Interview de M. François d'Aubert, vice-président de Démocratie libérale, à France 2 le 19 décembre 2000, sur l'examen de la proposition de loi organique sur l'inversion du calendrier électoral.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

G. Morin : Derrière A. Madelin, avec les députés Démocratie Libérale, vous allez voter aujourd'hui et demain contre l'inversion ou la remise en ordre du calendrier électoral. Pourquoi cette attitude contre ?
- "On est résolument contre tout simplement parce que - ça a été dit un peu partout mais c'est vrai que - c'est une manip' de Jospin, le Premier ministre, parce que sans doute a-t-il peur de perdre les élections législatives puisqu'elles arrivent avant et c'est une sorte de refus de voir son bilan soumis au vote des Français. En plus, cette affaire ne changera pas grand chose dans le système. Ce n'est pas cela qui empêchera la cohabitation. Tous les arguments qui ont été donnés par les constitutionnalistes - certains constitutionnalistes qui sont pour - à mon avis ne valent pas grand chose. En revanche, moi, ce qui me fait peur, ce qui nous fait peur, c'est un renforcement du pouvoir présidentiel, parce qu'il y a un risque effectivement, si vous avez le Président de la République qui est élu d'abord, dans la foulée les législatives"
Forcément de la même couleur, vous pensez ?
- "Pas forcément mais avec l'expérience des dissolutions, on l'a eu avec Mitterrand, à chaque fois c'était effectivement la même couleur. Donc ça donne à ce moment-là une espèce de bloc très fort mais ce qui est changé par rapport au passé récent, c'est que maintenant le mandat du Président de la République est de cinq ans, donc ça veut dire que tout coïncide et que ça coïncide trop, on a 5 ans de mandat présidentiel, 5 ans de mandat pour les législatives, donc un bloc, donc pas de contre-pouvoir."
V. Giscard d'Estaing dans Le Monde dit : il faudrait peut-être faire les deux élections en même temps. Est-ce que ce n'est pas une solution pour se sortir de ce pétrin ?
- "Je crois que cela reviendrait un petit peu au même mais là vraiment on changerait de système mais on irait encore plus vers davantage de présidentialisation. Or, moi je suis convaincu que "
Pourtant on les met à égalité si on les fait en même temps, donc c'est une présidentielle parlementaire
- "Oui mais l'esprit démocratique, pas forcément celui de la Vème République, c'est d'avoir deux piliers : un pilier présidentiel élu au suffrage universel, un pilier parlementaire élu au suffrage universel pour l'Assemblée nationale. Bon, si ces deux piliers sont élus le même jour, il y a une espèce de confusion entre les deux. Ce qui est important, c'est que ça soit à des dates différentes et que chacun ait au fond une certaine autonomie, c'est ça le vrai sens d'un équilibre des pouvoirs."
Vous ne croyez pas aux chances d'A. Madelin finalement pour la présidentielle parce que si par exemple il était élu ou si un ami à lui était élu, cela entraînerait tous les députés ensuite dans la foulée.
- "Il est évident que je crois aux chances d'A. Madelin pour les élections présidentielles, mais ce que je crois surtout c'est que quand A. Madelin nous dit qu'il y a une sorte de crise institutionnelle, que l'on devrait avoir une VIème République, c'est vrai qu'il a raison parce que depuis 40 ans, on vit exactement dans le même système institutionnel. Simplement on s'aperçoit qu'il est à bout de souffle donc on n'arrête pas de faire des espèces de retouches"
Oui, on aménage de ci, de là.
- "Mais enfin, c'est la Constitution, ce n'est pas un bricolage de voiture de rallye."
Vous dites qu'il faudrait faire un changement global, important, et pas des petites touches comme on les fait actuellement et comme on est en train de les faire et peut-être de continuer dans les mois qui viennent.
- "Oui, parce que les Français n'ont pas de vue d'ensemble, ils on l'impression d'être un petit peu menés en bateau. Il y a eu le référendum : résultat positif, mais abstention énorme. Cela veut dire que les Français n'aiment pas qu'on raisonne comme ça par petites touches. Je crois que l'on est en face, vraiment, en ce moment, d'une évolution profonde. Est-ce que le système des partis tel qu'il a été mis en place en 1959/1960, avec un parti dominant, quel qu'il soit, à gauche comme à droite et des partis autour, est-ce que c'est un système qui est viable, est-ce que c'est un système qui ne va pas être ébranlé aussi par les affaires ? C'est une vraie question."
Vous seriez d'accord pour introduire un peu de proportionnelle dans les scrutins nationaux, législatifs ?
- "Je suis surtout pour un système de contre-pouvoir. Alors, il ne faut pas non plus tomber dans une cohabitation systématique. Là, il y a effectivement une espèce d'équilibre mais qui n'est pas non plus très sain parce qu'il empêche de bien gouverner. Donc il faut à la fois un système qui permette de gouverner avec la stabilité et l'autorité mais qui ne soit pas celui d'une hyper concentration autour d'un système ultra majoritaire."
Que pensez-vous de l'attitude de l'UDF qui en partie soutient cette remise en ordre, comme ils disent, du calendrier ? Il y a une collusion en vue à votre avis ?
- "Je ne crois pas qu'il y a un système d'alliance PS/UDF en vue, parce que Jospin n'en veut pas et qu'à l'UDF ce n'est pas non plus dans l'air du temps"
Cela ferait exploser la maison.
- "Oui, je crois, mais ce n'est pas non plus dans l'air du temps. Ni F. Bayrou ni d'autres responsables ne souhaitent un ralliement à Jospin. Néanmoins, cette réforme, cette inversion du calendrier ne va pouvoir passer - on verra cet après midi - que grâce à quelques voix de l'UDF. Alors je trouve que c'est un petit peu dommage alors qu'on pouvait mettre en échec, avec une opposition unie, une réforme qui est quand même manipulée, demandée par Jospin - c'est lui qui est demandeur. On pouvait la mettre en échec. Là, il y a de fortes chances qu'elle passe."
Un dernier mot, F. D'Aubert, êtes-vous ami avec J. Toubon et que pensez-vous de ce qui lui arrive ?
- "Je trouve cela très malheureux ce qui lui arrive."
Pour être clair : J. Toubon mis en examen ne peut pas être chef de file des séguinistes dans le 13ème arrondissement dont il est le maire, il se retire.
- "P. Séguin a une position qui est ferme, qui est éthique, qui est morale. Le problème c'est de savoir pourquoi certains hommes politiques sont mis en examen. Je ne vais pas entrer dans le fond de la question de J. Toubon, mais enfin vous avez vu, c'est une affaire à rebondissements, il n'était plus mis en examen, il a été remis en examen - je dirais presque comme par hasard - quelques mois avant les municipales. Donc je trouve que J. Toubon est un petit peu victime du système."
Il y a beaucoup de victimes en ce moment.
- "Oui, beaucoup."
(Source http://sig.premier-ministre gouv.fr, le 19 décembre 2000)