Article de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, dans "Dialogo mediterraneo" de novembre 2000, sur la coopération euro-méditerranéenne et la conférence euro-méditerranéenne de Marseille.

Prononcé le 1er novembre 2000

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Circonstance : Conférence euro-méditerranéenne de Marseille les 15 et 16 novembre 2000

Média : Dialogo mediterraneo - Presse étrangère

Texte intégral

La publication de ce numéro spécial de "Dialogo mediterraneo" consacré à la Conférence euro-méditerranéenne de Marseille (15-16 novembre) souligne très opportunément le trait d'union reliant deux étapes importantes de la relation euro-méditerranéenne à l'édification de laquelle nos deux pays - la France et l'Espagne - ont oeuvré ensemble. En 1995, nous avions joint nos efforts, au cours de nos deux Présidences successives de l'Union européenne, pour aboutir, à Barcelone, à la conférence fondatrice. Cinq ans après, la Présidence française propose à Marseille de faire le bilan des cinq premières années du partenariat euro-méditerranéen, et d'arrêter des orientations pour lui donner un nouvel élan.
Le chemin parcouru depuis 1995 est marqué par des réussites incontestables. En premier lieu la réalité et la continuité du dialogue, car les 27 partenaires n'ont cessé de se rencontrer, y compris au niveau ministériel et aux heures parfois les plus difficiles du processus de paix au Proche Orient. Pour autant, de nombreuses critiques ont été adressées au partenariat de Barcelone, à son fonctionnement, notamment celui du programme d'assistance financière MEDA.
Pour ma part, je fais de ces cinq premières années du processus un bilan en "demi-teinte". Au-delà du bien-fondé de ses objectifs, il est vrai qu'au bout de cinq années, l'on serait en droit d'attendre des résultats plus tangibles: je pense au programme MEDA, dont le fonctionnement doit être amélioré ; au faible nombre d'accords d'association en vigueur ; à la nécessité d'aider nos partenaires à accélérer leurs réformes et à prendre le risque de l'ouverture et de la transition vers l'objectif de zone de libre-échange euro-méditerranéenne fixé à Barcelone; aux progrès à accomplir en matière de coopération sociale, humaine et de coopération décentralisée ; au volet politique, sur lequel les choses n'avancent que lentement. Autant d'actions et de programmes à relancer, après avoir identifié et surmonté les points de blocage.
Il me semble qu'il y a aussi quelques incompréhensions à lever. Il n'est pas simple de faire cohabiter 27 partenaires du jour au lendemain, dans un contexte politique parfois difficile et dans un cadre aussi atypique que celui de Barcelone. Nous devons faire l'effort de mieux comprendre les attentes et les difficultés des uns et des autres.
C'est la raison pour laquelle j'ai demandé, notamment lors de la réunion informelle des ministres des Affaires étrangères qui s'est tenue à Lisbonne en mai dernier, puis au nom de la Présidence, qu'un bilan soit établi de sorte à pouvoir ensuite, à Marseille, relancer le processus sur des bases saines. J'ai fait en sorte que chacun des 27 partenaires soit consulté, exprime son appréciation et ses objectifs, afin de contribuer pleinement à cet exercice de relance du processus de Barcelone dont nous partageons tous la responsabilité.
C'est un enjeu de première importance pour notre présidence et pour l'Union. Le Commissaire Patten, dans sa communication " Revitaliser le processus de Barcelone " est inspiré par le même objectif et formule des propositions très intéressantes.
J'attache beaucoup d'importance à l'accord qui vient d'être trouvé au sein de l'Union sur le nouveau règlement MEDA II, dont seul le montant financier reste encore à arrêter. C'est un signal très encourageant dans la perspective de Barcelone IV. Nous disposerons, avec ce règlement, d'un bon instrument, qui permettra une gestion plus rapide et plus rigoureuse des crédits. Je sais que ce fut là l'un des aspects les plus fortement et justement critiqués du processus, en raison de la lourdeur des procédures et des retards accumulés dans le versement des crédits.
Je n'oublie pas le projet de charte euro-méditerranéenne de paix et de stabilité, tant il est vrai qu'il ne pourra y avoir de développement sans stabilité et, qu'à l'inverse, celle-ci ne saurait exister sans lui. L'adoption d'une telle charte reste un objectif important, dès lors que les circonstances le permettront.
Le partenariat euro-méditerranéen n'est pas seulement l'affaire des Gouvernements. L'une des grandes innovations de la déclaration de Barcelone fut d'accorder à la société civile, dans toutes ses composantes, une place importante. Notre ambition n'est-elle pas d'unir les peuples des deux rives de la Méditerranée, qui ont tant de choses en commun ? Comme il est de tradition depuis la première Conférence de Barcelone, la société civile sera présente à Marseille, dans le cadre du " Forum civil " qui se réunira en marge de la Conférence et fera part de ses recommandations. Celles-ci suggéreront, je l'espère, des pistes complémentaires pour faire progresser, de façon concrète, une meilleure compréhension des cultures de part et d'autre de la Méditerranée, notamment par une meilleure circulation des images, ou encore l'insertion accrue des femmes dans la vie politique, sociale ou économique.
Au-delà de Marseille, il faut regarder vers l'avenir et aborder résolument les objectifs fixés à Barcelone, en particulier celui de la zone de libre-échange euro-méditerranéenne. Je mesure les craintes de ceux qui redoutent cette ouverture de leur économie et, surtout, ses effets sur le tissu économique et social de leur pays. Mais le partenariat a précisément été conçu de manière à surmonter du mieux possible ces appréciations, ou plutôt à instaurer un véritable "partage des risques" entre l'Union et ses partenaires qui choisissent l'ouverture. Cette contractualisation des risques est l'un des aspects essentiels du partenariat. Ainsi l'instauration du libre-échange sera-t-elle progressive (étalée sur 12 années) et, surtout, accompagnée d'une aide financière de l'Union, à travers MEDA mais aussi à travers les prêts de la BEI.
De leur côté, les pays bénéficiaires sont invités à engager les réformes nécessaires pour la mise à niveau de leur économie et mettre en oeuvre les accords d'association. Pour l'avenir, nous devrions réfléchir à la manière d'aider davantage les pays qui s'engagent résolument dans le commerce et la coopération sud-sud, notamment en concluant entre eux des accords de libre-échange; c'est le projet que forment d'ores et déjà la Tunisie, le Maroc, l'Egypte et la Jordanie.
La conférence de Marseille, c'est le voeu de la présidence, exprimera avec force la volonté méditerranéenne de l'Union. L'enjeu n'est plus seulement, comme en 1995, de donner à la Méditerranée la place qui lui revient. Il s'agit désormais de préparer l'Europe future, dont la Méditerranée sera une dimension essentielle. Le processus de Barcelone, comme l'ensemble des relations extérieures de l'Union, fait partie intégrante de "l'acquis communautaire", et les Etats candidats trouveront eux aussi dans les pays méditerranéens des partenaires privilégiés. C'est un défi pour l'Europe élargie dont le centre de gravité se déplacera vers l'Est du continent. Raison de plus pour affirmer la dimension méditerranéenne de l'Union, acteur global dans le monde, et pour laquelle la Méditerranée reste et restera une "mer qui unit"./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 09 novembre 2000).