Déclaration de M. Jack Lang, ministre de l'éducation nationale, sur la coopération entre l'Union européenne et les pays d'Amérique latine et les Caraïbes, notamment dans le domaine de l'enseignement supérieur, Paris le 3 novembre 2000.

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Circonstance : Rencontre des ministres de l'enseignement supérieur sur les relations entre l'Union européenne , l'Amérique latine et les Caraïbes, Paris le 3 novembre 2000

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Je suis très heureux de vous accueillir ici, à Paris. Cette conférence vient après le sommet de Rio, où, à l'initiative du Président de la République, Jacques Chirac, un nouveau souffle a été donné aux relations entre l'Union européenne et l'Amérique latine et Caraïbe. Cette nouvelle alliance a été baptisée de " partenariat stratégique ". Dans tous les domaines, elle illustre un changement de cap. La conférence d'aujourd'hui en est la première traduction concrète. Je me réjouis que l'accent ait été mis sur les politiques éducatives, que nous soyons sortis de la seule logique économique pour faire le pari de l'intelligence et du savoir.
Cette volonté politique a rencontré celle du Brésil, qui préside à l'heure actuelle le Mercosur, et qui est engagé dans une profonde réforme de son système d'enseignement supérieur. Je tiens à saluer ici le rôle primordial de Monsieur Souza, il a été déterminant.
La déclaration que nous allons adopter aujourd'hui est le signe d'un nouveau départ dans les relations entre l'Union européenne et les pays d'Amérique latine et des Caraïbes. C'est bien une rupture que nous manifestons par la relance d'un dialogue trop souvent négligé.
Quel nouveau départ ?
Certains pays d'Amérique latine sont tournés vers le Pacifique, des Etats européens regardent vers l'Est. La géographie, pourtant, ne suffit pas à nous séparer. Chacun de nos continents a un prolongement culturel, spirituel, au-delà des mers. Nous devons en effet répondre à des défis communs. Sur nos deux continents, l'éducation connaît une mutation accélérée, et nous sommes irrémédiablement entrés dans l'ère de la connaissance. Dans chacun de nos Etats, il faut accompagner la massification de l'enseignement supérieur, en s'assurant de la qualité, en recherchant l'excellence. Partout, il nous faut répondre des sociétés qui ont besoin de formations et de compétences nouvelles. Dans ce contexte, l'Amérique latine et l'Union Européenne ont beaucoup à apprendre l'une de l'autre. Pour une part essentielle, les racines de nos conceptions et de nos systèmes d'éducation sont les mêmes. Ensuite, les problèmes rencontrés sont de même nature quand bien même ils ne sont pas toujours de même ampleur. Des deux côtés de l'Atlantique, l'ouverture sur l'autre est devenue une nécessité, et les échanges sont le passage obligé de toute formation qui se veut complète.
Je le disais à l'instant, l'Europe et l'Amérique latine partagent des traditions et des conceptions largement communes de l'Université. Cela tient d'abord à des raisons historiques : dès 1538, la première université du continent américain était créée par les dominicains, sur le territoire de l'actuelle République dominicaine. Quelques années plus tard, ce sera au tour de Coimbra. D'autres ordres religieux ont suivi cet exemple, je pense aux franciscains et aux jésuites en particulier, et assez rapidement de nouvelles universités ont vu le jour au Pérou, au Mexique et ailleurs Cette racine commune a abouti à des évolutions comparables.
Dans ce contexte, la coopération euro-latino-américaine a toujours eu un rôle essentiel. Les élites latino-américaines se sont longtemps tournées vers le vieux continent pour développer leurs modèles d'enseignement supérieur. Je voudrais m'arrêter un instant sur le Brésil. Lorsqu'on a cherché à y créer les universités généralistes qui manquaient, au début des années 30, on s'est adressé à différents pays européens, et notamment à la France. Le résultat est l'université de Sao Paolo. Fernand Braudel, Claude Levi Strauss, Georges Dumas ont alors fait partie du voyage. Jusqu'à évoluer vers la constitution d'une des plus grandes universités du monde. Je pense aussi au philosophe Gérard Lebrun qui trouva au Brésil un espace de grande liberté pour enseigner, étudier la pensée de Hegel. À l'évocation de ces exemples, comment ne pas penser que nous nous devions de relancer notre coopération ? Et je suis convaincu que tous, ici, les acteurs d'aujourd'hui se sentent redevables mais fiers aussi de prolonger cette uvre.
Il y avait urgence : songeons qu'il y a 20 ans, 80% des étudiants d'Amérique latine qui partaient à l'étranger poursuivre leur formation allaient en Europe, contre 20% aux Etats Unis. Aujourd'hui, seuls 100 000 viennent en Europe, quand plus d'un million vont vers le Nord. En retour, trop peu de jeunes Européens traversent l'Atlantique vers le Sud. Heureusement, le tableau n'est pas si noir. Bien des échanges existent, et des pays comme l'Espagne et le Portugal, en avance sur les 13 autres pays de l'Union, nous montrent la voie. Car nous devons offrir à nos étudiants, à nos professeurs, à nos chercheurs un champ suffisant à leurs capacités de recherche et d'expression. Pour cela, il n'est qu'une solution : intensifier nos échanges.
Les universités ont été des espaces de liberté, les lieux aussi où se sont inventés la démocratie et le développement. Alors que le vent de la démocratie souffle sur nos deux continents depuis 20 ans, les universités latino-américaines comme celles d'Europe doivent relever un double défi, celui de l'élargissement de l'enseignement supérieur à une population croissante et celui de l'excellence. Le premier enjeu est vital : la diminution des inégalités, l'établissement de la démocratie passent par l'ouverture de l'éducation. Le second enjeu et tout aussi important : nos sociétés ont besoin, toujours davantage, d'innovations et de science. Or nous sommes parvenus à une étape cruciale pour nos systèmes d'enseignement supérieur.
La seule solution est de s'unir, de mettre en relation les universités, les écoles, les instituts afin de leur permettre de mettre en commun leurs atouts, d'internationaliser leurs formations, de multiplier leurs échanges. Cela peut se traduire par des échanges bilatéraux, par une organisation en réseaux, par une vision internationale globale. Cela nécessite aussi une philosophie de l'éducation, dont on a l'exemple d'une piste fructueuse avec les propositions récentes présentées par Edgar Morin à l'Unesco.
Le défi est d'intensifier le dialogue, de renforcer l'esprit de libre recherche, la coopération et l'utilisation équitablement répartie de l'information et de ses ressources. Pour cela, il nous faut garantir le principe d'accès universel à l'enseignement, et affirmer la responsabilité des Etats.
Confronté à la concurrence du secteur privé, le secteur public doit trouver, notamment par l'insertion dans les réseaux internationaux, les moyens de répondre aux défis qui lui sont lancés en Europe et en Amérique latine.
Je crois la rencontre de nos deux continents riche en fécondations nouvelles. L'Europe voit, comme par un effet en retour, l'Amérique latine lui montrer de nouvelles façons de concevoir la mission et les moyens de l'université : que l'on regarde les compétences développées au Mexique et au Brésil en matière d'enseignement à distance. Des expériences novatrices sont à étudier. Comme le disait Alexis de Toqueville, le défi que doit relever l'Amérique préfigure l'avenir de l'Europe et non son enfance. Dans le même ordre d'idées, l'Amérique latine peut procéder à un retour aux sources, y trouver un terreau fertile pour un développement harmonieux.
Ce que nous faisons aujourd'hui, c'est poser la première pierre d'un édifice à venir. Nous entrons maintenant dans le temps long de l'action.
Pour quelles perspectives ?
Je veux insister sur les initiatives concrètes que permet le cadre d'action que nous adopterons dans notre déclaration. Si elles sont possibles, c'est que de grandes institutions, sont très impliquées. Je tiens à les remercier chaleureusement.
Monsieur MATSUHARA, à l'Unesco, Monsieur PINON, Directeur général de l'Organisation des Etats Ibéro Américains, Monsieur BELLAUNDE, qui représente ici le secrétaire général de la Communauté Andine des nations, ainsi que Monsieur IGLESIAS, le président de la Banque Interaméricaine pour le Développement. À la Commission européenne, aussi, nombreux sont ceux qui ont travaillé pour faire aboutir notre déclaration. Leurs énergies sont irremplaçables. Tous s'impliquent pour que voient le jour un Espace d'enseignement supérieur commun à l'Union Européenne et à l'Amérique latine et Caraïbe.
Je parlai à l'instant d'actions concrètes. La France n'est pas en reste, et de nombreux chantiers sont ouverts :
La France va créer un pôle universitaire en Guyane, qui aura pour vocation d'être ouvert sur l'Amérique latine et les Caraïbes.
Un Institut français des Amériques verra le jour
Une mission interministérielle de suivi sera chargée d'organiser les initiatives, les projets qui seront mis en uvre pour l'enseignement supérieur.
Ces projets s'ajoutent à ceux qui, depuis des années, ouvrent la voie. Le programme ALFA, par exemple, fournit les structures pour accroître la mobilité de nos étudiants et de nos chercheurs, développer les formations et les travaux conjoints. Nous devons l'approfondir, aller plus loin. La seconde phase qui s'ouvre cette année doit être celle du renforcement des actions entre nos pays. Car nous avons la chance d'avoir des outils. À nous de savoir les utiliser.
Encore quelques mots sur ce qui nous attend, sur les priorités de l'action à venir. Les programmes de recherche universitaire doivent être développés en commun. La création de bibliothèques virtuelles est une autre piste sur laquelle nous avons à travailler. Les technologies permettent d'imaginer des échanges, des relations impossibles naguère. L'accès aux ressources numérisées est ainsi au centre de nos préoccupations.
Je le disais, ce jour marque une nouvelle phase, que j'espère être celle d'un élan intellectuel, culturel et scientifique vigoureux. Il est de notre devoir de rendre vivante, concrète la relation entre nos deux continents. C'est un sujet qui mérite nos efforts, qui exige notre persévérance.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 9 novembre 2000)