Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur les lignes directrices pour l'emploi pour 1999 et les propositions pour enrichir le plan européen pour l'emploi lancé au sommet européen de Luxembourg en 1997, au Sénat le 16 décembre 1998.

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Circonstance : Audition de M. Moscovici devant la commission des affaires sociales du Sénat-présentation du projet "Lignes directrices pour l'emploi pour 1999" élaboré par la Commission européenne et transmis au Parlement

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Je veux tout d'abord remercier le président Delaneau de me donner l'occasion de m'exprimer pour la première fois devant la Commission des affaires sociales. J'y vois d'ailleurs un signe positif quant à la réorientation de la construction européenne, et je salue l'initiative d'associer les membres de la délégation pour l'Union européenne à nos débats.
Comme vous le savez, le gouvernement a souhaité transmettre au Parlement le projet de lignes directrices pour l'emploi pour 1999, tel qu'il a été élaboré par la Commission européenne en octobre dernier.
Bien que le gouvernement n'ait pas, de l'avis du Conseil d'Etat, l'obligation de transmettre ce document au titre de l'article 88-4 de notre Constitution, cette transmission est apparue souhaitable - pour ne pas dire nécessaire - dans la mesure où cet acte, d'une portée juridique limitée, est au coeur d'une démarche politique, voulue par le gouvernement de Lionel Jospin depuis le Conseil européen d'Amsterdam en juin 1997, et qui vise à remettre l'emploi et la croissance au coeur de la construction européenne.
La Haute assemblée a pu disposer de ce texte dés le 10 novembre dernier, et ce texte a motivé deux propositions de résolutions, l'une émanant de M. Michel Barnier, l'autre signée par M. Guy Fischer et les membres du groupe communiste et citoyen. Ces propositions de résolutions ont été transmises pour un examen au fond à votre Commission, qui a adopté le rapport de M. Louis Sowet. Je sais que vous avez adopté définitivement votre propre résolution ce matin. Vous me permettrez néanmoins de faire référence dans mon propos aux deux propositions de résolution qui en sont à l'origine, ainsi qu'au rapport de Louis Sowet.
Ces deux propositions de résolutions sont de tonalité assez différente - cela n'étonnera personne -, mais elles comportent toutes deux une analyse approfondie de l'approche nouvelle concernant l'emploi que l'Union a su mettre en marche en novembre 1997 à Luxembourg : elles formulent un certain nombre de suggestions d'améliorations, d'enrichissements ou de modifications. J'aurai l'occasion d'y revenir mais je veux indiquer d'emblée qu'elles ont permis de compléter très utilement les vues du gouvernement, notamment dans la perspective du Conseil européen de Vienne, qui s'est tenu la semaine dernière, et dont une part essentielle de l'ordre du jour était consacré à la stratégie européenne pour l'emploi.
Le gouvernement a eu l'occasion de faire valoir son analyse et son point de vue sur la proposition initiale de la Commission à plusieurs reprises devant les instances européennes: par la voix de Martine Aubry, tout d'abord, lors du Conseil Affaires sociales du 20 novembre, puis lors de la session conjointe des ministres du Travail et des ministres de l'Economie, le 1er décembre, enfin par la voix du Premier Ministre, ainsi que du chef de l'Etat, vendredi dernier au Conseil européen.
Où en sommes-nous maintenant ? Je dirai que Vienne a constitué un moment charnière parce que nous étions en mesure d'établir un premier bilan de la procédure de Luxembourg, et qu'en même temps nous devions poser rapidement les jalons permettant d'enrichir cette démarche dans l'avenir. Telle était donc la mission que s'était fixée le Conseil européen à Vienne, à deux semaines du passage à l'euro, et je crois qu'il s'en est acquitté très honorablement.
I- A Vienne, nous avons ainsi pu établir un premier bilan de la procédure de Luxembourg
Tout d'abord, je tiens à rappeler, alors que le débat sur la révision constitutionnelle va se tenir demain devant la Haute assemblée, que la base de cette procédure, c'est le chapitre emploi du traité d'Amsterdam, mis en oeuvre par anticipation dès 1997, car la gravité de la situation de l'emploi commandait à l'évidence de ne pas attendre que l'ensemble des quinze procédures de ratification soient achevées.
Après Amsterdam, le Sommet de Luxembourg sur l'emploi a marqué une deuxième étape en novembre 1997.
Nous y avons défini - l'architecture générale d'un dispositif communautaire, autour d'une perspective commune clairement orientée vers l'emploi, avec des objectifs quantifiés communs ou des orientations plus qualitatives, qui marquent, pour reprendre l'expression de Jean-Claude Juncker, un "stress de convergence " sur les questions de l'emploi et de la lutte contre le chômage en Europe.
Cette perspective commune, ces lignes directrices, se déclinent dans des plans nationaux élaborés par les Etats-membres, qui doivent naturellement adapter ces lignes directrices au terrain particulier de leur marché du travail, car le sous-emploi, s'il est un mal largement répandu dans l'Union, n'a ni la même intensité, ni la même nature, en Allemagne, en Espagne ou en France.
Enfin, à Luxembourg, nous nous sommes mis d'accord sur une procédure de surveillance réciproque fondée sur l'évaluation des résultats obtenus par chaque pays sur le front de l'emploi au regard des engagements pris dans le cadre des lignes directrices et des plans d'action nationaux.
Les lignes directrices adoptées l'année dernière par les Quinze, faisaient l'objet d'un compromis entre des gouvernements de sensibilités diverses. Je ne ferai que deux remarques à leur sujet.
Ma première remarque, c'est que nous nous y retrouvons pleinement. Il est exact que la sémantique retenue à Luxembourg est d'inspiration un peu anglo-saxonne puisque les quatre piliers de Luxembourg se fondent sur les notions d'employabilité, d'esprit d'entreprise, de capacité d'adaptation et d'égalité des chances, ce dont la proposition de résolution de Michel Barnier, je crois, se félicite.
Mais, derrière cette sémantique, il y a des orientations auxquelles nous souscrivons pleinement.
L'employabilité se décline autour de trois objectifs, ayant trait notamment au nouveau départ que nous devons offrir à tout jeune chômeur avant son sixième mois de chômage et à tout chômeur adulte avant son douzième mois de chômage. Le programme TRACE de lutte contre les exclusions, tout comme le renforcement significatif de notre service public de l'emploi, participent pleinement de cette démarche: prévenir précocement l'exclusion, en offrant à chaque personne fragilisée une chance de reprendre contact avec l'univers du travail, sous forme de stage, d'action d'insertion, ou d'emploi.
De même, derrière le concept d'esprit d'entreprise, l'on trouve des orientations communes très précises, ayant trait à l'exploitation des opportunités de nouvelles créations d'emplois, notamment pour les nouvelles activités liés aux besoins non encore satisfaits par le marché, ou encore le rééquilibrage des systèmes de prélèvements obligatoires dans un sens plus favorable à l'emploi. Le programme des emplois-jeunes, le basculement progressif des cotisations d'assurance-maladie sur la CSG, la suppression progressive de la part salaires de la taxe professionnelle, telles sont les réponses que notre plan national d'action apporte à ces orientations communes.
Enfin, derrière le concept de capacité d'adaptation, l'on trouve des orientations relatives à l'organisation du travail et à la réduction du temps de travail. N'en déplaise à Michel Barnier, la réduction du temps de travail est donc euro-compatible et le risque du "cavalier seul" qu'il souhaite - après d'autres - conjurer dans votre proposition de résolution ne nous effraie pas, s'il s'agit de faire la course en tête. Au demeurant, je parlerai plutôt d'un " peloton de tête " puisque l'Italie, l'Allemagne et les Pays-Bas au moins se sont également engagés dans cette voie, même si les modalités en sont diverses.
Ma seconde remarque consiste à préciser que les lignes directrices pour 1999 ne modifient qu'à la marge le texte que nous avions adopté à Luxembourg.
En effet, les évolutions enregistrées en Europe dans le domaine de l'emploi sont clairement positives, avec 1,7 million de créations d'emplois dans l'année écoulée. Comme vous le savez, la France a participé de cette embellie. Pour autant, ces évolutions positives n'appelaient pas de révision en profondeur de la stratégie pour l'emploi adoptée à Luxembourg. La Commission a plutôt souhaité la conforter, en l'installant dans la durée, et en consolidant sa crédibilité naissante. Au Conseil européen de Vienne, les Quinze ont ratifié très largement cette approche. Les lignes directrices pour 1999 consistent ainsi, pour l'essentiel, à procéder à un certain nombre de reclassements à l'intérieur de la structure en quatre piliers que j'évoquais.
Le quatrième pilier, consacré à l'égalité des chances, apparaissait un peu en marge dans l'architecture actuelle.
Nous avons donc décidé de réintégrer l'action en faveur des personnes handicapées au sein du premier pilier, consacré à l'employabilité et à l'insertion, ce qui paraît plus cohérent.
De même, l'égalité professionnelle hommes/femmes doit sortir de ce "ghetto" du quatrième pilier, pour devenir un objectif sous-jacent de chacune des lignes directrices, notamment de celles relatives au nouveau départ des jeunes chômeurs et des chômeurs adultes, qui doit pouvoir bénéficier dans des proportions à peu près égales aux hommes et aux femmes. Il y a là une méthode plus efficace qu'une simple déclaration générale de bonne volonté, qui ne s'appuierait pas sur des objectifs concrets.
La proposition de résolution de Michel Barnier, comme le rapport de Louis Sowet, s'émeuvent de ce que ces publics-cibles soient élargis en 1999 aux "minorités ethniques". Il s'agit effectivement d'un ajout proposé par la Commission, et dont il est exact que nous ne l'aurions pas proposé de notre propre mouvement. Pour autant, nous ne nous sommes pas estimés fondés à en demander le retrait, dès lors qu'il ne peut pas nous gêner réellement. Notre droit interne interdit toute forme de discrimination positive à l'égard des minorités ethniques, catégorie que la République ne reconnaît pas, comme le rappelle justement Michel Barnier, mais que d'autres Etats-membres admettent: nous ne sommes pas seuls en Europe. En revanche, le principe d'égalité, au frontispice de la devise de la République, exige que personne ne soit écarté du chemin de l'emploi en raison de sa couleur - de peau ou de ses convictions religieuses. De ce point de vue, il n'était pas inutile, me semble-t-il, que les lignes directrices donnent un contenu plus précis au concept d'égalité des chances.
Par ailleurs, le gouvernement avait fait part de son souhait de voir rétablie la ligne directrice relative à l'expérimentation d'un taux de TVA réduit dans les secteurs à forte intensité de main d'oeuvre. Votre Commission partageait ce souhait, dans les conclusions adoptées après l'examen du rapport de Louis Souvet. Elle peut être rassurée, puisque le Conseil européen de Vienne a pleinement fait droit à cette demande.
II- Le Conseil européen de Vienne a aussi permis de poser des jalons pour enrichir cette démarche communautaire sur l'emploi dans l'avenir
Cette étape de consolidation, à Vienne, d'une procédure neuve et ambitieuse était sans doute nécessaire. Mais elle ne suffirait pas si elle ne devait pas permettre de passer rapidement à un niveau d'ambition plus grand encore. C'est le sens de la démarche que nous avons amorcée à Potsdam, lors du Sommet franco-allemand, en tirant parti de la volonté du nouveau gouvernement allemand d'accentuer les efforts entrepris par l'Union depuis un an. Dans une déclaration conjointe, nous avons donc demandé un véritable pacte européen pour l'emploi, qui vienne équilibrer le pacte de stabilité et de croissance.
Le Conseil européen a repris cette idée à Vienne, et je crois donc pouvoir dire que l'une des revendications exprimées par le groupe communiste et citoyen dans sa proposition de résolution a trouvé un écho tout à fait favorable à Vienne.
Le Premier ministre, Lionel Jospin, dans son intervention devant le Conseil européen, a précisé le contenu qu'il donnait à ce concept de pacte européen pour l'emploi, à savoir principalement quatre éléments :
- Le premier élément, c'est d'enrichir la logique des objectifs quantifiés et mesurables, que nous avions ébauchée à Luxembourg, en dotant l'Union d'une batterie d'objectifs chiffrés relatifs au nouveau départ des jeunes chômeurs et des chômeurs adultes, ainsi qu'à l'effort de formation en direction des chômeurs.
Il faut aller au-delà et la France a émis le souhait que la Commission fasse rapidement des propositions plus précises au Conseil dans ce domaine. Elle ne devrait pas se faire violence outre mesure, car c'est une logique qu'elle soutient depuis un certain temps. Du reste, elle avait suggéré un certain nombre de pistes dans la communication accompagnant son projet de lignes directrices révisées pour 1999 : objectifs relatifs aux coûts extra-salariaux d'une embauche supplémentaire, coût du recours à une aide ménagère, croissance de l'emploi dans le secteur de l'économie sociale et du développement local, par exemple.
- La deuxième piste, c'est de faire en sorte que l'évaluation des résultats fasse véritablement l'objet d'une procédure de surveillance multilatérale, dont nous avions retenu le principe à Luxembourg, mais qui n'a pas été mise en oeuvre cette année.
Les obstacles techniques ne sont pas minces: comparabilité des statistiques dans les différents pays de l'Union, construction d'indicateurs pertinents, etc. Je sais que la volonté de Martine Aubry est de procéder dans cette matière avec ordre et discernement. Nous serons sans doute prêts pour un exercice d'évaluation complet qui devrait avoir lieu en juin 1999.
Cette dimension de la démarche de Luxembourg est cruciale pour asseoir sa crédibilité. A défaut, nous prendrions le risque de faire de la révision des lignes directrices chaque année un simple exercice de "toilettage", sans lien avec la mesure réelle des progrès enregistrés. Et l'objectif de convergence des politiques nationales pour l'emploi, qui préside à la démarche de Luxembourg, s'en trouverait altéré.
- Le troisième élément de ce pacte européen pour l'emploi consiste en une meilleure articulation des lignes directrices avec les grands orientations de politique économique (GOPE), qui constituent l'un des instruments essentiels de la coordination des politiques économiques. En effet, la stratégie européenne pour l'emploi doit .s'inscrire à l'intérieur d'une politique de croissance, à la fois durable, plus riche en emplois et solidaire. Nous devons faire en sorte que les procédures communautaires traduisent cette volonté.
- Enfin, le quatrième élément a trait au développement du dialogue social au niveau européen, et aussi dans les Etats-membres sur les questions européennes.
Comme vous le savez, le Premier ministre, Lionel Jospin, avait tenu à consulter les partenaires sociaux le 3 décembre dernier avant de se rendre à Vienne. Martine Aubry et moi-même étions présents lors de ce dialogue social sur les sujets européens, d'un genre assez nouveau dans notre pays. Il faut qu'il devienne la règle, une sorte d'habitude, car nous ne progresserons dans l'Union sur les questions d'emploi, sur les questions d'harmonisation sociale également, qu'à la condition d'associer pleinement les partenaires sociaux à la réflexion de la Commission et aux travaux du Conseil. Dans le domaine de l'harmonisation sociale, les partenaires sociaux ont ainsi vocation à devenir des "co-législateurs", pour finalement ne laisser la Commission et le Conseil reprendre l'initiative qu'en cas de carence manifeste. Nous en sommes encore loin, et une première étape doit donc consister à donner à ce dialogue social sur les questions européennes un cadre institutionnel, une certaine régularité, une certaine densité aussi.
Tous ces éléments constitutifs du pacte européen pour l'emploi sont repris dans les conclusions du Conseil européen, et nous nous en félicitons.
Il reste maintenant à le mettre en oeuvre, sous la présidence allemande, dont nous attendons qu'elle joue un rôle moteur.
Le succès de l'euro en 1999 se jugera à l'aune de nombreux critères, notamment à la qualité du policy-mix qui pourra être mis en oeuvre, à la qualité du dialogue qui pourra s'établir entre la Banque centrale européenne et le Conseil de l'euro, et nous avons plutôt de premiers signes encourageants de ce côté-là, avec la baisse concertée des taux d'intérêt que nous venons d'enregistrer.
Mais le succès de l'euro et sa bonne acceptation sociale seront tributaires également de l'inflexion qui sera donnée à la construction européenne en faveur de l'emploi. Et c'est la raison pour laquelle les Quinze devront s'attacher en 1999 à traduire leur volonté dans ce domaine en actes concrets.
Je vous remercie de votre attention, et je suis prêt, maintenant, à répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2001)