Texte intégral
CNN :
"Cette semaine, CNN envisage les implications politiques, économiques, sociales et émotionnelles d'une Europe plus unifiée. Ce soir, Alain Richard, le ministre français de la Défense, nous donnera sa vision de la stratégie de défense européenne à venir. Il évoquera aussi les nouvelles initiatives franco-britanniques destinées à établir une nouvelle force armée au sein de l'Union Européenne, distincte de l'OTAN. Beaucoup croient que l'avenir de l'OTAN réside dans le maintien de la paix, la lutte contre le terrorisme et une meilleure protection de l'Europe de l'Est, et beaucoup pensent aussi que l'OTAN portera davantage la marque de l'influence française. "
Reportage :
" Pendant près de trente ans, la France a rejeté l'intégration à la force militaire de l'OTAN et les gouvernements français successifs ont plaidé pour une doctrine militaire indépendante. Mais ces dernières années, la France a entretenu des rapports plus étroits avec l'OTAN, en même temps qu'elle a développé une identité de défense plus importante. La France a envoyé un contingent substantiel pour le maintien de la paix en Bosnie, et est actuellement à la tête des forces de l'OTAN pour protéger les observateurs étrangers au Kosovo. Et la semaine dernière, le président Chirac et le premier ministre Tony Blair se sont rejoints sur le fait que l'Union Européenne doit avoir un rôle de défense, mais pas au détriment de l'OTAN. Les planificateurs européens vont devoir faire face à cette tâche d'équilibrage. "
Intervention du ministre autrichien des Affaires étrangères, Wolfgang Schussel :
" Aujourd'hui, les 2/3 des 30 000 soldats qui se trouvent en Bosnie viennent d'Europe. Aujourd'hui, nous mettons sur pied une force de l'OSCE qui opère au Kosovo, composée, elle aussi, de 2/3 d'Européens et une force d'extraction de l'OTAN de protection et de soutien des observateurs étrangers en Macédoine, composée d'Européens à 100 %. L'OTAN doit également s'adapter au passage de la guerre froide à des conflits régionaux, au terrorisme et aux agressions d'Etats limitrophes. Tels sont les défis à venir pour l'Alliance et pour la France."
CNN :
" M. Richard, merci d'être avec nous ce soir. Pouvez-vous nous dire quelle forme prendrait une force de défense franco-britannique indépendante de l'OTAN ? "
M. Richard :
" Tout d'abord, je suis très heureux d'être avec vous pour expliquer nos intentions dans cette initiative commune, et permettez-moi de vous dire que je suis d'accord avec la description générale que vous avez faite dans votre reportage. Ce qui a changé, c'est le type de crises, ou le type de conflits auxquels il nous faut faire face. Bien sûr, il peut toujours y avoir un danger de menace massive venant de l'est, si la Russie venait à être encore plus instable. Et bien sûr, il est de la responsabilité de la communauté internationale d'aider la Russie à se stabiliser. Mais, mise à part cette possible menace sur le long terme, notre travail quotidien consiste à nous occuper de crises plus localisées, et je l'espère, plus limitées. Et c'est un rôle plutôt nouveau pour l'OTAN, parce que nous n'y étions pas habitués dans les années 1960 et 1970. Et nous pensons, en accord avec beaucoup d'Américains, que les Européens, ensemble, peuvent régler ces crises. Les Européens se sont habitués à prendre de plus en plus de décisions communes dans d'autres domaines. Ils n'ont pas une politique complète de défense indépendante, mais ils ont déjà un grand nombre de positions, d'objectifs et de cibles en commun dans bien des domaines de la diplomatie et de la sécurité. C'est pourquoi nous pensons que nous sommes mûrs et préparés aujourd'hui, et que nous pouvons être plus actifs et réactifs face à des crises ".
auditeur:
" Bonsoir, M. le ministre. Etant donné l'échec des forces occidentales à arrêter la crise yougoslave et le dictateur M. Milosevic, contrairement à l'efficacité de l'intervention en Irak, pouvez-vous nous dire comment une Europe plus unie sur le plan de la défense pourrait régler la crise yougoslave, si elle devait se reproduire ? "
CNN :
" M. le ministre, il s'agit d'une bonne question, et je me permets d'ajouter qu'elle a été posée un grand nombre de fois dans notre courrier électronique. Comment un tel corps indépendant de l'OTAN agirait dans une crise comme celle du Kosovo, sachant qu'on a reproché à l'OTAN de ne presque rien faire là-bas ? "
M. Richard
" Tout d'abord, notre but n'est pas de remplacer l'OTAN, mais d'agir au sein de l'OTAN ".
CNN :
" Oui, mais dans la mesure où l'OTAN n'a rien fait, comment un tel corps agirait, lui ? "
M. Richard :
" Tout d'abord, l'OTAN n'a pas " rien fait ". Ce qui s'est passé, c'est qu'il nous a fallu quatre ou cinq mois pour nous mettre d'accord sur les étapes à suivre pour résoudre politiquement la crise du Kosovo. Bien sûr, quatre ou cinq mois, c'est long. Mais souvenez-vous que pour la crise bosniaque, il avait fallu trois ans pour prendre une décision ! Donc, nous faisons des progrès, et après que la décision a été prise, et elle l'a été par l'intermédiaire d'une résolution des Nations Unies à la fin du mois d'août, il nous a fallu trois mois, au sein de l'OTAN pour rassembler la pression militaire nécessaire contre M. Milosevic, pour obtenir un accord correct, et maintenant, nous avons cet accord ".
CNN :
" Dans le cas d'une réaction lente de l'OTAN, et certains au Kosovo ont estimé que la période de réaction avait été longue, comment un groupe comme celui que vous proposez réagirait, si vous estimiez que l'OTAN était trop lente ? "
M. Richard :
" Certainement. Nous nous sommes mis d'accord avec nos amis britanniques sur le fait que les moyens, la capacité militaire dont nous aurions besoin seraient les mêmes que ceux dont nous disposons aujourd'hui, ce qui veut dire que certains viendraient de l'OTAN, d'autres des forces françaises, et d'autres de forces européennes multinationales préétablies, comme l'Eurocorps. Donc, nous pouvons rassembler un grand nombre de moyens et nous ne voulons pas dédoubler ce qui existe déjà à l'intérieur de l'OTAN. Aussi, notre souci majeur est celui de la possibilité de prendre des décisions. Le Conseil européen doit pouvoir obtenir les moyens d'évaluation, de renseignement, et de planification avec les gouvernements décidés, car après tout, une partie du Conseil peut s'abstenir et laisser l'autre partie agir et franchir les étapes nécessaires pour aborder la crise en quelques semaines. Puis, nous aurons besoin d'un accord de chaque gouvernement pour envoyer des troupes, de façon à agir sur le terrain, mais nous considérons, et cela peut faire l'objet d'un accord avec le gouvernement et le Congrès américains, que dans les crises régionales limitées, l'Europe peut agir et utiliser des moyens militaires prédéterminés de l'OTAN ".
CNN :
" Nous avons maintenant une question sur l'Internet : " Lorsque l'URSS existait, il était plutôt facile de savoir qui était l'ennemi et comment se préparer contre une possible invasion. Quelle est, selon vous, la menace la plus importante contre la sécurité européenne aujourd'hui, et comment vous y préparez-vous ? "
M. Richard :
A court terme, notre principal souci est celui des divisions nationalistes et ethniques au sein des Etats du sud-est de l'Europe. Certains de ces pays ont des frontières qui ne correspondent pas aux divisions ethniques des communautés, et certaines minorités veulent connaître un développement séparé, à l'intérieur de leur pays. C'est évident pour le Kosovo, et c'est le facteur majeur de crise en Bosnie depuis 1992. Ce sont des facteurs de crise limitée. Mais premièrement, ils font appel à notre conscience, car ce sont des massacres de toutes sortes, et nous ne pouvons tolérer que de telles exactions se poursuivent, et deuxièmement il peut y avoir une contagion de ces crises en Europe, car certaines de nos nations sont plus ou moins amies avec ces pays et il peut y avoir des réactions en chaîne. Nous avons donc deux choses à accomplir : de meilleurs arrangements politiques d'abord (et je dois insister sur le fait que bien des zones potentielles de conflit n'existent plus aujourd'hui, car les pays intéressés ont signé des accords) et ensuite, nous devons préparer nos forces à réagir à ces situations de façon beaucoup plus rapide. Nous organisons une force en Macédoine pour protéger les observateurs étrangers du Kosovo, et il va nous falloir de 15 à 20 jours pour déployer cette force et la rendre opérationnelle. C'est déjà un succès, mais je dois dire que tous les pays européens ne peuvent pas tous se permettre une telle opération et que nous devons ajuster nos forces et celles des 15 membres de l'Union européenne pour rassembler le plus de moyens possibles dans un laps de temps le plus court possible.
CNN :
" A l'approche du 21ème siècle, l'Europe redéfinit sa sécurité, considère l'élargissement de l'OTAN et envisage la possibilité de mettre en place un bras armé pour l'Union Européenne.
Nous reprenons une question posée au ministre français de la défense, Alain Richard, par Simon, en Grèce. C'est à vous, Simon. "
auditeur :
" Je voudrais savoir quel rôle potentiel une force européenne aurait, face à des conflits potentiels tels qu'entre la Grèce et la Turquie. "
CNN :
" Pour élargir la question : et si cette nouvelle force dont vous parlez avait besoin d'intervenir dans un des pays membres de l'OTAN ou sur le point de le devenir ? "
M. Richard :
" Les oppositions, ou du moins les différences entre la Grèce et la Turquie dans l'OTAN, sont politiques ; donc nous ne parlons pas d'un conflit militaire potentiel entre les deux pays. La Turquie et la Grèce sont partenaires et ont des relations amicales avec tous les autres pays. Il est vrai que nous avons la responsabilité commune de tenter de trouver une issue à chacun des aspects du problème gréco-turc. Mais bien sûr, lorsque l'on parle de la capacité européenne à résoudre des crises, on parle du recours à la force. Lorsque des violences ont commencé quelque part, et que nous devons réagir militairement face à cette crise, nous devons nous organiser pour atteindre notre objectif. Heureusement, la Grèce et la Turquie sont assez intelligentes pour résoudre leurs conflits potentiels politiquement, et nous faisons tout ce que nous pouvons pour les aider. "
CNN :
" Je voudrais savoir ce que vous savez, ou ce que vous pensez de la réponse de l'OTAN à ce qui pourrait s'avérer une force militaire parallèle en Europe. L'OTAN pense-t-elle que c'est une bonne idée ? Est-ce que vous en avez parlé avec eux ? "
M. Richard :
" Le premier point d'accord entre la France et la Grande-Bretagne est sur les principes, sur les objectifs à moyen terme. Vous savez, nous commençons juste à appliquer le traité d'Amsterdam, qui donne, en termes généraux, à l'UE des responsabilités en matière de défense et de sécurité. Nous avons donc quelque temps pour mettre au point quelque chose de rationnel. Et les mois et les semaines qui viennent seront consacrées à discuter avec les Américains en particulier, ou les Canadiens, et tous les partenaires européens, afin de déterminer de quelles capacités nous disposons et ce que nous pouvons mettre en commun. Mais j'insiste sur le fait que notre idée générale n'est pas une alternative à l'OTAN, ce n'est pas de remplacer l'OTAN par quelque chose qui soit substantiellement différent ; il s'agit en fait d'utiliser les capacités de défense européenne déjà organisées au sein de l'OTAN. Il existe déjà un accord qui autorise les Européens à utiliser leurs propres forces détachées auprès de l'OTAN pour s'occuper de crises régionales. Donc, notre travail est maintenant de donner une meilleure architecture et une méthode de travail pragmatique à tous ces instruments qui existent déjà . "
CNN :
" J'aimerais, si vous le voulez bien, revenir sur le rôle de la France et de l'OTAN. Nous allons prendre une question reçue par E-mail émanant du capitaine Nick Maroukis, du Royal Canadian Armoured Corps. "
Question :
" Je ne sais pas pourquoi la France a choisi de rester en dehors de l'OTAN pendant si longtemps. Cela me gêne de penser qu'elle a tourné le dos à ceux-là mêmes qui l'ont libérée des Nazis. Quelle est votre explication ? "
M. Richard :
" Je pense que ce capitaine oublie les nombreux éléments de solidarité de la France avec ses alliés de l'OTAN durant les 30 ou 40 dernières années. Le Général De Gaulle et ses successeurs avaient préféré maintenir l'organisation militaire française en dehors de l'OTAN et décider au cas pas cas de participer aux initiatives de l'OTAN lors de conflits. Nous travaillons avec l'OTAN, en association avec les alliés en Bosnie, et nous avons accepté les pertes et les responsabilités dans le cadre commun, depuis maintenant quatre ans. Et cette fois-ci, en accord total avec nos associés de l'OTAN, nous avons pris la tête de la nouvelle force d'extraction qui soutient les vérificateurs du Kosovo. Je pense donc que la position originale que la France a décidé d'adopter à l'intérieur de l'OTAN, parce que nous insistons sur la responsabilité commune des Européens dans l'OTAN, ne nous empêche pas d'être un partenaire digne de confiance et, si nécessaire, courageux dans l'Alliance. "
CNN :
" J'ai une autre question à ce sujet, mais je ne voudrais pas faire attendre Michael qui nous appelle d'Allemagne et qui patiente au téléphone depuis quelque temps-et c'est lui qui paye-plus longtemps. Michael, quelle est votre question ? "
auditeur :
" Bonsoir M. Richard. Maintenant que la France est considérée comme une puissance nucléaire, quelle est votre position sur l'armement nucléaire de l'ancienne Union Soviétique qui ne se trouve pas sous le contrôle du gouvernement, et quels risques cela représente-t-il pour vous ? "
M. Richard :
" Il est vrai que l'un des facteurs de crise que nous analysons dans l'évolution récente de la Russie est son propre contrôle gouvernemental sur ses moyens nucléaires. Nous devons être très vigilants à ce sujet, et l'OTAN cherche à avoir un dialogue responsable avec nos partenaires russes, pour vérifier qu'ils ont pris toutes les mesures nécessaires pour garder un contrôle ferme sur tout leur arsenal nucléaire. Nous ne disposons d'aucun argument spécifique à ce jour pour dire qu'ils n'y parviennent pas. Mais il est évident que la crise politique au sommet que connaît actuellement la Russie nous inquiète quelque peu. Je pense que c'est la même chose que pour le nucléaire civil de l'ancienne URSS ; c'est la responsabilité commune des Américains, des Européens et des Russes eux-mêmes de prendre toutes les mesures nécessaires à éviter une nouvelle prolifération d'armes venant de la Russie elle-même. "
CNN :
" M. le ministre, comme toujours dans Q A, le temps nous presse. Je voudrais vous poser quelques question supplémentaires dans les trois minutes qui nous restent. Tout d'abord, la France s'est-elle fixée une date pour un retour total dans l'aile militaire de l'OTAN ? "
M. Richard :
" Le président Chirac a ouvert une nouvelle discussion sur ce point avec les alliés, il y a deux ou trois ans. Il a exprimé très clairement la position générale de la France à ce sujet : nous souhaitons contribuer aussi efficacement que possible à créer un OTAN qui aurait deux piliers aux poids équilibrés, avec un premier pilier américain, fort et sûr, et un autre pilier, de même force et de même sûreté, européen celui-là. Nous avons fait un long chemin à ce propos au cours des dernières années. L'opinion de la France est qu'il nous reste du chemin à parcourir. Voilà, en résumé, notre position sur le statut de membre à part entière. Mais j'insiste sur le fait que, même avec notre position spécifique, nous participons de façon effective, à chaque fois que la sécurité transatlantique est en jeu. "
CNN :
" Je vais essayer de vous poser quelques questions supplémentaires, si c'est possible, M. le ministre. Ceci est une question E-mail arrivée d'Allemagne, une question que je voulais vous poser de toute façon. "
Question :
"Le ministre allemand des Affaires Etrangères réclame que l'OTAN renonce à utiliser les armes nucléaires en premier. Cela pose-t-il un risque à la sécurité de l'OTAN et de l'Europe ?"
M. Richard :
" Vous savez que les pays disposant de la dissuasion nucléaire par eux-mêmes, sont les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Nos partenaires allemands savent que nous ne partageons pas leur position sur ce sujet, et je ne pense pas que cette question divisera l'Alliance. Ce n'est pas, en tout cas, un sujet franco-allemand.
CNN :
" Très rapidement, il nous reste une minute, pensez-vous qu'au vu de la situation sociale et politique en Europe aujourd'hui, le futur verra moins de guerres et de conflits que le passé ? "
M. Richard :
" Oui, et je voudrais insister sur le fait que plusieurs zones de conflits potentiels ont résolu leurs problèmes par la négociation, des accords politiques et des efforts de développement dans ces régions. Souvenez-vous, il y a six ou sept ans, lors de l'éclatement du bloc soviétique en Europe de l'Est, nous pensions par exemple que la minorité hongroise de Roumanie, qui représente plus de deux millions de personnes, serait une source de forte opposition dans cette région. Les Hongrois et les Roumains ont été sages et ont résolu leurs problèmes. Et il y a de nombreux autres exemples de la sorte. Nous devons donc aider ces gens qui sont responsables et sages, et les aider à résoudre leurs problèmes par la voie politique. "
CNN :
" Je comprends. Alain Richard, merci beaucoup d'avoir été avec nous dans Q A. [...] "
(source http://www.defense.gouv.fr, le 8 janvier 2002)
"Cette semaine, CNN envisage les implications politiques, économiques, sociales et émotionnelles d'une Europe plus unifiée. Ce soir, Alain Richard, le ministre français de la Défense, nous donnera sa vision de la stratégie de défense européenne à venir. Il évoquera aussi les nouvelles initiatives franco-britanniques destinées à établir une nouvelle force armée au sein de l'Union Européenne, distincte de l'OTAN. Beaucoup croient que l'avenir de l'OTAN réside dans le maintien de la paix, la lutte contre le terrorisme et une meilleure protection de l'Europe de l'Est, et beaucoup pensent aussi que l'OTAN portera davantage la marque de l'influence française. "
Reportage :
" Pendant près de trente ans, la France a rejeté l'intégration à la force militaire de l'OTAN et les gouvernements français successifs ont plaidé pour une doctrine militaire indépendante. Mais ces dernières années, la France a entretenu des rapports plus étroits avec l'OTAN, en même temps qu'elle a développé une identité de défense plus importante. La France a envoyé un contingent substantiel pour le maintien de la paix en Bosnie, et est actuellement à la tête des forces de l'OTAN pour protéger les observateurs étrangers au Kosovo. Et la semaine dernière, le président Chirac et le premier ministre Tony Blair se sont rejoints sur le fait que l'Union Européenne doit avoir un rôle de défense, mais pas au détriment de l'OTAN. Les planificateurs européens vont devoir faire face à cette tâche d'équilibrage. "
Intervention du ministre autrichien des Affaires étrangères, Wolfgang Schussel :
" Aujourd'hui, les 2/3 des 30 000 soldats qui se trouvent en Bosnie viennent d'Europe. Aujourd'hui, nous mettons sur pied une force de l'OSCE qui opère au Kosovo, composée, elle aussi, de 2/3 d'Européens et une force d'extraction de l'OTAN de protection et de soutien des observateurs étrangers en Macédoine, composée d'Européens à 100 %. L'OTAN doit également s'adapter au passage de la guerre froide à des conflits régionaux, au terrorisme et aux agressions d'Etats limitrophes. Tels sont les défis à venir pour l'Alliance et pour la France."
CNN :
" M. Richard, merci d'être avec nous ce soir. Pouvez-vous nous dire quelle forme prendrait une force de défense franco-britannique indépendante de l'OTAN ? "
M. Richard :
" Tout d'abord, je suis très heureux d'être avec vous pour expliquer nos intentions dans cette initiative commune, et permettez-moi de vous dire que je suis d'accord avec la description générale que vous avez faite dans votre reportage. Ce qui a changé, c'est le type de crises, ou le type de conflits auxquels il nous faut faire face. Bien sûr, il peut toujours y avoir un danger de menace massive venant de l'est, si la Russie venait à être encore plus instable. Et bien sûr, il est de la responsabilité de la communauté internationale d'aider la Russie à se stabiliser. Mais, mise à part cette possible menace sur le long terme, notre travail quotidien consiste à nous occuper de crises plus localisées, et je l'espère, plus limitées. Et c'est un rôle plutôt nouveau pour l'OTAN, parce que nous n'y étions pas habitués dans les années 1960 et 1970. Et nous pensons, en accord avec beaucoup d'Américains, que les Européens, ensemble, peuvent régler ces crises. Les Européens se sont habitués à prendre de plus en plus de décisions communes dans d'autres domaines. Ils n'ont pas une politique complète de défense indépendante, mais ils ont déjà un grand nombre de positions, d'objectifs et de cibles en commun dans bien des domaines de la diplomatie et de la sécurité. C'est pourquoi nous pensons que nous sommes mûrs et préparés aujourd'hui, et que nous pouvons être plus actifs et réactifs face à des crises ".
auditeur:
" Bonsoir, M. le ministre. Etant donné l'échec des forces occidentales à arrêter la crise yougoslave et le dictateur M. Milosevic, contrairement à l'efficacité de l'intervention en Irak, pouvez-vous nous dire comment une Europe plus unie sur le plan de la défense pourrait régler la crise yougoslave, si elle devait se reproduire ? "
CNN :
" M. le ministre, il s'agit d'une bonne question, et je me permets d'ajouter qu'elle a été posée un grand nombre de fois dans notre courrier électronique. Comment un tel corps indépendant de l'OTAN agirait dans une crise comme celle du Kosovo, sachant qu'on a reproché à l'OTAN de ne presque rien faire là-bas ? "
M. Richard
" Tout d'abord, notre but n'est pas de remplacer l'OTAN, mais d'agir au sein de l'OTAN ".
CNN :
" Oui, mais dans la mesure où l'OTAN n'a rien fait, comment un tel corps agirait, lui ? "
M. Richard :
" Tout d'abord, l'OTAN n'a pas " rien fait ". Ce qui s'est passé, c'est qu'il nous a fallu quatre ou cinq mois pour nous mettre d'accord sur les étapes à suivre pour résoudre politiquement la crise du Kosovo. Bien sûr, quatre ou cinq mois, c'est long. Mais souvenez-vous que pour la crise bosniaque, il avait fallu trois ans pour prendre une décision ! Donc, nous faisons des progrès, et après que la décision a été prise, et elle l'a été par l'intermédiaire d'une résolution des Nations Unies à la fin du mois d'août, il nous a fallu trois mois, au sein de l'OTAN pour rassembler la pression militaire nécessaire contre M. Milosevic, pour obtenir un accord correct, et maintenant, nous avons cet accord ".
CNN :
" Dans le cas d'une réaction lente de l'OTAN, et certains au Kosovo ont estimé que la période de réaction avait été longue, comment un groupe comme celui que vous proposez réagirait, si vous estimiez que l'OTAN était trop lente ? "
M. Richard :
" Certainement. Nous nous sommes mis d'accord avec nos amis britanniques sur le fait que les moyens, la capacité militaire dont nous aurions besoin seraient les mêmes que ceux dont nous disposons aujourd'hui, ce qui veut dire que certains viendraient de l'OTAN, d'autres des forces françaises, et d'autres de forces européennes multinationales préétablies, comme l'Eurocorps. Donc, nous pouvons rassembler un grand nombre de moyens et nous ne voulons pas dédoubler ce qui existe déjà à l'intérieur de l'OTAN. Aussi, notre souci majeur est celui de la possibilité de prendre des décisions. Le Conseil européen doit pouvoir obtenir les moyens d'évaluation, de renseignement, et de planification avec les gouvernements décidés, car après tout, une partie du Conseil peut s'abstenir et laisser l'autre partie agir et franchir les étapes nécessaires pour aborder la crise en quelques semaines. Puis, nous aurons besoin d'un accord de chaque gouvernement pour envoyer des troupes, de façon à agir sur le terrain, mais nous considérons, et cela peut faire l'objet d'un accord avec le gouvernement et le Congrès américains, que dans les crises régionales limitées, l'Europe peut agir et utiliser des moyens militaires prédéterminés de l'OTAN ".
CNN :
" Nous avons maintenant une question sur l'Internet : " Lorsque l'URSS existait, il était plutôt facile de savoir qui était l'ennemi et comment se préparer contre une possible invasion. Quelle est, selon vous, la menace la plus importante contre la sécurité européenne aujourd'hui, et comment vous y préparez-vous ? "
M. Richard :
A court terme, notre principal souci est celui des divisions nationalistes et ethniques au sein des Etats du sud-est de l'Europe. Certains de ces pays ont des frontières qui ne correspondent pas aux divisions ethniques des communautés, et certaines minorités veulent connaître un développement séparé, à l'intérieur de leur pays. C'est évident pour le Kosovo, et c'est le facteur majeur de crise en Bosnie depuis 1992. Ce sont des facteurs de crise limitée. Mais premièrement, ils font appel à notre conscience, car ce sont des massacres de toutes sortes, et nous ne pouvons tolérer que de telles exactions se poursuivent, et deuxièmement il peut y avoir une contagion de ces crises en Europe, car certaines de nos nations sont plus ou moins amies avec ces pays et il peut y avoir des réactions en chaîne. Nous avons donc deux choses à accomplir : de meilleurs arrangements politiques d'abord (et je dois insister sur le fait que bien des zones potentielles de conflit n'existent plus aujourd'hui, car les pays intéressés ont signé des accords) et ensuite, nous devons préparer nos forces à réagir à ces situations de façon beaucoup plus rapide. Nous organisons une force en Macédoine pour protéger les observateurs étrangers du Kosovo, et il va nous falloir de 15 à 20 jours pour déployer cette force et la rendre opérationnelle. C'est déjà un succès, mais je dois dire que tous les pays européens ne peuvent pas tous se permettre une telle opération et que nous devons ajuster nos forces et celles des 15 membres de l'Union européenne pour rassembler le plus de moyens possibles dans un laps de temps le plus court possible.
CNN :
" A l'approche du 21ème siècle, l'Europe redéfinit sa sécurité, considère l'élargissement de l'OTAN et envisage la possibilité de mettre en place un bras armé pour l'Union Européenne.
Nous reprenons une question posée au ministre français de la défense, Alain Richard, par Simon, en Grèce. C'est à vous, Simon. "
auditeur :
" Je voudrais savoir quel rôle potentiel une force européenne aurait, face à des conflits potentiels tels qu'entre la Grèce et la Turquie. "
CNN :
" Pour élargir la question : et si cette nouvelle force dont vous parlez avait besoin d'intervenir dans un des pays membres de l'OTAN ou sur le point de le devenir ? "
M. Richard :
" Les oppositions, ou du moins les différences entre la Grèce et la Turquie dans l'OTAN, sont politiques ; donc nous ne parlons pas d'un conflit militaire potentiel entre les deux pays. La Turquie et la Grèce sont partenaires et ont des relations amicales avec tous les autres pays. Il est vrai que nous avons la responsabilité commune de tenter de trouver une issue à chacun des aspects du problème gréco-turc. Mais bien sûr, lorsque l'on parle de la capacité européenne à résoudre des crises, on parle du recours à la force. Lorsque des violences ont commencé quelque part, et que nous devons réagir militairement face à cette crise, nous devons nous organiser pour atteindre notre objectif. Heureusement, la Grèce et la Turquie sont assez intelligentes pour résoudre leurs conflits potentiels politiquement, et nous faisons tout ce que nous pouvons pour les aider. "
CNN :
" Je voudrais savoir ce que vous savez, ou ce que vous pensez de la réponse de l'OTAN à ce qui pourrait s'avérer une force militaire parallèle en Europe. L'OTAN pense-t-elle que c'est une bonne idée ? Est-ce que vous en avez parlé avec eux ? "
M. Richard :
" Le premier point d'accord entre la France et la Grande-Bretagne est sur les principes, sur les objectifs à moyen terme. Vous savez, nous commençons juste à appliquer le traité d'Amsterdam, qui donne, en termes généraux, à l'UE des responsabilités en matière de défense et de sécurité. Nous avons donc quelque temps pour mettre au point quelque chose de rationnel. Et les mois et les semaines qui viennent seront consacrées à discuter avec les Américains en particulier, ou les Canadiens, et tous les partenaires européens, afin de déterminer de quelles capacités nous disposons et ce que nous pouvons mettre en commun. Mais j'insiste sur le fait que notre idée générale n'est pas une alternative à l'OTAN, ce n'est pas de remplacer l'OTAN par quelque chose qui soit substantiellement différent ; il s'agit en fait d'utiliser les capacités de défense européenne déjà organisées au sein de l'OTAN. Il existe déjà un accord qui autorise les Européens à utiliser leurs propres forces détachées auprès de l'OTAN pour s'occuper de crises régionales. Donc, notre travail est maintenant de donner une meilleure architecture et une méthode de travail pragmatique à tous ces instruments qui existent déjà . "
CNN :
" J'aimerais, si vous le voulez bien, revenir sur le rôle de la France et de l'OTAN. Nous allons prendre une question reçue par E-mail émanant du capitaine Nick Maroukis, du Royal Canadian Armoured Corps. "
Question :
" Je ne sais pas pourquoi la France a choisi de rester en dehors de l'OTAN pendant si longtemps. Cela me gêne de penser qu'elle a tourné le dos à ceux-là mêmes qui l'ont libérée des Nazis. Quelle est votre explication ? "
M. Richard :
" Je pense que ce capitaine oublie les nombreux éléments de solidarité de la France avec ses alliés de l'OTAN durant les 30 ou 40 dernières années. Le Général De Gaulle et ses successeurs avaient préféré maintenir l'organisation militaire française en dehors de l'OTAN et décider au cas pas cas de participer aux initiatives de l'OTAN lors de conflits. Nous travaillons avec l'OTAN, en association avec les alliés en Bosnie, et nous avons accepté les pertes et les responsabilités dans le cadre commun, depuis maintenant quatre ans. Et cette fois-ci, en accord total avec nos associés de l'OTAN, nous avons pris la tête de la nouvelle force d'extraction qui soutient les vérificateurs du Kosovo. Je pense donc que la position originale que la France a décidé d'adopter à l'intérieur de l'OTAN, parce que nous insistons sur la responsabilité commune des Européens dans l'OTAN, ne nous empêche pas d'être un partenaire digne de confiance et, si nécessaire, courageux dans l'Alliance. "
CNN :
" J'ai une autre question à ce sujet, mais je ne voudrais pas faire attendre Michael qui nous appelle d'Allemagne et qui patiente au téléphone depuis quelque temps-et c'est lui qui paye-plus longtemps. Michael, quelle est votre question ? "
auditeur :
" Bonsoir M. Richard. Maintenant que la France est considérée comme une puissance nucléaire, quelle est votre position sur l'armement nucléaire de l'ancienne Union Soviétique qui ne se trouve pas sous le contrôle du gouvernement, et quels risques cela représente-t-il pour vous ? "
M. Richard :
" Il est vrai que l'un des facteurs de crise que nous analysons dans l'évolution récente de la Russie est son propre contrôle gouvernemental sur ses moyens nucléaires. Nous devons être très vigilants à ce sujet, et l'OTAN cherche à avoir un dialogue responsable avec nos partenaires russes, pour vérifier qu'ils ont pris toutes les mesures nécessaires pour garder un contrôle ferme sur tout leur arsenal nucléaire. Nous ne disposons d'aucun argument spécifique à ce jour pour dire qu'ils n'y parviennent pas. Mais il est évident que la crise politique au sommet que connaît actuellement la Russie nous inquiète quelque peu. Je pense que c'est la même chose que pour le nucléaire civil de l'ancienne URSS ; c'est la responsabilité commune des Américains, des Européens et des Russes eux-mêmes de prendre toutes les mesures nécessaires à éviter une nouvelle prolifération d'armes venant de la Russie elle-même. "
CNN :
" M. le ministre, comme toujours dans Q A, le temps nous presse. Je voudrais vous poser quelques question supplémentaires dans les trois minutes qui nous restent. Tout d'abord, la France s'est-elle fixée une date pour un retour total dans l'aile militaire de l'OTAN ? "
M. Richard :
" Le président Chirac a ouvert une nouvelle discussion sur ce point avec les alliés, il y a deux ou trois ans. Il a exprimé très clairement la position générale de la France à ce sujet : nous souhaitons contribuer aussi efficacement que possible à créer un OTAN qui aurait deux piliers aux poids équilibrés, avec un premier pilier américain, fort et sûr, et un autre pilier, de même force et de même sûreté, européen celui-là. Nous avons fait un long chemin à ce propos au cours des dernières années. L'opinion de la France est qu'il nous reste du chemin à parcourir. Voilà, en résumé, notre position sur le statut de membre à part entière. Mais j'insiste sur le fait que, même avec notre position spécifique, nous participons de façon effective, à chaque fois que la sécurité transatlantique est en jeu. "
CNN :
" Je vais essayer de vous poser quelques questions supplémentaires, si c'est possible, M. le ministre. Ceci est une question E-mail arrivée d'Allemagne, une question que je voulais vous poser de toute façon. "
Question :
"Le ministre allemand des Affaires Etrangères réclame que l'OTAN renonce à utiliser les armes nucléaires en premier. Cela pose-t-il un risque à la sécurité de l'OTAN et de l'Europe ?"
M. Richard :
" Vous savez que les pays disposant de la dissuasion nucléaire par eux-mêmes, sont les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Nos partenaires allemands savent que nous ne partageons pas leur position sur ce sujet, et je ne pense pas que cette question divisera l'Alliance. Ce n'est pas, en tout cas, un sujet franco-allemand.
CNN :
" Très rapidement, il nous reste une minute, pensez-vous qu'au vu de la situation sociale et politique en Europe aujourd'hui, le futur verra moins de guerres et de conflits que le passé ? "
M. Richard :
" Oui, et je voudrais insister sur le fait que plusieurs zones de conflits potentiels ont résolu leurs problèmes par la négociation, des accords politiques et des efforts de développement dans ces régions. Souvenez-vous, il y a six ou sept ans, lors de l'éclatement du bloc soviétique en Europe de l'Est, nous pensions par exemple que la minorité hongroise de Roumanie, qui représente plus de deux millions de personnes, serait une source de forte opposition dans cette région. Les Hongrois et les Roumains ont été sages et ont résolu leurs problèmes. Et il y a de nombreux autres exemples de la sorte. Nous devons donc aider ces gens qui sont responsables et sages, et les aider à résoudre leurs problèmes par la voie politique. "
CNN :
" Je comprends. Alain Richard, merci beaucoup d'avoir été avec nous dans Q A. [...] "
(source http://www.defense.gouv.fr, le 8 janvier 2002)