Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur le refus du général Gueï d'accepter les résultats des élections présidentielles en Côte d'Ivoire et la coopération militaire de la France avec ce pays, en réponse à une question à l'Assemblée nationale et dans un entretien avec "France 2", Paris, le 24 octobre 2000.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Charles Josselin - Ministre délégué à la coopération et à la francophonie

Circonstance : Refus du général Gueï d'accepter les résultats des élections présidentielles en Côte d'Ivoire, le 24 octobre 2000

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Réponse à une question d'actualité à l'Assemblée nationale
Mesdames,
Messieurs les Députés,
Monsieur le Député,
La Côte d'Ivoire traverse en effet des heures graves. Depuis hier, les projecteurs sont braqués sur Abidjan et en particulier sur les locaux qui abritent la Commission nationale électorale. Dimanche, en effet, les Ivoiriens étaient appelés à élire leur président. Ici même, nous avions dit notre espoir que ce scrutin, par ses conditions de déroulement, de dépouillement, de publication de ses résultats, puisse constituer une étape essentielle dans le retour de la Côte d'Ivoire à la démocratie. Hier soir, nous pouvions penser que cet espoir était en passe d'être satisfait au vu du calme qui avait présidé dans l'organisation de ce scrutin et du taux de participation, bien qu'affaibli par les mots d'ordre d'abstention ou de boycott du PDCI et du RDR, partis qui avaient été écartés, vous vous en souvenez, de l'investiture à la Présidence.
Les premiers résultats exprimés par l'entourage de Laurent Gbagbo faisaient état en effet d'une avance importante de celui-ci dans un certain nombre de régions, je devrais dire dans beaucoup de régions.
Les premiers résultats publiés par la Commission nationale électorale hier, confirmaient les chiffres qu'avaient publiés, en quelque sorte par anticipation, les amis de M. Gbagbo. Hier soir, s'agissant de résultats qui portaient sur 3 millions et demi d'inscrits sur les 5 millions que compte la Côte d'Ivoire, l'avance était telle, selon les amis de M. Gbagbo, que les chiffres non encore connus ne pouvaient plus désormais inverser ce résultat. Et nous étions en mesure en effet de penser qu'aujourd'hui le général Guei pourrait déclarer élu son rival.
Nous avons appris que les choses ne se présentaient pas ainsi, que la commission nationale électorale, dont les travaux avaient été suspendus hier soir - vous avez rappelé, Monsieur le Président, dans quelles conditions - et que le général Guei avait en effet présenté un recours en annulation des résultats, laissant la Cour Suprême le soin en définitive de statuer.
Il est clair que la question majeure, et vous l'avez posé, M. le Président, c'est celle du respect de la volonté du peuple ivoirien. La France et ses partenaires européens, et nous avons commencé évidemment d'en parler avec eux, fera ce qu'il faut, tout ce qui est possible, pour que cette volonté du peuple ivoirien soit bien entendu respectée./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 octobre 2000)
Entretien avec "France 2"
Q - La France n'acceptera pas le coup de force en Côte d'Ivoire, ça veut dire quoi ?
R - Cela veut dire l'immense déception qu'est la nôtre à la mesure de l'espoir que la manière dont le scrutin s'était déroulé dimanche, calme, avec un taux de participation finalement honorable par rapport à d'autres scrutins africains et là, la manière dont les choses se sont passées hier avec déjà la suspension des travaux de la commission nationale électorale et puis surtout la décision d'aujourd'hui d'une auto-proclamation, d'une victoire alors même que la commission nationale électorale n'était qu'en cours de travaux en quelque sorte.
Q - Mais vous allez faire quoi concrètement ?
R - Je vais d'abord dire aux Ivoiriens, et ils le savent, que la France ne pourra pas maintenir une coopération avec les autorités ivoiriennes si le retour à la démocratie est ainsi manqué.
Q - Mais déjà on avait quasiment coupé les ponts avec le général Gueï. Cela veut dire que là on arrête toute coopération économique, commerciale ?
R - Non, en clair c'est la coopération militaire qui avait été interrompue et nous avions préservé la coopération civile, notamment celle qui profite aux populations mais il n'y a pas que la France, il y a aussi l'Union européenne et il y a aussi le besoin pressant de la Côte d'Ivoire, de la solidarité internationale. Il est clair que la Banque mondiale, que le Fonds monétaire international dont la Côte d'Ivoire a absolument besoin pour se sortir d'une situation très très difficile, ne vont pas être au rendez-vous que les Ivoiriens leur donnent.
Q - Mais est-ce que vous irez jusqu'à envoyer des troupes ?
R - Les troupes sont déjà là-bas, elles sont là parce qu'elles sont soucieuses de la sécurité de nos ressortissants.
Q - Il y a 20 000 Français à peu près.
R - Il y a 20 000 Français et nous avons en effet depuis, en permanence, des troupes qui sont là à la fois pour la sécurité de nos ressortissants, celle des autres pays s'ils étaient menacés et aussi dans le cadre d'accords.
Q - Est-ce que concrètement la France compte envoyer rapidement d'autres militaires français sur place ?
R - Non, non, écoutez, aucune décision n'est prise dans ce sens. Pour l'instant, les moyens dont nous disposons suffisent pour mettre en sécurité nos ressortissants, j'y insiste et nous n'entendons pas, en l'état actuel des choses, nous mêler de ce débat ivoirien. Nous disons simplement qu'il n'est pas possible que les responsables ivoiriens, quels qu'ils soient et d'abord le général Gueï et là, nous faisons appel aux valeurs dont il se réclame volontiers, y compris le patriotisme ivoirien, sa référence au gaullisme, enfin, il y fait allusion assez souvent
Q - Bon mais ça d'accord, ça c'est un coup de violon que vous lui donnez mais en fait il a fait un coup d'Etat non ?
R - Il a fait ce soir un coup d'Etat, on peut dire que les moyens de retour à l'ordre constitutionnel ont été totalement bafoués mais je dis aux Ivoiriens : il est encore temps de rejoindre le camp de la démocratie et je n'accepte pas cette situation. Nous avons actuellement ce soir le général Gueï qui s'est auto-proclamé et dans le même temps M. Gbagbo qui dit : moi, au vu des résultats que je connais et il est vrai que les premiers résultats de la Commission le confirment
Q - Mais là vous dites ça parce qu'il est socialiste ou pas ?
R - Non, je ne dis pas ça parce que je suis socialiste. Je n'aurai pas caché mon plaisir si un socialiste avait été élu, ça aurait été la première alternance en Côte d'Ivoire dans son histoire démocratique, c'était tout à fait considérable.
Q - Vous y êtes pour quelque chose dans ce vote un peu surprenant pour M. Gbagbo ?
R - Non, non, très franchement je crois que les gens ont fait le choix du pouvoir civil et de ce point de vue, moi, je ne peux pas m'en plaindre, mais je pense que, et j'y insiste, le général Gueï peut encore éviter une spirale dans laquelle la Côte d'Ivoire s'enfoncerait, s'isolerait de la communauté internationale, y compris de ses voisins africains dont elle a absolument besoin.
Q - Merci Charles Josselin.
R - Je vous en prie./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 octobre 2000)