Texte intégral
La lutte contre l'effet de serre est une question importante sur le plan environnemental. Si un certain nombre de chercheurs s'interrogeaient à Rio en 1992 sur la réalité du phénomène, je note qu'aujourd'hui la communauté scientifique dans son ensemble valide la démarche de prévention qui est engagée. Il serait vain de chercher à esquiver face à l'effort collectif de maîtrise qui s'impose à la communauté internationale.
Ne nous le cachons pas cependant, cette démarche de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre coûtera cher, très cher. Certains diront même trop cher et c'est une des raisons des réticences des Etats-Unis à ratifier le protocole de Kyoto. En tout état de cause, la France, l'Union Européenne ont tranché et se sont engagées à participer pleinement aux processus internationaux de limitation des émissions de gaz à effet de serre.
Pour autant, il convient de respecter nos engagements au coût le plus faible, de manière rationnelle, en limitant l'impact potentiellement négatif de ces efforts sur notre revenu et la croissance de notre économie. Il faut pour cela identifier les gisements de progrès et concentrer nos efforts sur les véritables sujets. Une approche semblable à bien des égards à celles que les industriels engagent en matière de réduction des coûts !
Il faut également mettre en place des outils de gestion et de régulation qui préviennent des distorsions de concurrence entre les différentes filières industrielles et entre les différents pays. Vous le savez mieux que moi, les normes environnementales peuvent être utilisées comme un instrument de compétition économique.
Le gouvernement a bien sûr sa propre perception et sa propre analyse des enjeux; elle serait incomplète si elle ne s'enrichissait pas des travaux et des réflexions menées par les industriels. Ma présence ici, parmi vous, témoigne de ma volonté et de celle de Dominique Strauss-Kahn de renouveler et d'intensifier ce dialogue.
1. Faire appel à tous les gisements de progrès en matière de réduction d'émission de gaz à effet de serre
La croissance et le développement économique, premiers vecteurs de la lutte contre le chômage, sont une priorité du gouvernement. Historiquement, croissance et consommation énergétique sont fortement corrélés, mais un examen attentif nous montre qu'il n'y a pas entre l'une et l'autre de lien mécanique. De la même manière que nous avons dans le passé réussi à réduire l'intensité énergétique de la croissance, et par là démenti une " loi " qui voulait que la consommation énergétique augmente proportionnellement à la production, nous allons dans les prochaines années devoir maîtriser les émissions de gaz à effet de serre sans que cela se traduise par une réduction de la croissance. Je ferai sur ce point trois observations.
1. Il est indispensable, d'abord, d'améliorer globalement l'efficacité énergétique de notre pays - c'est à dire notre capacité à produire de la richesse avec la même quantité d'énergie - d'une part, et de favoriser les énergies faiblement émettrices de gaz à effet de serre, d'autre part. C'est l'objet de la nouvelle politique de maîtrise de l'énergie et d'énergies renouvelables que le gouvernement vient de lancer en augmentant le budget annuel de l'ADEME de 500 MF en 1999.
2. Pour que ces efforts puissent porter leurs fruits, il convient ensuite de définir avec soin les actions prioritaires. A ce titre, je note que l'industrie en France est responsable de moins de 25 % des émissions de CO2. De plus, l'industrie est la seule à améliorer son efficacité énergétique alors que les transports ou le domaine du tertiaire voient leur efficacité énergétique se dégrader depuis le début des années 1990. Il est clair que le rendement du franc dépensé en matière de maîtrise de l'énergie est considérablement supérieur dans le tertiaire que dans l'industrie. Les secteurs des transports, du résidentiel ou du tertiaire doivent donc contribuer à l'effort commun. A ce titre, je me félicite de l'accord conclu entre les constructeurs européens d'automobile et la Commission européenne pour la réduction des émissions de CO2. Les marges de progrès dans les industries fortement consommatrices d'énergie existent, il serait contre-productif de relâcher les efforts, mais elles ne sont pas manifestement pas à la hauteur des enjeux et on aurait tort de vouloir s'acharner sur ce seul secteur.
3. Nous devons également pouvoir faire appel aux mécanismes de flexibilité, dont je comparerai volontiers le rôle dans la lutte contre l'effet de serre à celui du commerce international dans la recherche de l'efficacité : de même que nous considérons comme complémentaires les efforts de productivité internes et les gains d'efficience que procure la spécialisation internationale, ne devons pas opposer les efforts de maîtrise interne et les apports des mécanismes de flexibilité prévus par le protocole de Kyoto. Ils répondent en effet à un souci d'efficience globale : il serait absurde que les pays industriels fassent seuls des efforts coûteux de réduction des émissions quand le rendement marginal de l'investissement correspondant dans des pays en développement ou en transition est bien supérieur. La France a d'ailleurs un intérêt direct à ce que ces mécanismes de flexibilité soient disponibles, car si les efforts attendus d'elle sont comparativement mesurés, ils sont néanmoins importants au regard des émissions à laquelle conduirait spontanément la croissance que nous recherchons. Nous ne devons pas non plus négliger le fait que le coût marginal d'une réduction des émissions est plus élevé en France, où le parc nucléaire est très développé, que chez certains de nos voisins, qui font principalement appel aux énergies fossiles et notamment au charbon.
2. Mettre en place des outils de gestion et de flexibilité qui ne désavantagent pas l'économie française.
La fixation de normes est indispensable ; elle doit, à tout le moins, être équitable. Or nous savons qu'elle peut être utilisée comme instrument de concurrence industrielle. Aussi devons-nous être vigilants sur la fixation des objectifs de réduction d'émission, la définition des politiques et les mesures ou les conditions de mise en uvre des mécanismes de flexibilité. Autant j'adhère sans réserve aux objectifs définis à Kyoto et à la philosophie générale de l'accord, autant je suis, comme tous les industriels très attentif à la préservation de notre compétitivité. Je ferai ici quatre remarques :
1. La situation de la France aurait été considérablement plus facile à Kyoto si nous avions pu obtenir que la discussion s'établisse sur des objectifs d'émission par habitant plutôt que sur des objectifs de réduction des émissions par rapport à la base 1990. Et à long terme, il est clair que tous les efforts que nous ferons pour maîtriser nos émissions seront globalement de peu de poids si nous n'arrivons pas à réintroduire en temps voulu les pays en développement sur des bases d'émission par habitant. Dans cette perspective, notre objectif immédiat doit être de définir de manière précise les conditions de mise en uvre du mécanisme de développement propre, ainsi que de la mise en uvre conjointe, afin d'éviter un contournement des disciplines collectives.
2. Si nous n'y prenons pas garde, des réglementations trop strictes en Europe pourraient, si elles ne sont pas coordonnées avec les pratiques de nos principaux partenaires, conduire à des délocalisations dans des pays moins exigeants. Il en résulterait des pertes d'emploi en Europe et un accroissement global des émissions de CO2. La question du suivi de la mise en uvre effective des engagements de Kyoto et celle des pénalités applicables aux pays qui ne respecteraient pas leurs engagements est donc essentielle. Nous pouvons bien entendu comprendre qu'elle n'ait pas été réglée d'entrée, mais il importe qu'elle le soit rapidement. Ce devra être un de nos objectifs centraux à Buenos Aires.
3. Les mécanismes de flexibilité sont nécessaires, mais il faut que leurs conditions de mise en uvre soient fixées de manière précise. Il ne faut pas qu'ils puissent être contournés ou détournés pour constituer des rentes ou des instruments de conquêtes des marchés émergents au profit de certains opérateurs. Il convient donc de progresser rapidement dans la régulation du marché des permis négociables, afin d'assurer un fonctionnement transparent et efficace de ce marché, au bénéfice de l'environnement global. Cette vigilance est d'autant plus importante en France que notre situation énergétique est singulière. Grâce au nucléaire et aux efforts de maîtrise de l'énergie déjà entrepris, les émissions françaises de CO2, exprimées en tonnes de carbone par habitant s'élèvent à 1,7 en France, qu'il faut comparer à une moyenne européenne de 2,3, à une situation japonaise de 2,5 et un record américain à 5,4. La France, et les opérateurs placés sur notre territoire national auront donc relativement peu de droits d'émission au départ. Bien plus que la question du plafond des mécanismes de flexibilité, ce sont les modalités de mise en oeuvre de ces mécanismes qui conditionnent leur caractère équitable et leur impact concurrentiel. C'est sur eux qu'il convient de concentrer notre réflexion.
4. Reste enfin le grand chantier des mesures d'ordre interne. Il est évidemment peu avancé à ce stade. Je sais que les industriels y sont très attentifs. Je me bornerai à dire à ce stade que les considérations qui doivent nous guider sont les mêmes que dans d'autres domaines : inciter dans tous les secteurs, par des instruments appropriés, aux investissements les plus efficaces, éviter les distorsions de concurrence.
La France est parmi les toutes premières puissances industrielles mondiales. Elle a pour ambition de maintenir sa place et de développer son économie. C'est dans cet esprit, en tant que Secrétaire d'Etat à l'Industrie, que j'aborde les questions relatives à l'effet de serre. Il nous faut construire ensemble un chemin qui rende compatible l'objectif économique et l'objectif environnemental sans dégrader notre position concurrentielle. Objectif ambitieux, mais auquel les travaux de cette journée contribueront certainement.
(source http://www.industrie.gouv.fr, le 26 septembre 2001)