Interview de M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel, dans "Nice-Matin" du 30 novembre 2000, sur la validation des acquis professionnels.

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Média : Le Var Nice matin - Nice matin

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À l'heure où le sommet de Nice doit donner une nouvelle impulsion à la construction européenne, l'exemple français en matière de validation des acquis professionnels peut-il faire école sur le Vieux Continent ?
Je crois en effet que notre pratique de la validation des acquis professionnels peut être une référence en Europe. Notre expérience est solide : 15 000 personnes ont pu en bénéficier au cours des cinq dernières années. Il y a en la matière un modèle français lui-même adossé sur un système d'enseignement professionnel qui est déjà une référence dans le monde. Nous sommes déjà exportateur de bonnes idées. Je souhaite que ce soit encore le cas sur ce sujet.
La validation des acquis : est-ce la fin de la sacro-sainte religion du diplôme obtenu pendant le cursus scolaire ?
Les diplômes jouent à juste titre un rôle central sur le marché du travail en France ; parce qu'ils attestent de la qualification et des compétences d'un salarié qui recherche un emploi. Cette valeur des diplômes est une garantie pour l'employeur comme pour l'employé. Elle n'est contestée par personne. Cependant, la tradition dans l'enseignement professionnel est aussi de considérer que l'entreprise peut être un lieu de formation. D'ailleurs, 70 % des jeunes actuellement scolarisés effectueront une période de formation en entreprise durant leurs études toute filière confondue. La nouveauté, c'est que, grâce à la VAP, les diplômes ne valideront plus seulement une formation de type scolaire : un salarié qui aurait achevé ses études au niveau du CAP ou du Bac peut désormais acquérir un BTS ! Il franchit alors une réelle étape dans son parcours professionnel, et peut ainsi envisager différemment sa carrière.
Lorsque la loi de 92 a été votée on n'a sans doute pas assez mesuré son importance et le formidable potentiel qu'elle représente pour les salariés. Elle permet en effet de répondre aussi bien aux besoins des entreprises en termes d'évolution et d'élévation du niveau de compétences de la main d'uvre, et en même temps elle garantit aux salariés que leur expérience et leur savoir faire seront reconnus par un diplôme y compris s'il change d'entreprise.
L'Éducation Nationale d'une part, les chefs d'entreprises d'autre part jouent-ils le jeu ?
J'entends dire parfois que le bilan de la loi de 92 est modeste. Mais personne ne semble prendre conscience du chemin parcouru. La VAP nécessite de repérer dans l'expérience professionnelle d'un individu, ce qui constitue des connaissances qu'il aurait pu acquérir en suivant des cours. Pédagogiquement, cette démarche est aux antipodes de celle que nos enseignants pratiquent quotidiennement. Dans ces conditions, il fallait bien 5 ans pour mettre en place les jurys, préciser la nature de ce qu'ils ont à valider, former des spécialistes susceptibles d'aider les candidats dans leurs démarches, bref nous forger une expérience solide qui peut désormais servir de support pour étendre le dispositif.
Quant aux entreprises, nous travaillons évidemment en étroite collaboration avec elles pour élaborer et rénover nos diplômes, et ce, depuis fort longtemps. En fait, il n'y a pas un seul diplôme professionnel en France dont le contenu ne soit élaboré en commun avec les professions. C'est une très bonne chose et je suis attaché à ce partenariat parce que j'ai la conviction que c'est la bonne méthode pour garantir l'avenir professionnel et la qualification de nos élèves. Il est vrai que nous avons des débats avec certaines branches sur la nature des savoirs qui sont reconnus dans la VAP. Certains chefs d'entreprises font une différence entre les compétences des salariés à exercer une activité professionnelle et les qualifications requises pour y accéder. Personnellement, je ne comprends pas bien cette nuance, d'autant plus qu'elle est très nouvelle. Mais je crois que le dialogue et les discussions que nous menons avec le patronat devraient aplanir ces petites différences.
Avec l'adoption d'une loi au printemps prochain va t-on vers la mise en place d'une formation continue tout au long de la vie ?
La loi de modernisation sociale va incontestablement permettre des avancées importantes. Désormais, la durée d'activité requise sera de 3 ans, le candidat pourra obtenir un diplôme sans passer d'épreuve et les bénévoles des associations pourront faire reconnaître leur expérience. La VAP peut devenir un véritable instrument de gestion opérationnel de la main d'uvre et en même temps elle permettra une avancée des droits sociaux. La future loi la définit comme un droit individuel, transférable et garanti collectivement, c'est-à-dire reconnu par l'État et l'ensemble des partenaires sociaux. C'est précisément le sens que nous voulons donner à la formation tout au long de la vie : à quoi servirait-il de faire l'effort d'actualiser ses compétences si personne ne devait le reconnaître ?
Votre projet de lycées des métiers vise-t-il à redynamiser l'enseignement professionnel ? Quand verra-t-il le jour ? Réforme de plus ou deuxième chance pour ce secteur objet à la fois de beaucoup de soins et de polémiques du temps de M Allègre ?
Il existe déjà des lycées des métiers en France : A Genech près de Lille un établissement forme à l'ensemble des métiers du Bois, à Paris au Lycée Raspail les jeunes se préparent aux métiers de la climatique et je pourrais vous en citer bien d'autres encore. Nous voulons étendre ce principe qui permet d'offrir aux jeunes une image valorisante des professions qu'ils vont exercer, qui mélange les publics d'élèves scolarisés et d'adultes en formation continue, et surtout qui regroupe des diplômes allant du CAP aux licences professionnelles. Cela stimule l'ambition des jeunes. Et cela leur permet aussi de situer les compétences qu'ils acquièrent dans l'échelle d'excellence de leur métier. Il s'agit simplement d'un véritable projet structurant pour l'enseignement professionnel et technologique. Notre secteur connaît en effet de nombreuses difficultés paradoxales : A la fois une baisse de ses effectifs et en même temps la certitude pour les diplômés de trouver un emploi dès leur sortie du système scolaire. Face à ces enjeux, le temps des polémiques est je crois derrière nous. Il nous faut désormais avancer en mobilisant tous les acteurs de l'Éducation et les partenaires professionnels.
Propos recueillis par G.B.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 6 décembre 2000)