Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur la décentralisation culturelle, notamment la lecture publique et les nouvelles technologies, Lanester le 12 octobre 2000.

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Circonstance : Inauguration de la médiathèque de Lanester le 12 octobre 2000

Texte intégral

Monsieur le Sous-Préfet,
Monsieur le Maire,
Madame la Directrice,
Mesdames, Messieurs,
La médiathèque de Lanester ouvre ses portes. Il y a 45 ans, deux hommes installaient une bibliothèque de fortune dans un baraquement de l'avenue Guy Mocquet. Votre ville venait de subir d'âpres bombardements. L'un était instituteur, l'autre ouvrier. En conjuguant leur énergie, Lucien Leboulch et Eugène Félic écrivaient les premières lignes d'une belle aventure de politique culturelle en prise avec le réel. Ils lui donnaient sa couleur dominante, son orientation majeure : abattre dans une ville ouvrière les barrières sociales de l'accès à la culture.
Le lieu dans lequel nous nous trouvons témoigne de votre fidélité à cette impulsion, à cette priorité politique. Les 3900 habitants de Lanester, inscrits à la médiathèque, éclairent de manière éclatante la pertinence de cette inspiration progressiste. Comme on les comprend ! Vous avez su, ensemble, donner le jour à un très beau projet.
Il était possible de se contenter d'une extension de la bibliothèque Elsa Triolet, ouverte en 1975 par Jean Maurice que j'ai à cur de saluer. Vous avez osé un choix plus ambitieux. Ne serait-ce que pour cette raison je veux vous dire, Monsieur le Maire, toute ma gratitude, pour le plaisir que vous me procurez en me conviant à cette inauguration.
Le lieu dans lequel nous nous trouvons incarne en effet l'ambition culturelle de Lanester. Je viens d'avoir l'occasion de goûter la qualité esthétique, la convivialité et la fonctionnalité de cette vaste réalisation de 2025 m2 conçue par Patrick Pincemaille et Alain Le Masson.
Cette médiathèque est un outil précieux pour mettre à portée de tous, les savoirs contemporains, la littérature la plus actuelle, les potentialités offertes par les nouvelles technologies de l'écrit. L'importance et la diversité du fond d'imprimés, de CD, de vidéos, le très bel auditorium, rendent ce lieu très attractif pour les publics les plus variés. Je pense en particulier au jeune public, où à ceux qui ne lisent pas. Vos premiers résultats démontrent qu'il n'y a pas de fatalité en la matière. Quand une institution n'attend pas et va au devant de ceux pour qui elle existe, la rencontre a lieu. C'est, à n'en pas douter, en direction des jeunes, que l'enjeu de la relance de la lecture publique est le plus vif.
Je suis par ailleurs très sensible à la manière dont l'équipe municipale a su inscrire ce projet au cur du schéma d'urbanisme, se proposant de retisser des liens entre l'est et le centre de la ville. J'en tire un autre enseignement : quand des élus font le pari de prendre à bras-le-corps la dimension culturelle des problèmes, ils réussissent à les régler.
De même, je me réjouis de l'accueil fait par Madame Annick Clabecq et toute son équipe, aux initiatives de l'opération " Lire en fête ". Toutes procèdent du désir de décloisonner la pratique de la lecture, de convier l'ensemble des disciplines artistiques à la déclinaison du plaisir de lire. L'exposition de photographies de Catherine Noury, le spectacle du théâtre de l'Embarcadère consacré à la lecture, les concerts des ateliers musicaux et les spectacles autour du conte feront vivre ce plaisir pour tous les habitants de Lanester.
Ce n'est sans doute pas un hasard si ce projet naît dans une région où la politique de lecture publique marque des points significatifs. Pas moins de 18 bibliothèques ont été ouvertes l'an dernier en Bretagne. C'est pour l'action que je conduis, vous le comprendrez aisément, un formidable encouragement. La lecture publique constitue une des plus belles réussites du processus de décentralisation culturelle, entamée il y a moins de vingt ans. Vous êtes particulièrement bien placés pour mesurer les bienfaits de l'explosion du nombre de bibliothèques, de la création des médiathèques et du foisonnement d'opérations dédiées au livre, au cours de cette période.
Cette première phase a totalement changé la donne quant à l'impact de la politique de lecture publique sur l'ensemble du territoire. Elle est une des expressions les plus magistrales de l'élargissement territorial de notre pays, élargissement dont nous ne prenons pas l'exacte mesure. Cela n'aurait pas été possible sans l'opiniâtreté et la détermination des collectivités locales, à l'instar de la vôtre, pour accroître le rayonnement du livre et développer les pratiques d'écriture en amateur.
Ce n'est pas verser dans l'autosatisfaction que de le souligner. Savoir d'où l'on est parti est indispensable si l'on veut mettre sur les rails la deuxième étape de la décentralisation culturelle, deuxième étape à laquelle je travaille depuis mon arrivée au gouvernement. Car c'est bien de cela dont il s'agit. Le temps est venu pour notre pays de refonder et d'affirmer une nouvelle ambition pour le livre ; à l'échelon national, comme à l'échelon européen dans le cadre de la présidence française. Tout porte en effet à relever ce défi. La rencontre entre l'écrit et les nouvelles technologies nous fait entrer de plain-pied dans une ère nouvelle.
Nombreux sont ceux qui comparent les répercussions du numérique sur le rapport au livre, au bouleversement provoqué par l'invention du codex. Ce rapprochement est pertinent. L'écrit n'appartient pas à une époque révolue de la culture. Il n'est pas en recul, il renouvelle radicalement ses formes. Et cela, afin de jouer le rôle qu'aucun autre registre du champ culturel ne peut jouer à sa place : permettre la circulation pluraliste des idées, aiguiser le sens critique, insuffler le plaisir de l'imaginaire et faciliter l'appropriation des savoirs les plus neufs.
D'aucuns s'interrogent cependant sur la toile de fond de cette révolution de l'écrit. Il faut les entendre. La responsabilité publique est en effet de s'opposer à tout ce qui résulte de la volonté de faire du livre une marchandise comme une autre. Traiter le livre en produit standardisé, c'est se priver des bienfaits que j'évoquais à l'instant. Cette menace peut être écartée ; j'ai eu l'occasion de le rappeler à Strasbourg, lors du colloque européen consacré au livre, où je représentais la France le 30 septembre dernier.
Voilà aussi pourquoi Catherine Tasca vient de réaffirmer l'attachement de la France à la garantie que constitue le principe du prix unique pour la chaîne économique du livre, dont chacun se doit de mesurer la fragilité, et pour les lecteurs eux-mêmes. Qui plus est, pour Catherine Tasca et pour moi-même, il ne saurait être question de revenir sur l'acquis du prêt gratuit dans les bibliothèques. Comment, en effet, envisager un seul instant de supprimer un principe auquel le succès de la politique de lecture publique doit tout ? Cet attachement indéfectible au non paiement de l'acte a bien évidemment un pendant : celui d'élaborer les solutions techniques qui garantissent une juste rétribution des auteurs, des maisons d'éditions et des librairies et, en particulier, des plus fragiles d'entre elles.
La même inspiration est à l'uvre dans l'architecture du budget 2001. Les mesures concernant le livre progressent de 3,23 %. Elles visent une relance concrète et audacieuse de la politique de lecture publique. C'est en particulier le cas de la mesure nouvelle de 32 MF, consacrée à la poursuite de la modernisation du réseau territorial des bibliothèques. Ces crédits permettront de soutenir plus de 300 opérations de construction et d'extension de bibliothèques en 2001. Elle a pour vocation également de franchir un cap dans la généralisation de l'accès aux nouvelles technologies de l'information et de la communication dans les bibliothèques publiques.
Le coup de maître de la décentralisation de la lecture publique est, pour moi, une source d'inspiration, un guide précieux. Depuis ma prise de fonction, je m'attache à mettre en place des protocoles expérimentaux de décentralisation et des établissements culturels de coopération. Il s'agit à mes yeux de boîtes à outils, à la disposition de tous. Car, à n'en pas douter, c'est sur le front de la décentralisation que se gagnera la nouvelle ambition culturelle de la France. Pour chacun des secteurs du champ culturel, nous voulons donner du sens à la visée décentralisatrice. Ce mouvement a pour raison d'être de mettre entre toutes les mains la construction du sens, des finalités, des enjeux de la politique culturelle de notre pays. Il y a une conception progressiste de la décentralisation. C'est à mon sens la seule susceptible de répondre aux attentes de notre peuple en matière de culture. Elle est donc la seule qui vaille.
Ce que vous avez réalisé avec votre équipe, Monsieur le Maire, aux côtés des femmes et des hommes de Lanester, participe de cette conception, empreinte de modernité et de justice sociale. La belle tradition de conquête ouvrière de votre ville n'y est pas étrangère, je le mesure.
C'est peut-être pour cette raison que j'éprouve un plaisir particulier à vous annoncer la dotation de deux-cent cinquante mille francs supplémentaires en 2000 ; ils permettront d'accroître le concours de l'Etat à la réussite de votre beau projet.
Picasso se plaisait à dire que "les plus belles fleurs sont celles qui poussent dans les livres". Il en pousse dorénavant de cette espèce à Lanester.

(source http://www.culture.gouv.fr, le 18 octobre 2000)