Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la nécessité pour les Etats d'ouvrir l'aide au développement à la société civile et d'encourager l'émergence de multiples partenariats pour une coopération active, Lyon le 12 novembre 1998.

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  • Charles Josselin - Ministre délégué à la coopération et à la francophonie

Circonstance : Première rencontre "Partenaires pour le développement", organisée par la CNUCED à Lyon du 9 au 12 novembre 1998

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Monsieur le Secrétaire général,
Monsieur le Maire de Lyon,
Mesdames et Messieurs,
Le Sommet "Partenaires pour le Développement" touche à sa fin ; l'heure est venue de tirer les enseignements de vos échanges. Croyez que je suis honoré de représenter le gouvernement français pour conclure cette conférence d'un type nouveau, organisée par une agence internationale majeure chargée du développement, en France à Lyon, prolongeant ainsi une tradition à laquelle nous sommes attachés.
C'est la France qui accueillait en effet la première Conférence pour les pays les moins avancés en 1981, puis la seconde Conférence en 1990, et c'est à Lyon aussi que la Réunion des chefs d'Etat du G7 lança l'initiative, forte, d'alléger la dette des pays pauvres et qui sans cela n'avaient plus de perspective.
En votre nom à tous, j'ai plaisir à féliciter devant vous le Secrétaire général de la CNUCED, M. Rubens Ricupero, et toute son équipe, en particulier M. Carlos Fortin et M. Jean Gurunlian, pour avoir su faire de cette conférence un succès.
C'est en effet une réussite pour tous les partenaires qui ont fait le choix de venir à Lyon. Pour tous les Etats présents, quel que soit leur niveau de développement, ce nouveau concept de partenariat promu par la CNUCED et dont vous avez débattu a été le dénominateur commun qu'ils attendaient. Il marque la nouvelle réalité des relations Nord-Sud.
Ce Sommet a rempli son objectif premier, l'ouverture à la société civile et la rencontre à grande échelle de tous les acteurs du développement : les organisations internationales, gouvernements, universités, ONG et secteur privé. Il y a quelques années, la France, aux côtés de nombreux pays, avait appuyé la création d'une sorte de "Sénat du développement" qui aurait associé de façon permanente la société civile aux travaux de la CNUCED. Si cette proposition n'a pu être retenue, ce Sommet a prouvé que la tenue d'une Assemblée internationale - aussi éphémère soit elle - était indispensable. Il a montré qu'il était possible de changer l'approche du développement en donnant enfin à la société civile la possibilité d'être acteur et non un simple spectateur ou bénéficiaire de l'action de coopération, qu'elle soit menée de façon bilatérale ou par les organismes internationaux. Il a fait valoir que les acteurs du marché étaient prêts à se mettre au service du développement. Il a, enfin, encouragé l'émergence de multiples partenariats afin de mobiliser de nouvelles ressources, financières et humaines, en faveur du développement.
Vous avez pu également mettre en avant ce que les nouvelles technologies apportent à l'échange dans le monde d'aujourd'hui. Beaucoup de tables rondes en ont traité. Ainsi, cette Conférence aura permis de renforcer l'espoir de ceux qui peuvent craindre la marginalisation. Les évolutions technologiques ouvrent des perspectives insoupçonnables il y a encore vingt ans. La communication mondiale quasi-instantanée a révolutionné l'accès à l'information, au commerce et aux transactions financières tandis que le défaut d'infrastructures lourdes constitue sans doute moins un handicap insurmontable que dans le passé. L'échange d'information, porteur d'importantes plus-values, est ainsi paradoxalement plus ouvert aux pays les moins avancés que le commerce des marchandises.
Comme le constat en a été fait ces derniers jours, le commerce électronique relie pour sa part échange et information et doit, dans cet esprit, faciliter l'accélération du processus de développement.
Enfin, le Sommet aura mis en évidence l'apport des multiples acteurs du marché pour stimuler le développement des pays à faible revenu. Tous les thèmes choisis pour cette Conférence l'ont montré. La table ronde sur les biotechnologies a vu pour la première fois une vaste participation en commun d'ONG, de communautés locales et de grandes entreprises. Les débats et les conclusions du rapport mondial annuel de la CNUCED sur l'investissement, autre thème de votre Conférence, soulignent que l'évolution de l'investissement direct extérieur s'avère encourageante pour autant qu'on sache l'accompagner.
Le sujet de la microfinance a été l'occasion d'annoncer le lancement de nouveaux programmes de services, comme les agences de notation ou des produits d'assurance pour les plus défavorisés. Les ateliers sur l'utilisation des techniques de gestion de risques, pour mieux gérer le secteur des produits de base, ont semblé prometteurs. Il est en effet essentiel de diversifier les instruments permettant aux producteurs d'être moins vulnérables face à l'instabilité des prix et de leur assurer le revenu qu'ils peuvent escompter.
"Partenaires pour le Développement" a été une réussite. Il nous faut maintenant en prolonger dans la durée les effets.
Je voudrais dans cet esprit ouvrir plusieurs voies :
1 - Chacun à sa mesure doit apporter une pierre à l'édifice. Nous l'avons vu, il est des secteurs majeurs dans lesquels l'association de la société civile et de l'Etat est essentielle. La France veut pour sa part contribuer à la consolidation de ces échanges, bien au delà de sa contribution à l'organisation de cette conférence et de la participation nombreuse de ses entreprises et ses organisations non gouvernementales, notamment le collectif "Reprenons l'initiative".
La France mène ainsi une politique de coopération active afin d'aider les pays en développement à accéder aux nouvelles technologies. Cette nouvelle forme d'échanges n'est l'apanage ni d'une seule communauté de langue et de culture ni d'une seule de catégorie de pays privilégiés. La Coopération française consacre ainsi près de 55 millions de francs par an au développement des technologies de l'information dans les pays en développement. Un nouveau programme qui fera directement appel aux structures nationales déjà constituées sur le terrain sera mis en place l'année prochaine.
S'agissant des rapports environnement-développement, la prise de conscience suivant laquelle la biodiversité est génératrice de ressources est un fait acquis. Or trop souvent les Etats et les sociétés ont des attitudes prédatrices face à la ressource naturelle, en particulier foncière, forestière ou halieutique.
La France encourage la signature d'accords auxquels elle est partie prenante entre le gouvernement, les ONG et les sociétés d'exploitation visant à permettre un meilleur partage de la ressource d'un pays. De tels accords ont été signés avec le Gabon il y a quelques mois sur l'exploitation forestière ou avec la Mauritanie sur ses ressources halieutiques. Les bénéfices retirés par les Etats et les grandes entreprises internationales de l'exploitation des ressources doivent faire l'objet d'une réelle redistribution au profit des populations qui en vivent. Nous souhaitons que l'Organisation mondiale du commerce se saisisse de cette question. Le profit de l'argent ne saurait faire l'impasse sur les besoins élémentaires des populations les plus fragilisées et les plus démunies.
2 - Il revient d'autre part aux Etats de mobiliser la société civile et d'encourager ses interactions. L'appartenance de la France à l'Union Européenne en est un moyen, en particulier pour son action vers les pays les plus marginalisés. La France attache la plus haute importance à la négociation qui vient de s'ouvrir en vue de la définition de la future Convention qui liera l'Union Européenne et les pays ACP. Les évolutions que propose l'Union européenne ont pour objectif d'adapter cet instrument unique de coopération Nord-Sud aux évolutions intervenues sur la scène internationale.
L'adaptation de cette relation passe par une meilleure association de la société civile et souligne en particulier la nécessité d'y impliquer résolument le secteur privé. La promotion de l'intégration régionale au sein du groupe ACP nous paraît aussi offrir des perspectives plus qu'encourageantes. De nombreux Etats ont d'ailleurs compris l'intérêt d'unir et leurs institutions et la capacité d'initiative de leurs populations.
Mais, vous le savez, c'est dans le même esprit que nous abordons notre relation avec les autres parties du monde en développement. L'Europe, premier acteur commercial au monde, est aussi la plus généreuse dans les préférences commerciales qu'elle accorde aux pays les moins avancés.
La Francophonie est un autre facteur de mobilisation de la société civile. Nous sommes quant à nous convaincus que la langue et la culture sont des éléments fondateurs de la solidarité au sein d'une communauté. La Francophonie réunit des sociétés très éloignées les unes des autres, transcende les frontières et en fin de compte a pour objet d'augmenter la capacité des pays et des sociétés qui y adhèrent à mieux faire entendre leur voix dans le concert mondial. Il n'y a pas de mondialisation assurée sans solidarité humaine qui sache respecter les peuples, leur culture et leur créativité. Il y a d'ailleurs dans le monde d'autres solidarités culturelles et linguistiques de ce type, dont nous ne négligeons pas le rôle.
La coopération décentralisée ouvre quant à elle des perspectives considérables.
Dans de nombreux pays développés, les collectivités territoriales multiplient les initiatives, les parrainages de projets, les assistances techniques avec les administrations et les populations locales. C'est une forme d'échange à laquelle la réforme de notre dispositif de coopération donne toute sa place et j'y tiens personnellement beaucoup: les projets de coopération décentralisée dans bien des cas apportent au développement la richesse humaine qui permet des partenariats durables et proches des populations. Je ne peux à cet égard que remercier le maire de Lyon d'en apporter la preuve par son engagement personnel. Sa ville est en partenariat avec de nombreuses capitales en Afrique, celle du Chili ou encore Ho Chi Minh ville et la province chinoise du Guang Dong ; elle a accueilli récemment la réunion de l'alliance mondiale des villes contre la pauvreté. De même, la coopération dite "hors l'Etat", c'est à dire la coopération non gouvernementale qui s'appuie sur les organisations de solidarité internationale, les associations, les confédérations syndicales, salariées ou patronales, entre dans cette démarche. La France y consacre pour sa part chaque année des moyens en augmentation sensible.
Pour mobiliser la société civile, il faut en avoir l'écoute. C'est notamment parce que de nombreuses voix, y compris celles venues des pays en développement, ont fait part de leurs réserves que la France n'a pas jugé possible de reprendre les négociations sur l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) dans l'enceinte de l'OCDE. Nous avons proposé à nos partenaires qu'une autre négociation sur l'investissement puisse s'engager sur des bases totalement nouvelles, dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce. Cette négociation devrait associer tous les acteurs, notamment les pays en développement.
3 - Troisièmement, si le rôle des flux privés a été mis en valeur lors de ce Sommet, je souhaiterais vous rendre attentifs au rôle déterminant des flux publics. Car si le marché est indispensable au développement, l'aide publique garde sa légitimité et sa pertinence et je dirai même toute son actualité. Elle est nécessaire parce que l'expansion des flux privés est fragile et réversible. La crise financière qui a touché de nombreux pays, asiatiques notamment, depuis plus d'un an en apporte la preuve.
L'aide publique au développement doit permettre de créer les conditions propices à la pérennité des investissements privés extérieurs. Elle peut contribuer à stabiliser et sécuriser les marchés des pays émergents. L'aide demeure indispensable pour les pays les moins avancés et ceux qui resteront à l'écart des marchés. Elle permet de fournir l'assistance indispensable à la construction de systèmes financiers et bancaires, viables et vigoureux, dont la transparence rassure les investisseurs.
C'est pourquoi comme l'a souligné le Premier ministre, Lionel Jospin, lors de l'ouverture de cette Conférence, le gouvernement français souhaite que les pays les plus riches augmentent leur niveau d'aide publique au développement, car elle constitue un élément régulateur du système financier international. Il nous faut à la fois mobiliser les capitaux privés mais aussi prévenir les crises liées à leur volatilité.
4 - Quatrièmement, si la sphère économique et financière trouve toute sa place dans cette conception multiforme de l'appui au développement, il est d'autant plus important que des normes sociales soient acceptées par tous. Elles véhiculent des valeurs universelles qui ne sont absolument pas antinomiques avec la compétitivité économique. Les normes sociales sont un élément essentiel des stratégies de développement. Il reste aux entreprises, aux syndicats, aux gouvernements à élargir ce débat, en particulier dans le cadre défini par la Charte de l'Organisation internationale du travail, et à promouvoir son application.
5 - Cinquièmement, les instances internationales et bilatérales en charge du développement pourraient adapter leurs propres structures. Je propose en particulier que le pole de Genève regroupant la CNUCED, le Centre du commerce international et l'OMC mette en place en leur sein une unité légère et opérationnelle, au financement de laquelle la France pourrait contribuer, pour accueillir les entreprises et les ONG et promouvoir les accords de partenariat. Consulter, informer, échanger entre les acteurs de la société civile constituent le prolongement naturel de cette Conférence.
Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs,
Le tournant attendu à l'occasion de ce Sommet a bien été pris : on ne peut plus travailler désormais sur l'aide au développement dans le seul cadre intergouvernemental. Il appartient aux gouvernements d'orienter leurs politiques pour que les partenariats et l'association de la société civile soient au coeur de notre pratique lorsque l'Union européenne accueillera la troisième Conférence sur les pays les moins avancés en 2001.
Il convient désormais qu'à travers ces partenariats un nouveau souffle vienne animer le développement et se mettre ainsi, comme le disait Lionel Jospin, " au service de l'homme ", c'est à dire au service de son initiative, de sa créativité, mais aussi de sa dignité.
Je vous remercie.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 octobre 2001)