Déclaration de Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, sur les enjeux de la formation professionnelle continue et la réforme des dispositifs actuels, Biarritz le 4 décembre 2000.

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Circonstance : Séminaire européen sur la formation professionnelle continue à Biarritz le 4 décembre 2000

Texte intégral

C'est un grand plaisir pour moi d'accueillir aujourd'hui à Biarritz, dans ma région, chacune et chacun d'entre vous. Vous êtes à des titres divers hauts responsables de la formation tout au long de la vie dans nos quinze pays de l'Union européenne et dans les pays candidats. J'évoque avec une mention particulière la présence de Monsieur Lenarduzzi et de la Commission avec laquelle nous avons construit ce colloque dans le cadre de la présidence.
Je ne pensais pas, en mars 1999, au moment où j'avais lancé l'idée d'un séminaire européen sur " les bonnes pratiques " de la formation professionnelle continue, - c'était à Bruxelles, lors d'un conseil des ministres de l'emploi - que cette initiative susciterait autant d'intérêt tant au plan national qu'au plan européen, et que ce séminaire deviendrait une manifestation officielle de la présidence française. C'est dire à quel point le sujet trouve toute sa place dans l'Europe d'aujourd'hui. Mais construire ce séminaire représentait, j'en ai pleinement conscience, un pari ambitieux. Quelle que soit l'attention que les pays de l'Union européenne porte actuellement à cette question, chacun d'entre eux demeure très attaché aux spécificités de son système et la formation des adultes y est souvent l'objet de vifs débats entre les acteurs concernés. La complexité de nos systèmes et leur manque de lisibilité pour les pays voisins ne font qu'aggraver notre difficulté de dialogue au niveau communautaire.
J'étais pourtant persuadée que le pari valait d'être tenté. Ayant exercé pendant de longues années la vice présidence du parlement européen, je sais à quel point les échanges au sein de l'Union européenne peuvent être sources de progrès pour chacun de nos pays, quand ce dialogue concerne des thèmes centraux pour le devenir de nos sociétés. J'ai pu le vérifier encore récemment dans le cadre de ma seconde compétence ministérielle sur l'égalité entre les femmes et les hommes qui traverse les grands textes de la présidence française.
Ce séminaire est donc pour nous l'occasion de redonner toute sa place à l'éducation tout au long de la vie dans le dialogue entre les pays européens. Les sommets de Lisbonne et de Santa Maria da Fereira ont placé cet objectif au rang des priorités de l'Union. La Commission a préparé un memorandum que Monsieur Domenico Lenarduzzi, direction général adjoint à la direction générale Education et Culture, nous présentera tout à l'heure. Les perspectives sont maintenant tracées ; ce séminaire doit permettre de commencer à construire des pistes d'actions communes.
Vous me permettrez, au début de vos travaux de rappeler les propos de Jacques Delors qui a tant uvré, en France comme en Europe pour promouvoir cette idée d'éducation permanente. La politique de formation continue qu'il a largement contribué à promouvoir, se voulait , selon ses termes, un levier d'une évolution tranquille et profonde.
Elle poursuivait quatre finalités que je rappelle en respectant ses mots, Jacques Delors disait qu'elle devait " Permettre aux individus de faire face aux contraintes du changement économique et social en les aidant à réaliser leur reconversion professionnelle, leur adaptation à de nouvelles tâches, la mise à jour périodique de leurs aptitudes et de leurs connaissances " ;
Il disait aussi qu'il fallait " lutter contre les inégalités en offrant de nouvelles chances à tous ceux qui, à un moment donné de leur existence, avaient subi un handicap consécutif à leur origine sociale ou familiale, à l'absence de moyens matériels, voire à une erreur d'orientation " ;
Le système éducatif devait, disait-il, se transformer pour répondre aux exigences d'une société ou l'éducation doit être présente tout au long de la vie, et pour cela montrer que d'autres méthodes pédagogiques pouvaient être mises en place, de nouveaux types de relation entre formation et emploi ;
L'ambition de cette réforme était aussi un projet de société qui devait permettre à chacun d'autogérer sa vie, et donner ainsi à chacun les moyens de sa liberté, de son autonomie, de la maîtrise de son existence, en lui permettant de s'épanouir dans sa vie privée et dans sa vie collective.
Ces propos, qui datent de trente ans, demeurent d'une très grande actualité. L'évolution du contexte économique et social, qui sera exposé tout à l'heure par le Directeur du Cereq, en accroît encore la pertinence. La rapidité des changements techniques et organisationnels, la fragilité des trajectoires professionnelles, les aléas que chacun rencontre désormais dans sa vie de travail, le rôle déterminant de la gestion des compétences individuelles et collectives dans les performances économiques des entreprises, ne peuvent que nous convaincre que l'éducation et la formation tout au long de la vie est une impérieuse nécessité.
Dans la plupart de nos pays, l'effort consenti par la collectivité, par les entreprises ou par les individus eux mêmes, en faveur de la formation continue s'est encore accrue de manière significative ces dernières années.
Par ailleurs, de nombreux acteurs de la formation font preuve d'une grande capacité d'innovation ; les témoignages qui seront développés au cours des ateliers cet après midi le montrent clairement. Mais l'accès à la formation est toujours aussi inégalitaire. A 35 ans une femme accède deux fois mois qu'un homme à des actions de formation continue et un employé beaucoup moins qu'un cadre. L'univers de la formation demeure trop cloisonné, trop souvent replié sur lui même et peu propice à une réelle coopération entre les acteurs concernés.
Avec la montée du chômage et de la précarité de l'emploi, la formation a été bien souvent subordonnée à des objectifs de compétition économique et de flexibilité du marché du travail.
Aujourd'hui, avec la reprise de la croissance et de l'emploi, la formation des adultes doit jouer un rôle majeur pour répondre aux besoins de nos économies, au déficit de ressources humaines qualifiées dans certaines branches ; mais elle ne doit pas oublier de s'inscrire dans un légitime parcours professionnel et personnel de chaque salarié(e). Jamais la qualité des ressources humaines n'a été aussi décisive dans le processus de création de valeur mais jamais les travailleurs n'ont été aussi vulnérables face aux changements de plus en plus rapides des organisations du travail et aux aléas du marché.
Le temps n'est plus en effet où la nature et le niveau de la formation initiale déterminait toute notre vie. Chacun de nous doit mettre à jour en permanence ses connaissances et ses compétences. Les manières d'apprendre évoluent et bousculent les modes traditionnels de transmission et d'appropriation des savoirs et nous devons intégrer cette dimension technologique de l'information et de la communication.
Face à ces changements, chacun doit pouvoir accéder aux ressources nécessaires pour mettre à jour ses connaissances, accroître son autonomie et construire son parcours personnel et professionnel. Il s'agit là d'un investissement collectif tout aussi décisif que celui que nous avons accompli ces dernières années pour développer la formation initiale. La formation doit devenir une garantie collective fondamentale si nous ne voulons pas que le retour de la croissance soit synonyme pour certains d'exclusion et de fragilité dans la vie professionnelle et dans la vie sociale.
La rénovation de nos systèmes de formation continue constitue donc un enjeu majeur pour la plupart de nos pays . Loin de considérer l'émergence de la société de la connaissance comme une sorte de fatalité qui rendrait plus délicate encore cette réforme, nous devons la considérer comme une occasion exceptionnelle pour redonner à la formation continue toute sa portée et tout son sens.
Je n'ignore pas que les modalités de cet investissement font aujourd'hui débat. Il ne peut s'agir, à mon sens que d'une responsabilité partagée. La collectivité, naturellement, y a sa part, ne serait-ce que pour aider à la mise en place de véritables pôles d'éducation permanente, permettant à chaque adulte d'accéder aux savoirs et à la culture, mais aussi pour contribuer à donner à ceux qui n'ont qu'un faible niveau de formation initiale les moyens d'obtenir une qualification reconnue et valorisée sur le marché du travail. Les entreprises doivent également contribuer à cet investissement collectif. Elles le font déjà très largement.
Elles devront cependant de plus en plus fréquemment tenter de concilier leur préoccupation d'efficacité à court terme avec l'aspiration de leurs salariés à développer un projet personnel et un parcours de progression professionnelle.
La nécessité de mettre à jour en permanence ses compétences et ses savoirs-faire suppose des salariés plus autonomes et plus actifs dans la construction de leur projet ; elle ne saurait se traduire par un transfert sur les individus de la responsabilité de leur propre formation.
La mise en place de ce partage des responsabilités ne se fera pas selon les mêmes modalités dans les différents pays de l'union. Il me semble cependant que peuvent émerger quelques principes communs à tous et qui marqueraient la volonté de l'Union européenne de faire de la formation un facteur clé de la société de la connaissance et de l'information plus solidaire et donnant à chacun les atouts nécessaires à son épanouissement personnel et professionnel. Les objectifs d'une croissance durable de 3% , d'un taux d'activité des femmes de 70 % l'exigeront.
Le temps n'est plus où l'on disait que les femmes volaient le travail des hommes. Chacun aujourd'hui a conscience que le travail participe à la croissance , à la création de richesses et d'emplois. Cette certitude nous amène à revoir le partage des tâches de chacun, à reconsidérer la gestion de nos temps de vie familiaux, personnels et professionnels ; le temps de formation fait partie de ces temps de vie. La maternité doit devenir aussi paternité et la société s'organiser en conséquence.
Dans plusieurs domaines, le dialogue entre les pays de l'Union et les échanges de bonnes pratiques ont déjà permis de faire émerger des perspectives communes. Je pense en particulier à la validation des acquis de l'expérience, que nos partenaires européens désignent plus fréquemment comme la " reconnaissance des apprentissages informels ". Ce thème est pour moi essentiel et nous en avons fait en France un des volets de notre réforme.
Un projet de loi sera examiné par le parlement dès le mois de janvier prochain. Il résulte d'une concertation étroite avec les différents ministères concernés et les partenaires sociaux qui contribuent directement en France, comme vous le savez, à l'élaboration de la plupart des diplômes et des titres. Il permettra à chacun d'accéder directement ou au travers d'un complément de formation à une certification professionnelle en cours de carrière. Déjà en 1992, les diplômes de l'éducation nationale étaient accessibles par la voie de la validation des acquis. Nous voulons aller plus loin et en faire une véritable droit ouvert à tous. J'ai pu constater moi même sur le terrain à quel point ce droit nouveau correspond aux aspirations de très nombreux salariés ; ils souhaitent que l'expérience accumulée au cours de leur vie professionnelle puisse être régulièrement évaluée au cours de la vie professionnelle, reconnue et facteur de progrès. Des entreprises de plus en plus nombreuses en font un élément de leur politique de formation et je les y encourage.
Je sais que cette initiative rencontre un certain écho dans d'autres pays. Voilà en tous cas un thème sur lequel les échanges peuvent être très riches. Un des ateliers de ce séminaire y est d'ailleurs consacré.
Nous avons certainement bien d'autres sujets d'enrichissement réciproque et bien d'autres projets communs. Ils se concrétiseront notamment à travers l'agenda social qui sera adopté la semaine prochaine à Nice et qui accorde une large place au thème de l'éducation et de la formation tout au long de la vie.
La présidence suédoise, aura à cur, j'en suis certaine, de prolonger ces initiatives et d'apporter sa propre contribution au dialogue européen sur ce thème.
Je souhaite également que les partenaires sociaux européen débattent de ce sujet et qu'ils contribuent à établir progressivement ce cadre commun nécessaire à l'ensemble des pays européens en matière de formation tout au long de la vie.
Quelle que soit la responsabilité des Etats dans ce domaine, rien ne pourra se faire sans leur implication et sans qu'ils aient eux mêmes décidé d'en faire une composante essentielle des relations du travail.
La formation professionnelle continue est un outil essentiel pour la compétitivité européenne pour construire cette société de la connaissance et de l'information, richesse première d'une croissance soutenue et durable.
Dans le préambule à mon livre blanc sur l'état de notre système de formation professionnelle de mars 1999, j'écrivais que " Je souhaitais que la France tire parti de l'expérience des autres pays de l'Union européenne, que le pari du développement des compétences, le pari de l'intelligence et du développement de la ressource humaine ne se gagneront pas seulement au niveau français mais au niveau européen, et que nous devions nous inscrire dans ce mouvement tout en préservant notre spécificité ". Nous sommes à ce moment que j'attendais.
Je souhaite un bon travail à tous. Le cadre de Biarritz, du pays basque contribueront, je le sais, à rendre votre séjour agréable, je vous invite à en profiter et à y revenir.
(Source http://www.travail.gouv.fr, le 5 décembre 2000)