Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à Europe 1 le 9 novembre 2000, sur les résultats de l'élection présidentielle aux Etats-Unis, la proposition d'interdire les farines animales et l'extension des mesures de dépistage de l'ESB chez les bovins.

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Média : Europe 1

Texte intégral

A. Chabot Le prochain président des Etats-Unis sera sans doute élu avec une poignée de voix d'avance. A votre avis, est-ce normal - après tout, la démocratie, c'est ça, il suffit d'une voix - ou bien est-ce préoccupant pour la plus grande puissance du monde ?
- "Dans une démocratie j'allais dire ordinaire, est proclamé élu celui qui a fait une voix de plus que l'autre. Si nous étions aux Etats-Unis dans une démocratie normale, ce serait aujourd'hui A. Gore le président des Etats-Unis. Mais comme le mode de scrutin n'est pas celui du suffrage universel direct, nous avons peut-être la situation cocasse, non seulement de ne pas avoir de président proclamé, mais peut-être d'avoir demain un président légitime qui n'aura pas eu plus de voix que son concurrent, voir même qui en aurait eu moins. Pour une Amérique qui donne volontiers des leçons au reste du monde, cela devrait être une conclusion à tirer. Peut-être vaudrait-il mieux avoir une élection au suffrage universel direct qu'un système compliqué. Et en France, dans une certaine mesure, nous pouvons dire pour l'élection - au moins du Président au suffrage universel- que nous avons fait le système le plus simple."
On l'a bien vu, A. Gore a effectivement des difficultés pour être élu, ce qui prouve qu'il ne suffit pas d'avoir un bon bilan - moins de chômage et une bonne croissance - pour obtenir la victoire. Cela vous fait réfléchir ?
- "D'abord A. Gore a fait plus de voix que Bush, donc, il devrait être élu. Il a eu un bon bilan, celui que lui avait laissé B. Clinton pendant huit ans. Mais il n'est pas B. Clinton, il n'avait donc pas forcément le bénéfice de ce bilan. Il a montré qu'il avait un projet, mais peut-être pas suffisamment. Une élection, c'est un bilan. Quand vous n'avez pas de bon bilan, vous ne pouvez pas gagner. Et c'est aussi un projet, car un bilan ne suffit pas. Nous connaissons la leçon et nous l'appliquerons avec beaucoup de rigueur pour ce qui nous concerne. Le bilan du Gouvernement n'est pas achevé, il y a encore un an et demi et c'est pourquoi il faut continuer à travailler dans le sens de la lutte contre le chômage et de la lutte contre les inégalités. Forts de ce bilan, qui sera un socle de crédibilité et de confiance, il faut proposer un projet et j'ai l'immodestie de penser que c'est aux socialistes de le préparer et nous allons le faire à travers notre congrès."
Nous allons en parler tout à l'heure. D'abord le dossier de la vache folle : pourquoi le gouvernement qui applique scrupuleusement dit-il le principe de précaution depuis le début de cette affaire, retarde t-il l'interdiction des farines animales, alors que L. Jospin le dit lui-même, c'est inévitable ?
- "Il y a le principe de précaution qui doit s'appliquer et il y a le principe de vérité qui doit à chaque fois être respecté. Le principe de précaution doit aller vers l'interdiction des farines animales. C'est déjà fait pour les bovins. Par rapport au drame de la viande rouge - parce que c'en est un pour les éleveurs et pour la filière bovine - , il faut quand même dire aux consommateurs que les farines animales aujourd'hui, depuis même dix ans, sont proscrites et ne sont pas données aux bovins qui, pourtant aujourd'hui, sont mis en cause par les consommateurs. Rassurons quand même les consommateurs de ce point de vue : les farines animales ne sont pas distribuées. En revanche, elles continuent d'être distribuées à d'autres animaux : les porcs, les poulets et même le saumon. Donc, nous devons aller vers l'interdiction de ces farines et le Premier ministre a dit..."
Pourquoi attendre alors ?
- "Pourquoi attendre ? C'est le principe de vérité : nous devons quand même avoir le souci de savoir ce que nous faisons de ces stocks."
C'est-à-dire qu'il faut un délai pour réfléchir ? On dit que maintenant c'est la décision des scientifiques ?
- "Ce n'est pas simplement un délai pour réfléchir, c'est un délai pour préparer l'application de la décision que nous allons prendre. Deuxièmement, nous avons toujours eu le souci de nous appuyer sur des avis scientifiques. Quand nous avons fait l'embargo sur la viande britannique, nous ne l'avons pas fait parce que nous voulions déplaire aux Britanniques - ils n'ont pas besoin de cela. Nous l'avons fait parce que des scientifiques français - l'Agence de sécurité alimentaire - nous disaient qu'il y avait un risque. Quand il y a un risque dit, proclamé, démontré par un scientifique ou au moins annoncé par un groupe de scientifiques dans une instance officielle, nous faisons l'embargo."
Là, les Français se disent, s'il y a un danger on le fait tout de suite ; ce n'est pas la peine d'attendre un mois ou deux.
- "Bien sûr, les scientifiques ont été consultés, ils vont rendre leur avis. Nous ne perdons pas de temps, puisque dans l'intervalle nous réglons le problème de la destruction de ces farines. Parce que c'est quand même cela le problème. Ce serait relativement imprévoyant que de dire que nous interdisons les farines animales, que nous stockons ces farines avec les mêmes dangers, que nous les détruisons en créant des problèmes d'environnement, voire des problèmes sanitaires et puis que nous importons des OGM! Nous dirons alors aux Français qu'il n'y a plus de farines animales mais que nous importons des OGM ?! Non ! Nous préférons faire les choses avec précaution, avec méticulosité et avec le souci de la science."
Le Gouvernement a l'air d'être embarrassé dans cette affaire et l'opinion ne comprend toujours pas.
- "Quand vous êtes devant des problèmes de cette nature, aussi complexes, il faut à la fois rassurer l'opinion, mais en même temps lui dire la vérité. Ce serait trop facile de dire qu'il n'y aurait qu'à sortir les farines animales et qu'il n'y aurait plus de problèmes. Non, il faut s'entourer d'un certain nombre de garanties scientifiques. La moindre chose, si l'on veut revenir au calme et revenir à ce qui doit être une attitude normale de consommateur - prendre de la viande parce que nous en avons toujours pris lorsque nous aimons ce type de produit - il faut prendre des mesures qui soient efficaces. Ce sont des sujets suffisamment graves, suffisamment complexes, où la science doit jouer la première place..."
Mais vous ne vous réfugiez pas derrière la science quand même ?
- "C'est très important, quand même, que la science nous donne des avis. Nous ne sommes pas là simplement pour prendre des déclarations politiques ou pour faire des coups politiques. Dans cette affaire dire, il n'y a pas de place pour la polémique politique."
Cela vise J. Chirac en clair ?
- "On ne doit pas faire une campagne électorale - anticipée d'ailleurs, parce qu'on n'en est pas là - simplement en jouant de l'inquiétude légitime des Français."
Vous ne pouvez pas reprocher au Président de la République de dire au fond ce que disent tous les Français : "il faut arrêter les farines animales."
- "Les socialistes disent qu'il faut interdire les farines animales. On n'a pas attendu le Président de la République pour avoir ce principe ! Je comprends parfaitement le Gouvernement qui est devant le problème de la disparition et la destruction de ces farines animales et le remplacement des aliments des animaux par d'autres cultures que les cultures OGM. Le gouvernement n'est pas là simplement dans l'incantation, il n'est pas là simplement pour parler : il est là pour agir et pour régler un problème."
Le Président de la République participe donc à la psychose ?
- "Le Président de la République participe à une campagne électorale qui n'est pas engagée."
Vous lui reprochez cette intervention ?
- "Je ne lui reproche pas de dire qu'il faut interdire les farines animales, nous sommes sur cette position ! Mais il est Président de la République ; et le rôle d'un Président de la République, d'un homme d'Etat, est de voir, avec le gouvernement, concrètement, comment on applique un tel principe. Ce n'est pas simplement de dire que "je prends un peu d'avance ou je prends une déclaration dont je ne sais pas comment elle sera appliquée". Le rôle d'un homme d'Etat - cela vaut pour tous les pays et pour toutes les fonctions - est de régler le problème. Pas de parler de solution."
Il y a une proposition qui est faite par la FNSEA : retirer toutes les bêtes qui sont nées avant l'interdiction des farines animales à tous les bovins. Vous êtes élu d'un département agricole, la Corrèze : êtes-vous êtes d'accord avec cette proposition ?
- "C'est une question controversée, y compris en Corrèze. Parce que là aussi, si on met un doute sur les animaux nés avant une certaine date, cela ne sera pas simple d'expliquer qu'il n'y a pas de doute sur les animaux nés après. Comment va-t-on faire pour les éleveurs qui vont perdre 20 % de leur cheptel : demander une indemnisation ? Oui, mais comment ? Il y a là aussi un rôle pour les responsables de la filière - mais je pense qu'ils agissent en connaissance de cause - de bien faire que le consommateur soit rassuré, mais que cela ne soit pas toujours le contribuable qui paie."
Il y a eu un sommet de la gauche, passé un peu inaperçu cette semaine. A-t-on a raté quelque chose ?
- "Parce qu'il a été réussi ! C'est souvent le cas, on ne parle pas simplement que des trains qui arrivent en retard ; on parle quelquefois des trains qui arrivent à l'heure, cela peut arriver."
Parmi vos propositions, il y a augmentation du Smic au premier semestre 2001, augmentation des minima sociaux avant la fin de l'année... L. Fabius a dû sursauter à Bercy ?
- "Nous nous préoccupons de savoir ce que nous faisons de la croissance. L'ensemble des partis de la gauche plurielle constate que la croissance est là. Elle est sans doute fragile, L. Fabius a parfaitement raison de vouloir la consolider, de la renforcer mais il y a aussi un partage de ses fruits qui doit s'organiser. Il doit d'abord aller vers les plus démunis, et il est normal qu'à la fin de l'année, il y ait un geste qui soit fait du côté des chômeurs de longue durée, des allocataires, des minima sociaux."
Combien ? Ce n'est pas chiffré ?
- "Ce n'est pas chiffré parce qu'il faut regarder ce que l'on peut faire, comment on peut le faire et avec qui on doit le faire."
Vous êtes prudent !
- "C'est normal ! Nous sommes là pour affirmer un certain nombre d'orientations : il doit y avoir un geste du côté des allocataires de prestations liées aux minima sociaux. Deuxièmement, c'est vrai qu'il y a une croissance : c'est normal que les salariés y trouvent leur part. Qu'est-ce que peut faire l'Etat ? Les salaires sont une responsabilité patronale ; il peut au moins faire un signe du côté du Smic. Il le fera au premier semestre 2001 et il veillera à ce que les salariés, notamment ceux payés au Smic, soient davantage associés aux résultats des entreprises qui ont été excellents jusqu'à présent."
Il y a bientôt le congrès du PS : ce sera "tous derrière Jospin" ?
- "Le but d'un congrès n'est pas simplement de faire de la proclamation et du soutien sans condition. Nous avons quand même des modes de délibération qui font davantage appel à l'esprit, à la réflexion, qu'à l'applaudissement. L'objet du congrès est sans doute - avec L. Jospin - de porter un projet qui fera qu'au-delà du bon bilan que nous donnera L. Jospin, nous donnerons aussi de nouvelles ambitions pour le pays. C'est cela le sens même de l'action que nous avons engagée , nous les socialistes : un bilan et un projet."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 9 novembre 2000)