Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur la réforme des armées et l'évolution des relations internationales depuis la fin de la guerre froide, la place de l'Europe face à la puissance américaine, la réduction des industries d'armement, et le maintien de la paix et la coopération militaire européeenne, Paris le 26 novembre 1998.

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Circonstance : Assises nationales des fédérations CGT de la Défense et de la Métallurgie à Paris le 26 novembre 1998

Texte intégral

Je suis heureux de répondre à votre invitation pour participer au débat que vous organisez sur la défense. Ce sujet concerne en effet tous les citoyens bien que je sois obligé de constater que nous n'avons pas énormément d'occasions d'en discuter. Mais, vous le savez aussi bien que moi parce que vous êtes concerné par ces questions, la réaction spontanée de beaucoup de Français n'est pas de s'engager sur ces thèmes. Moi, je vais à la rencontre de ceux qui souhaitent le débat et qui le mènent. Et je trouve que c'est bien de la part d'une grande organisation syndicale comme la vôtre d'ouvrir ces questions dans toute leur ampleur.
Pourquoi a-t-on une défense ? Par rapport à quel risque ? Par rapport à quelle menace l'organise-t-on, et quels sont les moyens qu'on se donne pour cela ? C'est ce dont je voudrais vous parler.
Deux choses fondamentales ont changé en 89-90.
Le conflit de taille mondiale le plus probable, celui auquel notre défense se consacrait depuis plus de trente ans, a été aboli. L'ennemi a disparu. Tous ceux qui sont dans le métier savent très bien que le centre de notre stratégie, et cela était exprimé de façon on ne peut plus nette dans les lois de programmation successives, était de faire face à une menace venant de l'autre côté du rideau de fer. C'est en fonction de cela que, pendant des décennies, nos commandes de défense et l'organisation de nos forces armées ont été conçues. Cela s'est arrêté. A ce moment, beaucoup de gens ont pensé qu'on allait vers un monde de paix, avec moins de risques et de menaces et que nous étions par conséquent entrés dans une phase de désarmement structurel.
Les deux ou trois années qui ont suivi ont suffi à montrer que la fin de la guerre froide avait en réalité retiré un couvercle sur un ensemble de conflits latents, souvent contenus par la pression des deux superpuissances. En réalité, on a vu germer, exploser à différents points du monde, des conflits certes plus locaux, mais pouvant avoir une contagion importante, posant en outre des problèmes de valeur, qui ont interpelé les nations démocratiques et qu'on ne pouvait pas laisser à l'écart. L'exemple le plus frappant pour les Européens, et plus particulièrement pour les Français, a été évidemment le conflit d'éclatement de la Yougoslavie avec les actes de massacre qui ont été perpétrés en Bosnie pendant plusieurs années. Cela a conduit à des manifestations d'indignation démocratique de plus en plus fortes parce que les citoyens ne comprenaient pas que les nations européennes, pacifiques mais disposant de moyens armés importants, ne s'engagent pas pour mettre fin à ces massacres. Il a fallu deux ou trois ans pour que les Européens se mettent d'accord, et pour que l'ensemble de la communauté internationale adopte un certain nombre de résolutions afin d'établir de force la fin des combats en Bosnie. Nous y sommes encore. Il n'y a plus de combats en Bosnie mais l'appréciation partagée par les 40 puissances qui ont consacré ensemble des moyens militaires au maintien de la paix en Bosnie est de rester en ce pays plusieurs années pour que la reconstruction d'une capacité de vie en commun de ces communautés qui se sont déchirées devienne une réalité.
La Bosnie est un prototype. Mais on peut en citer bien d'autres. Vous savez qu'il y a trois zones de crises principales à l'heure actuelle dans le monde. L'Afrique d'abord : il y a en permanence quatre, cinq ou six conflits armés, souvent d'une très grande violence sur ce continent. Le sud-est de l'Europe, ensuite : aujourd'hui il n'y a que deux conflits armés, parce que plusieurs des conflits intercommunautaires qu'il y avait en Europe de l'Est ont pu heureusement être résolus par la négociation et par le compromis. Et il faut en féliciter ceux qui ont réussi à le faire. Troisièmement, le Proche-Orient avec des prolongements de zones d'instabilité dans la frontière sud de ce qui était antérieurement l'Union Soviétique. Vous vous rappelez très bien le grave conflit de la Tchétchénie avec ses drames humains. Il y a en permanence des conflits armés en Géorgie, en Arménie, dans le Caucase...
Cela veut-il dire que le dispositif de défense français doit être démantelé ou réorienté ? La question est posée par la nouvelle nature de ces conflits : nous contenterons-nous de bonnes paroles ? Est-ce que nous nous contenterons d'aller chercher nos ressortissants quand ils sont menacés ? Laisserons-nous faire les massacres ? Cela pose une question à tous les citoyens : quel degré de responsabilité doit-on prendre pour faire face à des drames comme ceux-là ? Quels moyens se donne-t-on pour agir ?
La raison principale de la réforme des armées que je suis en train de mener vise à ce que le système de défense nécessaire à un pays qui veut prendre ses responsabilités aux côtés d'autres, pour mettre fin ou rétablir la paix dans des endroits où elle est menacée par la violence, soit une armée beaucoup plus mobile, beaucoup plus déployable, et plus petite aussi. En effet, je crois qu'il faut dire qu'aujourd'hui nous ne percevons pas à moyen terme de menaces militaires sur l'intégrité de notre territoire. Nous n'en voyons aucune. Je ne discerne pas quelle serait aujourd'hui la puissance armée dont on pourrait dire qu'elle a la moindre possibilité ou velléité de s'attaquer à la France et à son territoire.
Ce sont là de vrais thèmes de débats, et je suis convaincu que nous devons en parler. Vous avez des opinions différentes de celles que j'exprime. C'est tout à fait normal. Mais les faits dont je parle sont des faits. Cela fait plus de trente ans que je milite en politique et j'ai toujours considéré que le premier devoir d'un militant était de ne pas tricher avec les faits. C'est ce que j'essaie de faire avec vous.
Je parle sereinement, en m'adressant en citoyen à des citoyens ; je suis tout à fait convaincu que nous pouvons dialoguer en nous comprenant, y compris en nous opposant. J'essaie de mettre quelques nuances, quelques interrogations dans ce que je pense et dans les options que je propose au Gouvernement. Peut être aussi de votre côté peut-il y avoir un certain nombre d'interrogations, de mises en débat. Il m'a semblé que c'était l'état d'esprit dans lequel plusieurs d'entre vous s'étaient exprimés tout à l'heure.
En ce qui concerne l'Europe, cela fait maintenant plus de 40 ans que notre pays a choisi de mettre en commun de plus en plus d'intérêts et d'objectifs avec les autres pays de l'Union Européenne dans tous les domaines. Nous avons longtemps été en difficulté sur beaucoup de thèmes de politique étrangère parce que nous n'avions pas les mêmes visions. Quand je regarde les vingt dernières années, je constate que les choses ont, insensiblement mais très nettement, progressé. On n'en a pas forcément conscience mais il est clair qu'il y a beaucoup plus de thèmes, de conflits sur lesquels les Européens sont aujourd'hui capables d'avoir des positions communes. Il y a 20 ans, poser la question d'une démarche commune des Européens dans le conflit du Proche-Orient était l'assurance d'avoir 15 positions différentes. Aujourd'hui, quand il revient de Wye Plantation, Yasser Arafat se rend au sommet européen, il discute avec les 15 et constate que les 15 soutiennent la position des Palestiniens par rapport à leur indépendance. Ce sont des choses qui montrent que l'Europe est en train de prendre sa place comme acteur international.
Je vais maintenant évoquer les rapports avec les Américains. D'abord, nous sommes depuis 50 ans alliés des Américains. Notre pays a signé le traité de l'Alliance Atlantique. Nous ne l'avons jamais remis en question. Personne. Nous avons nos différences, nous avons notre volonté d'indépendance vis-à-vis des Américains, mais ce ne sont pas des adversaires.
La question centrale est de savoir s'il y a une superpuissance et des nains ou s'il y a un équilibre entre plusieurs forces capables de jouer un jeu mondial dans le sens de la paix et de la coopération. Il n'y a qu'à voir quelle est l'attitude des Etats-Unis vis-à-vis des élus de la République Populaire de Chine. Il y a d'énormes oppositions d'intérêt et de valeur entre la Chine et les Etats-Unis, mais il y a un dialogue, et un certain nombre de recherches de compromis pour régler les problèmes. C'est un dialogue de puissance à puissance. Que voulons-nous pour l'Europe ? La cacophonie de 15 pays qui défendent chacun leurs idées et qui, par conséquent, se prêtent à un jeu de marionnettes dans lequel naturellement les Etats-Unis, pour se simplifier la vie, pour avoir un leadership sur un ensemble plus large, vont jouer les uns contre les autres, ou bien la capacité à se rassembler de plus en plus et à défendre des positions communes ? Regardez la différence entre le déroulement de ce qui s'est passé dans la crise bosniaque et dans la crise du Kosovo. Dans la crise bosniaque, nous avons mis 3 ans à nous mettre d'accord entre Européens. Le résultat concret fut que l'accord par lequel on s'est efforcé de développer un retour à la vie normale en Bosnie fut entièrement dessiné par les Etats-Unis. Et c'est ce qui a fait que tous les Européens ont depuis lors, réclamé ensemble que la force commune en Bosnie comporte une composante américaine importante. Dans le cas du Kosovo, il a fallu 2 mois aux Européens pour adopter la même position. Ce sont les Européens qui ont fixé le cadre du règlement pacifique de cette question sans déséquilibrer toute l'Europe de l'Est, c'est-à-dire en ne créant pas un pays chaque fois qu'il y a un groupe ethnique qui demande son autonomie. Ce sont la France et la Grande Bretagne qui ont fait adopter par les Nations Unies la résolution qui fixe le cadre de règlement du conflit du Kosovo. C'est aujourd'hui une force européenne qui est dirigée par un militaire français et qui contribuera à la sécurité des observateurs qui font respecter cet accord. Là encore, ce sont des choses qui progressent. Mon rôle est de montrer que l'Europe est capable de faire ce type de choses.
J'en viens aux questions de l'armement. Est-ce que les moyens d'armement prévus pour la grande bataille au centre de l'Europe sont les mêmes que ceux dont nous avons besoin pour des actions, souvent menées en alliance, dans des conflits de faible dimension mais de très grande violence avec, souvent, une connotation ethnique et religieuse ? Est-ce que ce sont les mêmes systèmes d'armes ?
La plupart des pays qui ont la capacité d'acheter des armements ont réagi comme nous. Ils ont massivement réduit leurs dépenses d'armement. En ce qui nous concerne, si je tiens compte de l'inflation, les dépenses d'acquisition de matériels militaires de la France ont baissé d'un peu plus de 25 % depuis 1990. Il y a un pays qui les a davantage baissées, ce sont les Etats-Unis. Mais il est vrai qu'ils étaient les plus armés.
Quand nous agissons dans les conflits et que nous risquons la vie des militaires, l'objectif est naturellement d'acquérir la supériorité avec le moins de perte pour nos forces et pour les gens d'en face. Le degré d'intelligence qu'il y a dans les armes est en progression constante, ce qui veut dire que la façon de les fabriquer a totalement changé depuis 10 ou 20 ans. D'une part, il y a de plus en plus d'électronique et d'informations dans tous les systèmes d'armes, quels qu'ils soient. D'autre part, une partie de ces technologies sont communes avec le secteur civil si bien que la part de l'effort de recherches militaires qui était traditionnellement un des " boosters " de l'économie française comme de l'économie américaine a proportionnellement baissé. Ceci dit, la France et la Grande-Bretagne sont encore les deux pays européens qui font un vrai effort de technologies et de recherches en matière de défense. Il représente 21 milliards de francs dans le budget d'équipement de la France, à peu près autant pour nos amis britanniques. L'ensemble des autres pays de l'union européenne, à eux 13, dépensent nettement moins que la France et la Grande-Bretagne réunies. Résultat des courses, la capacité d'investissements aujourd'hui en innovation et en développement sur les matériels militaires, (cela a aussi des effets sur le domaine civil) est quatre fois plus faible pour l'ensemble de l'Europe que pour les Etats-Unis.
Que faut-il faire ? Garder chacun son quant à soi ou essayer de regrouper les forces ? Cela prend naturellement des formes différentes suivant les métiers ou les types d'industries, mais ce qui est en jeu, c'est la survie de ces entreprises. Je voudrais vous convaincre que le gouvernement ne mène pas cette politique de rapprochement, de coopération, voire de fusion entre un certain nombre d'éléments de l'industrie de défense, simplement par agrément ou par idée théorique, mais parce que nous avons acquis la conviction, et c'est le sentiment de tous les gouvernements européens, que c'est la seule possibilité pour l'Europe dans les 10 ou 20 ans à venir d'avoir une industrie de défense qui soit maîtresse de ses propres projets et qui ne soit pas la sous-traitante des industries américaines. Nos partenaires américains ne s'en cachent pas. Ils ont un projet, ils en ont pris les moyens. Et il n'y a pas de vraisemblance que chaque pays européen avec une taille 10 ou 15 fois moindre que celle des Etats-Unis, soit dans la course lorsqu'il y a des investissements de technologies qui se montent parfois à des dizaines de milliards de francs.
En dernier point, nos industries doivent toutes devenir des industries durables. Plusieurs personnes ont dit qu'il fallait faire travailler ensemble le civil et le militaire : c'est notre politique. Pour Thomson par exemple, il faut qu'on aille plus loin. Aujourd'hui Thomson fait 30 % de son chiffre d'affaires dans le civil, je préférerais que ce soit 40. Aérospatiale est exactement l'exemple que je veux décrire. Nous avons été capables, il y a maintenant 20 ans, de mettre en commun nos moyens d'investissements pour créer Airbus. Nous sommes partis d'une situation de domination presque inconditionnelle de Boeing sur le marché de l'aviation civile, de l'aéronautique de transports. Aujourd'hui, nous sommes à 50 %. Est-ce que quelqu'un pense que l'Aérospatiale toute seule, que British Aerospace tout seul, que Dasa tout seul aurait pu le faire ? 50 % du marché mondial ! C'est une politique difficile : il doit naturellement y avoir des négociations, un ensemble de mesures d'accompagnements. Cette politique permet à des groupes industriels puissants d'être à la fois présents sur le marché civil et militaire, c'est-à-dire de ne pas plonger quand le domaine militaire baisse, mais au contraire de gagner des marchés sur le civil, comme a su le faire Aéropatiale et comme d'autres savent le faire. Cette politique doit être accompagnée de mesures de soutien régional. 700 millions de francs, (500 millions de francs en 98, 700 millions de francs en 99) vont être consacrés à ce soutien. Les emplois aidés par les mesures d'interventions et financés par la défense étaient de 700 en 1997 et seront de 1500 en 98. Il faut qu'on aille beaucoup plus loin.
Mais pendant ce temps, la perte d'emplois des industries de défense est en train de se ralentir. On a perdu plus de 10 000 emplois par an au cours des 4 dernières années dans l'industrie de défense ; on en a probablement perdu entre 6 000 et 7 000 en 98. Aujourd'hui le rythme de pertes d'emplois s'est ralenti en grande partie parce que précisément les phénomènes de regroupements et de coopérations entre métiers différents sont en train de montrer leurs résultats.
Je crois qu'il faut que nous continuions. Tout cela doit être négocié et discuté avec les citoyens. Il y a des projets différents qui se confrontent mais je veux simplement dire que j'apprécie votre capacité de dialogue et nos échanges fructueux : sur certains points, vous me convaincrez peut-être et j'espère que, sur d'autres points, c'est moi qui vous convaincrai.
Il y a deux points sur lesquels je veux revenir. Le premier concerne le thème de l'indépendance, Europe, Alliance Atlantique. J'ai été tout à fait d'accord avec la personne qui a dit : " il est bien entendu que la construction européenne à laquelle nous voulons travailler, en négociant et en passant des accords avec d'autres gouvernements démocratiques, ne doit pas passer par-dessus les identités nationales ". Il n'y a pas de transfert de souveraineté. Il y a simplement une volonté politique d'essayer d'appliquer nos moyens à des situations que nous trouvons scandaleuses et inacceptables. Il y a en effet des situations qu'on ne peut pas laisser en Europe sans réagir, même si ce n'est pas sur notre territoire. L'Europe que nous voulons construire, et que nous construisons avec beaucoup de prudence, prend énormément de temps. C'est la raison pour laquelle nous réaffirmons, le Premier Ministre l'a rappelé encore récemment, qu'il est parfaitement légitime pour la France de rester en dehors de l'organisation intégrée de l'Alliance. Ce choix a été fait par le gouvernement dès son entrée en fonction au mois de juillet 97. Le Président de la République avait, sous l'ancienne majorité, mené une discussion sur une possible réintégration de la France dans l'organisation militaire de l'Alliance atlantique. Il était lui-même arrivé à la conclusion que les objectifs qu'il s'était fixés ne pouvaient pas être atteints parce qu'il n'y avait pas d'accord de la partie américaine. Le gouvernement a apporté son avis qui s'opposait à la réintégration de la France dans l'organisation militaire de l'OTAN. Cela restera une position durable. Donc l'Europe dont nous parlons est une Europe dans laquelle il n'y a pas d'abandon de souveraineté en matière de défense, mais des décisions prises librement en commun. Evidemment, nous devons chercher à agir le plus possible en convergence, mais sans abandonner d'élément de souveraineté. Je crois qu'il faut que ce soit très clair. Et c'est une Europe dans laquelle chacun garde son autonomie par rapport au système de défense.
Sur la question du poids économique, il est vrai qu'il y a une démarche de domination de la part des Etats-Unis sur le plan industriel. Mais quelles conclusions en tirons-nous ? La dispersion des Européens n'est pas la meilleure réponse.
Le deuxième point sur lequel je voudrais argumenter est le regroupement des capacités industrielles et technologiques françaises : c'est la politique du gouvernement. On peut discuter sur les modalités, sur les méthodes ou sur le cheminement qui a fait qu'un ensemble d'entreprises a été regroupé autour de Thomson et un autre autour d'Aérospatiale-Matra. Mais la stratégie consiste à regrouper les capacités françaises pour avoir le meilleur rapport de force possible. Si nous devons entrer dans des alliances industrielles européennes, c'est pour avoir la possibilité de mettre ensemble le maximum d'investissements afin de pouvoir développer les projets de l'avenir. Ce compromis européen se fera sur la base d'un rapport de forces avec des capacités françaises suffisantes. Le gouvernement, qui est le premier actionnaire de ces entreprises, a exprimé en plusieurs occasions qu'il ne sera pas favorable à des accords de fusions ou d'alliances dans lesquels les intérêts des entreprises françaises n'auraient pas leur place entière. Or, nous considérons que cette place est la plus importante d'Europe, compte tenu de notre niveau technologique. Par conséquent, nous ne sommes absolument pas liés par une alliance automatique et nous avons regroupé nos capacités de manière à pouvoir tenir le rapport de forces.
Je conclus en rappelant simplement que ce gouvernement est le premier de la décennie qui a de nouveau augmenté les dépenses d'acquisitions du budget militaire. Entre 98 et 99, nous remontons de 81 à 86 milliards de francs. L'ensemble des commandes, en particulier de la Marine, a été entièrement préservé. Il est vrai que nous subissons une pression financière. Mais nous avons eu la volonté politique de dire à la fois pour des raisons de défense et pour des raisons industrielles qu'"il nous faut faire un effort". Pour vous donner une idée de comparaison, nous dépensons en acquisition de défense deux fois et demi ce que dépense l'Allemagne fédérale, qui est un pays plus riche que nous, et trois fois et demi ce que dépense l'Italie. Nous ne renonçons donc pas à nos responsabilités, et nous appelons au contraire les autres Européens à prendre le plus possible les leurs.
Un dernier mot, parce que naturellement je dois répondre à ceux qui m'ont dit : "vous prenez ces décisions mais c'est d'autres qui souffrent". Quand on accepte de participer à un gouvernement, on sait qu'on a à faire face à des problèmes qu'il faut traiter en conscience. Les décisions que je prends sont toujours discutées et accompagnées de mesures exemplaires. Beaucoup de ceux qui sont intervenus dans ce débat savent que nous avons négocié et discuté. J'ai écouté les avis de chacun sur un grand nombre de sujets. Mais à la fin, il faut bien qu'une décision soit prise. Quand je propose au gouvernement des décisions que je sais difficiles, je me rappelle aussi que le rôle de ce gouvernement est non pas de réfléchir simplement à son intérêt et à sa popularité dans l'instant mais aussi de faire ce qui doit être fait pour les 10 ou 15 ans à venir, y compris pour les enfants des gens concernés. En renforçant le consortium économique et en rendant ces entreprises compétitives, on assure une capacité de peser sur l'avenir et de créer des produits nouveaux dans le domaine civil et militaire. Ce sont des décisions difficiles. Je les assume. Mais sachez que j'essaie vraiment de les prendre dans l'intérêt général.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 17 septembre 2001)