Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur le rôle de la France dans la vie internationale et celui de l'Union européenne dans le cadre de la sécurité européenne, Paris le 22 février 1995.

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Circonstance : Intervention devant l'association de la presse diplomatique, Paris le 22 février 1995

Texte intégral

Depuis deux ans, le gouvernement n'a eu de cesse d'agir dans la vie internationale pour promouvoir les intérêts de la France et favoriser la paix et l'équilibre du monde (GATT, pacte de stabilité, opération Turquoise, franc CFA, présidence française de l'Union européenne, révision du traité de l'Elysée, Chine, Arabie Saoudite, action en ex-Yougoslavie, règlement de l'affaire des otages de l'Airbus).
Le gouvernement a d'abord voulu assurer les conditions nationales d'une bonne politique étrangère :
- renforcer l'économie ;
- préserver l'outil de défense et la force de dissuasion ;
- respecter les institutions ;
- renforcer la cohésion sociale.
La politique étrangère de la France exprime à l'extérieur ses valeurs et sa vision du monde. Croire en la France c'est :
- défendre et illustrer des valeurs universelles (Rwanda, aide au développement, actions au service des Nations unies ) ;
- défendre la conception française de la société internationale : participer pleinement à un monde ouvert mais mieux organisé où chacun a sa place et sa dignité reconnue.
La politique étrangère de la France doit répondre aujourd'hui aux grandes questions suivantes :
Union européenne - élargissement aux PECO - Europe à plusieurs cercles - renforcement de la PESC
1 - L'avenir de la construction européenne :
- le principe de l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale est acquis. Il devra comporter des dimensions :
- économique (pré-adhésion puis négociation après 1996) ;
- politique (participation à un sommet sur deux) ;
de sécurité (association des PECO à l'UEO, rédaction d'un livre blanc sur la sécurité de l'Europe) ;
- deux écueils à éviter : l'affadissement et l'immobilisme.
Les moyens qui permettront à une Europe élargie de rester efficace et cohérente :
- la flexibilité, (les "cercles" s'appuient sur le respect de l'acquis communautaire)
- les progrès dans le domaine de la politique extérieure et de sécurité commune.
2 - Adapter les conditions de sécurité de la France et de l'Europe à la nouvelle situation internationale :
- moindre implication des Etats-Unis en Europe ;
- existence de graves tensions sur les questions de frontières et les minorités ;
- apparition de nouveaux conflits (ex-Yougoslavie).
Trois objectifs doivent être poursuivis :
-2.1. apporter une réponse préventive aux menaces qui pèsent sur la stabilité de l'Europe :
Une initiative originale de diplomatie préventive : le pacte de stabilité.
Quel est son but ? :
- définir un nouveau pacte social pour l'Europe fondé sur le respect des frontières et le bon traitement des minorités ;
- réconcilier les pays d'Europe autour du principe de "bon voisinage" afin de permettre à terme à l'Union européenne de recevoir de nouveaux membres.
- 2.2. Renouveler le lien transatlantique. Pourquoi ? :
- pour tenir compte des ambitions de l'Europe dans le domaine de la défense ;
- pour adapter l'organisation atlantique aux crises nouvelles qui affectent notre continent. Leur nature implique que les organes politiques de l'Alliance voient leur rôle accru. Tous les pays membres ne peuvent ou ne veulent participer à un règlement de ces crises qui n'exigent plus la mobilisation de très grandes unités. La structure de l'Alliance doit être plus souple et modulaire.
La question de l'élargissement de l'Alliance est posée. Elle doit être traitée en tenant compte de tous les problèmes qu'elle suscite :
- peut-on élargir sans réformer ?
- peut-on élargir sans définir avec la Russie une relation particulière de partenariat ?
(Faudra-t-il un traité et des mesures de confiance ?)
- peut-on élargir avant que les nouveaux membres soient prêts à assurer les responsabilités qui seront les leurs dans le cadre d'une garantie collective ?
- 2.3. Faire en sorte que l'Europe se dote d'une capacité propre, complémentaire de celle de l'Alliance atlantique :
- l'UEO a vocation à devenir l'instrument de défense de l'Union européenne ;
- l'UEO doit se doter de capacités de renseignements, de logistique, de planification et de commandement ;
- L'UEO doit animer la force d'intervention humanitaire dont l'Europe a besoin.
3 - Définir clairement nos relations avec la Russie qui connaîtra pendant longtemps encore une transition difficile vers la démocratie et l'économie de marché :
- la Russie est en Europe mais n'a pas vocation à rentrer dans l'Union européenne et dans l'OTAN ;
- nous souhaitons développer avec la Russie un partenariat étroit et favoriser son intégration à la société internationale. nous l'avons fait (aide du G7 ; "G8" politique ; accords avec l'Union européenne ; OSCE) ;
- mais la Russie doit respecter les règles de la vie internationale auxquelles elle a souscrit.
4 - Confirmer notre engagement en faveur des pays du Sud (la France a maintenu un effort d'aide inégalé parmi les grands pays industrialisés).
Deux impératifs :
- - conjuguer rigueur et solidarité afin que cette aide ait toute son efficacité (dévaluation du franc CFA dont les résultats sont, à ce stade, encourageants) ;
- - favoriser la stabilité politique :
- donner la priorité aux pays qui recherchent la participation des populations au pouvoir ;
- appuyer les efforts africains de diplomatie préventive et de maintien de la paix (projet de force africaine de maintien de la paix).
Relations avec la Méditerranée - partenariat euro-
méditerranéen
5 - Engager une nouvelle politique à l'égard du monde méditerranéen.
- Pourquoi ?
- il est menacé par de graves déséquilibres (développement inégal, radicalisme religieux, guerre en ex-Yougoslavie).
- - il porte en lui des valeurs et d'immenses potentialités.
-. Que devons-nous faire ?
- analyser et comprendre les phénomènes de radicalisme religieux qui traversent les sociétés du sud de la Méditerranée.
- favoriser les pays qui ont fait le choix du développement (plusieurs pays de la région comme le Maroc, la Turquie et la Tunisie connaissent des taux de croissance élevés), et d'une participation de leur population au pouvoir ;
- organiser une architecture de coopération euro-méditerranéenne dans tous les domaines (échanges commerciaux, dialogue politique et de sécurité) ; préparer la conférence de Barcelone.
6 - Assurer la présence de la France partout dans le monde :
- rattraper notre retard en Asie, la région la plus dynamique du monde :
- déjà des relations étroites avec la Chine ont été rétablies ;
- à l'avenir, développer un dialogue entre l'Union européenne et l'Asie (projet de sommets réguliers des chefs d'Etat et de gouvernement de ces deux groupes de pays).
- être présent en Amérique latine, une région qui connaît des taux de croissance remarquables.
7 - Soutenir le rôle des Nations unies garantes du droit dans la société internationale et dont les contributions au rétablissement de la paix et à la stabilité doivent être reconnues (Mozambique, Cambodge, Haïti).
- ne pas condamner hâtivement les Nations unies ;
- faire le bilan des quatre dernières années au cours desquelles l'action des Nations unies a connu une progression sans précédent et en tirer les conséquences :
-. quant aux mandats qu'elle peut recevoir : les rendre plus précis ;
-. quant aux moyens dont disposent l'ONU : celle-ci doit mieux les gérer mais tout dépend de la volonté politique des Etats.
La France doit, dans son action diplomatique, être un exemple :
-. par l'idéal qui l'anime ;
- par le courage dont elle fait preuve pour affronter les crises et se préparer aux changements du monde ;
- par la volonté de coopération internationale dont elle témoigne.