Texte intégral
Monsieur le Président,
Madame la Directrice générale,
Monsieur le Commissaire,
Monsieur le Directeur exécutif,
Mesdames et Messieurs,
Mes chers collègues,
Je souhaite en premier lieu remercier la Commission européenne pour avoir organisé cette table ronde. Merci pour le travail accompli avec célérité. Merci à celles et ceux qui ont sacrifié leurs vacances pour que cette journée soit une réussite.
Depuis quelques mois, figure à l'agenda de toutes les réunions internationales la question des maladies transmissibles dans les pays en développement, et notamment du SIDA. Le projecteur est d'ailleurs également braqué sur ces maladies grâce à des initiatives de certaines agences onusiennes qui cherchent par exemple à éradiquer la poliomyélite ou grâce à des fondations privées également qui veulent participer à des programmes de vaccination.
L'Union européenne se devait donc d'examiner ces questions. Elles sont une des priorités de la présidence française.
Mais cette réunion est très particulière : pour la première fois me semble-t-il, un bailleur de fonds, qui plus est le premier bailleur d'aide publique au développement, organise une discussion publique, et consulte toutes les parties concernées, pour la première fois également réunies, sur sa politique de lutte contre ces maladies. Aujourd'hui ici réunis, pays du Nord et du Sud, ont pu débattre avec l'ensemble des acteurs publics, privés et de la société civile, d'un front d'attaque commun contre les maladies de la pauvreté.
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Je ne reviendrai pas sur les chiffres redits aujourd'hui, sur les morts passés et à venir. SIDA, tuberculose, paludisme représentent, pour les plus pauvres d'entre nous, et pour l'humanité tout entière, une catastrophe comme le monde n'en a jamais connu.
Cette catastrophe est aussi un échec du développement tel qu'il a été poursuivi depuis 40 ans, et dont nous sommes tous responsables :
- les pays du Nord qui n'ont pas su aider ceux du Sud à mettre en place un système de santé fiable et solvable ;
- les pays du Sud qui n'ont pas su faire de la santé et de l'éducation leurs premières priorités ; quand ils n'ont pas sacrifié d'abord les professionnels de santé pour répondre aux injonctions des institutions financières internationales lorsque celles-ci demandaient de réduire les dépenses publiques ;
- l'industrie pharmaceutique qui a arrêté la recherche et le développement des molécules traitant ce que l'on appelait alors les maladies tropicales ;
Aujourd'hui, il s'agit de trouver ensemble des solutions efficaces, équitables et pérennes. Pour beaucoup c'est une question de survie, pour tous c'est une question de dignité.
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Plusieurs problèmes se posent qu'il faut traiter simultanément :
I) le premier problème est celui de la prise de conscience.
. Prise de conscience des populations des pays du Sud d'abord : elle passe par l'éducation et l'information. Il s'agit de soutenir les associations de malades, les ONG locales qui oeuvrent dans ce domaine. Il faut également favoriser les réseaux Sud-Sud et aider ces associations à se rencontrer, à échanger leurs expériences.
. Prise de conscience des gouvernants des pays du Sud : accablés par tous les maux de la pauvreté, ils s'égarent parfois et ne savent plus quelles priorités choisir.
Cette prise de consciences des dirigeants des pays du Sud est fondamentale. C'est pourquoi nous avons décidé, dans le cadre de la coopération euro-américaine, d'entreprendre des démarches conjointes auprès des dirigeants africains avec la commission européenne pour les sensibiliser au problème.
. Prise de conscience des gouvernants des pays du Nord et des bailleurs enfin, de l'urgence et du caractère dramatique de la situation. Mes chers collègues, certes cinq millions de personnes meurent tous les ans du manque d'eau potable de qualité, mais autant meurent de SIDA, de tuberculose et de paludisme, or la collectivité mondiale consacre 75 milliards de dollars tous les ans pour l'accès à l'eau. Certes, dans certains pays, plus de la moitié des enfants ne vont pas à l'école, mais leur espérance de vie est aussi considérablement réduite par les maladies qui les menacent.
Pourtant, depuis quelques mois, nous avons le sentiment que la mobilisation politique internationale est en marche, que le temps de la prise de conscience est venue. Il nous faut maintenant nous atteler aux solutions.
II) le deuxième problème est celui de l'accès aux traitements, aux soins.
C'est une question globale dont nous savons tous qu'elle est très difficile à régler.
Nous avons déjà fait un grand progrès depuis que nous avons reconnu qu'il n'y a pas de prévention possible sans accès aux traitements, mais il ne faut pas relâcher notre effort de prévention. En fait, il faut faire porter nos efforts sur l'ensemble des éléments des systèmes de santé, sans en oublier aucun qui deviendrait le maillon faible de la chaîne des soins.
La lenteur de mise en oeuvre des programmes d'aide au développement est partout constatée qu'il s'agisse de ceux de l'Union européenne, de l'UNICEF, d'ONUSIDA, et même du Fonds de solidarité thérapeutique international. Bien que j'aie la faiblesse de croire que le FSTI est plus souple et plus rapide que les autres.
Cette lenteur a de multiples causes : faiblesse des équipes médicales locales, manque de formation, de matériel disponible, associations de malades à bout de souffle...
Mais cette lenteur trouve aussi des causes chez nous : la mobilisation et la mise en oeuvre du FED sont trop lentes, comme en témoigne le montant considérable des reliquats. C'est bien pourquoi la rénovation des procédures est une des priorités de la Présidence française. De son côté, la Commission est engagée dans un processus de refonte de sa gestion de l'aide extérieure. Un accent particulier doit aussi être mis sur l'intensification de la coordination entre représentations des Etats membres et de la Commission, sur le terrain.
Il nous faudra également réfléchir à une uniformisation des documents demandés par les différents bailleurs pour éviter que les responsables du sud ne consacrent pas la quasi totalité de leur temps à remplir des documents, questionnaires et formulaires différents bien que traitant du même sujet pour demander de l'aide.
. Il faut ensuite que des traitements existent et soient abordables.
C'est une condition que nous avons un peu oubliée dans les pays riches, où même quand les traitements n'existent pas, les médecins les inventent. Ainsi, au début de l'épidémie de SIDA, les malades recevaient des traitements, certes inefficaces, parfois fantaisistes, mais des traitements quand même.
Deux situations sont clairement différentes
- pour les maladies spécifiques du Sud, le paludisme par exemple, la recherche a été abandonnée au Nord, pour satisfaire un marché et des actionnaires, soucieux de rentabilité immédiate. Il faut reprendre la recherche et le développement. Tirons parti des compétences des uns et des autres : la recherche peut être aidée par les fonds publics, l'industrie pharmaceutique de son côté a une compétence inestimable en matière de développement mais les fondations privées soucieuses d'actions caritatives visibles pourraient y contribuer. Osons des partenariats nouveaux et originaux.
- pour les maladies existant au Nord comme au Sud, les médicaments existent mais leur prix, libre dans beaucoup de pays développés, est inabordable.
Les variations de prix constatées d'un pays à l'autre ne relèvent pas toutes des industriels. C'est pourquoi, dans le cadre de la coopération euro-américaine, nous entreprenons une étude sur les facteurs de variation du prix de ces médicaments.
Les accords sur la propriété intellectuelle sont essentiels pour garantir la recherche et l'innovation. Mais n'oublions jamais que les pays du Sud ne constituent pas encore un marché pour l'industrie pharmaceutique. Alors étudions toutes les innovations possibles : licences obligatoires, achat de licence par les bailleurs internationaux, fabrication locale, participation de l'industrie pharmaceutique aux circuits de distribution...
. Il faut que les systèmes de santé soient à même de faire le diagnostic, de distribuer les traitements, d'en assurer la surveillance et que les malades soient soutenus psychologiquement, socialement, économiquement.
Il nous faut d'abord coordonner nos moyens : demain l'Union européenne, en l'occurrence la commission pourra organiser des actions conjointes avec les agences de développement des Etats membres. Il faut que des partenariats internationaux se nouent.
Mais il nous faut faire aussi porter nos efforts sur la santé primaire. La formation de professionnels de santé en nombre suffisant est un problème lancinant, beaucoup meurent actuellement du SIDA, d'autres choisissent de s'expatrier après leurs études pour des raisons économiques. Une grave pénurie peut se faire rapidement sentir. Faudra-t-il réinventer les médecins aux pieds nus ? Il est urgent d'élaborer un consensus sur le niveau d'organisation des soins à atteindre.
. Je l'ai dit plus haut, il faut enfin développer la recherche.
En effet, deux questions scientifiques nous sont posées. Dans le cas du VIH, c'est la découverte d'un réel traitement et l'accès à un vaccin. Dans le cas de la tuberculose et du paludisme, il s'agit de la lutte contre les résistances aux molécules déjà connues et qui peuvent rester efficaces à un coût modéré.
La démarche scientifique européenne doit bien entendu être associée à une ambitieuse action de formation des élites locales en développant l'accès à la formation de haut niveau et en permettant en retour l'installation de laboratoires bien équipés dotés d'importants moyens de fonctionnement.
La recherche doit aussi être une des composantes des programmes d'accès aux soins dans les pays en développement. Pour l'accès aux soins nous avons besoin de recherche clinique, thérapeutique, en santé publique, en économie de la santé et sur l'acceptabilité des traitements.
A l'inverse, les programmes de recherche que l'Union européenne conduits dans les pays en développement ne sauraient être indépendants de la préoccupation de l'accès aux soins.
Dans cet effort de recherche figure bien sûr le vaccin contre le VIH. Il faut en effet consacrer un effort majeur à la recherche sur le vaccin, pour être en mesure de tester en phase III, c'est-à-dire en essai d'efficacité, des candidats vaccins prometteurs à l'horizon 2005-2008.
L'Europe ne peut pas se permettre de continuer à travailler en ordre dispersé dans les domaines de la recherche thérapeutique et vaccinale. Le prochain Conseil européen consacré à la recherche prendra des initiatives en la matière, il s'agit là aussi d'inscrire notre action dans la durée.
Enfin, quand nous disposerons d'un vaccin ou de nouveaux traitements, il sera moralement inacceptable que les pays du Sud en bénéficient en dernier.
III) le troisième problème est celui des financements nécessaires.
L'Union européenne est le premier bailleur de l'Aide publique au développement. Elle a investi 3,4 milliards d'euros depuis 1990 dans les programmes santé, SIDA et démographie. Ses moyens sont considérables. Ainsi, les reliquats des FED précédents ont été incorporés au neuvième FED dont le montant total est donc ainsi porté à 23 milliards d'euros. L'Union européenne a également soutenu la proposition de la Banque mondiale de consacrer 1 milliard de dollars sur les ressources de l'Association internationale pour le développement pour lutter contre les maladies transmissibles dans les pays en développement.
Les pays du Nord doivent encore faire un effort supplémentaire. L'Allemagne, les Etats-Unis pour ne citer qu'eux ont déjà annoncé une augmentation significative de leur contribution.
Je veux dire ici la volonté de la France d'augmenter très significativement notre effort de lutte contre le SIDA sur la base de programmes qui répondront à la demande de prise en charge globale : ils iront de l'information à l'accès aux anti-rétroviraux grâce au FSTI, en passant par la prévention et le traitement des infections opportunistes. Parallèlement notre effort de recherche dans les pays en développement sera maintenu.
En ce qui concerne le paludisme, mon ministère y consacre une cinquantaine de MF par an, et soutient notamment l'initiative de l'OMS "Faire reculer le paludisme - Roll back malaria". Mon ministère y développera une initiative originale, permettant de détecter, en Afrique sub-saharienne, les périodes où le paludisme devient épidémique et où la prévention s'impose. Pour sa part, le ministère de la Recherche consacrera 30 MF au paludisme dans les pays en développement.
Mais les pays du Sud doivent également participer à cet effort. Je sais leurs marges budgétaires limitées. Mais nombre d'entre eux vont bénéficier d'allégements de dettes multi et-ou bilatérales notamment dans le cadre de l'initiative PPTE. Ces marges de manoeuvre doivent être utilisées dans le cadre des programmes stratégiques de réduction de la pauvreté pour apporter aux populations des réponses globales à la menace que représentent les maladies. La part de la France dans cette initiative va représenter 10 milliards d'euros. Nous avons en outre prévu un accompagnement des bénéficiaires.
Les fondations privées font également un effort et je les en remercie. Je veux également saluer l'initiative des cinq fabricants d'anti-rétroviraux de baisser leurs prix, voire d'offrir des médicaments gratuits. Je crains toutefois que cette initiative soit insuffisante, l'industrie a à imaginer des actions autres que caritatives.
Il nous faut en effet assurer la pérennité des financements et la solvabilisation de la demande de soins sur le long terme. Il faut donc imaginer d'autres modes de financement et explorer la mutualisation du risque entre les secteurs formels et informels dans les pays du Sud.
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Mesdames, Messieurs,
Les discussions de cette table ronde ont souligné la nécessité d'agir de manière plus coordonnée, plus efficace à la fois au niveau européen et au niveau international.
- Cette réunion d'aujourd'hui ne restera pas sans lendemain. La Commission va préparer un plan d'action qui sera discuté dans les prochains Conseils des ministres de l'Union européenne et qui tiendra compte de nos réflexions d'aujourd'hui. Ce plan d'action comportera des engagements concrets et visibles.
D'ores et déjà, l'Union européenne s'engage à appuyer les pays en développement sur la scène internationale dans la négociation et la mise en place de nouveaux partenariats en réponse à la propagation des maladies transmissibles.
- il nous faut, vous l'avez compris, travailler tous ensemble et être imaginatifs pour trouver les financements, les opérateurs et les programmes pour lutter contre ces fléaux. C'est pourquoi la France a pris l'initiative de proposer la tenue d'une réunion internationale sur l'accès aux soins pour l'infection au VIH /SIDA, sous l'égide des Nations unies.
Cette initiative a été reprise par le G8 et Kofi Annan en a accepté le principe. L'objectif poursuivi est d'établir un consensus international sur l'ensemble des pratiques nécessaires pour une prise en charge globale des malades, puis de démontrer son efficacité en organisant cette prise en charge dans quelques pays.
Il nous faut en effet changer d'échelle : nous savons dépister quelques dizaines de milliers de personnes, prévenir la transmission du virus chez quelques milliers de femmes enceintes, traiter quelques centaines de malades. Ce n'est pas suffisant. Nous devons essayer, et arriver à multiplier rapidement ces chiffres par cent.
La France souhaite bien sûr une coopération active de l'Union européenne avec l'ensemble des acteurs aujourd'hui rassemblés.
La mobilisation est en marche. Alors accélérons. Dans ce domaine, aucune réserve, aucun obstacle de nature politique ne saurait être toléré.
Je vous en remercie./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 octobre 2000)