Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur la création artistique dans le domaine du graphisme, Paris le 12 décembre 2000.

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  • Michel Duffour - secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle

Circonstance : Inauguration de l'exposition "Etienne Robial, un regard carrément moderne" à Paris le 12 décembre 2000

Texte intégral

Madame la Directrice,
Monsieur le Délégué au Arts Plastiques,
Monsieur le Commissaire général de l'exposition
Monsieur Etienne ROBIAL,
Mesdames, Messieurs,

Avant toute chose, permettez-moi de remercier Madame Marie-Anne COUVREU, responsable de cet espace entièrement dédié à la création graphique, pour son invitation. Vous m'offrez en effet, Madame la directrice, non seulement l'occasion de saluer une exposition remarquable, mais également celle de rappeler l'importance du graphisme.
Pour emprunter une métaphore le graphisme est, comme ce papillon, dont les battements d'aile à la surface de l'océan peuvent provoquer un raz-de-marée à l'autre bout de la terre, un art du détail qui peut réellement produire de grands effets sur notre environnement, en influençant, souvent à notre insu, notre manière de voir le monde.
Cet art demeure encore étrangement méconnu en France. Il mérite pourtant qu'on lui accorde la plus grande attention. Il est peut-être la première des disciplines artistiques que nos concitoyens, quotidiennement, de l'écran au spectacle de la rue, savent apprécier, alors même que nombre d'entre eux se considèrent étrangers à la culture et aux arts. Ce n'est pas à vous, ici, que je l'apprendrai, le graphisme n'est pas uniquement l'art de l'affiche, dont les lettres de noblesse sont depuis longtemps reconnues dans notre pays. C'est également -et on pourrait presque dire surtout- la conception de systèmes visuels qui jouent un rôle de plus en plus grand dans notre environnement.
Qu'ils s'agissent de la mise en page des imprimés émanant d'une entreprise, de la signalétique d'un musée, ou de l'habillage d'une chaîne de télévision, l'intervention graphique est omniprésente ; elle fabrique du sens, en tissant un lien invisible entre les individus. Le graphisme est une discipline artistique à part entière qui possède un pouvoir, celui de former le regard, et sa reconnaissance nous incite à convenir ensemble que, dans un monde d'images et de signes, où l'information s'échange instantanément, seules la qualité et la pertinence des images peuvent constituer des garde-fous à l'illusion ou à la manipulation.
L'apparition d'un graphisme de haut niveau dans le champ des nouveaux médias fait la preuve que l'on peut être populaire sans rien céder des exigences artistiques. Parce qu'il est sans doute l'un des plus fervents défenseurs de cette conception du graphisme, et qu'il a su sensibiliser les professionnels de la télévision à l'architecture des systèmes visuels, je veux saluer ce soir le parcours d'Etienne ROBIAL.
Sans préjugé il a su transposer, dans l'univers en pleine expansion du petit écran, les acquis et les inventions de sa discipline, en imposant, au cur des modes de production moderne des images, des règles élémentaires de fabrication de celles-ci. Il est paradoxal mais vrai qu'à la télévision, on ne prêtait pas énormément d'attention aux images, et qu'il aura fallu son travail -avec celui de quelques autres- pour qu'une prise de conscience s'opère et que des images d'une qualité inédite pénètrent dans de très nombreux foyers.
Etienne ROBIAL a donc su adapter à l'écran ce qu'il avait déjà magistralement inscrit dans le champ de l'édition, et plus particulièrement dans le cadre des éditions Futuropolis consacrées à la découverte de la bande dessinée moderne. Avant lui, évidemment, de nombreux graphistes se sont préoccupés d'un art proche, lié aux comportements, aux déplacements, un art compagnon de l'il. Aux yeux de ces créateurs, la qualité d'un document administratif valait autant que celle de la façade d'un monument prestigieux.
Les avant-gardes du début du siècle croyaient en effet au progrès et aux techniques et si leurs travaux ont pu être en partie dénaturés par la standardisation et la propagande totalitaire, il n'en reste pas moins qu'ils ont fait école, que leur exemple s'est perpétué et qu'une tradition s'est constituée à laquelle le graphisme est redevable. A n'en pas douter, vos travaux, Etienne ROBIAL, s'inscrivent dans cette tradition, l'enrichissent et prennent à leur tour une dimension patrimoniale dans la mesure où ils forment une étonnante passerelle entre la tradition et la modernité, entre l'univers de l'imprimé et celui, de plus en plus présent, de l'écran.
C'est cette culture graphique d'auteurs que nous nous devons de soutenir, de promouvoir et de transmettre, car si elle a pour vocation d'éduquer des regards, son appropriation permet aussi d'aiguiser l'esprit critique... Celui des professionnels du graphisme, des commanditaires, des praticiens d'autres disciplines, mais celui, aussi, du responsable politique et plus largement du simple citoyen qui quotidiennement, dans une société comme la nôtre, est bombardé de signes sans toujours posséder les armes lui permettant de les déchiffrer.
Lui offrir ces codes: là est le véritable défi.
Je veux, ici, rappeler l'engagement du Ministère de la Culture en matière d'éducation à l'image, de soutien à la création et de transmission de notre patrimoine.
Il y a tout juste dix ans, vous le savez, une mission pour " le graphisme d'utilité publique " a été créée au sein de la Délégation aux Arts Plastiques et confiée à Madame Marsha EMMANUEL, dont chacun ici connaît les qualités professionnelles et l'opiniâtreté dans la défense de la création.
Indéniablement, cette mission a contribué à sensibiliser le domaine public de l'intervention graphique. Elle a notamment souligné, auprès des responsables de la communication des principales institutions françaises les exemples probants, en France comme à l'étranger, de systèmes visuels qui facilitent et embellissent la vie citoyenne. Elle soutient des projets et des manifestations qui contribuent à la qualité de l'environnement visuel et, chaque année, publie un calendrier du graphisme qui livre une information complète sur les événements à venir tout en offrant un espace de réflexion sur la pratique même de cette discipline.
Parallèlement, d'autres initiatives en faveur du graphisme se sont développées pour l'essentiel en région, avec le soutien de l'Etat et des Collectivités territoriales. Loin de la capitale, les villes de Chaumont et d'Echirolles sont ainsi devenues de véritables pôles du graphisme, en accueillant non seulement les créateurs les plus prestigieux mais également en développant des actions en direction des écoles, en rayonnant sur leurs territoires, et en engageant une véritable réflexion sur " le graphisme d'utilité publique" au niveau local.
A Paris, des manifestations consacrées à cette discipline ont également connu une audience importante.
On peut ainsi désormais affirmer, qu'en 10 ans, le graphisme a peu à peu acquis droit de cité en France. Reste que si des avancées sont nettement perceptibles, beaucoup reste encore à faire, notamment au regard de l'expérience de nos voisins anglo-saxons. La sensibilisation au graphisme doit en effet être constante, et soutenue, pour donner des fruits durables. Et ce d'autant que bien des mauvaises manières ont été prises dans le champ de la communication visuelle et ne seront pas évacuées en un jour.
Le domaine public est d'ailleurs loin d'être protégé des effets de mode.
Et pourtant, il a une grande responsabilité, celle que l'on retrouve dans un ouvrage publié en 1988, intitulé " Images d'utilité publique ", qui nous rappelle que " l'Etat doit réfléchir sur la nature et sur la forme des documents qu'il produit. Car il n'est pas seulement le garant du droit du citoyen à recevoir une information claire et efficace. Il est aussi responsable du paysage quotidien et son rôle est d'améliorer la qualité esthétique des images, de promouvoir le plaisir de voir." C'est une idée que je partage pleinement.
Je ne vous ferai aucun effet de manche, ce soir. Je veux juste vous dire mon souci : il faut que le graphisme soit davantage reconnu dans notre pays, et que son inscription dans les enjeux de la cité soit effective. Les graphistes ne sont en effet pas de simples prestataires de service mais bel et bien des créateurs à part entière. Je vais donc faire en sorte qu'une réflexion soit engagée par les services du Ministère de la Culture sur la manière de donner un nouvel élan aux expériences, notamment décentralisées, conduites par ces villes pilotes que j'évoquais à l'instant, afin que cette discipline artistique rayonne davantage à travers tout le pays.
Cela passera peut-être par une mise en réseau de tous les lieux engagés dans la promotion du graphisme et dans la formation de jeunes créateurs ? Peut-être par la mise à disposition dans les écoles d'outils pédagogiques? Ou peut-être par une incitation plus forte auprès des FRAC pour qu'ils réservent une place plus importante à cette discipline ?
Nous allons, en tout cas, travailler avec la Délégation aux Arts Plastiques, dans la perspective de la rencontre de l'Alliance Graphiste Internationale qui doit avoir lieu, à Paris, à l'automne prochain. Je souhaite plein succès à cette discipline artistique. Nous ne ménagerons pas nos efforts pour l'encourager.
Je vous remercie pour votre attention.

(Source http://www.culture.gouv.fr, le 13 décembre 2000)