Conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur la nouvelle situation créée en Europe par les élections allemandes et sur les convergences du "moteur" franco-allemand, Paris le 28 octobre 1998.

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Circonstance : Entretien de MM. Védrine et Joschka Fischer, ministre allemand des affaires étrangères, à Paris le 28 octobre 1998

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, je viens d'avoir le grand plaisir d'accueillir Joschka Fischer, ici, au ministère des Affaires étrangères, pour commencer ce qui, je n'en doute pas, sera une coopération amicale et fructueuse. Nous avons eu peu de temps, vous avez pu le constater, mais ce n'est qu'un début. Nous avons donc commencé à faire connaissance. Nous avons échangé quelques mots sur cette situation nouvelle créée en Europe et dans la relation franco-allemande par les récentes élections en Allemagne.
Nous avons déjà regardé notre calendrier, nous allons nous retrouver les 9 et 30 novembre, les 6, 7, 8, 11 et 12 décembre. Il y aura toutes sortes de réunions d'ici à la mi-décembre où nous aurons déjà à travailler ensemble, dans le cadre de l'Union européenne et dans le cadre de l'OTAN. Nous avons décidé de nous revoir avant le prochain sommet franco-allemand, en prenant plus de temps, pour entrer dans le détail, à travailler méthodiquement sur les sujets qui sont devant nous, pour être le plus opérationnel possible, le plus vite possible, sur tous les sujets, qu'il s'agisse des questions européennes ou des questions de politique étrangère sur lesquelles la France et l'Allemagne veulent élaborer et suivre des démarches communes.
Voilà ce que je peux dire sur ce bref entretien. Nous avons eu le temps de faire le tour des têtes de chapitres que nous allions traiter. Nous avons échangé quelques mots déjà sur deux ou trois sujets parmi les plus chauds. Je le répète ce n'est qu'un début. Je vais laisser la parole à M. Fischer et ensuite nous répondrons à vos questions, nous aurons je crois, vingt minutes pour cela.
Q - (au sujet de la rencontre de Poertschach)
R - Je voudrais ajouter un mot sur ce point, la rencontre de Poertschach a mis en évidence deux phénomènes très prometteurs pour l'Europe, le premier est un déblocage dans la mesure où le nouveau gouvernement allemand a une approche différente de la question de la croissance et de l'emploi en Europe, le second qui reste à confirmer, c'est le début de ce qui semble être un mouvement du côté de la Grande-Bretagne en matière de défense européenne. Voilà pourquoi on parle ces jours-ci d'un climat nouveau, mais il faut traduire cela en acte ensuite.
Q - Est-ce que le gouvernement français envisage d'inviter le nouveau gouvernement allemand à participer aux commémorations à l'occasion du 80ème anniversaire de l'armistice le 11 novembre ?
R - A ma connaissance, c'est une question qui a été traitée et réglée par notre secrétaire d'Etat aux Anciens combattants qui, je crois, a fait une conférence de presse à ce sujet. Il a dit ce qu'il en était, il a indiqué la cérémonie à laquelle il participera avec l'ambassadeur d'Allemagne.
Q - (à propos de M. Fischer).
R - En réponse à Mme Hintermann qui m'avait demandé ce que je pensais du nouveau ministre. Nous avons à peu près 50 ans à un epsilon près. Si à 50 ans, on venait à regarder les gens à travers les diplômes, ce serait franchement triste. On a appris depuis longtemps que cela existe, mais c'est un élément extrêmement relatif et au bout d'un moment, heureusement la vie passe son temps à rebattre les cartes, spécialement la vie politique.
Q - Comment le trouvez-vous ?
R - Ecoutez, cela commence juste, je le trouve très intéressant. Q - Parmi les dossiers chauds dont vous avez parlé tout à l'heure, quels sont ceux qui vous semblent les plus urgents et dont vous aurez à discuter en premier ?
R - La réponse n'est pas très originale parce que ce ne sont pas des sujets spécialement franco-allemands, mais ce sont des sujets qui s'imposent à nous tous, et que la France et l'Allemagne gèrent ensemble et doivent traiter ensemble. Ils sont là, vous les connaissez tous : - le Kossovo, la France et l'Allemagne jouent des rôles importants dans le Groupe de contact. Elles vont continuer, elles sont engagées dans ce travail et les pressions multiples qui sont faites pour trouver une solution politique viable à ce drame.
Les sujets européens qui sont là et qui s'imposent à nous encore une fois, la discussion que nous devons avoir sur le financement de l'Union dans les années 2000-2005 et sur l'utilisation de ce budget dans les différents domaines, agricoles et autres.
Nous savons d'avance qu'il y a une série d'autres dossiers qui sont plus bilatéraux, qui ne sont pas dans le champ de compétences exclusif des ministres des Affaires étrangères mais qui les concernent aussi, parce qu'ils ont à veiller à la bonne marche de l'ensemble, l'environnement, l'industrie, etc. L'agenda, vous le connaissez tous.
C'est une occasion de rappeler que la relation franco-allemande et tout ce qui a été fait de remarquable dans le cadre de cette relation, n'a pas été fondée dans le passé sur une sorte de convergence automatique et miraculeuse d'intérêts. Il y a toujours eu à la fois des sujets sur lesquels nos intérêts et nos conceptions convergaient et des sujets sur lesquels nos conceptions et nos intérêts ne coïncidaient pas. A partir de là, tout dépend de la qualité du travail politique qui est fait pour trouver de bonnes solutions, acceptables par chacun ou des compromis qui comportent un dynamisme susceptible d'être contagieux pour l'ensemble et utile à tout le monde. Cela n'a jamais été automatique. Il faut faire avec calme le constat qu'il y a des divergences sur tel point, rappelez les convergences sur des tas d'autres. Notre travail consiste précisément à transformer tout cela en une approche commune ou, en tout cas, cohérente.
Q - (à propos du couple franco-allemand)
R - C'est pour cela que, pour ma part, en français, je n'emploie jamais l'expression de couple parce qu'elle prête à confusion. j'emploie l'expression de moteur qui est quelque chose qui exprime une dynamique et qui ne comporte aucune idée de fermeture ou d'exclusive.
Q - (à propos de l'alternance politique en Allemagne)
R - Je pense d'abord qu'en matière d'élection, ce sont les électeurs qui sont maîtres. C'est à eux de décider dans chaque pays, si l'alternance est une bonne chose ou pas. Il y a des élections tout le temps en Europe. Les partenaires de chaque pays doivent - et c'est un principe démocratique de base - respecter ce fait et agir au mieux.
Ce que je constate ensuite, c'est que depuis sa conception moderne à la fin de la IVème République au milieu des années 1950 en France, la relation franco-allemande c'est une volonté, une ambition, et un élan qui a rebondi, quelles que soient les configurations politiques. Elle a été réincarnée génération après génération, force politique après force politique, avec toujours une très grande puissance, un très grand élan. Cela n'appartient à aucune force politique en propre, et à aucun pays en particulier. Comme le disait Joschka Fischer tout à l'heure, ce n'est dirigé contre personne. Simplement, la France et l'Allemagne, pour toutes sortes de raisons ont des choses à faire ensemble qui ne peuvent pas être faites par les autres. On ne peut pas se substituer à ce moteur précieux. Il ne faut pas oublier cette mise en perspective historique qui est un élément de la confiance que j'exprime ces jours-ci, de la tranquillité d'esprit et de l'intérêt avec lequel je m'apprête à travailler par la suite.
Maintenant, comme je le disais tout à l'heure, il est clair que, sur des points très importants comme, en Europe, la politique économique, la politique de croissance, la politique de l'emploi, et toutes les conceptions qui en découlent, l'arrivée de ce nouveau gouvernement en Allemagne crée en Europe une situation de synergie entre beaucoup de gouvernements qui est très prometteuse.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2001)