Texte intégral
Le sujet de votre colloque renvoie à deux questions qui vous sont bien connues. Deux questions que nous évoquons régulièrement.
D'abord la construction de l'Europe de la Défense qui comme vous l'écrivez, Madame la Présidente, a connu récemment une brutale accélération ce dont la France se félicite.
Cette brutale et récente accélération entraîne dans son sillage les évolutions observées dans le champ des industries de Défense.
C'est la seconde question.
Ces évolutions ont naturellement des conséquences au plan industriel, au plan de la recherche, au plan des mécanismes financiers. Elles impliquent l'adoption des nouvelles technologies qui ont un effet sur la croissance économique globale.
Toutes ces questions sont au coeur de vos préoccupations.
Vous avez abordé des sujets nombreux tels que la nature des relations entre pouvoirs publics et industries de Défense, (c'est la question de la lisibilité comme vous l'avez rappelé tout à l'heure) :
la nature des relations entre les industriels eux-mêmes, la mise en oeuvre de nouveaux mécanos financiers, la problématique de la recherche, les relations avec les opinions publiques, le processus vers la professionnalisation.
Vous avez exploré les contradictions, les obstacles, les insuffisances, les perspectives encourageantes, les rapprochements utiles, les points de vue convergents, les marges de manoeuvre.
Ces réflexions ont associé partenaires institutionnels et industriels.
Je souhaite vous rappeler les constats de la France, ses espérances, et vous faire partager aussi sa volonté politique.
Pardonnez la sécheresse de mes propos mais les sujets traités ne se prêtent ni à la fantaisie, ni à l'improvisation, ni à l'utopie. Les questions de Défense engagent nos intérêts vitaux. Elles font référence à nos histoires, à nos doutes et interrogations, à nos réalités sociales et industrielles.
Mais au-delà de nos spécificités c'est notre volonté commune d'assurer pour nous même, pour l'Europe et pour le monde la Paix et la sécurité.
En effet sans paix et sans sécurité, il n'y a ni démocratie ni progrès.
Et sans démocratie et progrès partagés il n'y a ni paix, ni sécurité.
Les enjeux sont donc conséquents pour que le 21ème siècle qui commence soit différent du 20ème siècle et de ses tragédies.
A l'issue des remarques préalables, je peux vous dire que je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui pour clôturer ce colloque.
Je voudrais saluer la passion et le professionnalisme avec lesquels Madame Edwige AVICE a su très vite lui donner une légitimité reconnue aussi bien au sein du monde de la Défense que du monde économique.
En organisant ce type de manifestation, le Conseil remplit pleinement sa mission d'animation du débat autour des enjeux économiques de notre politique de défense. L'Europe de la défense fait bien sur partie de ces grandes évolutions qui appellent toute notre attention.
(les grandes étapes)
Pendant près de cinquante ans, l'Europe a été incapable de prendre en main collectivement sa propre sécurité. Or, depuis maintenant deux ans, les progrès accomplis sont spectaculaires nous vivons un moment particulièrement fort. Peut-être historique.
En 1998, britanniques et français ont formulé des propositions communes. La France montrait dans les Balkans sa capacité à agir dans le cadre de l'OTAN. De son côté, le Royaume-Uni, qui avait été traditionnellement le plus opposé à l'idée d'une défense européenne autonome, faisait un mouvement décisif en acceptant le traitement des questions de défense au sein de l'Union européenne. Cette double évolution a abouti à la déclaration de Saint-Malo, en décembre 1998, qui, pour la première fois, évoquait une " capacité d'action autonome " de l'Union européenne à gérer des crises.
L'engagement de nos autres partenaires a ensuite permis au Conseil européen de Cologne, en juin 1999, de donner le coup d'envoi véritable du chantier de politique européenne de sécurité et de défense. Les Quinze se sont alors fixés l'objectif que l'Union européenne en tant que telle puisse intervenir, avec ou sans recours aux moyens de l'OTAN, pour défendre leurs intérêts de sécurité commune. Ils se sont engagés à en avoir la volonté et la capacité.
La crise du Kosovo a été un facteur déterminant, nous permettant, à l'épreuve du feu, de prendre la mesure de nos profondes convergences et de notre solidarité pour agir ensemble, politiquement et militairement, avec nos alliés, pour la défense de nos intérêts et de nos valeurs communes.
Mais cette crise a aussi montré les efforts qui restaient à fournir par les européens pour qu'ils jouent pleinement leur rôle dans la sécurité de leur continent : la prise de conscience du décalage entre une détermination politique forte d'un côté, des insuffisances - mais des insuffisances remédiables - dans les moyens militaires de l'autre, a relancé notre volonté commune à opérer ensemble.
C'est ce qu'a montré le Conseil européen d'Helsinki, en décembre 1999, en fixant des objectifs de capacités, pour donner à l'Europe de réelles capacités d'action et lui permettre de mener à bien des missions de gestion de crise.
L'objectif global consiste à être en mesure en 2003 de déployer en 60 jours sur une durée au moins égale à un an et si besoin hors du territoire de l'Union, une force de réaction rapide de l'importance d'un corps d'armée, soit cinquante à soixante mille hommes. Cette force doit être autonome, c'est-à-dire disposer de moyens propres de logistique, de contrôle, de commandement, de renseignement et de l'appui d'éléments aériens et navals.
Nous avons également fixé des objectifs de capacité collectives à Helsinki. Il s'agit de capacités spécifiques de commandement et de contrôle, de renseignement et de transport stratégique.
(la présidence française)
La France, présidente de l'Union européenne, a reçu pour mandat à Feira de progresser dans la mise en oeuvre concrète de ces engagements. Le programme qui nous a été confié est ambitieux, et c'est ce que nous souhaitions. L'état actuel des travaux permet d'être optimiste sur les résultats que nous exposerons au sommet de Nice en décembre prochain.
Nous avons déjà beaucoup progressé dans le délicat travail de traduction en termes concrets, techniques, militaires, des objectifs de capacités fixés au niveau politique à Helsinki. La France salue la qualité du travail effectué dans ce domaine par l'Organisme militaire intérimaire, mis en place en mars dernier, et qui préfigure le futur Comité militaire. Pour la première fois, des représentants militaires de nos quinze nations effectuent ensemble un travail de planification militaire, et le font de manière exemplaire.
Ce travail est soutenu par une volonté politique sans faille, qui s'est à nouveau manifestée le 22 septembre dernier lors de la réunion informelle des quinze ministres de la Défense à Ecouen. La prochaine étape sera la conférence d'engagement des capacités qui aura lieu dans 10 jours le 20 novembre prochain à Bruxelles, à l'occasion de laquelle chaque Etat indiquera les contributions qu'il apporte pour permettre à l'UE d'atteindre l'objectif global et les objectifs collectifs de capacités.
Les travaux préparatoires montrent que les objectifs de forces que nous nous sommes fixés devraient être dépassés. La France devrait participer au dispositif à hauteur d'environ 20 % et témoigner ainsi du prix qu'elle attache à cette entreprise. Mais les Quinze ont décidé d'aller plus loin. Ils sont déterminés à accentuer et coordonner leurs efforts pour satisfaire par des programmes multilatéraux ou nationaux les besoins non satisfaits dans l'immédiat, en particulier dans certaines capacités stratégiques, comme les moyens de contrôle et de commandement, le transport stratégique ou le renseignement. Ceci fait écho je le pense à une partie de vos réflexions.
Je voudrais également souligner la qualité de la coopération qui s'établit entre l'Union européenne et l'OTAN. Les experts de l'Alliance ont présenté des analyses très utiles sur le catalogue de forces, chaque fois que cela était nécessaire, et un climat de confiance se développe entre les deux institutions. Nous soutenions depuis longtemps qu'un renforcement des capacités propres des européens moderniserait et équilibrerait l'Alliance, et la France se réjouit de voir que ce raisonnement est aujourd'hui largement partagé, notamment par les Etats-Unis.
Nous avons également beaucoup progressé dans les discussions avec les européens qui n'appartiennent pas, ou pas encore, à l'Union Européenne, et qui souhaitent pouvoir participer à la force européenne de réaction rapide. Ils sont appelés à proposer des capacités additionnelles, qui feront l'objet de deux réunions informelles à Bruxelles le 21 novembre, d'abord à " 15 + 15 " (c'est-à-dire avec les 6 Etats qui appartiennent à l'OTAN, mais pas à l'UE, et les 9 autres Etats candidats à l'adhésion à l'UE), puis à " 15 + 6 ".
La construction politico-stratégique de l'Europe de la défense accomplit donc aujourd'hui des progrès décisifs. Elle doit être nécessairement accompagnée d'une dimension économique, pour donner à l'Europe de la défense le fondement technique et industriel qui lui est indispensable.
(bilan des restructurations de l'industrie de défense).
Dans une déclaration de décembre 1997, les chefs d'Etat et de Gouvernement français, britannique et allemand demandaient une consolidation de l'industrie aéronautique et de défense en Europe. Deux ans et demi plus tard, le bilan est très largement positif : structurée autour de trois grands groupes (EADS, Thomson CSF et BAE Systems), l'industrie européenne de défense est déjà une réalité.
Nous avons veillé à ce que ces rapprochements s'opèrent en respectant les intérêts industriels et stratégiques de la France. C'est pour cette raison que le Gouvernement a d'abord encouragé le regroupement des entreprises françaises, autour d'un pôle électronique professionnelle et de défense (Thomson-CSF) et d'un pôle aéronautique (Aérospatiale et Matra hautes technologies). Cette étape a permis à notre industrie de défense de sortir renforcée de ces évolutions et de rattraper notre retard par rapport à nos grands partenaires dans ce processus de consolidation.
C'est sur cette base qu'ont pu s'opérer dans un deuxième temps des rapprochements européens équilibrés. Le groupe EADS est aujourd'hui constitué. Il a déjà renforcé ses coopérations avec les industries britanniques (constitution de la société Airbus) et italienne (regroupement des activités d'aéronautique militaire d'EADS et de Finmeccanica). Le pôle d'électronique professionnelle et de défense Thomson CSF conforte quant à lui son assise européenne par son rapprochement avec le groupe britannique Racal.
Nos groupes européens ont désormais la taille pour rivaliser avec les meilleurs mondiaux, en particulier les groupes américains, et pour financer de nouveaux projets technologies ambitieux.
Les efforts des industriels français et européens doivent donc être salués. Ils ont été soutenus par les Etats concernés compte tenu de l'importance économique de ces secteurs pour l'Europe et de la spécificité des marchés de l'armement.
(La LoI+)
Ce soutien des Etats s'est également traduit en 1998 par la signature, par les six pays les plus concernés par ces questions, de la Loi (letter of intent), destinée à faciliter la création et la consolidation de ces grands groupes européens d'armement. Nous nous étions fixés pour objectif d'harmoniser et de simplifier les règles applicables aux industries de défense, notamment dans le domaine de la sécurité d'approvisionnement, des procédures d'exportation et de la sécurité de l'information.
Nous venons de franchir une étape importante dans ce processus : le 27 juillet dernier, a été signé à Farnborough l'accord-cadre qui met en oeuvre cette lettre d'intention, (allemand, espagnol, italien, britannique et suédois). Ce traité, ouvert aux autres Etats européens, contribuera à aider le processus de restructuration de l'industrie française et européenne dans ce secteur. Il facilitera le fonctionnement des groupes européens et encouragera la formation d'autres alliances structurelles.
(les progrès de la coopération entre les Etats)
Les Etats européens ne se contentent pas de favoriser la restructuration de l'offre industrielle d'armement. Ils doivent également s'attacher à harmoniser leurs besoins et à coordonner leurs choix d'armement. D'ores et déjà, les succès récents en matière de programmes en coopération montrent le caractère mobilisateur de la politique décidée par les Etats pour constituer une Europe de la défense.
Le lancement de la fabrication du Tigre en 1999, puis de l'hélicoptère de transport NH 90, cette année, la commande, il y a quelques jours, du programme franco-italien de frégates HORIZON et de leurs systèmes d'armes PAAMS sont des succès importants, tout comme l'engagement récent des sept pays partenaires du projet A400M en faveur du programme d'avion de transport européen.
L'entente de cinq pays pour un missile air-air de nouvelle génération commun au RAFALE et à l'EUROFIGHTER constitue un autre projet majeur. De même, la combinaison du projet franco-italien de satellites d'observation et de la décision allemande de lancer un satellite d'observation radar complèteront les capacités européennes en matière de renseignement jugé prioritaire par les Etats européens lors du sommet d'Helsinki.
Au-delà de ces différents programmes, la montée en puissance de l'OCCAR, bientôt dotée de la personnalité juridique, doit permettre de nouveaux développements de cette coopération européenne qui est la voie de l'avenir, dans ce domaine aussi. De nouveaux partenaires européens se sont manifestés, ce qui confirme l'intérêt stratégique qui s'attache au développement de cet organisme.
C'est avec une réelle satisfaction et même un brin de fierté que j'observe que la France est le seul pays engagé dans la totalité de ces programmes conjoints et de ces outils institutionnels de coopération, mettant ainsi des actes efficaces en accord avec sa volonté politique.
Je voudrais évoquer, pour finir, l'enjeu que représente pour l'Europe le développement de la coopération euro-atlantique en matière d'armement. Il ne s'agit pas de construire une " Europe forteresse ", mais au contraire de créer les conditions d'une coopération transatlantique équilibrée. Il nous faut viser deux objectifs concrets : d'une part, obtenir une ouverture du marché américain, alors même que les groupes américains ont déjà accès aux marchés européens ; d'autre part, proposer aux Etats-Unis de mener de nouveaux développements technologiques en commun.
Conclusion :
Condition indispensable de la réussite de l'Europe de la défense, le développement d'une politique commune des Etats en matière d'armement est donc une préoccupation majeure. Le Gouvernement se réjouit des nombreuses initiatives prises par le CED pour développer une réflexion de long terme dans ce domaine. La qualité de vos débats aujourd'hui prouve tout l'intérêt de ces démarches de concertation et d'échanges. Alain RICHARD et moi-même porterons la plus grande attention à vos travaux.
Nous avons encore du chemin à parcourir ensemble. Continuez à explorer critiquer le cas échéant, à suggérer tout ce qui favorise une Europe de la défense est bienvenue. Notamment dans le domaine des industries de défense qui progressent en évolutions technologiques profitables à toutes nos économies. Travaillons bien, travaillez mieux, la crédibilité de l'Europe est en cause.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 28 novembre 2000)
D'abord la construction de l'Europe de la Défense qui comme vous l'écrivez, Madame la Présidente, a connu récemment une brutale accélération ce dont la France se félicite.
Cette brutale et récente accélération entraîne dans son sillage les évolutions observées dans le champ des industries de Défense.
C'est la seconde question.
Ces évolutions ont naturellement des conséquences au plan industriel, au plan de la recherche, au plan des mécanismes financiers. Elles impliquent l'adoption des nouvelles technologies qui ont un effet sur la croissance économique globale.
Toutes ces questions sont au coeur de vos préoccupations.
Vous avez abordé des sujets nombreux tels que la nature des relations entre pouvoirs publics et industries de Défense, (c'est la question de la lisibilité comme vous l'avez rappelé tout à l'heure) :
la nature des relations entre les industriels eux-mêmes, la mise en oeuvre de nouveaux mécanos financiers, la problématique de la recherche, les relations avec les opinions publiques, le processus vers la professionnalisation.
Vous avez exploré les contradictions, les obstacles, les insuffisances, les perspectives encourageantes, les rapprochements utiles, les points de vue convergents, les marges de manoeuvre.
Ces réflexions ont associé partenaires institutionnels et industriels.
Je souhaite vous rappeler les constats de la France, ses espérances, et vous faire partager aussi sa volonté politique.
Pardonnez la sécheresse de mes propos mais les sujets traités ne se prêtent ni à la fantaisie, ni à l'improvisation, ni à l'utopie. Les questions de Défense engagent nos intérêts vitaux. Elles font référence à nos histoires, à nos doutes et interrogations, à nos réalités sociales et industrielles.
Mais au-delà de nos spécificités c'est notre volonté commune d'assurer pour nous même, pour l'Europe et pour le monde la Paix et la sécurité.
En effet sans paix et sans sécurité, il n'y a ni démocratie ni progrès.
Et sans démocratie et progrès partagés il n'y a ni paix, ni sécurité.
Les enjeux sont donc conséquents pour que le 21ème siècle qui commence soit différent du 20ème siècle et de ses tragédies.
A l'issue des remarques préalables, je peux vous dire que je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui pour clôturer ce colloque.
Je voudrais saluer la passion et le professionnalisme avec lesquels Madame Edwige AVICE a su très vite lui donner une légitimité reconnue aussi bien au sein du monde de la Défense que du monde économique.
En organisant ce type de manifestation, le Conseil remplit pleinement sa mission d'animation du débat autour des enjeux économiques de notre politique de défense. L'Europe de la défense fait bien sur partie de ces grandes évolutions qui appellent toute notre attention.
(les grandes étapes)
Pendant près de cinquante ans, l'Europe a été incapable de prendre en main collectivement sa propre sécurité. Or, depuis maintenant deux ans, les progrès accomplis sont spectaculaires nous vivons un moment particulièrement fort. Peut-être historique.
En 1998, britanniques et français ont formulé des propositions communes. La France montrait dans les Balkans sa capacité à agir dans le cadre de l'OTAN. De son côté, le Royaume-Uni, qui avait été traditionnellement le plus opposé à l'idée d'une défense européenne autonome, faisait un mouvement décisif en acceptant le traitement des questions de défense au sein de l'Union européenne. Cette double évolution a abouti à la déclaration de Saint-Malo, en décembre 1998, qui, pour la première fois, évoquait une " capacité d'action autonome " de l'Union européenne à gérer des crises.
L'engagement de nos autres partenaires a ensuite permis au Conseil européen de Cologne, en juin 1999, de donner le coup d'envoi véritable du chantier de politique européenne de sécurité et de défense. Les Quinze se sont alors fixés l'objectif que l'Union européenne en tant que telle puisse intervenir, avec ou sans recours aux moyens de l'OTAN, pour défendre leurs intérêts de sécurité commune. Ils se sont engagés à en avoir la volonté et la capacité.
La crise du Kosovo a été un facteur déterminant, nous permettant, à l'épreuve du feu, de prendre la mesure de nos profondes convergences et de notre solidarité pour agir ensemble, politiquement et militairement, avec nos alliés, pour la défense de nos intérêts et de nos valeurs communes.
Mais cette crise a aussi montré les efforts qui restaient à fournir par les européens pour qu'ils jouent pleinement leur rôle dans la sécurité de leur continent : la prise de conscience du décalage entre une détermination politique forte d'un côté, des insuffisances - mais des insuffisances remédiables - dans les moyens militaires de l'autre, a relancé notre volonté commune à opérer ensemble.
C'est ce qu'a montré le Conseil européen d'Helsinki, en décembre 1999, en fixant des objectifs de capacités, pour donner à l'Europe de réelles capacités d'action et lui permettre de mener à bien des missions de gestion de crise.
L'objectif global consiste à être en mesure en 2003 de déployer en 60 jours sur une durée au moins égale à un an et si besoin hors du territoire de l'Union, une force de réaction rapide de l'importance d'un corps d'armée, soit cinquante à soixante mille hommes. Cette force doit être autonome, c'est-à-dire disposer de moyens propres de logistique, de contrôle, de commandement, de renseignement et de l'appui d'éléments aériens et navals.
Nous avons également fixé des objectifs de capacité collectives à Helsinki. Il s'agit de capacités spécifiques de commandement et de contrôle, de renseignement et de transport stratégique.
(la présidence française)
La France, présidente de l'Union européenne, a reçu pour mandat à Feira de progresser dans la mise en oeuvre concrète de ces engagements. Le programme qui nous a été confié est ambitieux, et c'est ce que nous souhaitions. L'état actuel des travaux permet d'être optimiste sur les résultats que nous exposerons au sommet de Nice en décembre prochain.
Nous avons déjà beaucoup progressé dans le délicat travail de traduction en termes concrets, techniques, militaires, des objectifs de capacités fixés au niveau politique à Helsinki. La France salue la qualité du travail effectué dans ce domaine par l'Organisme militaire intérimaire, mis en place en mars dernier, et qui préfigure le futur Comité militaire. Pour la première fois, des représentants militaires de nos quinze nations effectuent ensemble un travail de planification militaire, et le font de manière exemplaire.
Ce travail est soutenu par une volonté politique sans faille, qui s'est à nouveau manifestée le 22 septembre dernier lors de la réunion informelle des quinze ministres de la Défense à Ecouen. La prochaine étape sera la conférence d'engagement des capacités qui aura lieu dans 10 jours le 20 novembre prochain à Bruxelles, à l'occasion de laquelle chaque Etat indiquera les contributions qu'il apporte pour permettre à l'UE d'atteindre l'objectif global et les objectifs collectifs de capacités.
Les travaux préparatoires montrent que les objectifs de forces que nous nous sommes fixés devraient être dépassés. La France devrait participer au dispositif à hauteur d'environ 20 % et témoigner ainsi du prix qu'elle attache à cette entreprise. Mais les Quinze ont décidé d'aller plus loin. Ils sont déterminés à accentuer et coordonner leurs efforts pour satisfaire par des programmes multilatéraux ou nationaux les besoins non satisfaits dans l'immédiat, en particulier dans certaines capacités stratégiques, comme les moyens de contrôle et de commandement, le transport stratégique ou le renseignement. Ceci fait écho je le pense à une partie de vos réflexions.
Je voudrais également souligner la qualité de la coopération qui s'établit entre l'Union européenne et l'OTAN. Les experts de l'Alliance ont présenté des analyses très utiles sur le catalogue de forces, chaque fois que cela était nécessaire, et un climat de confiance se développe entre les deux institutions. Nous soutenions depuis longtemps qu'un renforcement des capacités propres des européens moderniserait et équilibrerait l'Alliance, et la France se réjouit de voir que ce raisonnement est aujourd'hui largement partagé, notamment par les Etats-Unis.
Nous avons également beaucoup progressé dans les discussions avec les européens qui n'appartiennent pas, ou pas encore, à l'Union Européenne, et qui souhaitent pouvoir participer à la force européenne de réaction rapide. Ils sont appelés à proposer des capacités additionnelles, qui feront l'objet de deux réunions informelles à Bruxelles le 21 novembre, d'abord à " 15 + 15 " (c'est-à-dire avec les 6 Etats qui appartiennent à l'OTAN, mais pas à l'UE, et les 9 autres Etats candidats à l'adhésion à l'UE), puis à " 15 + 6 ".
La construction politico-stratégique de l'Europe de la défense accomplit donc aujourd'hui des progrès décisifs. Elle doit être nécessairement accompagnée d'une dimension économique, pour donner à l'Europe de la défense le fondement technique et industriel qui lui est indispensable.
(bilan des restructurations de l'industrie de défense).
Dans une déclaration de décembre 1997, les chefs d'Etat et de Gouvernement français, britannique et allemand demandaient une consolidation de l'industrie aéronautique et de défense en Europe. Deux ans et demi plus tard, le bilan est très largement positif : structurée autour de trois grands groupes (EADS, Thomson CSF et BAE Systems), l'industrie européenne de défense est déjà une réalité.
Nous avons veillé à ce que ces rapprochements s'opèrent en respectant les intérêts industriels et stratégiques de la France. C'est pour cette raison que le Gouvernement a d'abord encouragé le regroupement des entreprises françaises, autour d'un pôle électronique professionnelle et de défense (Thomson-CSF) et d'un pôle aéronautique (Aérospatiale et Matra hautes technologies). Cette étape a permis à notre industrie de défense de sortir renforcée de ces évolutions et de rattraper notre retard par rapport à nos grands partenaires dans ce processus de consolidation.
C'est sur cette base qu'ont pu s'opérer dans un deuxième temps des rapprochements européens équilibrés. Le groupe EADS est aujourd'hui constitué. Il a déjà renforcé ses coopérations avec les industries britanniques (constitution de la société Airbus) et italienne (regroupement des activités d'aéronautique militaire d'EADS et de Finmeccanica). Le pôle d'électronique professionnelle et de défense Thomson CSF conforte quant à lui son assise européenne par son rapprochement avec le groupe britannique Racal.
Nos groupes européens ont désormais la taille pour rivaliser avec les meilleurs mondiaux, en particulier les groupes américains, et pour financer de nouveaux projets technologies ambitieux.
Les efforts des industriels français et européens doivent donc être salués. Ils ont été soutenus par les Etats concernés compte tenu de l'importance économique de ces secteurs pour l'Europe et de la spécificité des marchés de l'armement.
(La LoI+)
Ce soutien des Etats s'est également traduit en 1998 par la signature, par les six pays les plus concernés par ces questions, de la Loi (letter of intent), destinée à faciliter la création et la consolidation de ces grands groupes européens d'armement. Nous nous étions fixés pour objectif d'harmoniser et de simplifier les règles applicables aux industries de défense, notamment dans le domaine de la sécurité d'approvisionnement, des procédures d'exportation et de la sécurité de l'information.
Nous venons de franchir une étape importante dans ce processus : le 27 juillet dernier, a été signé à Farnborough l'accord-cadre qui met en oeuvre cette lettre d'intention, (allemand, espagnol, italien, britannique et suédois). Ce traité, ouvert aux autres Etats européens, contribuera à aider le processus de restructuration de l'industrie française et européenne dans ce secteur. Il facilitera le fonctionnement des groupes européens et encouragera la formation d'autres alliances structurelles.
(les progrès de la coopération entre les Etats)
Les Etats européens ne se contentent pas de favoriser la restructuration de l'offre industrielle d'armement. Ils doivent également s'attacher à harmoniser leurs besoins et à coordonner leurs choix d'armement. D'ores et déjà, les succès récents en matière de programmes en coopération montrent le caractère mobilisateur de la politique décidée par les Etats pour constituer une Europe de la défense.
Le lancement de la fabrication du Tigre en 1999, puis de l'hélicoptère de transport NH 90, cette année, la commande, il y a quelques jours, du programme franco-italien de frégates HORIZON et de leurs systèmes d'armes PAAMS sont des succès importants, tout comme l'engagement récent des sept pays partenaires du projet A400M en faveur du programme d'avion de transport européen.
L'entente de cinq pays pour un missile air-air de nouvelle génération commun au RAFALE et à l'EUROFIGHTER constitue un autre projet majeur. De même, la combinaison du projet franco-italien de satellites d'observation et de la décision allemande de lancer un satellite d'observation radar complèteront les capacités européennes en matière de renseignement jugé prioritaire par les Etats européens lors du sommet d'Helsinki.
Au-delà de ces différents programmes, la montée en puissance de l'OCCAR, bientôt dotée de la personnalité juridique, doit permettre de nouveaux développements de cette coopération européenne qui est la voie de l'avenir, dans ce domaine aussi. De nouveaux partenaires européens se sont manifestés, ce qui confirme l'intérêt stratégique qui s'attache au développement de cet organisme.
C'est avec une réelle satisfaction et même un brin de fierté que j'observe que la France est le seul pays engagé dans la totalité de ces programmes conjoints et de ces outils institutionnels de coopération, mettant ainsi des actes efficaces en accord avec sa volonté politique.
Je voudrais évoquer, pour finir, l'enjeu que représente pour l'Europe le développement de la coopération euro-atlantique en matière d'armement. Il ne s'agit pas de construire une " Europe forteresse ", mais au contraire de créer les conditions d'une coopération transatlantique équilibrée. Il nous faut viser deux objectifs concrets : d'une part, obtenir une ouverture du marché américain, alors même que les groupes américains ont déjà accès aux marchés européens ; d'autre part, proposer aux Etats-Unis de mener de nouveaux développements technologiques en commun.
Conclusion :
Condition indispensable de la réussite de l'Europe de la défense, le développement d'une politique commune des Etats en matière d'armement est donc une préoccupation majeure. Le Gouvernement se réjouit des nombreuses initiatives prises par le CED pour développer une réflexion de long terme dans ce domaine. La qualité de vos débats aujourd'hui prouve tout l'intérêt de ces démarches de concertation et d'échanges. Alain RICHARD et moi-même porterons la plus grande attention à vos travaux.
Nous avons encore du chemin à parcourir ensemble. Continuez à explorer critiquer le cas échéant, à suggérer tout ce qui favorise une Europe de la défense est bienvenue. Notamment dans le domaine des industries de défense qui progressent en évolutions technologiques profitables à toutes nos économies. Travaillons bien, travaillez mieux, la crédibilité de l'Europe est en cause.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 28 novembre 2000)