Déclaration de M. François Bayrou, président de l'UDF, sur l'histoire de l'UDF et sur sa proposition d'un changement de calendrier pour la date des élections présidentielles et législatives en 2002, Angers le 2 décembre 2000.

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Circonstance : Congrès de l'UDF à Angers (Maine-et-Loire) du 1er au 3 décembre 2000-discours d'ouverture le 2

Texte intégral

Mes chers amis,
Je salue l'accueil d'Angers.
Je salue la fédération du Maine-et-Loire avec ses jeunes, avec ses pionniers, Jean Sauvage, avec ses parlementaires, permettez-moi de citer Hubert Grimault, Maurice Ligot, Christian Martin, Jean Huchon, Charles Jolibois. D'y ajouter Edmond Alphandéry.
De citer et de remercier Dominique Richard, futur maire d'Angers.
De remercier enfin Hervé de Charette.
Je veux enfin vous remercier tous d'être venus, plus de 3000 ce matin, de toute la France pour le dernier congrès de toutes les formations politiques au Xxe siècle, et le premier, j'en suis sûr, par ses décisions, par la volonté qu'il exprimera, le premier du XXIe.
A l'ouverture de la première séance plénière de ce congrès, mon premier devoir et mon premier plaisir est de vous exprimer ma gratitude : à une majorité qui me fait rougir, vous m'avez manifesté, à nouveau, votre confiance.
Je veux vous le dire simplement : cette confiance m'engage. Depuis des années, j'ai un seul but : construire une UDF assez forte, assez cohérente et sûre d'elle-même pour que le moment venu, la France puisse compter sur nous.
J'ai comme vous, sur ce fabuleux mur d'images de plus de trente mètres de long, revécu les moments forts de notre saga.
Je me suis souvenu de la première UDF, celle de 1978 et j'ai dit à Valéry Giscard d'Estaing notre reconnaissance et notre affection. Je me suis souvenu de la victoire de 1978 et je dis à Raymond Barre notre fidélité.
Je me suis souvenu des années noires, celles de la division. Celles pendant lesquelles beaucoup d'entre nous se désespéraient. Si nous avions été unis, la France se serait tournée vers nous. Mais nous étions divisés, et donc inexistants.
Je me suis souvenu du jour le plus noir des années noires, ce jour de mars 98 où nous avons cru dans quatre régions de France, que plus personne ne croyait à rien.
Je me suis souvenu des combats qu'alors nous avons menés avec François Léotard, avec Gilles de Robien, pour qu'on y voie clair, et qu'on sache que nous, au moins, dans cette salle, n'acceptions pas les compromissions.
Je me suis souvenu de notre reconstruction, des jours de doute, quand les uns décidaient de s'en aller pour des aventures sans lendemain, des jours d'espoir quand les autres, qu'on attendait peut-être moins, décidaient de se regrouper.
Je me suis souvenu du congrès de Lille et de la décision de faire de l'UDF une famille politique unifiée. Je vous proposerai cet après-midi, pour faire suite à une proposition faite à notre bureau par Hervé de Charrette, une motion pour réaliser la seule fusion qui nous manque encore : la fusion financière des anciennes composantes pour faire la nouvelle UDF.
Je me suis souvenu combien en peu de jours, après Lille, parce que nous avions décidé d'exister, le climat politique a changé.
Je me suis souvenu du mois de janvier 1999, quand, à Lyon, l'élection d'Anne-Marie Comparini, a rendu l'espoir à tous ceux qui pensent que l'engagement politique, c'est d'abord de l'idéal.
Je me suis souvenu du mois de février à Bordeaux, quand il s'agissait de décider si nous ferions ou non une liste pour les Européennes, et des pressions et des menaces qui pesaient sur nous, et de Pierre Pflimlin, montant à la tribune pour la dernière fois de sa vie, et disant ces mots que je n'oublierai pas : " il y a eu trois jours dans ma vie que j'ai vécus et que je n'aurais jamais cru vivre. Je n'aurais jamais cru vivre après la guerre la réconciliation de la France et de l'Allemagne ; je n'aurais jamais cru vivre la chute du mur de Berlin ; et je n'aurais jamais cru voir renaître ma famille politique ".
Je me suis souvenu du joli mois de mai et de la campagne que nous avons faite ensemble. Je me suis souvenu de tous ceux qui nous expliquaient qu'il ne fallait pas parler de notre conception de l'Europe unie et démocratique, et de la constitution européenne, et d'un président pour l'Europe, parce que cela ferait fuir les électeurs ! Je me suis souvenu des sondeurs ! Je me suis souvenu du paysage nouveau sorti des élections européennes.
Je me suis souvenu de l'élection de Nicole Fontaine à la présidence du Parlement Européen et du moment où elle a rejoint la tribune qu'avaient occupé avant elle Simone Veil et Pierre Pflimlin.
Je me suis souvenu du jour où il a fallu moi-même que je décide de rester à Strasbourg pour montrer que nous, au moins, nous prenions au sérieux l'Europe et la parole donnée.
Je me suis souvenu des jours de cette année, où chaque semaine, nous avons montré combien progressait le virus niché dans la cohabitation, l'effondrement des institutions, le découragement civique des Français. Les avertissements que nous avons donnés sur un referendum organisé sans qu'on pousse la réflexion au fond, avec une réflexion à peine effleurée. Et notamment l'avertissement que nous avons porté, sans cesse et sans trêve, moi-même, le groupe du Sénat, Valéry Giscard d'Estaing, Raymond Barre, sur le calendrier " dingo " et la restauration de nos institutions.
Je vais parler de ce sujet dans une minute en vous indiquant que ce soir vous aurez, bien entendu, à voter, pour exprimer la ligne politique de l'UDF dans ce débat.
Mais vous savez dans quelle ambiance, dans quel contexte, cette réflexion intervient. Ce que nous vivons, appelons le par son nom, c'est une crise politique profonde. Cette crise, qui se développe chaque jour un peu plus, elle a deux visages : les dégâts de la cohabitation et les dégâts des affaires qui frappent à droite comme à gauche.
Le jour va venir où la France va chercher à sortir de cette crise.
Et l'on n'en sortira que par une démocratie et des institutions régénérées, fortes et claires.
Vous savez, c'est un terme de radio : " je vous reçois fort et clair ! "
Quand le peuple parle, quelle est l'élection la plus transparente ? Quelle est celle où les medias, l'administration, le monde qui nous observe peut le recevoir fort et clair ? A quelle élection peut-il exprimer son désir de changement ? La réponse du Général de Gaulle, la réponse de Valéry Giscard d'Estaing en 1962, la réponse de Jean Lecanuet en 1965, la réponse de Jacques Duhamel et Joseph Fontanet en 69, la dynamique de VGE en 1974, la campagne de Raymond Barre en 1988, la réponse de Jacques Chirac en 74, en 81, en 88, en 95, sont, si vous y réfléchissez bien, toutes les mêmes : la seule élection où les choses puissent vraiment prendre une direction différente, la seule où le peuple puisse être reçu fort et clair, c'est l'élection présidentielle.
Parce que là, il ne s'agit pas, de compromis, de coalitions de mouvements politiques qui négocient un moyen terme. Il s'agit de visions. Il s'agit de choisir le cap. Le peuple en choisit une vision et un cap, et après il donne à cette vision, en 577 élections différentes, une Assemblée nationale pour la mettre en uvre, éventuellement avec telle ou telle nuance.
Et c'est d'autant plus vrai avec le quinquennat, dont nous disons depuis le début que la conséquence inéluctable et qu'on aurait dû tirer dès l'origine, c'est le rétablissement du calendrier logique de la République.
Et je vous avoue que je pensais, lorsque nous avons lancé cette idée, que les premiers qui la rallieraient, seraient les gaullistes, dont toute l'inspiration, toute l'uvre institutionnelle va naturellement dans ce sens.
Et puis deuxième idée, toute simple, cette idée, c'est notre idée. Le calendrier issu de la dissolution, c'est un calendrier " dingo ", c'est nous qui l'avons dit, il y a bien plus d'un an. Il faut remettre le calendrier à l'endroit et construire le pilier avant de construire la maison. C'est Valéry Giscard d'Estaing qui l'a écrit cet été et dit cette semaine. Il faut une loi. C'est Hervé de Charrette et Raymond Barre qui ont déposé les projets.
Alors un mouvement politique qui renoncerait à une idée qu'il croit juste, qu'il a portée, qu'il a défendue, simplement parce que d'autres s'y rallient, ce mouvement politique, qui pourrait lui faire confiance ?
Et à ceux qui disent avec toutes sortes d'injures et de menaces : " puisque les socialistes se sont ralliés à votre proposition vous n'avez plus le droit de la défendre et de la voter ! " permettez-moi de faire deux réponses. Je ne crois pas que la vie politique, ce soit la guerre civile et les socialistes, pour moi, ce sont des adversaires, mais ce ne sont pas des ennemis. Il peut leur arriver d'avoir des idées justes, surtout quand ils se rallient aux nôtres. Et il n'est jamais déshonorant de se rencontrer pour faire adopter une idée juste. Deuxièmement : cette idée de remettre le calendrier à l'endroit pour que le peuple français puisse s'exprimer fort et clair, qu'il soit bien entendu, cette idée elle est majoritaire désormais dans tous les électorats, à droite, comme à gauche.
Et enfin, est-ce que je n'ai plus de mémoire, ou n'est-ce pas il y a deux mois à peine que, pour faire le quinquennat, les socialistes et nos amis du RPR votaient ensemble au parlement et faisaient campagne ensemble ?
A qui cela profitera-t-il ? Personne ne peut le dire. Personne, au train où vont les choses de la vie, et particulièrement ces temps-ci, ne peut dire dix-huit mois à l'avance où on en sera. Souvenez-vous, on a fait la dissolution en étant certains de gagner cinq semaines plus tard, et avec l'idée que la croissance était partie pour longtemps. Cinq semaines après on a perdu et trois mois après, sans que personne ne l'ait prévue, la croissance était là ! Alors personne ne peut dire à qui cela profitera. Pour ma part, j'ai une seule conviction : remettre le calendrier à l'endroit, cela profitera aux Français qui voudront se faire entendre fort et clair pour sortir de la crise. Et cela profitera à ceux qui leur offriront un chemin le plus audacieux et le plus crédible pour le faire.
Mais il faut le faire dans le calme, sereinement, dans le sens de l'intérêt général.
Et c'est pourquoi j'appuie et je relaie la proposition que Valéry Giscard d'Estaing a faite jeudi soir. Arrêtons les disputes stériles. Parlons du fond. Allons au fond des choses. Dans le climat de crise où nous sommes, rassemblons-nous au lieu de nous séparer. Examinons les arguments des uns et les arguments des autres. Que le gouvernement organise au Parlement un débat d'orientation sur nos institutions et sur le calendrier. Donnons pour une fois un peu d'altitude au débat. Et je n'ai aucun doute, la raison l'emportera et le calendrier sera remis à l'endroit.
Voilà ce qu'il était de mon devoir de vous dire à l'ouverture de ce débat. N'ayez pas peur. Il paraît qu'on essaye de vous intimider, ou qu'on vous insulte, qu'on essaie de vous faire abandonner vos idées. N'ayez pas peur. Pour sortir de la crise, la France attend des responsables qui n'auront pas peur.
(Source http://www.udf.org, le 05 décembre 2000).