Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur les rencontres "Territoires de la création : artistes, institutions et opérateurs culturels pour un développement durable en Afrique" et la place de la culture dans le développement africain, Lille le 28 septembre 2000.

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Intervenant(s) : 
  • Charles Josselin - Ministre délégué à la coopération et à la francophonie

Circonstance : Clôture des rencontres "Terrritoires de la création : artistes, institutions et opérateurs culturels pour un développement durable en Afrique", à Lille le 28 septembre 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Ministres, chère Martine,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,

Nous voici donc réunis à Lille Grand-Palais, pour la clôture des rencontres "Territoires de la création". Ces rencontres sont, Monsieur le Président, des retrouvailles, puisque, voici dix ans déjà, à Paris, aux côtés de Jacques Pelletier, ministre de la Coopération, vous honoriez de votre présence l'ouverture d'un colloque fondateur consacré aux enjeux de la coopération culturelle franco-africaine ; éponyme aussi, puisque, par un jeu d'échos, il a donné son nom de baptême, "Afrique en créations", à un opérateur culturel qui a fait ses preuves, ainsi qu'à cette véritable "saison" culturelle africaine que Lille accueille pour le dernier trimestre de l'an 2000.
Vous étiez alors ancien ministre de la Culture de la République du Mali et président de l'ICOM, l'organisme international des musées. Et c'est aujourd'hui en chef d'Etat, élu, réélu, que vous venez conclure les travaux de l'ensemble des artistes, médiateurs et opérateurs culturels ici rassemblés.
J'y vois un signe et plus encore un symbole : le signe d'une fidélité, d'une constance dans un effort partagé pour valoriser et promouvoir les immenses potentialités culturelles du continent africain ; le symbole du lien indissociable entre la dimension culturelle et toute vision politique d'envergure : car je salue l'archéologue de renom, parvenu à la plus haute des responsabilités, qui voit plus haut et plus loin, et accorde toujours une importance première à la formation des hommes, parmi tant d'autres préoccupations d'une urgence très concrète, et dont vous parliez hier soir avec Lionel Jospin.
Le lieu de ces retrouvailles ne m'est pas non plus indifférent, loin du "parisianisme" qui empreint encore trop souvent nos grandes manifestations culturelles, et près de cette "ligne des Flandres" pour laquelle Louis XIV guerroya et qui est aujourd'hui un trait d'union entre la France et l'Europe : Bruxelles si proche, bien sûr, mais aussi Londres, toutes deux capitales de pays à "histoire africaine". Mais Lille, ville et communauté urbaine, au cur - avec Arras - de deux départements et d'une région, est aussi exemplaire d'une coopération décentralisée dont j'ai souhaité faire l'un des axes forts de mon action au sein du ministère des Affaires étrangères, un ministère que je voudrais le moins possible "étranger" à mes compatriotes.
Oserai-je ajouter que le Nord, qui a été et demeure l'un des terreaux de l'industrialisation française, est depuis toujours une terre d'immigration, et que je trouve tout à fait remarquable que les organisateurs de la manifestation aient voulu associer systématiquement les diverses communautés africaines présentes dans la région au déroulement des différents événements inscrits au programme ? Ils se sont ainsi délibérément placés dans la perspective d'un co-développement que le gouvernement français s'efforce de promouvoir, dans une optique de partenariat affranchi de toute arrière-pensée. Martine Aubry en témoigne, qui est ici présente non seulement en sa qualité d'élue locale, mais aussi d'amie du Mali. Je sais, nous savons, comment elle a engagé activement son ministère de l'Emploi et de la Solidarité dans la mise en oeuvre concertée de ce concept de co-développement avec nos partenaires africains. J'ai la tranquille conviction que demain, dans les nouvelles et considérables responsabilités que les Lillois se préparent à lui confier, elle élargira encore la gamme des attentions qu'elle porte à l'Afrique et au Mali.
Si je poursuis la réflexion, "L'Afrique en créations" est certes une opération hors normes - plus de six cent artistes présents au rythme de quelques deux cent spectacles ou manifestations, mais elle est aussi illustrative de la réforme de la coopération telle que le gouvernement français l'a engagée et mise en oeuvre depuis 1997.
En effet, cette Afrique n'est plus exactement celle qui se réunissait à Paris en 1990 : elle est aujourd'hui toute l'Afrique sub-saharienne, dans la pluralité de ses langues et de ses expressions. Et à la fusion du ministère de la Coopération avec celui des Affaires étrangères a correspondu la fusion d'"Afrique en créations" avec l'Association française d'Action artistique.
Est-ce à dire que l'aventure dont vous parlaient ce mardi avec émotion Ibrahim Loutou et Bernard Mounier est parvenue à son terme ? Je veux vous assurer que non, car, en moins de deux lustres, vous avez merveilleusement réussi dans votre entreprise. Certes, les artistes n'ont pas attendu "Afrique en créations" pour produire, écrire, chanter, mettre en scène, s'exprimer, mais il est tout aussi incontestable que les diverses biennales mises en place sur le continent africain ont puissamment contribué à les faire connaître : la danse à Tananarive - après Luanda, la photographie à Bamako, la musique à Yaoundé, le théâtre à Cotonou, les arts plastiques à Dakar, toutes manifestations venues compléter un paysage culturel jusque là réduit au FESPACO de Ouagadougou. Et je ne parle ici que des manifestations d'excellence, qui viennent couronner un patient travail de structuration, de professionnalisation, de mise en réseau.
Pas plus qu'en d'autres domaines, la mise en place d'un opérateur culturel unique, pour la partie française, ne signifie donc un quelconque désengagement : les moyens sont maintenus, la lisibilité assurée au travers de l'identification, au sein de l'AFAA, des programmes "Afrique en créations". Mieux, l'ambition est accrue, avec l'accès pérenne à un réseau de promotion et de valorisation étendu à cent vingt-trois pays : car l'on découvre désormais les artistes africains non seulement en France ou en Europe, mais aussi à Sydney, La Havane ou Sao Paulo. J'ai été particulièrement sensible au satisfecit exprimé à cet égard par le président Loutou : mais ce résultat est aussi le vôtre.
Prenons bien l'exacte mesure de cette réforme, car elle a aussi son versant français. La France est connue pour avoir engagé dès la Troisième République une importante politique culturelle extérieure, qui constitue encore aujourd'hui l'un de ses traits distinctifs. A l'occasion du cinquantième anniversaire de la Direction générale des Relations culturelles, scientifiques et techniques - c'était en 1995, un ouvrage conçu par le ministère des Affaires étrangères souhaitait moderniser cette "diplomatie culturelle" selon trois axes : la professionnalisation, l'échange, et les médias.
La notion d'échange doit probablement vous sembler très proche de votre propre pratique du partenariat culturel. Pourtant, l'échange des cultures est une donnée inhérente à la confrontation des sociétés et le "pied d'égalité" ne lui est pas strictement nécessaire : songeons par exemple à Antonin Artaud découvrant le théâtre balinais à l'occasion de l'exposition coloniale de 1931, pour en retirer quelques pages saisissantes du "Théâtre et son double". Mais l'échange des cultures tel que nous le concevons aujourd'hui est profondément marqué de "l'esprit de Cancun", dans la lignée du discours prononcé au Mexique par le président François Mitterrand : la Maison des Cultures du monde à Paris, modèle depuis imité dans d'autres capitales européennes, repose ainsi sur un principe de stricte réciprocité. Il me semble cependant qu'aussi généreuse soit cette démarche, elle demeure à ce stade cantonnée dans une logique de représentation croisée de soi et des autres.
Je vois dans votre démarche beaucoup plus, quelque chose de neuf, qui interroge et passionne tout à la fois le ministre en charge du Développement : comme l'indique le titre de vos rencontres, elle consiste à penser le partenariat culturel en termes de développement durable. Vos travaux, vos discussions que Francisco d'Almeida a remarquablement organisées, se sont d'ailleurs déroulés en trois cercles concentriques allant crescendo : partant des situations constatées dans chaque grande discipline artistique, vous avez ensuite élargi votre réflexion au milieu professionnel et aux outils du développement culturel, pour terminer sur le développement urbain.
C'est une liaison qui ne va pas de soi, bien qu'elle corresponde assez étroitement à une évolution constatée ces dernières années au sein des institutions internationales en charge de l'aide au développement. Elle réside grosso modo dans l'irruption du "facteur humain", terme que je n'utilise pas ici seulement en hommage au beau roman de Graham Greene.
Comme vous le savez, la création, au tournant des années quatre-vingt-dix, de l'indice de développement humain a marqué la fin de la dictature des indicateurs purement économiques, utilisés dans une vision utilitariste du développement. Et ce facteur humain ne se traduit pas seulement dans un "capital social" encore très économisant, mais va jusqu'à se décliner dans une acception étroite de la culture. Et c'est ainsi que James Wolfensohn, président de la Banque mondiale - on sait moins de lui qu'il est aussi musicien, violoncelliste - a pu déclarer dans un colloque organisé à Washington en 1998 que "nous devons respecter les racines des gens dans leur propre contexte social. Nous devons protéger l'héritage du passé. Mais nous devons aussi impulser et promouvoir la culture vivante sous toutes ses formes multiples".
Promouvoir la culture vivante, c'est bien ce que les organisateurs d'"Afrique en créations" ont voulu à Lille : la majorité des uvres ou spectacles proposés au public ont en effet été commandés pour la circonstance. Mais, ce faisant, vous aidez à l'émergence de marchés locaux, nationaux ou régionaux de la culture en Afrique, et vous aidez à diffuser les produits culturels africains sur les marchés mondiaux : qui ne connaît aujourd'hui Youssou N'Dour ou Ousmane Sow ? Vous générez des revenus, valorisez une image, créez les conditions d'une dignité, tous éléments comptabilisables dans un processus de développement.
L'enjeu est immense. Pour mémoire, je rappellerai que les industries dites culturelles génèrent aujourd'hui 6 % du produit intérieur brut des Etats-Unis et un peu plus de 3 % en France. La place déjà importante de ces industries culturelles dans le produit national ne peut que croître avec le développement des nouvelles technologies. Les besoins de financement sont évidemment d'une ampleur correspondante : en France, qui a une solide tradition de recours à la puissance publique, on estimait que l'Etat apportait en 1999 près de 37 milliards de francs de financement aux activités culturelles, et les collectivités locales autant. En Afrique, nous en sommes loin, car nous sommes renvoyés aux déficiences, mais aussi au manque de moyens des Etats. Mais c'est précisément la justification d'une action de coopération internationale, menée en partenariat, et à laquelle nous devons associer davantage l'Europe et les institutions financières internationales, celles-là mêmes qui ont vocation d'aider au développement, car la culture participe bien de celui-ci.
Bruno Delaye, le directeur général de la Coopération internationale et du Développement, vous l'a assuré, Olivier Poivre d'Arvor vous l'a répété : le réseau culturel français est à votre disposition pour concevoir et mettre en oeuvre, avec vous, ce nouveau partenariat. Il le fait depuis dix ans. Il le fera encore mieux dans les années à venir, avec des moyens et des ambitions élargies, en synergie avec les autres initiatives bilatérales et multilatérales, mais aussi celles, nombreuses, que fait éclore la coopération décentralisée entre nos villes. Quant aux conclusions opérationnelles qui ressortent déjà de vos travaux, soyez assurés que je veillerai à ce qu'elles puissent s'appuyer sur les moyens autorisés par le fonds de solidarité prioritaire.
Nous ne nous arrêterons pas en si bon chemin, surtout si la volonté politique africaine est au rendez-vous que lui proposent les créateurs. Monsieur le Président, j'ai eu la chance et l'honneur de vous rencontrer pour votre investiture, trois jours après que Lionel Jospin ait formé son gouvernement. Vous avez été, et vous demeurez en quelque sorte, le premier président africain du nouveau ministre de la Coopération. Vous savez l'immense estime dans laquelle je vous tiens. Je vous cède la parole./.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 octobre 2000)