Texte intégral
Monsieur le Recteur,
Messieurs les Présidents d'association,
Madame, Messieurs
Nous voici réunis pour la seconde fois en session plénière de la "Consultation des représentants des principales sensibilités musulmanes sur l'organisation du culte musulman en France", consultation à laquelle je vous avais conviés le 29 octobre dernier, afin de rechercher avec l'humilité qui convient à un sujet si difficile, les voies menant à l'organisation d'instances propres à rapprocher et organiser les musulmans de France dans le respect de leur diversité.
Je suis heureux de retrouver l'ensemble des participants de notre dernière réunion plénière, représentant des fédérations nationales, ou de grandes mosquées indépendantes ayant une audience régionale, ainsi que l'ensemble des personnalités qualifiées.
Bien entendu, je ne caresse pas l'illusion que nos efforts touchent à leur terme, et que nous allons conclure aujourd'hui les travaux de la Consultation : cette réunion est une réunion d'étape.
Je suis particulièrement heureux de saluer la délégation de la FFAIACA, la Fédération Française des Associations Islamiques d'Afrique des Comores et des Antilles, conduite par son président M. El Hadj Moussa TOURE.
La FFAIACA n'est pas une organisation inconnue pour nous. Fondée il y a plus de 10 ans, elle a connu une assez longue période d'effacement, puis récemment un nouvel éveil qui trouve sa traduction logique aujourd'hui. Plusieurs membres de la Consultation avaient relevé la faible place accordée aux musulmans originaires de l'Afrique sub saharienne, et ceci notamment lors de la première séance plénière.
M. El Hadj Moussa TOURE m'a écrit pour me faire part de l'adhésion pleine et entière de la FFAIACA au texte des "Principes et fondements juridiques régissant les rapports entre les pouvoirs publics et le culte musulman en France", et de son désir de voir l'organisation qu'il préside être admise à la Consultation. Sa représentativité repose notamment sur un nombre important de lieux de culte établis dans des foyers de travailleurs, et qui se sont très récemment constitués en association. Cette organisation a été invitée aujourd'hui en tant qu'observateur. Je vous proposerai en fin de séance, si vous en êtes d'accord, d'accueillir désormais la FFAIACA comme membre à part entière dans la Consultation. Je vois en tout état de cause dans cette candidature, un signe de la dynamique produite par la Consultation, qui exerce ses effets sur l'ensemble des composantes du culte musulman dans notre pays.
*
* *
Près de six mois se sont déjà écoulés depuis le lancement de la Consultation. Celle-ci a en général rencontré un écho très favorable, mais bien que les objectifs et les moyens de cette initiative aient été clairement exposés dès l'origine, elle a aussi quelquefois suscité la surprise, voire même l'incompréhension ou la méfiance. Ces phénomènes sont dus en partie sans doute, à la coexistence dans la démarche de deux éléments apparemment contradictoires : d'une part un volontarisme certain, émanant de la puissance publique qui a clairement pris l'initiative, et d'autre part la réaffirmation forte par la même puissance publique de son acceptation de la volonté des musulmans, et de leur capacité de décider eux-mêmes de la forme et des moyens de leur organisation. La seule limite étant bien entendu le respect des lois de notre pays, qui sont les mêmes que celles qui sont appliquées au fonctionnement de tous les cultes sans exception, et qui leur assurent une totale liberté de fonctionnement.
La première réunion plénière, le 28 janvier dernier, dans cette même salle, a vu l'accomplissement d'un acte solennel d'une très grande importance. Je me réfère naturellement à l'adoption du texte des "Principes et fondements juridiques régissant les rapports entre les pouvoirs publics et le culte musulman en France". Cet acte a constitué un très bon départ pour la Consultation, en même temps qu'il a établi un socle solide sur lequel édifier une instance représentative pour le culte musulman.
La portée de ce texte et la nécessité de son adoption par le collectif de la Consultation que vous constituez, ne sont pas apparus d'emblée à tous. Certains ont voulu y voir une charte, d'autres une "déclaration d'allégeance à la République", allant jusqu'à parler de discrimination manifestée à l'égard des musulmans à qui on demandait de prêter serment à la République et à ses institutions
Vous avez pu hésiter, voire même contester certaines formules et demander certaines modifications qui ne remettaient pas en cause son esprit, mais vous avez finalement, après une légitime réflexion, accepté ce texte et à travers vous, une large partie des différents courants qui constituent l'islam de France l'ont accepté. Ce faisant, vous avez fait accéder le culte musulman à sa place légitime parmi les autres cultes plus anciennement installés au sein du système original de la laïcité à la française fondé il y a presque un siècle, alors que le culte musulman n'était pas présent dans notre pays (même s'il l'était outre-mer dans ce qui était alors l'empire).
Chacun peut maintenant comprendre que loin de constituer une exigence exorbitante, voire discriminatoire, le souhait exprimé par la puissance publique de vous voir prendre en considération ce texte, constituait pour le culte musulman une chance historique de rattrapage, lui permettant de se situer par un acte librement consenti de plain pied avec les autres cultes, sans aucune ambiguïté et de façon irréversible.
Rien ne démontre mieux la pertinence de cette démarche, et sa véritable signification, que le silence auquel ont été réduits ses détracteurs après que vous ayez collectivement approuvé ce texte.
La signature de ce texte concluant sa phase préliminaire, la Consultation proprement dite a pu commencer. La tâche qui est devant nous est considérable et plusieurs "chantiers" ont été ouverts simultanément.
Car bien entendu, c'est seulement au niveau des principes qu'avec le texte que vous avez validé, l'islam est entré officiellement dans le cadre régissant le rapport entre les pouvoirs publics et les cultes en France, en parfaite égalité avec les autres cultes. C'est déjà beaucoup mais ce n'est pas assez : de nombreuses inégalités subsistent, nous le savons, dans les faits, auxquelles il faut maintenant s'attaquer. Ainsi que je l'ai rappelé lors de notre dernière rencontre, la Consultation, par la médiatisation de sa démarche et de ses travaux, est un processus qui vise tout particulièrement à faire évoluer les mentalités dans notre pays et à faire reculer les préjugés là où ils existent.
Les pouvoirs publics sont déterminés à assumer la part de responsabilité qui leur incombe dans ce domaine.
Dans la semaine qui a suivi la signature du texte sur les "Principes et fondements juridiques régissant les rapports entre les pouvoirs publics et le culte musulman en France", j'ai donné des instructions pour que celui-ci soit adressé aux ministères et aux organismes concernés, à tous les parlementaires, -députés et sénateurs-, et à tous les préfets de France. Ceux-ci continueront d'être régulièrement tenus au courant des progrès de la Consultation.
Un "Journal de la Consultation des musulmans de France", dont vous trouverez le premier numéro dans le dossier qui vous a été remis, sera diffusé régulièrement, fournissant une documentation objective sur la progression de la Consultation. Ce journal est d'ores et déjà consultable sur le site Internet du Ministère de l'Intérieur, dont les coordonnées sont rappelées à sa dernière page.
L'effort va porter dans l'avenir immédiat en direction des collectivités locales qui sont appelées à jouer un rôle primordial dans l'intégration du culte musulman et l'évolution des mentalités que j'ai déjà mentionnée. Des représentants de l'Association des Maires de France participent d'ores et déjà aux travaux du groupe thématique consacré aux "lieux de culte". Mais de plus, un grand colloque ayant comme thème "l'islam dans un espace laïque" sera organisé conjointement par le Ministère de l'Intérieur et l'UNESCO en juin prochain, à l'intention de 400 élus des villes où existe une importante population musulmane.
Il s'agit notamment de faire accepter l'implantation de lieux de culte assurant la dignité, voire la sécurité des fidèles, là où le besoin existe. Par ailleurs, il s'agit aussi de permettre l'intervention d'aumôniers là où existent des personnes qui sont maintenues ou retenues, comme dans les établissements hospitaliers ou pénitentiaires.
Au-delà de ces exemples d'un traitement inégalitaire, fruit d'une longue histoire souvent faite d'incompréhension, à laquelle il faut mettre un terme, les musulmans ont à trouver le chemin d'une organisation débouchant sur une instance représentative. Celle-ci répondra à un profond et ancien désir des musulmans eux-mêmes, désir qui est inséparable de la volonté d'intégration qui anime la grande majorité d'entre eux.
Voilà les objectifs qui sont ceux de la Consultation, qui en sont la raison d'être.
Notre réunion plénière d'aujourd'hui diffère assez largement de la précédente, en ce sens qu'il n'y a pas à en attendre d'événement spectaculaire. Moins de trois mois après le vrai départ de la Consultation, la réunion d'aujourd'hui permet une respiration, une halte où nous pouvons dresser un bilan - très appréciable - des premiers travaux et des quelques difficultés qui ont surgi. Il me semble que nous devons mesurer le chemin parcouru et celui qui est à parcourir avec sérénité et détermination, en prenant le temps nécessaire pour aller au fond des choses.
Comme il avait été décidé à l'issue de la réunion plénière du 28 janvier, trois groupes de travail thématiques mixtes ont été constitués, rassemblant d'une part des experts désignés par les organisations musulmanes ainsi que des personnalités qualifiées, et d'autre part, des responsables de l'administration du ministère de l'intérieur et d'autres ministères concernés. Ces groupes - qui ont un peu tardé à se constituer - ont néanmoins travaillé efficacement dans un laps de temps assez court: chacun d'entre eux a produit un pré-rapport qui vous sera présenté dans quelques instants, et soumis à votre examen. Il s'agit du groupe "lieux de culte", du groupe "structures associatives" qui ont travaillé dans un esprit très largement consensuel. Le troisième et dernier à s'être constitué, qui est consacré aux "ministres du culte" a vu s'opposer des conceptions différentes qui n'ont pu encore être surmontées, ce qui n'a rien d'anormal ; l'état de ses travaux vous sera également présenté.
Ces groupes ont donc dans l'ensemble bien répondu à ce que l'on attendait d'eux, et dans un excellent climat. Ils se sont attaqués à des dossiers difficiles et complexes et ont élaboré des recommandations qui vont permettre à la situation du culte musulman de progresser de façon, j'en suis sûr, extrêmement visible et positive.
Après ces premiers résultats encourageants, je vous proposerai le principe de la constitution dans les semaines qui viennent, de deux nouveaux groupes de travail consacrés à deux questions qui nécessitent impérativement d'être mises à l'étude :
- la première avait été évoquée lors de notre précédente réunion. C'est celle des aumôneries. La demande, notamment dans les hôpitaux et les lieux de détention, est considérable alors que le manque de coordination et la difficulté de trouver des interlocuteurs reconnus ont conduit jusqu'à présent à une offre beaucoup trop faible et souvent mal adaptée. Le groupe de travail devra d'abord engager sans tarder le dialogue avec le Ministère de l'emploi et de la solidarité d'une part, celui de la justice d'autre part.
- la seconde question concerne l'organisation de l'abattage rituel au moment de la fête de l'Aïd el Kebir. La mauvaise adéquation entre la capacité d'abattages réguliers -la seule qui soit légale- et la demande en augmentation régulière a entraîné une réponse qui n'est plus adaptée : celle de sites d'abattage dits dérogatoires qui font planer la menace d'une procédure contentieuse déclenchée contre la France devant le tribunal européen de Luxembourg. Là encore des solutions modernes devront être proposées par ce groupe de travail qui uvrera au seul niveau pertinent : le niveau national.
Sur ces deux nouveaux thèmes, la Consultation pourra, comme pour les thèmes actuellement étudiés, rassembler des matériaux solides qui constitueront les bases sur laquelle la future organisation pourra s'édifier.
J'en viens maintenant, pour finir, à la commission spéciale consacrée à cette question centrale de l'organisation.
Quel doit être le statut de cette commission ? Je vous rappelle qu'elle diffère des autres groupes de travail par cette donnée essentielle que l'Administration de ce ministère ne saurait en être co-responsable. En effet, dès le démarrage de la Consultation, il a été dit clairement que la responsabilité de l'organisation de l'islam revenait aux seuls musulmans, le Ministère de l'intérieur ne faisant que leur prêter son concours. La mise sur pied de cette commission - qui a été la plus tardive - a connu quelques difficultés de démarrage qui étaient sans doute dans l'ordre des choses.
La commission a cependant été constituée en étroite référence à l'organisation de la Consultation, avec le seul souci de limiter ses participants à un nombre permettant un travail efficace. Les trois groupes de consultés y sont donc présents :
- les représentants des fédérations qui détiennent une part de représentativité et d'audience nationales,
- les représentants des grandes mosquées indépendantes, qui détiennent elles aussi une part de représentativité et d'audience à l'échelon régional ou local, mais qui symbolisent également la part des fidèles musulmans qui ne sont pas affiliés à une organisation nationale,
- enfin, les personnes qualifiées pour leurs compétences qui symbolisent, comme je le rappelais la dernière fois, des écoles de pensées ou de recherche, et qui symbolisent également les musulmans indépendants des organisations.
Il est donc parfaitement clair que les consultés sont dans des situations très différentes d'un groupe à l'autre, et les uns des autres dans ces groupes, quant au nombre de fidèles qu'ils peuvent prétendre représenter. Ces différences devront naturellement jouer quand il s'agira d'adopter le projet d'instance représentative élaboré, et plus encore quand il s'agira de le mettre en uvre.
Mais alors qu'il ne s'agit que de le concevoir, au sein de la Commission chargée de cette tâche, il me semble évident que tous ses membres devraient y participer sur un pied d'égalité.
Quel doit être en effet le rôle de cette commission à l'intérieur du processus de la Consultation ? Celui d'élaborer un projet d'organisation représentative destinée à se superposer aux organisations existantes qui maintiendraient leur indépendance et leur identité.
Si je voulais risquer une image pour mieux me faire comprendre, je dirais que cette commission est chargée de concevoir les plans de la future maison commune. Le résultat de ses travaux, comme celui des groupes de travail mixtes, devra être rapporté et examiné en séance plénière comme celle que nous tenons aujourd'hui.
Le bon sens oriente, me semble-t-il, la création nouvelle vers un système confédéral. Mais c'est à vous d'en décider ainsi, je le redis encore une fois ici très nettement. Je n'entends pas prendre position à votre place. Il vous appartient de faire connaître vos positions respectives, auxquelles je serais attentif.
Il me semble que les trois mois qui se sont écoulés depuis notre dernière séance plénière ont été mis à profit pour mieux vous connaître et pour commencer à expérimenter des méthodes de travail nécessairement innovantes.
Un état d'esprit nouveau se manifeste, qui commence à trouver ses relais chez les fidèles du culte musulman, dans l'ensemble du pays.
L'adhésion de ceux-ci à la démarche entreprise est une condition majeure de son succès. Soyez assurés de ma détermination à uvrer avec vous pour que celle-ci aille jusqu'à son terme, et dans des conditions de totale transparence.
Si vous en êtes d'accord, je vous propose de passer immédiatement à l'audition et à la discussion des pré-rapports des trois groupes de travail mixtes. Nous pourrons ensuite entendre le rapport sur la commission "organisation" qui donnera certainement lieu à une discussion générale d'orientation, où chacun pourra s'exprimer.
(Source : http://www.interieur.gouv.fr, le 22 avril 2000)
Messieurs les Présidents d'association,
Madame, Messieurs
Nous voici réunis pour la seconde fois en session plénière de la "Consultation des représentants des principales sensibilités musulmanes sur l'organisation du culte musulman en France", consultation à laquelle je vous avais conviés le 29 octobre dernier, afin de rechercher avec l'humilité qui convient à un sujet si difficile, les voies menant à l'organisation d'instances propres à rapprocher et organiser les musulmans de France dans le respect de leur diversité.
Je suis heureux de retrouver l'ensemble des participants de notre dernière réunion plénière, représentant des fédérations nationales, ou de grandes mosquées indépendantes ayant une audience régionale, ainsi que l'ensemble des personnalités qualifiées.
Bien entendu, je ne caresse pas l'illusion que nos efforts touchent à leur terme, et que nous allons conclure aujourd'hui les travaux de la Consultation : cette réunion est une réunion d'étape.
Je suis particulièrement heureux de saluer la délégation de la FFAIACA, la Fédération Française des Associations Islamiques d'Afrique des Comores et des Antilles, conduite par son président M. El Hadj Moussa TOURE.
La FFAIACA n'est pas une organisation inconnue pour nous. Fondée il y a plus de 10 ans, elle a connu une assez longue période d'effacement, puis récemment un nouvel éveil qui trouve sa traduction logique aujourd'hui. Plusieurs membres de la Consultation avaient relevé la faible place accordée aux musulmans originaires de l'Afrique sub saharienne, et ceci notamment lors de la première séance plénière.
M. El Hadj Moussa TOURE m'a écrit pour me faire part de l'adhésion pleine et entière de la FFAIACA au texte des "Principes et fondements juridiques régissant les rapports entre les pouvoirs publics et le culte musulman en France", et de son désir de voir l'organisation qu'il préside être admise à la Consultation. Sa représentativité repose notamment sur un nombre important de lieux de culte établis dans des foyers de travailleurs, et qui se sont très récemment constitués en association. Cette organisation a été invitée aujourd'hui en tant qu'observateur. Je vous proposerai en fin de séance, si vous en êtes d'accord, d'accueillir désormais la FFAIACA comme membre à part entière dans la Consultation. Je vois en tout état de cause dans cette candidature, un signe de la dynamique produite par la Consultation, qui exerce ses effets sur l'ensemble des composantes du culte musulman dans notre pays.
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Près de six mois se sont déjà écoulés depuis le lancement de la Consultation. Celle-ci a en général rencontré un écho très favorable, mais bien que les objectifs et les moyens de cette initiative aient été clairement exposés dès l'origine, elle a aussi quelquefois suscité la surprise, voire même l'incompréhension ou la méfiance. Ces phénomènes sont dus en partie sans doute, à la coexistence dans la démarche de deux éléments apparemment contradictoires : d'une part un volontarisme certain, émanant de la puissance publique qui a clairement pris l'initiative, et d'autre part la réaffirmation forte par la même puissance publique de son acceptation de la volonté des musulmans, et de leur capacité de décider eux-mêmes de la forme et des moyens de leur organisation. La seule limite étant bien entendu le respect des lois de notre pays, qui sont les mêmes que celles qui sont appliquées au fonctionnement de tous les cultes sans exception, et qui leur assurent une totale liberté de fonctionnement.
La première réunion plénière, le 28 janvier dernier, dans cette même salle, a vu l'accomplissement d'un acte solennel d'une très grande importance. Je me réfère naturellement à l'adoption du texte des "Principes et fondements juridiques régissant les rapports entre les pouvoirs publics et le culte musulman en France". Cet acte a constitué un très bon départ pour la Consultation, en même temps qu'il a établi un socle solide sur lequel édifier une instance représentative pour le culte musulman.
La portée de ce texte et la nécessité de son adoption par le collectif de la Consultation que vous constituez, ne sont pas apparus d'emblée à tous. Certains ont voulu y voir une charte, d'autres une "déclaration d'allégeance à la République", allant jusqu'à parler de discrimination manifestée à l'égard des musulmans à qui on demandait de prêter serment à la République et à ses institutions
Vous avez pu hésiter, voire même contester certaines formules et demander certaines modifications qui ne remettaient pas en cause son esprit, mais vous avez finalement, après une légitime réflexion, accepté ce texte et à travers vous, une large partie des différents courants qui constituent l'islam de France l'ont accepté. Ce faisant, vous avez fait accéder le culte musulman à sa place légitime parmi les autres cultes plus anciennement installés au sein du système original de la laïcité à la française fondé il y a presque un siècle, alors que le culte musulman n'était pas présent dans notre pays (même s'il l'était outre-mer dans ce qui était alors l'empire).
Chacun peut maintenant comprendre que loin de constituer une exigence exorbitante, voire discriminatoire, le souhait exprimé par la puissance publique de vous voir prendre en considération ce texte, constituait pour le culte musulman une chance historique de rattrapage, lui permettant de se situer par un acte librement consenti de plain pied avec les autres cultes, sans aucune ambiguïté et de façon irréversible.
Rien ne démontre mieux la pertinence de cette démarche, et sa véritable signification, que le silence auquel ont été réduits ses détracteurs après que vous ayez collectivement approuvé ce texte.
La signature de ce texte concluant sa phase préliminaire, la Consultation proprement dite a pu commencer. La tâche qui est devant nous est considérable et plusieurs "chantiers" ont été ouverts simultanément.
Car bien entendu, c'est seulement au niveau des principes qu'avec le texte que vous avez validé, l'islam est entré officiellement dans le cadre régissant le rapport entre les pouvoirs publics et les cultes en France, en parfaite égalité avec les autres cultes. C'est déjà beaucoup mais ce n'est pas assez : de nombreuses inégalités subsistent, nous le savons, dans les faits, auxquelles il faut maintenant s'attaquer. Ainsi que je l'ai rappelé lors de notre dernière rencontre, la Consultation, par la médiatisation de sa démarche et de ses travaux, est un processus qui vise tout particulièrement à faire évoluer les mentalités dans notre pays et à faire reculer les préjugés là où ils existent.
Les pouvoirs publics sont déterminés à assumer la part de responsabilité qui leur incombe dans ce domaine.
Dans la semaine qui a suivi la signature du texte sur les "Principes et fondements juridiques régissant les rapports entre les pouvoirs publics et le culte musulman en France", j'ai donné des instructions pour que celui-ci soit adressé aux ministères et aux organismes concernés, à tous les parlementaires, -députés et sénateurs-, et à tous les préfets de France. Ceux-ci continueront d'être régulièrement tenus au courant des progrès de la Consultation.
Un "Journal de la Consultation des musulmans de France", dont vous trouverez le premier numéro dans le dossier qui vous a été remis, sera diffusé régulièrement, fournissant une documentation objective sur la progression de la Consultation. Ce journal est d'ores et déjà consultable sur le site Internet du Ministère de l'Intérieur, dont les coordonnées sont rappelées à sa dernière page.
L'effort va porter dans l'avenir immédiat en direction des collectivités locales qui sont appelées à jouer un rôle primordial dans l'intégration du culte musulman et l'évolution des mentalités que j'ai déjà mentionnée. Des représentants de l'Association des Maires de France participent d'ores et déjà aux travaux du groupe thématique consacré aux "lieux de culte". Mais de plus, un grand colloque ayant comme thème "l'islam dans un espace laïque" sera organisé conjointement par le Ministère de l'Intérieur et l'UNESCO en juin prochain, à l'intention de 400 élus des villes où existe une importante population musulmane.
Il s'agit notamment de faire accepter l'implantation de lieux de culte assurant la dignité, voire la sécurité des fidèles, là où le besoin existe. Par ailleurs, il s'agit aussi de permettre l'intervention d'aumôniers là où existent des personnes qui sont maintenues ou retenues, comme dans les établissements hospitaliers ou pénitentiaires.
Au-delà de ces exemples d'un traitement inégalitaire, fruit d'une longue histoire souvent faite d'incompréhension, à laquelle il faut mettre un terme, les musulmans ont à trouver le chemin d'une organisation débouchant sur une instance représentative. Celle-ci répondra à un profond et ancien désir des musulmans eux-mêmes, désir qui est inséparable de la volonté d'intégration qui anime la grande majorité d'entre eux.
Voilà les objectifs qui sont ceux de la Consultation, qui en sont la raison d'être.
Notre réunion plénière d'aujourd'hui diffère assez largement de la précédente, en ce sens qu'il n'y a pas à en attendre d'événement spectaculaire. Moins de trois mois après le vrai départ de la Consultation, la réunion d'aujourd'hui permet une respiration, une halte où nous pouvons dresser un bilan - très appréciable - des premiers travaux et des quelques difficultés qui ont surgi. Il me semble que nous devons mesurer le chemin parcouru et celui qui est à parcourir avec sérénité et détermination, en prenant le temps nécessaire pour aller au fond des choses.
Comme il avait été décidé à l'issue de la réunion plénière du 28 janvier, trois groupes de travail thématiques mixtes ont été constitués, rassemblant d'une part des experts désignés par les organisations musulmanes ainsi que des personnalités qualifiées, et d'autre part, des responsables de l'administration du ministère de l'intérieur et d'autres ministères concernés. Ces groupes - qui ont un peu tardé à se constituer - ont néanmoins travaillé efficacement dans un laps de temps assez court: chacun d'entre eux a produit un pré-rapport qui vous sera présenté dans quelques instants, et soumis à votre examen. Il s'agit du groupe "lieux de culte", du groupe "structures associatives" qui ont travaillé dans un esprit très largement consensuel. Le troisième et dernier à s'être constitué, qui est consacré aux "ministres du culte" a vu s'opposer des conceptions différentes qui n'ont pu encore être surmontées, ce qui n'a rien d'anormal ; l'état de ses travaux vous sera également présenté.
Ces groupes ont donc dans l'ensemble bien répondu à ce que l'on attendait d'eux, et dans un excellent climat. Ils se sont attaqués à des dossiers difficiles et complexes et ont élaboré des recommandations qui vont permettre à la situation du culte musulman de progresser de façon, j'en suis sûr, extrêmement visible et positive.
Après ces premiers résultats encourageants, je vous proposerai le principe de la constitution dans les semaines qui viennent, de deux nouveaux groupes de travail consacrés à deux questions qui nécessitent impérativement d'être mises à l'étude :
- la première avait été évoquée lors de notre précédente réunion. C'est celle des aumôneries. La demande, notamment dans les hôpitaux et les lieux de détention, est considérable alors que le manque de coordination et la difficulté de trouver des interlocuteurs reconnus ont conduit jusqu'à présent à une offre beaucoup trop faible et souvent mal adaptée. Le groupe de travail devra d'abord engager sans tarder le dialogue avec le Ministère de l'emploi et de la solidarité d'une part, celui de la justice d'autre part.
- la seconde question concerne l'organisation de l'abattage rituel au moment de la fête de l'Aïd el Kebir. La mauvaise adéquation entre la capacité d'abattages réguliers -la seule qui soit légale- et la demande en augmentation régulière a entraîné une réponse qui n'est plus adaptée : celle de sites d'abattage dits dérogatoires qui font planer la menace d'une procédure contentieuse déclenchée contre la France devant le tribunal européen de Luxembourg. Là encore des solutions modernes devront être proposées par ce groupe de travail qui uvrera au seul niveau pertinent : le niveau national.
Sur ces deux nouveaux thèmes, la Consultation pourra, comme pour les thèmes actuellement étudiés, rassembler des matériaux solides qui constitueront les bases sur laquelle la future organisation pourra s'édifier.
J'en viens maintenant, pour finir, à la commission spéciale consacrée à cette question centrale de l'organisation.
Quel doit être le statut de cette commission ? Je vous rappelle qu'elle diffère des autres groupes de travail par cette donnée essentielle que l'Administration de ce ministère ne saurait en être co-responsable. En effet, dès le démarrage de la Consultation, il a été dit clairement que la responsabilité de l'organisation de l'islam revenait aux seuls musulmans, le Ministère de l'intérieur ne faisant que leur prêter son concours. La mise sur pied de cette commission - qui a été la plus tardive - a connu quelques difficultés de démarrage qui étaient sans doute dans l'ordre des choses.
La commission a cependant été constituée en étroite référence à l'organisation de la Consultation, avec le seul souci de limiter ses participants à un nombre permettant un travail efficace. Les trois groupes de consultés y sont donc présents :
- les représentants des fédérations qui détiennent une part de représentativité et d'audience nationales,
- les représentants des grandes mosquées indépendantes, qui détiennent elles aussi une part de représentativité et d'audience à l'échelon régional ou local, mais qui symbolisent également la part des fidèles musulmans qui ne sont pas affiliés à une organisation nationale,
- enfin, les personnes qualifiées pour leurs compétences qui symbolisent, comme je le rappelais la dernière fois, des écoles de pensées ou de recherche, et qui symbolisent également les musulmans indépendants des organisations.
Il est donc parfaitement clair que les consultés sont dans des situations très différentes d'un groupe à l'autre, et les uns des autres dans ces groupes, quant au nombre de fidèles qu'ils peuvent prétendre représenter. Ces différences devront naturellement jouer quand il s'agira d'adopter le projet d'instance représentative élaboré, et plus encore quand il s'agira de le mettre en uvre.
Mais alors qu'il ne s'agit que de le concevoir, au sein de la Commission chargée de cette tâche, il me semble évident que tous ses membres devraient y participer sur un pied d'égalité.
Quel doit être en effet le rôle de cette commission à l'intérieur du processus de la Consultation ? Celui d'élaborer un projet d'organisation représentative destinée à se superposer aux organisations existantes qui maintiendraient leur indépendance et leur identité.
Si je voulais risquer une image pour mieux me faire comprendre, je dirais que cette commission est chargée de concevoir les plans de la future maison commune. Le résultat de ses travaux, comme celui des groupes de travail mixtes, devra être rapporté et examiné en séance plénière comme celle que nous tenons aujourd'hui.
Le bon sens oriente, me semble-t-il, la création nouvelle vers un système confédéral. Mais c'est à vous d'en décider ainsi, je le redis encore une fois ici très nettement. Je n'entends pas prendre position à votre place. Il vous appartient de faire connaître vos positions respectives, auxquelles je serais attentif.
Il me semble que les trois mois qui se sont écoulés depuis notre dernière séance plénière ont été mis à profit pour mieux vous connaître et pour commencer à expérimenter des méthodes de travail nécessairement innovantes.
Un état d'esprit nouveau se manifeste, qui commence à trouver ses relais chez les fidèles du culte musulman, dans l'ensemble du pays.
L'adhésion de ceux-ci à la démarche entreprise est une condition majeure de son succès. Soyez assurés de ma détermination à uvrer avec vous pour que celle-ci aille jusqu'à son terme, et dans des conditions de totale transparence.
Si vous en êtes d'accord, je vous propose de passer immédiatement à l'audition et à la discussion des pré-rapports des trois groupes de travail mixtes. Nous pourrons ensuite entendre le rapport sur la commission "organisation" qui donnera certainement lieu à une discussion générale d'orientation, où chacun pourra s'exprimer.
(Source : http://www.interieur.gouv.fr, le 22 avril 2000)