il nous appartient de mettre au service du développement d'une gestion durable forestière mondiale.
Géant économique, porteur d'une expérience technique de gestion incontestée, l'Union européenne forestière est cependant encore - pardonnez-moi l'expression - un " nain " politique
La forêt est restée en quelque sorte sur le seuil de la construction européenne et les produits forestiers et produits dérivés du bois (sauf le liège) ne figurent pas à l'annexe 1 du Traité de l'Union modifié. La forêt n'est donc abordée que par le biais de politiques connexes : agriculture, aménagement du territoire, environnement, énergie, emploi, industrie
Les différentes approches et sensibilités des Etats membres rendent difficiles, aussi bien des actions internes volontaristes, que des prises de position déterminées sur la scène internationale.
La puissance potentielle de l'Union européenne dans le secteur forestier est donc en partie virtuelle. Faut-il le déplorer ou s'en accommoder ?
En termes intérieurs, et sur le plan économique, l'absence de politique commune n'est sans doute pas un frein à la compétitivité des entreprises de l'UE qui sont en prise directe avec les marchés internationaux - sur lesquels certains avaient déjà développé des positions dominantes, je pense bien entendu à nos amis du Nord. Avec une ressource en croissance " durable ", l'UE bénéficie d'une rente de situation qui lui permettra de faire face à ses besoins intérieurs, et même de développer des stratégies exportatrices offensives.
En termes stratégiques, et sur la scène internationale, la réponse est plus nuancée. Les enceintes traitant des questions forestières sont nombreuses. Je ne ferai qu'en rappeler certaines, parmi les plus importantes :
Le dialogue international sur les forêts, qui est en passe de régler la question de la localisation du Forum sur les forêts au sein du système des Nations unies , mais où reste en suspens la difficile émergence d'un instrument ou " arrangement " international sur les forêts.
La prise en compte des forêts dans la convention sur la diversité biologique.
La liaison avec la convention sur les changements climatiques, et notamment la prise en compte des puits de carbone forestiers.
Le suivi de la convention sur la désertification.
La mise en uvre du programme " forêt " adopté au sommet du G8 à Birmingham en 1998.
La participation aux travaux de l'Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT).
La participation aux travaux du Comité des forêts (CoFo) de la FAO.
S'y ajoutent, au niveau pan-européen, la Commission européenne des forêts et le Comité du bois de la FAO, les conférences ministérielles sur l'environnement (qui programment un chapitre " écosystèmes forestiers ") et les conférences ministérielles pour la protection des forêts en Europe.
Les échéances effectives pendant la période de la présidence française sont peu nombreuses, hormis le grand rendez-vous de la 6e Conférence des parties à la convention-cadre sur les changements climatiques à La Haye en novembre. Mais les rencontres d'experts, consultations informelles et groupes de travail divers foisonnement.
Et au sein de l'Union européenne, les compétences s'enchevêtrent.
Le " comité permanent forestier ", groupe consultatif institué depuis 1989 auprès de la Commission, a conservé une audience réduite (et limitée aux questions intra-communautaires), tout comme le document de stratégie forestière européenne, élaboré en réponse à une initiative du Parlement européen et approuvée en décembre 1998.
Les groupes ad-hoc chargés d'organiser la coordination européenne apportent un concours précieux. Mais force est de constater qu'un vaste champ d'incertitudes subsiste sur la définition des véritables objectifs à poursuivre et dans la répartition des compétences entre les différents services, pour lesquels la forêt reste une " priorité secondaire ".
Pourtant, l'Europe a su jouer un rôle pionnier à des moments-clés :
Dès 1989, la France et la Finlande, en prenant l'initiative, de conférences ministérielles pour la protection des forêts en Europe, affirmaient leur conviction d'un avenir commun à la foresterie européenne, au-delà des diversités biologiques et culturelles qui font la richesse de notre continent. Quelques mois après la chute du mur de Berlin, 43 pays s'engageaient ainsi dans un processus qui nous a conduit de Strasbourg (1990) à Lisbonne (1998) en passant par Helsinki (1993), et a notamment permis la définition de critères et indicateurs de gestion durable forestière adaptés au contexte européen.
Au cours des quinze dernières années s'est constitué à l'échelle de l'Europe, un dispositif de surveillance des forêts auquel contribuent à présent plus de 30 pays - et qui s'intègre à la résolution n°1 de la Conférence ministérielle de Strasbourg, qu'il concrétise. Je souhaite ici rendre un hommage appuyé à l'Allemagne, initiatrice et chef de file inlassable depuis 1985 du "Programme international concerté d'évaluation et de suivi des effets de la pollution atmosphérique sur les forêts", sous l'égide des Nations Unies. Le règlement communautaire correspondant, consacré au " Programme de l'Union européenne sur la protection des forêts contre la pollution atmosphérique " arrive à son terme en 2001. Je suis persuadé que ce dispositif devra être poursuivi, voire renforcé à l'avenir.
La question de la certification de la gestion durable des forêts et de l'éco-étiquetage des produits est au cur, à la fois des préoccupations citoyennes du public et des stratégies de marché des entreprises. Face aux multiples initiatives constatées en ce domaine, les propriétaires forestiers français et allemands, rapidement rejoints par de nombreux acteurs du secteur forêt-bois, ont bâti un cadre de référence commun basé sur la concertation volontaire, dans chacun de nos pays, entre toutes les parties intéressées par la forêt. Ils viennent, sur ces bases, de développer le schéma PEFC ("pan european forest certification").
Tout récemment, l'Allemagne, vous le savez Monsieur le Ministre, a lancé une " initiative à 8 pays " pour organiser une consultation d'experts à Bonn en novembre prochain afin de préparer les premières réunions du Forum sur les Forêts
et la liste serait longue des initiatives d'Etats membres qui se sont investis, parfois puissamment, dans l'organisation de rencontres destinées à favoriser des avancées sur des points particuliers de négociations internationales forestières.
Je voudrais donc achever mon propos en m'interrogeant avec vous sur le visage que nous souhaitons donner ensemble, demain, à cette Europe forestière.
Il me paraît clair qu'il faut impérativement appeler les forestiers à sortir - si j'ose dire - " du bois ", à sortir de la " bulle " sylvicole, pour positionner la forêt par rapport aux grands enjeux d'aujourd'hui : biodiversité, désertification, effet de serre, aide aux pays en développement.
Il est ainsi légitime - et incontournable - de s'interroger sur le niveau d'implication optimal pour l'Union européenne.
Le cadre flou actuel présente des limites souvent frustrantes, même si, à l'usage, il s'est avéré parfois opportunément souple. Nous devons continuer à valoriser les réseaux linguistiques, commerciaux, culturels des différents Etats-membres. Laissons les spécificités s'exprimer. Mais, dans le même temps, en concentrant l'intervention de l'UE sur des actions concrètes où des apports positifs sont possibles, nous pouvons arriver à élaborer une véritable stratégie européenne pour la forêt.
En premier lieu, même s'il s'agit là d'une réflexion pour le long terme, nous devons nous interroger sur l'opportunité d'une mise en ordre, au niveau européen, des différentes structures, comités et enceintes qui traitent des questions forestières : comment articuler leur travail pour renforcer la cohérence et la lisibilité de nos positions ? C'est une question qui me paraît appeler, utilement, une contribution de la Commission.
En second lieu, l'Union européenne doit devenir la vraie plate-forme d'échanges, indispensable à ce secteur forestier en mutation, confronté à la nécessité d'imaginer de nouveaux modes d'association des citoyens aux décisions et à de nouvelles formes de relation public/privé (que préfigurent par exemple les mécanismes de flexibilité introduits par le protocole de Kyoto).
Dans le même esprit, il est important que l'UE s'attache à offrir un cadre de référence reconnu, valorisant ses spécificités dans le débat international. C'est déjà le cas - par rapport à des questions comme la certification - des critères et indicateurs dits d'Helsinki. Mais ces critères " forestiers " gagneraient à être plus activement promus et mieux intégrés par des problématiques connexes comme celles de la préservation de la biodiversité ou des changements climatiques.
Le souci de subsidiarité n'est à mon sens pas exclusif, bien au contraire, du développement de services communs, comme le réseau de surveillance des écosystèmes forestiers que j'ai déjà évoqué, ou encore l'outil statistique de synthèse en gestation depuis des années. La perspective de l'obligation de comptabiliser les flux de carbone en renforce manifestement l'intérêt, bien au-delà de l'inventaire forestier traditionnel.
Enfin, il me paraît indispensable d'établir une liaison entre l'action intra-européenne et la réflexion en matière de coopération avec les pays en développement, notamment en matière de lutte contre la déforestation en zone tropicale. Au-delà de l'implication de l'Union au titre de l'aide au développement, il y a là matière à " transfert de technologies " et " création de capacité " pour le savoir-faire de gestion forestière durable européen.
Notre action d'aujourd'hui est un maillon d'une grande chaîne qui traverse les générations. Nous héritons des forêts façonnées par nos aïeux et nous travaillons celles que connaîtront les générations futures. L'actualité, avec les tempêtes de décembre dernier, nous a rappelé brutalement qu'il convient en la matière de faire preuve à la fois d'humilité et d'ambition.
Si l'Union européenne sait, sur un certain nombre de domaines, apporter une valeur ajoutée reconnue, elle avancera, j'en ai la certitude, sur la voie d'une véritable stratégie commune valorisée de concert dans les enceintes internationales.
Si la pensée forestière européenne sait retrouver une dynamique volontariste, elle pourra faire beaucoup mieux. Elle peut espérer apporter au citoyen du XXIe siècle une contribution concrète et pragmatique à la question cruciale de ses relations à l'économie et à l'environnement.
(source http://www.agriculture.gouv.fr, le 30 octobre 2000)