Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur le bilan de l'action du gouvernement de M. Lionel Jospin, les perspectives d'action à venir et l'Europe, Grenoble le 25 novembre 2000.

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Circonstance : Congrès du PS à Grenoble du 24 au 26 novembre 2000

Texte intégral

Pierre MOSCOVICI.- Chers camarades, ce Congrès de Grenoble, c'est clair, est le Congrès d'un parti qui va plutôt bien, d'un parti apaisé dans ses différences, et d'un parti fraternel dans ses débats, mais ce n'est pas pour autant un Congrès inutile. C'est un moment privilégié, pour mesurer le chemin parcouru, pour évaluer l'ampleur de notre bilan, et aussi pour préparer l'avenir. Le chemin parcouru, Martine AUBRY l'a dit , avant moi, est immense, si nous regardons un instant où nous en sommes aujourd'hui, sept ans après seulement la défaite la plus sévère de notre histoire, nous voyons la différence, à l'époque nous avions subi une ou plusieurs défaites écrasantes.
Nous avions un bilan que nous n'arrivions plus à faire totalement nôtre. Nous vivions dans un parti déstabilisé avec des militants démobilisés. Nous étions au cur d'une gauche qui était devenue en quelque sorte étrangère à elle-même, qui ne s'entendait plus, qui ne se parlait plus et pour tous il y avait, je crois, une même question : notre parti, voire même nos idées, le socialisme étaient-ils condamnés ?
Aujourd'hui, trois ans et demi après notre retour aux responsabilités, je crois que nous ressentons tous une fierté légitime, mais aussi une exigence intacte. Nous avons connu, à l'opposé, des victoires répétées, élections après élections, depuis 1997, nous avons un Premier Ministre et un gouvernement qui réforment avec le soutien de l'opinion, un parti largement rassemblé et toujours populaire, nous avons bâti une construction politique originale, la gauche plurielle qui montre sa solidité dans la durée.
C'est en effet une situation exceptionnelle, un moment historique, nous ne le mesurons pas toujours et ce moment ne doit rien au hasard. Si nous réfléchissons maintenant , non plus sept ans derrière, mais sept ans devant, à l'issue de cette triple mandature municipale, législative, présidentielle, qui se profile, nous avons de nouvelles questions. Quelle France, quelle Europe, voulons-nous ? Quelles priorités fixées ? Quelles propositions formuler ?
Et autour de quel objectif mobiliser ?
Pour baliser ce champ, je crois que le plus simple est de nous appuyer sur notre bilan pour bâtir notre projet. Quelques mots sur notre bilan : nous en mesurons tous l'importance, c'est-à-dire l'importance de ce que nous avons accompli ensemble, et j'insiste bien sur le " tous ensemble " autour de Lionel JOSPIN depuis 1997.
Mon sentiment c'est que ce bilan est tellement fort que nous gagnerions à en souligner davantage encore les acquis, les réformes, les avancées, parce que ce bilan doit être défendu, soyons clairs, nul ne le fera à notre place, parce que ce bilan peut aisément être défendu. Nous avons tenu les engagements que nous avons pris, et mieux sur notre première priorité, le chômage, le retour au plein emploi qui fait le titre de ce Congrès, nous avons tenu des engagements que nous n'avions pas pris. Souvent, et nous l'avons vécu, les bilans sont en deçà des engagements, eh bien notre bilan depuis 1997 va bien au-delà de nos engagements, alors disons-le !
Mais je veux aussi répondre politiquement aux questions politiques qui ont été posées sur notre bilan à l'occasion de notre Congrès et notamment dans le débat des motions.
Première question : notre bilan constitue-t-il un bloc ? On peut en débattre et nous le faisons, y compris au sein du gouvernement, à propos de telle ou telle mesure, de telle ou telle décision, de tel ou tel arbitrage, c'est la société de délibération , nous le faisons au sein du parti évidemment.
Mais ce que je veux souligner c'est qu'il existe une cohérence, une originalité à cette politique, une cohérence qui repose sur une analyse des rapports de forces politiques et sociaux de l'état du Monde et de l'Europe qui cherchent un équilibre entre volontarisme et réalisme, entre réforme et gestion, entre objectif et instrument, entre fins et moyens.
Une originalité car je réponds à beaucoup de ceux qui m'ont précédé, cet équilibre n'est pas le même que celui qui a été trouvé chez la plupart de nos pays de l'Union Européenne. Disons-le très simplement, le socialisme moderne et européen que nous inventons en gouvernant est sans doute le modèle le plus à gauche de l'Union Européenne.
Je n'aime pas beaucoup personnaliser les débats, mais je suis un peu acteur , un peu observateur de cela. Il est clair que Lionel JOSPIN n'est pas, contrairement à ce qu'a dit un orateur ce matin, Tony Blair ou Romano Prodi, si la Droite a appris qu'on pouvait perdre les élections sur un mauvais bilan, la gauche peut-elle se contenter d'un bon bilan pour gagner les élections ? Répondre oui, je le crois, serait naïf. D'ailleurs Al Gore vient de le vérifier, lui qui s'appuyait sur dix ans de retour de plein emploi, dix ans de croissance, pourtant les Américains attendent encore les résultats mais répondre non serait tout aussi faux, parce que l'action politique en laquelle nous croyons repose sur une idée majeure : la responsabilité politique qui consiste à être jugé par le peuple selon ses actes et c'est avec cette notion noble et digne de la politique que Lionel JOSPIN nous a réconciliés. Soyons -en une fois de plus fiers. Les Français ne voteront pas pour nous seulement parce que nous avons un bon bilan, mais soyons sûrs qu'ils porteront d'autant plus de crédit à notre projet que celui-ci s'appuie sur un bon bilan.
Quelques mots sur le projet qui est l'essentiel :
Notre première tâche c'est de penser le mouvement que chacun sent s'avancer sous nos pieds. Où serons-nous en 2.007 ou 2.010 ? Nous aurons un milliard d'habitants supplémentaires en Asie, nous aurons des mouvements considérables de redistribution des richesses entre les pays à l'intérieur des pays, nous aurons aussi avec la nouvelle économie des entreprises qui n'existent pas encore, qui figureront sans doute dans les premiers rangs de la capitalisation boursière du Monde. L'Union européenne, notre Union, comptera près de 30 Etats membres, l'Euro sera notre monnaie et peut-être, qui sait, la monnaie de nos amis britanniques. La défense européenne que nous sommes en train de bâtir, sera pleinement opérationnelle et autonome. La France sera presque entièrement maillée de structures intercommunales, elle aura vu plus du tiers de ses fonctionnaires actuels prendre leur retraite et elle connaîtra, nous l'espérons et je le crois, le plein emploi.
Dans la vie quotidienne nous serons sur les routes conduits par notre droiture, nous vivrons de plus en plus souvent d'un modèle de famille à 4 générations, nous serons pour 15 ou 20 millions d'entre nous des internautes réguliers, nous aurons sur nos téléviseurs de véritables murs d'images, ce nouveau monde qui se profile nous devons le penser pour le maîtriser car il ne va pas sans risque et d'abord sans le risque des inégalités, et pour le maîtriser nous devons - c'est notre seconde tâche - évaluer la pertinence de la logique politique que nous avons rebâtie depuis 1995. Nous avons une stratégie, à la fois une stratégie économique, la vision de nouvelles régulations, et à la fois une stratégie en quelque sorte sociologique constituée d'une nouvelle alliance entre exclus, classes populaires, couches moyennes, une stratégie politique , la gauche plurielle. Je crois pour ma part que cette stratégie demeure valide.
Nous avons les valeurs, la liberté, l'égalité, la justice sociale, la laïcité, nous avons des objectifs, la transformation sociale, le progrès, nous avons des convictions. L'Etat et les services publics peuvent constituer des atouts, y compris de compétitivité, nous avons enfin une méthode, la démocratie et aux libéraux de toujours nous disons donc : rien de tout cela n'est périmé.
Si un nouveau monde se profile , il faut sur ce socle bâtir de nouvelles perspectives, je crois qu'elles tiennent en trois grands choix, d'abord le choix de la justice sociale, dans une société qui retrouvera le plein emploi, dans une société qui verra les positions des uns et des autres se modifier, dans une société qui connaîtra de profondes mutations démographiques, la question des inégalités va revenir au premier plan.
Nous , socialistes, nous ne nous en plaignons pas, beaucoup d'idées ont été avancées à cet égard dans ce Congrès, dans les différentes motions, la réforme fiscale, la formation tout au long de la vie, la défense du service public, en France et en Europe, le retour au travail, l'autonomie des jeunes, une nouvelle étape de la décentralisation et je pense à mon tour, comme beaucoup de ceux qui m'ont précédé qu'une synthèse entre nous est possible, si nous le voulons, car tout cela peut contribuer à enrichir nos idées.
Le deuxième choix c'est le choix de la responsabilité, notamment de la responsabilité des corps intermédiaires, des partenaires sociaux en particulier et les collectivités locales. Nous devons nous fixer comme ambition, chers camarades, l'invention d'une démocratie moderne, dans une Vème République qui a besoin, nous le sentons, de profonds changements.
Le choix de l'Europe enfin et j'en termine par là, cela ne vous étonnera pas, nous avons fait faire à l'Europe des progrès que nous sous-estimons souvent, mais faute de les revendiquer suffisamment fort.
Progrès depuis 1997, par exemple, avec la création face à la Banque Centrale indépendante d'une instance politique qui est le Conseil de l'Europe avec aussi l'émergence d'une véritable Europe de la défense , progrès avec la présidence française. Je ne crois pas pour ma part que l'Europe soit devenue ou soit en voie de devenir un repoussoir.
Elle est toujours complexe, elle est chaotique, paradoxale, contradictoire, mais le travail fait autour de Lionel JOSPIN par les membres du gouvernement, qu'il s'agisse de la charte des droits fondamentaux, de l'Europe du quotidien, du transport maritime, de la place du sport , de la sécurité alimentaire , des services publics sur lesquels j'espère une déclaration politique des Européens, de la lutte contre les exclusions et des discriminations notamment de l'agenda social, tout cela ce sont des résultats qui seront à inscrire à notre bilan.
Nous avons aussi devant nous, dans quelques jours, à Nice, un rendez-vous important avec la Conférence Intergouvernementale qui doit déboucher sur un nouveau traité. La réforme institutionnelle est un sujet qui passionne peu l'opinion, mais pour autant, c'est un enjeu déterminant, car il s'agit d'élargir sans diluer et de se développer, de développer l'Europe en gagnant de l'efficacité, de la légitimité, de la démocratie.
Quoi qu'il en soit, nous aurons dès 2001 à tirer les leçons de ce qui se sera passé à Nice, dire ce que nous, nous ne voulons pas, ni l'Europe des régions, ni l'Europe réduite aux acquets de la coopération entre les gouvernements, ni l'Europe du laissé faire, dire ce que nous voulons, une Europe puissance, une Europe qui défend et enrichit son modèle social, une fédération d'états nations et je sais qu'il y aura sur cette Europe, une voix socialiste distincte de quelques slogans creux ou ambigus que l'on avance à droite. Chers camarades, j'en termine en deux mots très simples.
Avec Lionel JOSPIN, avec François HOLLANDE, nous avons su reconstruire un parti socialiste fort, axe d'une gauche plurielle qui agit pour le bien être des français et qui transforme profondément le pays. Il nous reste maintenant, après ce Congrès, à préparer une nouvelle phase, à continuer à être des inventeurs de l'avenir. Je suis sûr que ce Congrès de Grenoble aura servi à cela, contribuer à bâtir l'avenir de la gauche et de la France en Europe.
(applaudissements)
(source http://www.parti-socialiste.fr, le 27 novembre 2000)